Jurisprudence : TA La Guadeloupe, du 10-08-2022, n° 2200711


Références

Tribunal Administratif de la Guadeloupe

N° 2200711


lecture du 10 août 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2022, le préfet de la Guadeloupe demande au juge des référés :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne de l'emplacement qu'elle occupe sur le domaine public maritime sur la plage de la Datcha, au besoin avec le concours de la force publique, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

2°) d'enjoindre à la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne de remettre les lieux dans leur état naturel, dans le délai de dix jours à compter de la présente ordonnance, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Il soutient que :

- le juge des référés administratif est compétent pour ordonner l'expulsion d'occupants sans titre du domaine public en application des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative ;

- la demande présente un caractère utile et urgent ;

- elle ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Par quatre mémoires, respectivement enregistrés les 1er, 3 août et 9 août 2022, la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne et la société Immoroma, représentées par Me Désirée, concluent, dans le dernier état de leurs écritures, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du préfet de la Guadeloupe une somme de 2 500 euros au titre des frais d'instance.

Elles font valoir que :

- les locaux dans lesquels la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne exploite le restaurant dénommé " Le Lambi " sont situés non pas sur le domaine public, mais sur une parcelle privée détenue par la société Immoroma ;

- la condition d'urgence est requise, dès lors que la parcelle de l'occupation alléguée n'est pas située dans la zone des cinquante pas géométriques ; cette condition n'est pas remplie en l'espèce ;

- la demande d'expulsion se heurte à une contestation sérieuse, dès lors qu'elle implique qu'il soit porté une appréciation sur le titre de propriété détenu par la société Immoroma, que l'arrêté préfectoral portant délimitation du rivage de la mer ne revêt qu'un caractère recognitif et qu'une procédure pour contravention de grande voirie est pendante devant le tribunal de céans ;

- la demande d'expulsion excède les compétences du juge des référés en ce que, comprenant une demande de démolition des ouvrages implantés, elle conduirait ce dernier à prendre des mesures définitives ;

- enfin, la demande méconnaît l'article L. 521-3-1 du code de justice administrative, dès lors qu'aucune proposition de relogement n'a été faite par le préfet de la Guadeloupe préalablement à l'expulsion sollicitée.

Des pièces complémentaires présentées pour les sociétés défenderesses ont été enregistrées le 9 août 2022 et communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. B pour statuer sur les demandes de référé.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Cétol, greffière d'audience, M. B a lu son rapport et entendu Mme A, pour le préfet de la Guadeloupe et Me Désirée, représentant la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne et la société Immoroma.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune mesure administrative ".

Sur l'occupation du domaine public maritime :

2. Lorsque la personne visée par une demande d'expulsion soutient qu'elle n'occupe pas une dépendance du domaine public et que, par suite, le juge administratif des référés n'est pas compétent pour se prononcer sur cette demande, ce juge n'a pas à établir que la dépendance relève de manière certaine du domaine public, sur la base des critères relatifs à la définition de ce domaine avant de se reconnaître compétent pour statuer. Néanmoins, il lui appartient de rechercher, et de faire apparaître dans sa décision, que le bien concerné n'est pas manifestement insusceptible d'être qualifié de dépendance du domaine public dont le contentieux relève de la compétence de la juridiction administrative.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de l'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; () 3° Les lais et relais de la mer () ".

4. Il résulte de l'instruction que, par un acte de vente du 19 août 1961, l'Etat a cédé à deux acquéreurs des parcelles situées dans la zone des cinquante pas géométriques, revendues par la suite, dans un premier temps, à la société Pergola en 1976, qui les a elle-même cédées en 1977 à la société Immoroma. Il ressort des actes de cession et des plans qui y sont annexés que ces parcelles contigües, d'une superficie totale de 14 057 m², sont bornées au sud par la plage dite " de la Datcha ", située sur l'emprise du rivage de la mer et qui fait donc partie du domaine public maritime naturel de l'Etat. Par un contrat du 5 janvier 2021, la société Immoroma a donné à bail à la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne des locaux situés sur le terrain précité, en vue d'exercer une activité de restauration.

