Jurisprudence : CA Bastia, 17-11-2021, n° 19/00671, Confirmation

CA Bastia, 17-11-2021, n° 19/00671, Confirmation

A46547CD

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Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°

du 17 NOVEMBRE 2021

N° RG 19/00671

N° Portalis DBVE-V-B7D-B4NN JD - C

Décision déférée à la Cour :

Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de BASTIA, décision attaquée en date du 18 Juin 2019, enregistrée sous le n° 16/01099

A

B

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU

DIX-SEPT NOVEMBRE

DEUX-MILLE-VINGT-FT-UN


APPELANT :

M. C A

… … … … … …

… … … …

… …

Représenté par Me François FABIANI, avocat au barreau de BASTIA, Me Pascal BRIN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME :

M. X B

… … … … … … … … … …

Représenté par Me Callista ANTONIOTTI, avocate au barreau de BASTIA


COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 9 septembre 2021, devant Judith DELTOUR, conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Jean-Jacques GILLAND, président de chambre

Judith DELTOUR, conseillère

Stéphanie MOLIES, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Françoise COAT.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2021.

Contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Françoise COAT, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


PROCEDURE

Alléguant être propriétaire à Saint-Florent (Haute-Corse), au sein du lotisseme`` "Fromentica”" d'une maison d'habitation sur la parcelle section AA n°47, attenante à la parcelle n°46, un permis de construire délivré le 8 août 2014, des vues directes sur sa propriété, un trouble anormal de voisinage et une dépréciation de son bien, par acte du 16 août 2016, M. C A a assigné M. X B devant le tribunal de grande instance de Bastia pour obtenir la démolition sous astreinte de l'ouvrage. Suivant ordonnance du 20 octobre 2017, désignant M. Aa en qualité d'expert, dépôt du 9 juillet 2018, statuant sur la demande de démolition fondée sur le trouble anormal de voisinage et les demandes de paiement de 40 000 euros au titre de la perte d'intimité, de 205 000 euros au titre du préjudice financier, 40 000 euros au titre du préjudice esthétique, 2 500 euros au titre de la résistance abusive, des dépens et de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, par jugement du 18 juin 2019, le tribunal de grande instance de Bastia a :

- débouté M. A de ses demandes,

- condamné M. A au paiement des dépens,

- condamné M. A à payer à M. B une somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.


Par déclaration reçue le 16 juillet 2019, M. A a interjeté appel de la décision en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes et l'a condamné au paiement des dépens et de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions communiquées le 16 octobre 2019, M. A a sollicité, vu la théorie des troubles anormaux de voisinage et l'article 1382 devenu 1240 du code civil de :

- réformer le jugement entrepris,

- dire et juger que la suppression partielle de la vue sur le Golfe de Saint Florent du fait de M. B excède les sujétions normales de voisinage et constitue un «trouble anormal de voisinage»,

- dire et juger que M. B a engagé sa responsabilité extra-contractuelle au visa de l'article 1240 du Code civil en s'abstenant délibérément de soumettre préalablement son projet de construction au contrôle et à l'accord du président ou du syndic en exercice de l'association syndicale en contravention avec l'article 9 du règlement du lotissement syndical,

- condamner M. B à payer à M. A la somme de 205 000 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de la perte partielle de vue et de la dépréciation de sa villa,

- condamner M. B à payer à M. A la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice esthétique subi,

- débouter M. B de ses demandes,

- condamner M. B à payer à M. A la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. B à payer les entiers dépens, y compris les frais d'expertise.

Il a rappelé la chronologie, fait valoir que nonobstant la teneur du jugement du tribunal administratif, il pouvait prétendre à une indemnisation du trouble anormal de voisinage et de son préjudice résultant de l'existence de vues sur sa propriété et d'une perte de la vue sur mer, dans un site remarquable. Il a soutenu l'illégalité de la construction au regard des obligations statutaires du lotissement, où les projets devaient, au terme du règlement du lotissement éviter de masquer la vue sur le golfe et sur le village de Saint Florent. Il a estimé que son préjudice financier n'avait pas été correctement envisagé par l'expert et que la construction qui contrevenait au règlement du lotissement devait lui ouvrir droit à indemnisation. Il a soutenu ses demandes au visa du trouble anormal de voisinage, de la protection du droit de propriété et, subsidiairement, de la responsabilité délictuelle.

