CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 693 F-D
Pourvoi n° Q 21-12.632
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
La société Etude Balincourt, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [H] [V], agissant en qualité de liquidateur amiable du groupement foncier agricole de Sainte Cécile d'Estagel, a formé le pourvoi n° Q 21-12.632 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 2e chambre, section B), dans le litige l'opposant à la société BRMJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [C] [U], pris en qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la société [B] [O] et de M. [B] [O], défenderesse à la cassation.
La société BRMJ, en la personne de M. [C] [U], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société [O] et de M. [B] [O], a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Etude Balincourt, ès qualités, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la société BRMJ, ès qualités, après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 8 décembre 2020), le groupement foncier agricole de Sainte Cécile d'Estagel (le GFA) a consenti un bail rural à long terme portant sur plusieurs parcelles de terres agricoles à M. [Aa], placé en liquidation judiciaire le 12 juillet 2010.
2. Après avoir procédé à la résiliation du bail, la société BRMJ, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [Aa], a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en indemnisation des travaux d'améliorations réalisés au cours du bail.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
3. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui est irrecevable.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. La société Etude Balincourt, agissant en sa qualité de liquidateur amiable du GFA, fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnité au titre des améliorations apportées par M. [O] sur les fonds loués à une certaine somme et d'ordonner son inscription au passif de la liquidation amiable du GFA, alors « que le droit à l'indemnité de preneur sortant sur le fondement de l'
article L. 411-69 du code rural🏛 et de la pêche est soumis au respect de la procédure instituée par les dispositions d'ordre public de l'article L. 411-73 du même code lesquelles requièrent l'autorisation ou l'information préalable du bailleur ou à défaut l'autorisation du tribunal paritaire des baux ruraux avant d'entreprendre les travaux ; qu'au cas présent, pour faire droit à la demande d'indemnité formée par Maître [U] ès qualités de liquidateur à la liquidation de M. [B] [O], la cour d'appel a retenu que l'acquiescement du bailleur au principe d'une indemnité au preneur sortant en compensation des améliorations postérieurement à la résiliation du bail, associé à sa parfaite connaissance de la situation des parcelles louées de par ses liens familiaux avec le preneur et de sa proximité géographique constitueraient des présomptions graves, précises et concordantes de son accord tacite pour l'ensemble des travaux réalisés par M. [B] [O] ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'autorisation avait été donnée sans équivoque par le bailleur antérieurement aux travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 411-69 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime🏛🏛. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a retenu, sans encourir le grief du moyen, que le courrier, par lequel le gérant du GFA, en réponse à une lettre du mandataire judiciaire de M. [Aa], faisait part de son souhait d'être informé du montant et du mode de calcul de l'indemnité que ce dernier entendait réclamer, devait être interprété comme un acquiescement au principe de cette indemnité, ce dont il résultait que le bailleur avait renoncé à se prévaloir du non-respect de l'
article L. 411-73, I, du code rural et de la pêche maritime🏛.
6. Elle a pu en déduire que le droit à indemnisation de M. [Aa], né des améliorations apportées aux fonds loués, était démontré, et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision de ce chef.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La société Etude Balincourt, ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties, alors « que l'
article L. 622-7 du code de commerce🏛 permet le paiement d'une créance antérieure à la procédure, régulièrement déclarée, par compensation avec une dette connexe ; qu'en conséquence, le juge ne peut s'opposer au paiement d'une somme recouvrée à la suite d'une action indemnitaire exercée par le liquidateur au moyen d'une compensation avec une dette du débiteur en liquidation, issue du même contrat, entre les mêmes parties, régulièrement déclarée à la procédure et à hauteur du montant le plus faible des deux créances ; qu'au cas présent, le GFA Sainte Cécile d'Estagel demandait à ce que tout ou partie de la somme à laquelle elle aurait pu être condamnée sur le fondement de l'indemnité de preneur sortant soit payée par la compensation avec la dette de fermage restant due au jour de la résiliation du contrat de bail rural, régulièrement déclarée à la procédure ; que ces deux dettes issues du même contrat et destinées à se retrouver au sein du compte de sortie du bail étaient connexes ; que leur compensation, demandée par le GFA de Sainte Ab A, devait donc être ordonnée par la cour d'appel ; qu'en refusant cette compensation, la cour d'appel a violé les dispositions de l'
article L. 622-7 du code de commerce🏛, ensemble celles de l'
article 1289 du code civil🏛 dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article L. 622-7, I, du code de commerce🏛 et l'
article 1291 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'
ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016🏛 :
8. Selon le premier de ces textes, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
9. Il résulte du second que, lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l'une d'entre elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d'exigibilité.
10. Pour dire n'y avoir lieu à compensation entre les créances de fermages et d'indemnité pour amélioration des fonds loués, l'arrêt retient qu'il résulte de l'application combinée des
articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce🏛🏛 que les sommes recouvrées à la suite des actions que le liquidateur engage ou poursuit dans l'intérêt collectif des créanciers entrent dans le patrimoine du débiteur pour être réparties, en cas de liquidation, entre tous les créanciers.
