Jurisprudence : TA Paris, du 13-07-2023, n° 2125753


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2125753

5e Section
lecture du 13 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 1er décembre 2021, le 21 décembre 2021 et le 28 février 2023, la société CCM Benchmark Group, représenté par Me Feugère, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision par laquelle le ministère de l'éducation nationale a refusé de lui communiquer les résultats agrégés des évaluations pratiquées sur les élèves des classes de cours préparatoire, cours élémentaire première année, sixième et seconde, par établissement, pour les années 2016 à 2019 ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de lui communiquer les documents demandés dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

La société CCM Benchmark Group soutient que :

- sa requête est recevable ;

- les documents sollicités sont communicables.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 8 novembre 2022 et le 30 janvier 2023, le ministre de l'éducation nationale conclut à l'irrecevabilité pour tardiveté et au rejet de la requête.

Il fait valoir que la communication des documents est de nature à révéler des appréciations portées sur ou des comportements adoptés par les enseignants et méconnaîtrait l'article L. 241-12 du code de l'éducation🏛.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Coz en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative🏛.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coz,

- les conclusions de M. Thulard, rapporteur public,

- et les observations de Me Vigouroux, représentant la société CCM Benchmark Group, et de M. A, représentant le ministre de l'éducation nationale.

Considérant ce qui suit :

1. La société CCM Benchmark Group a sollicité, le 15 septembre 2020, la communication des résultats agrégés des évaluations pratiquées sur les élèves des classes de cours préparatoire, cours élémentaire première année, sixième et seconde, par établissement, pour les années 2016 à 2019. Sa demande ayant été implicitement rejetée, elle a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 27 octobre 2020. Le 9 novembre 2020, le ministre de l'éducation nationale l'a informée que les informations sollicitées ne seraient disponibles qu'au niveau départemental et qu'elles étaient en cours de traitement statistique. Le 10 décembre 2021 la CADA a émis un avis favorable à la communication de ces documents. Par une requête en date du 1er décembre 2020, la société CCM Benchmark Group demande au tribunal d'annuler les refus de communication des documents sollicités.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative🏛 : " " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". L'article R. 421-5 de ce code🏛 dispose que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. " Il résulte de ces dispositions que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n'est pas opposable.

3. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Ces règles sont également applicables à la contestation des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l'égard desquels une notification est requise pour déclencher le délai de recours.

4. En premier lieu, il est constant que les voies et délais de recours n'ont pas été mentionnés à la société requérante.

5. En second lieu, le ministre de l'éducation nationale soutient que la décision dont la requérante demande l'annulation est celle du 9 novembre 2020. Cependant, en application des articles R. 343-4 et R. 343-5 du code des relations entre le public et l'administration🏛🏛, le silence gardé durant deux mois à compter de l'enregistrement de la saisine de la CADA vaut décision implicite de refus et il ressort des articles de ce code régissant la communication des documents administratifs que l'avis de la CADA doit permettre d'éclairer la décision de l'administration prise après le recours administratif préalable obligatoire. En conséquence, l'avis de la CADA ayant été rendu le 10 décembre 2020, le courriel du ministre de l'éducation nationale daté du 9 novembre 2020 ne peut être considéré comme la décision consécutive au recours administratif préalable obligatoire formé par la société requérante, dont la requête a par suite été formée moins d'un an après l'expiration du rejet implicite de sa demande le 27 décembre 2020.

6. Au demeurant et en tout état de cause, à supposer que la décision attaquée soit celle du 9 novembre 2020, l'avis rendu par la CADA le 10 décembre 2020 constitue une circonstance particulière justifiant de prolonger le délai indicatif d'un an et de considérer la requête de la société CCM Benchmark Group comme recevable.

7. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'éducation nationale doit être rejetée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

8. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. " Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / () 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ;/ 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. "

9. Le ministre de l'éducation nationale fait valoir que la communication des documents sollicités serait de nature à révéler les comportements des enseignants et pourrait leur porter préjudice dès lors qu'ils pourraient être tenus pour responsables des résultats des élèves aux évaluations, s'agissant notamment des écoles ne comprenant qu'une classe par niveau. Cependant d'une part la communication des résultats à des évaluations ne comporte par elle-même aucune appréciation ou jugement de valeur sur une personne physique, pas plus qu'elle ne divulgue un comportement, d'autre part les résultats des élèves aux évaluations ne peuvent être rapportés à la seule qualité supposée des enseignants, les déterminants socio-culturels étant, de notoriété publique, bien plus nombreux. Le ministre de l'éducation nationale a par suite méconnu les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration🏛.

10. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 241-12 du code de l'éducation : " Le conseil d'évaluation de l'école, placé auprès du ministre chargé de l'éducation nationale, est chargé d'évaluer en toute indépendance l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire. A ce titre :/ () 2° Il définit le cadre méthodologique et les outils des autoévaluations et des évaluations des établissements conduites par le ministère chargé de l'éducation nationale et analyse les résultats de ces évaluations ; pour ce faire, il s'appuie sur toutes les expertises scientifiques, françaises et internationales, qu'il estime nécessaires. Il s'assure de la fréquence régulière de ces évaluations d'établissements et définit les modalités de leur publicité./

L'accès aux données utilisées pour ces évaluations à des fins de statistiques et de recherche est garanti, sous réserve du respect de la réglementation applicable en matière de protection des données à caractère personnel et du livre III du code des relations entre le public et l'administration ; "

11. Le dernier alinéa du 2 indique que le législateur n'a pas entendu, contrairement à ce que soutient le ministre de l'éducation nationale, déroger aux règles posées par le livre III du code des relations entre le public et l'administration et ne peut, par suite, fonder un refus de communication de ces documents.

12. Il résulte de ce qui précède que la société CCM Benchmark est fondée à demander l'annulation du rejet implicite de sa demande de communication de documents administratifs.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent jugement implique nécessairement que le ministre de l'éducation nationale communique, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois à compter de la notification du présent jugement, les documents sollicités, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais irrépétibles :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite portant confirmation de refus de communication des documents sollicités par la société CCM Benchmark est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l'Etat de communiquer à la société CCM Benchmark, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, les résultats agrégés par établissement des évaluations pratiquées sur les élèves des classes de cours préparatoire, cours élémentaire première année, sixième et seconde, pour les années 2016 à 2019.

Article 3 : L'Etat versera à la société CCM Benchmark une somme de 1 500 euros à en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la société Benchmark Group.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.

Le magistrat désigné,

Y. Coz

La greffière,

V. Lagrède

La République mande et ordonne ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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