5. Le préfet de la Guadeloupe soutient, en se fondant sur deux constats d'occupation sans titre du domaine public réalisés le 15 juin 2021 et le 11 février 2022 par des agents de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, qu'une partie des locaux du restaurant " Le Lambi ", exploité par la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne, empièterait sur la dépendance du domaine public maritime qu'est la plage de la Datcha, dès lors, d'une part, qu'à la suite de travaux effectués en 2021, une extension du restaurant montée sur plate-forme aurait été réalisée sur la face sud de la construction existante, et déborderait de la parcelle détenue par la société Immoroma sur la plage, et, d'autre part, que des tables et chaises en PVC, ainsi que des parasols, couvrant une superficie de 72 m², seraient mis en place sur la plage, à proximité immédiate de l'établissement exploité, pendant la journée. La matérialité de ces travaux et de cette installation n'est pas contestée, non plus que l'absence de titre d'occupation pour occuper le domaine public.

6. La société bailleresse et la société preneuse font toutefois valoir qu'elles n'occupent pas le domaine public maritime, dès lors que l'extension litigieuse des locaux de restauration est implantée sur la seule parcelle appartenant, depuis 1977, à la société Immoroma, à l'exclusion de tout débordement sur le domaine public. Il résulte néanmoins de l'instruction que les constatations d'occupation sans titre du domaine public ont été réalisées sur la base d'un plan de délimitation du rivage de la mer établi le 1er mars 2021. Ces constatations d'empiètement sur le domaine public sont corroborées par les photographies jointes aux procès-verbaux qui font bien apparaître que les locaux du restaurant s'étendent sur la plage de la Datcha qui constitue une dépendance au domaine public maritime.

7. Il résulte de ce qui précède que l'extension immobilière du restaurant exploité par la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne ainsi que les biens mobiliers installés sur la plage ne peuvent être regardés comme manifestement insusceptibles de constituer des occupations du domaine public maritime.

Sur le prononcé de la mesure d'expulsion sollicitée :

8. Saisi, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un occupant sans titre du domaine public, le juge des référés y fait droit dès lors que la demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse et que la libération des lieux présente un caractère d'urgence et d'utilité.

En ce qui concerne l'urgence et l'utilité :

9. Aux termes de l'article L. 521-3-1 du code de justice administrative : " La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-3 n'est pas requise en cas de requête relative à une occupation non autorisée de la zone des cinquante pas géométriques. / En cas d'évacuation forcée, l'autorité chargée de l'exécution de la décision du juge s'efforce par tous moyens de proposer un relogement aux occupants sans titre en situation régulière sur le territoire national. Dès lors qu'une proposition adaptée de relogement a été faite, le juge peut ordonner la démolition de la construction illégale ".

10. Il résulte de l'instruction que la parcelle faisant l'objet de l'occupation mentionnée au point précédent n'est pas comprise dans la zone des cinquante pas géométriques, mais est située sur la plage de la Datcha, soit sur le rivage de la mer qui appartient au domaine public maritime de l'Etat. Par suite, les sociétés défenderesses ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 521-3-1 précité pour soutenir qu'une procédure de relogement aurait dû précéder la demande d'expulsion. En l'absence d'inclusion de la parcelle litigieuse dans la zone des cinquante pas géométriques, le prononcé de l'expulsion demandée est non seulement subordonné à une condition d'utilité mais également une condition d'urgence.

11. Pour justifier du bien-fondé de sa demande, le préfet de la Guadeloupe fait valoir que l'occupation sans titre du domaine public maritime porte atteinte, d'une part, à l'usage normal du domaine par les usagers de la plage, dont la libre circulation sur le domaine est entravée par les ouvrages irrégulièrement installés, d'autre part, à l'intégrité du domaine public causée par l'anthropisation non maîtrisée du rivage qui a des effets délétères en matière environnementale. Si les sociétés défenderesses contestent l'existence de ces atteintes, elles n'apportent aucun commencement de preuve de nature à remettre en cause ces allégations, pour partie étayées par des photographies. La circonstance que l'établissement serait exploité depuis 2019 ne permet pas d'exclure l'existence d'une situation d'urgence, qui découle non pas de l'exploitation de l'établissement de restauration mais de l'extension des locaux réalisée au cours de l'année 2021. Eu égard à la nécessité de rétablir tant le libre accès des piétons à la plage que l'égalité de traitement entre les occupants de la plage de la Datcha pour mettre fin aux troubles évoqués par le préfet de la Guadeloupe, et compte tenu de l'impératif de préservation de l'intégrité du domaine public maritime, la demande d'expulsion doit être regardée comme présentant un caractère d'utilité et d'urgence.