11. En statuant ainsi, alors que la créance d'indemnité due pour l'amélioration des fonds loués et celle de fermages, nées d'un même contrat, sont connexes et que la première ne résulte pas d'une action engagée par le liquidateur dans l'intérêt collectif des créanciers, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société BRMJ, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [Aa], aux dépens du pourvoi principal et du pourvoi incident ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande de la société BRMJ, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [Aa], et la condamne à payer à la société Etude Balincourt, prise en sa qualité de liquidateur amiable du groupement foncier agricole de Sainte Cécile d'Estagel, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour la société Etude Balincourt, ès qualités (demanderesse au pourvoi principal)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Maître [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnité au titre des améliorations apportées par Monsieur [B] [O] sur les fonds loués à la somme de 517 165,52 € et d'avoir ordonné l'inscription de cette somme au passif de la liquidation amiable du GFA de Sainte Cécile d'Estage ;
ALORS QUE le droit à l'indemnité de preneur sortant sur le fondement de l'
article L. 411-69 du code rural🏛 et de la pêche est soumis au respect de la procédure instituée par les dispositions d'ordre public de l'article L. 411-73 du même code lesquelles requièrent l'autorisation ou l'information préalable du bailleur ou à défaut l'autorisation du tribunal paritaire des baux ruraux avant d'entreprendre les travaux ; qu'au cas présent, pour faire droit à la demande d'indemnité formée par Maître [U] ès-qualités de liquidateur à la liquidation de Monsieur [B] [O], la cour d'appel a retenu que l'acquiescement du bailleur au principe d'une indemnité au preneur sortant en compensation des améliorations postérieurement à la résiliation du bail, associé à sa parfaite connaissance de la situation des parcelles louées de par ses liens familiaux avec le preneur et de sa proximité géographique constitueraient des présomptions graves, précises et concordantes de son accord tacite pour l'ensemble des travaux réalisés par Monsieur [B] [O] ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'autorisation avait été donnée sans équivoque par le bailleur antérieurement aux travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 411-69 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime🏛🏛 ;
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Maître [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à compensation entre les créances réciproques des parties ;
ALORS QUE l'
article L. 622-7 du code de commerce🏛 permet le paiement d'une créance antérieure à la procédure, régulièrement déclarée, par compensation avec une dette connexe ; qu'en conséquence, le juge ne peut s'opposer au paiement d'une somme recouvrée à la suite d'une action indemnitaire exercée par le liquidateur au moyen d'une compensation avec une dette du débiteur en liquidation, issue du même contrat, entre les mêmes parties, régulièrement déclarée à la procédure et à hauteur du montant le plus faible des deux créances ; qu'au cas présent, le GFA Sainte Cécile d'Estagel demandait à ce que tout ou partie de la somme à laquelle elle aurait pu être condamnée sur le fondement de l'indemnité de preneur sortant soit payée par la compensation avec la dette de fermage restant due au jour de la résiliation du contrat de bail rural, régulièrement déclarée à la procédure ; que ces deux dettes issues du même contrat et destinées à se retrouver au sein du compte de sortie du bail étaient connexes ; que leur compensation, demandée par le GFA de Sainte Ab A, devait donc être ordonnée par la cour d'appel ; qu'en refusant cette compensation, la cour d'appel a violé les dispositions de l'
article L. 622-7 du code de commerce🏛, ensemble celles de l'
article 1289 du code civil🏛 dans sa rédaction applicable à la cause.
Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour la société BRMJ, ès qualités (demanderesse au pourvoi incident)
La société BRMJ, prise en la personne de Me [U], ès qualités de liquidateur de M. [B] [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé au passif de la liquidation amiable du GFA de Sainte Cécile d'Estagel la somme due au titre de l'indemnité due à M. [B] [O] (soit une somme de 517 165,52 €) et d'avoir fixé au passif de la liquidation amiable du GFA de Sainte Cécile d'Estagel la somme due sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 au titre des frais irrépétibles (soit la somme globale de 2 000 euros), et d'avoir dit que les dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de l'expertise réalisée par M. [E] [T], seront employés en frais privilégiés de la liquidation amiable du GFA de Sainte Cécile d'Estagel ;
ALORS QUE la personnalité morale du groupement foncier agricole subsiste pour les besoins de sa liquidation amiable ; qu'en conséquence un groupement foncier agricole peut être judiciairement condamné au paiement au cours de sa liquidation amiable, seule la liquidation judiciaire emportant interruption des actions tendant au paiement d'une somme d'argent, puis leur reprise aux seules fins de fixation de la créance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir constaté qu'était due par le GFA de Sainte Cécile d'Estagel une somme de 517 165,52 euros au titre de l'indemnité due au preneur sortant n'a pas condamné le GFA à payer cette somme à la liquidation judiciaire de M. [B] [O] ; qu'elle s'est bornée à fixer à cette somme le montant de la créance de M. [B] [O] au passif de la liquidation amiable du groupement ; que la cour d'appel a également fixé le montant de la créance de l'exposante au titre des frais irrépétibles, sans condamner le GFA à payer cette somme ; que la cour d'appel n'a pas davantage condamné le GFA au dépens, mais a dit qu'ils seraient employés en frais privilégiés de la liquidation amiable ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'
article 1844-8 du code civil🏛 par refus d'application et l'
article L. 622-22 du code de commerce🏛 par fausse application.