Jurisprudence : TA Strasbourg, du 24-05-2023, n° 2101694


Références

Tribunal Administratif de Strasbourg

N° 2101694

6ème Chambre
lecture du 24 mai 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 mars 2021, le syndicat CFDT Interco Moselle demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision par laquelle le service départemental d'incendie et de secours (ci-après SDIS) de la Moselle a implicitement refusé de fixer une limite maximale d'heures de gardes hebdomadaires aux sapeurs-pompiers volontaires, ensemble la décision explicite du 12 janvier 2021 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge du SDIS 57 la somme de 300 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- la décision explicite de rejet de son recours gracieux est entachée d'incompétence ;

- le SDIS a méconnu les dispositions de l'article L. 723-8 du code de la sécurité intérieure🏛 en refusant de fixer une limite maximale d'heure effectuées par les sapeurs-pompiers volontaires ;

- il a également méconnu les dispositions de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2021, le SDIS de la Moselle, représenté par son président en exercice conclu au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge du syndicat CFDT Interco Moselle, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000🏛 ;

- le décret n°2001-623 du 12 juillet 2001🏛 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Cormier, rapporteur,

- les conclusions de M. Lusset, rapporteur public,

- les observations de Mme A, représentant le SDIS de la Moselle.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 5 août 2020, le syndicat CFDT Interco Moselle a demandé au président du SDIS de la Moselle de fixer une limite maximale d'heures de gardes hebdomadaires aux sapeurs-pompiers volontaires. Cette demande a été implicitement rejetée. Le syndicat requérant a formé un recours administratif qui a été rejetée par une décision explicite du 12 janvier 2021. Il demande au tribunal d'annuler ces deux décisions.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article 88-1 de la Constitution française : " La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. ". Aux termes de l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis () La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens () ".

3. La transposition en droit interne des directives européennes, qui est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle. Pour chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit de l'Union européenne, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques. Tout justiciable peut, en conséquence, faire valoir, par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives, y compris en ce qu'elles ne prévoient pas des droits ou des obligations prévues par ces dernières. Par ailleurs, et ainsi que l'avait jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans ses arrêts du 25 mai 1982, commission contre Pays-Bas (96/81 et 97/81), chaque État membre est libre de répartir, comme il le juge opportun, les compétences sur le plan interne et de mettre en œuvre une directive au moyen de mesures prises par les autorités locales.

4. D'autre part, aux termes de l'article 2 de la directive n°2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 : " Aux fins de la présente directive, on entend par : 1. " temps de travail " : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales () ". Aux termes de l'article 6 de cette directive, intitulé " Durée maximale hebdomadaire de travail " : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux ; b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires. ". Aux termes de l'article 16 de cette directive : " Les États membres peuvent prévoir : () b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. Les périodes de congé annuel payé, accordé conformément à l'article 7, et les périodes de congé de maladie ne sont pas prises en compte ou sont neutres pour le calcul de la moyenne () ". Aux termes de l'article 22 de la même directive : " 1. Un Etat membre a la faculté de ne pas appliquer l'article 6 tout en respectant les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et à condition qu'il assure, par les mesures nécessaires prises à cet effet, que : a) aucun employeur ne demande à un travailleur de travailler plus de quarante-huit heures au cours d'une période de sept jours, calculée comme moyenne de la période de référence visée à l'article 16, point b), à moins qu'il ait obtenu l'accord du travailleur pour effectuer un tel travail ; b) aucun travailleur ne puisse subir aucun préjudice du fait qu'il n'est pas disposé à donner son accord pour effectuer un tel travail ; c) l'employeur tienne des registres mis à jour de tous les travailleurs qui effectuent un tel travail ; d) les registres soient mis à la disposition des autorités compétentes qui peuvent interdire ou restreindre, pour des raisons de sécurité et/ou de santé des travailleurs, la possibilité de dépasser la durée maximale hebdomadaire de travail ; e) l'employeur, sur demande des autorités compétentes, donne à celles-ci des informations sur les accords donnés par les travailleurs pour effectuer un travail dépassant quarante-huit heures au cours d'une période de sept jours, calculée comme moyenne de la période de référence visée à l'article 16, point b) () ".

5. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C-428/09), la notion de travailleur " ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux, mais revêt une portée autonome propre au droit de l'Union. Elle doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et des devoirs des personnes concernées. ". Dans son arrêt du 21 février 2018, Ville de Nivelles contre Rudy Matzak (C-518/15), la Cour a précisé que " doit être considérée comme " travailleur " toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique définissant une relation de travail réside en la circonstance qu'une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ".

6. Enfin, aux termes de l'article L. 723-8 du code de la sécurité intérieure : " L'engagement du sapeur-pompier volontaire est régi par le présent livre ainsi que par la loi

n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers. Ni le code du travail ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicables, sauf dispositions législatives contraires () ". Aux termes de l'article L. 723-15 du même code🏛 : " Les activités de sapeur-pompier volontaire, de membre des associations de sécurité civile et de membre des réserves de sécurité civile ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail () ". Il résulte de ces dispositions que les articles L. 3121-20 du code du travail🏛, 3 du décret du 25 août 2000🏛 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature et 1 du décret du 12 juillet 2001🏛 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984🏛 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale, qui limitent au cours d'une même semaine la durée maximale hebdomadaire de travail à quarante-huit heures, ne sont pas applicables aux sapeurs-pompiers volontaires.

7. En l'occurrence, les sapeurs-pompiers volontaires, qui perçoivent notamment des indemnités horaires en vertu de l'article L. 723-9 du code de la sécurité intérieure🏛, se trouvent pendant leurs gardes dans une relation de subordination à l'égard de la hiérarchie de leur SDIS en vertu de l'article R. 723-35 du même code. Ainsi, ils constituent des travailleurs au sens de la directive du 4 novembre 2013, dont le délai de transposition est expiré, et relèvent, par voie de conséquence, de son champ d'application. Par suite, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires nationales, il appartenait au SDIS de la Moselle de déterminer le nombre d'heures maximales d'heures de gardes hebdomadaires pouvant être effectuées par les sapeurs-pompiers volontaires exerçant en son sein, dans les conditions et limites posées par cette directive, lesquelles doivent être respectées quels que soient le nombre d'employeurs. Il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le syndicat CFDT Interco Moselle est fondé à demander l'annulation des décisions litigieuses.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative🏛 : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public () prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

9. Compte tenu du motif retenu pour annuler la décision en litige, l'exécution du présent jugement implique nécessairement que le SDIS de la Moselle détermine le nombre d'heures hebdomadaires maximum de gardes pour les sapeurs-pompiers volontaires. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à l'établissement défendeur d'y procéder dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " () Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat CFDT Interco Moselle, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le SDIS de la Moselle au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDIS de la Moselle le versement au profit du syndicat CFDT Interco Moselle de la somme demandée à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : La décision, par laquelle le SDIS de la Moselle a implicitement refusé de fixer une limite maximale d'heures de gardes hebdomadaires aux sapeurs-pompiers volontaires et la décision explicite du 12 janvier 2021 rejetant son recours gracieux sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au SDIS de la Moselle de prendre une décision pour fixer le nombre maximal d'heures de gardes hebdomadaires pour les sapeurs-pompiers volontaires, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié au syndicat CFDT Interco Moselle et au service départemental d'incendie et de secours de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Dhers, président,

Mme Weisse-Marchal, première conseillère,

M. Cormier, conseiller

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2023.

Le rapporteur,

R. Cormier

Le président,

S. Dhers

Le greffier,

P. Souhait

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

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