En ce qui concerne l'absence de contestation sérieuse :

12. Ainsi qu'il l'a été énoncé au point 5, il résulte de l'instruction que l'exploitation du restaurant " Le Lambi " conduit la société bailleresse et la société preneuse à empiéter, sans titre, sur le domaine public maritime. Cette occupation est sans lien avec la nature ou la validité du titre de propriété de la parcelle privative sur laquelle les locaux litigieux ont, en partie, leur emprise. Par ailleurs, le préfet de la Guadeloupe apporte plusieurs éléments de preuve, et notamment deux plans de délimitation du rivage de la mer, le dernier réalisé par le cabinet Simon et associés datant du 1er mars 2021, au soutien de son allégation selon laquelle les locaux du restaurant " Le Lambi " déborderaient sur la dépendance du domaine public maritime. Si les sociétés se prévalent du caractère recognitif des actes de délimitation du domaine public sur lesquels s'est fondé le préfet, et de leur absence de caractère définitif, elles n'apportent toutefois aucun élément tendant à remettre en cause l'allégation étayée selon laquelle elles empiéteraient sur le domaine public maritime qui permettrait de regarder comme sérieuse la contestation ainsi soulevée en matière de délimitation de propriété. Enfin, la mise en œuvre d'une procédure pour contravention de grande voirie n'interdit pas à l'autorité domaniale de saisir le juge administratif des référés. Il suit de là que la demande du préfet de la Guadeloupe ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

En ce qui concerne les pouvoirs attribués au juge des référés statuant en application de l'article L. 521-3 du code de justice administrative :

13. La mise en œuvre d'une procédure pour contravention de grande voirie ne prive pas le juge administratif des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions précitées de l'article L. 521-3 du code de justice administrative et qui lui permettent de prononcer toute mesure utile et justifiée par l'urgence sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative.

14. Contrairement à ce que font valoir les sociétés défenderesses, aucun principe ne fait obstacle à ce que le juge des référés qui, statuant sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, est susceptible de prendre des mesures au caractère quasi-irréversible, ordonne à l'occupant irrégulier du domaine public de démolir les ouvrages implantés sans droit ni titre sur le domaine, dans le cas où cette destruction découle directement et nécessairement de l'expulsion de l'occupant irrégulier.

15. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les sociétés ont étendu les locaux du restaurant " Le Lambi " sur l'emprise de la plage de la Datcha, dépendance du domaine public maritime. L'expulsion des défenderesses du domaine public implique nécessairement la destruction des ouvrages irrégulièrement implantés sur ce domaine. Par suite, les sociétés ne sont pas fondées à faire valoir que les demandes du préfet de la Guadeloupe tendant à la remise en état des lieux excèdent les pouvoirs du juge des référés.

16. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer l'expulsion des sociétés Cuisine éco-logique et diététique caribéenne et Immoroma du domaine public maritime. Il convient, à cette fin, de leur ordonner de libérer les locaux exploités sans droit ni titre sur la plage de la Datcha, de procéder à leurs frais et risques à la démolition des ouvrages installés sur l'emplacement concerné et de libérer les lieux de tous objets mobiliers sans délai, sous une astreinte de 200 euros par jour de retard faute d'exécution de la présente ordonnance dans un délai de deux semaines. A défaut pour les sociétés de libérer les lieux, le préfet de la Guadeloupe pourra à l'expiration du délai de deux semaines susmentionné, procéder à leur expulsion, avec, au besoin, le concours de la force publique.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Parties perdantes dans l'instance, la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne et la société Immoroma ne peuvent qu'être déboutées de leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint à la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne et tout autre occupant de libérer les locaux qu'elle occupe sans droit ni titre sur le domaine public de la plage de la Datcha, de procéder à ses frais et risques à la démolition des ouvrages installés sur l'emplacement concerné et de libérer les lieux de tout objet mobilier. Il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard faute d'exécution dans un délai de deux semaines. A défaut pour la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne ou tout autre occupant de libérer les lieux dans ce délai, le préfet de la Guadeloupe pourra à l'expiration de ce délai, procéder à leur expulsion, et, le cas échéant, requérir à cette fin le concours de la force publique.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne et la société Immoroma sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne, à la société Immoroma et au préfet de la Guadeloupe.

Rendu public par mise à disposition, le 10 août 2022.

Le juge des référés,

Signé

A. B

La greffière,

Signé

A. CETOL

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

L'adjointe de la greffière en chef,

Signé

A. Cétol

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