N° A 21-84.034 F-D
N° 00350
SL2
23 MARS 2022
CASSATION PARTIELLE
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MARS 2022
M. [L] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 19 mai 2021, qui, pour agressions sexuelles aggravées, l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L] [U], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 février 2022 où étaient présents M. A Aa de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le juge d'instruction a renvoyé M. [L] [U] devant le tribunal correctionnel des chefs d'agressions sexuelles aggravées par la circonstance qu'il exerçait une autorité sur les victimes, les deux filles aînées de sa compagne, et, pour partie des faits, que l'une et l'autre étaient mineures de quinze ans.
3. Les juges du premier degré ont prononcé une relaxe.
4. Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Ab] à verser les sommes de 15 000 euros à [P] [R], 8 000 euros à [E] [R] et 3 000 euros à Mme [S] [B], alors :
« 1°/ que l'action civile ne permet que la réparation du dommage directement causé par l'infraction ; que le droit de ne pas s'auto-incriminer est un droit fondamental reconnu à la personne poursuivie dont l'exercice ne saurait être retenu contre elle ; que ne saurait en conséquence être regardé comme fautif le fait pour la personne mise en examen de ne pas reconnaître sa culpabilité ; que pour fixer à 15 000 euros et 8 000 euros le montant des dommages-intérêts à verser respectivement à [P] et [E] [R], la cour d'appel s'est fondée sur la circonstance que leur préjudice moral était « renforcé par les dénégations de leur auteur » ; qu'en retenant ainsi que la stratégie de défense de M. [U] était à l'origine d'un préjudice direct des victimes ouvrant droit à réparation, la cour d'appel a violé les articles préliminaire, 2 et 3 du
code de procédure pénale, 6 de la
Convention européenne des droits de l'homme🏛, 14, § 3, g, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 1240 du
code civil. »
Réponse de la Cour
15. Pour réformer le jugement en ses dispositions civiles et condamner M. [U], sur les actions civiles de Mme [B], de [P] et [E] [R], à leur payer respectivement les sommes de 3 000, 15 000 et 8 000 euros, en réparation de leurs préjudices moraux, l'arrêt attaqué retient que le préjudice moral causé aux victimes des attouchements est renforcé par les dénégations de leur auteur.
16. En prononçant ainsi, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des dommages subis par les parties civiles et de l'étendue de leur préjudice, la cour d'appel a justifié sa décision.
17. En effet, le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser lui-même, qui interdit de déduire la culpabilité du prévenu de son silence et de le contraindre à faire des déclarations, ne s'oppose pas à ce que, après avoir retenu sa culpabilité, le juge tienne compte, entre autres éléments, pour déterminer l'étendue du préjudice de la victime, de l'attitude envers elle du prévenu au cours de la procédure.
18. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Ab] coupable du chef d'agressions sexuelles sur un mineur de plus de quinze ans par personne ayant autorité sur la victime commis du 9 mai 2014 au 31 janvier 2015 à [Localité 1], sur la personne de [E] [R], et l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement, alors « que pour être constitué, le délit d'atteinte sexuelle suppose l'existence d'un contact corporel entre l'auteur et la victime ; que pour qualifier le délit d'agression sexuelle à l'égard de [E] [R], la cour d'appel retient que « c'est en utilisant la surprise que sous couvert de « jeu de bagarre » le mis en examen se frottait le sexe contre les cuisses de l'enfant [E] et, plus tard, exposait les détails de son anatomie à la vue de sa belle-fille, voire surprenait l'intimité de la vie de la jeune fille en particulier dans la salle de bain » ; que seul le « jeu de bagarre » caractérise un contact physique entre l'auteur et la victime ; que la cour d'appel constatait cependant que seuls étaient dénoncés, par [E] [R], des jeux de bagarre entre ses 5 et 10 ans (2005-2010), de sorte qu'aucun contact corporel n'était reproché à M. [Ab] postérieurement à l'année 2010 ; que la cour d'appel a violé l'
article 222-22 du code pénal🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 222-22 du code pénal🏛 et 593 du
code de procédure pénale :
7. Il se déduit du premier de ces textes que, pour être constitué, le délit d'agression sexuelle suppose l'existence d'un contact corporel entre l'auteur et la victime.
8. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour déclarer le prévenu coupable d'agressions sexuelles aggravées commises sur la personne de [E] [R], s'agissant, d'une part, de faits commis du 10 mai 2004 au 9 mai 2014, alors que la victime était mineure de quinze ans, d'autre part, de faits commis du 9 mai 2014 au 31 janvier 2015, l'arrêt attaqué relève que c'est en utilisant la surprise que, sous couvert de « jeu de bagarre », le mis en examen s'est frotté le sexe contre les cuisses de l'enfant, et, plus tard, a exposé les détails de son anatomie à la vue de sa belle-fille, et surpris son intimité en particulier lorsqu'elle se trouvait dans la salle de bain.
10. En se déterminant ainsi, sans caractériser, pour les faits commis alors que la victime était âgée de plus de 15 ans, l'existence d'un contact physique avec cette dernière, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 mai 2021, mais en ses seules dispositions ayant trait aux faits commis sur la personne de [E] [R] du 9 mai 2014 au 31 janvier 2015, aux peines et à la condamnation civile de M. [U] prononcée au bénéfice de [E] [R], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois mars deux mille vingt-deux.