N° G 21-86.870 F-D
N° 01211
RB5
5 OCTOBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 OCTOBRE 2022
Mme [Y] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, en date du 26 octobre 2021, qui a prononcé sur sa requête en incident contentieux d'exécution.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [Y] [D], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par décision définitive du 25 septembre 2020, le tribunal correctionnel de Rennes a condamné M. [F] [E] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, ainsi que pour des délits douaniers connexes.
3. En répression, le tribunal a notamment ordonné la confiscation d'une maison d'habitation située à [Localité 1] (16) qui a été acquise le 20 mars 2007 par le condamné et son épouse, Mme [Y] [D].
4. Par requête en difficulté d'exécution reçue au greffe le 6 novembre 2020 Mme [D] a sollicité du tribunal correctionnel la restitution de l'intégralité de l'immeuble ou, subsidiairement, la substitution à la peine de confiscation en nature de l'immeuble, celle de confiscation en valeur sur la base de l'évaluation faite par l'administration des domaines. Très subsidiairement, Mme [D] a demandé que lui soient restitués ses droits dans l'immeuble à hauteur de sa part indivise.
5. Par jugement du 26 janvier 2021, le tribunal a rejeté la requête.
6. Mme [D] a interjeté appel de la décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté Mme [Y] [D], épouse [E], de l'ensemble de ses demandes de restitution, alors :
« 1°/ que le propriétaire de bonne foi de biens confisqués doit bénéficier d'un recours effectif contre la décision de confiscation ; qu'en confirmant le rejet de la requête en difficulté d'exécution de Mme [Y] [D], épouse [E], sans apprécier, nonobstant le bénéfice d'un droit à récompense, d'une part, s'il y avait lieu, au regard des circonstances de l'infraction et de sa situation personnelle, de confisquer en tout ou partie le bien appartenant à la communauté conjugale ou de le lui restituer en tout ou partie et, d'autre part, si l'atteinte portée à son droit de propriété était proportionnée, la cour d'appel a violé l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des Droits de l'Homme, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux ainsi que les
articles 710 et 593 du code de procédure pénale🏛🏛 ;
2°/ que l'autorité de chose jugée de la décision prononçant la confiscation du bien dont la restitution est demandée n'est pas opposable au propriétaire de bonne foi qui doit bénéficier d'un recours effectif contre cette décision ; qu'en confirmant le rejet de la requête de Mme [Y] [D], épouse [E], – qui n'avait pu faire valoir ses droits en qualité de propriétaire de bonne foi devant la chambre de l'instruction et devant la juridiction de jugement – aux motifs qu'« il est constant qu'une juridiction correctionnelle, saisie en application de l'
article 710 du code de procédure pénale🏛 d'un incident contentieux relatif à l'exécution d'une décision, n'a pas le pouvoir de restreindre ou d'accroître les droits qu'elle consacre et de modifier ainsi la chose jugée » (arrêt, p. 5, § 4) et que « la substitution de la peine de confiscation en nature de l'immeuble ne saurait être transformée en une peine de confiscation en valeur car cela modifierait la chose jugée au détriment de l'état » (arrêt, p. 6, § 1), la cour d'appel, qui a opposé la chose jugée au tiers de bonne foi au mépris de son droit à un recours effectif, a violé l'article 1 du Protocole n°1 à la Convention européenne des Droits de l'Homme, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux ainsi que les
articles 710 et 593 du code de procédure pénale🏛🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, et 710 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ces textes que doit être examinée au regard des premier et deuxième de ceux-ci la requête de toute personne non condamnée pénalement qui est propriétaire d'un bien confisqué et soulève des incidents contentieux relatifs à l'exécution de la décision pénale ordonnant la confiscation.
9. Lorsqu'a été confisqué un bien commun en répression d'une infraction commise par l'un des époux, que la requête est présentée par l'époux non condamné pénalement, et que ce dernier est de bonne foi, la juridiction pénale ne peut ordonner la restitution de ses droits à l'époux de bonne foi. La confiscation ne peut qu'emporter sa dévolution pour le tout à l'Etat et fait naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci.
10. Néanmoins, il appartient à cette juridiction d'apprécier si, nonobstant la reconnaissance d'un droit à récompense pour la communauté, il y a lieu de confirmer la confiscation en tout ou partie, en restituant tout ou partie du bien à la communauté, au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation de son auteur, ainsi que de la situation personnelle de l'époux de bonne foi, en s'expliquant, hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, sur le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'époux de bonne foi lorsqu'une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine (
Crim., 30 mars 2022, pourvoi n° 21-82.217⚖️, publié au Bulletin).
11. Pour confirmer le rejet de la requête de Mme [D], l'arrêt retient, après avoir constaté que l'immeuble confisqué appartient à la communauté conjugale, que la confiscation d'un bien commun prononcée en répression d'une infraction commise par l'un des époux ne peut qu'emporter sa dévolution pour le tout à l'Etat, sans qu'il demeure grevé des droits de l'époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi.
12. Les juges ajoutent que la peine de confiscation en nature de l'immeuble ne saurait être transformée en une peine de confiscation en valeur car cela modifierait la chose jugée au détriment de l'Etat.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
14. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 26 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq octobre deux mille vingt-deux.