Par dernières conclusions communiquées le 22 mars 2021, M. B a réclamé de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Bastia du 18 juin 2019,

- condamner M. A à lui payer la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner au paiement des dépens de l'instance.

Il a rappelé la procédure antérieure, les conclusions de l'expert. Il a fait valoir l'absence de trouble anormal de voisinage, la fin des travaux le 1er février 2016 et le fait qu'ils n'avaient jamais vu la piscine avant l'accedit, que la terrasse n'était pas visible avant la coupe des végétaux, comme relevé par l'expert, que les angles des vues étaient compris entre 180 et 221° et qu'en tout état de cause, les appelants avaient renoncé à toute demande au titre des prétendues vues. Il a ajouté que la vue sur mer était déjà très limitée, que leur extension est visible, mais qu'il ne peut y avoir de dépréciation puisque la vue n'était pas dégagée avant les travaux et qu'il n'existe ni préjudice esthétique, ni violations des règles du lotissement, puisque l'association syndicale libre n'a plus de président, que les obligations relatives à l'implantation des constructions ne sont pas absolues.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 avril 2021.

L'affaire a été fixée à plaider à l'audience du 9 septembre 2021. L'affaire a été mise en délibéré pour être rendu par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2021.


MOTIFS DE LA DECISION

Pour statuer comme il l'a fait le tribunal a repris les conclusions de l'expert qui a relevé l'existence de vues mais considéré qu'elles étaient normales dans un lotissement et ne constituaient pas un trouble anormal de voisinage, que l'expertise était complète et que ses conclusions ne pouvaient pas être écartées au seul motif qu'elles ne convenaient pas à M. A, qu'il existait incontestablement des vues ni plongeantes ni directes, sans caractère gênant ou anormal dans un lotissement et que la perte partielle de la vue sur la mer n'est pas un trouble anormal de voisinage, que la construction avait été autorisée, qu'il n'existait plus de président de l'association syndicale, et qu'il n'existait pas de faute.

M. A ne soutient plus sa demande de démolition ni ses prétentions au titre des vues illégales, mais seulement l'indemnisation d'un préjudice résultant d'un trouble anormal de voisinage qui lui impose de démontrer le voisinage, le trouble et son caractère anormal.

La situation de voisinage n'est pas contestée et résulte du plan cadastral, les parcelles A et n°47 et B n°46 sont contiguës dans le lotissement Fromentica, et l'expert a relevé une distance de 30 mètres entre la terrasse de M. B et la piscine de M. A. L'anormalité du trouble allégué n'est pas démontrée.

Si M. A peut ressentir une gêne résultant de la possibilité de voir le toit de l'extension de M. B, depuis la terrasse de sa piscine, ou depuis sa cuisine, cet état de fait n'est pas constitutif d'un trouble anormal de voisinage. En effet, la vue sur le golfe est toujours dégagée, le toit n'est pas plus gênant que les arbres, la construction de M. B est implantée plus bas que celle de M. A et suivant les termes de l'expertise 'le regard est plutôt porté vers le Golfe'. D'ailleurs, le toit de l'extension n'était pas visible avant la coupe des végétaux et M. B a lui-même planté une haie pour protéger son intimé de la résidence voisine.

Si l'expert n'a pas pu procéder à une prise de vue par drone, en raison du refus opposé par M. A puis par le juge chargé du contrôle des expertises, la photographie aérienne de 2017 met en évidence la présence d'une végétation plus touffue avant la procédure. Le fait pour M. A de produire deux contrats de location du 2 août 2014 au 16 août 2014 pour 7 200 euros et du 13 août 2016 au 27 août 2016 pour 6 200 euros ne suffit pas à prouver sa demande au titre de la perte de valeur, alors qu'il a fixé lui-même le prix de ces loyers qui n'échappent pas à la loi de l'offre et la demande, qui subissent l'influence des modes, des conditions climatiques et mêmes les aléas des transports. De plus, ces contrats de location mettent en évidence que le préjudice allégué n'est pas subi par M. A personnellement mais par les occupants.

L'expert a pu relever qu'il existait une perte de vue, résultant de la construction de l'extension, celle-ci ne saurait constituer un trouble anormal de voisinage, dans un lotissement, considérant notamment les photographies figurant au rapport de l'expert (page 24), prises sur la demande de M. A. De plus, les photographies figurant en page 26 du même rapport démontrent qu'avant l'édification de l'extension, M. A avait déjà un toit dans son champ de vision depuis sa piscine, en l'état de la dénivellation existant entre les deux parcelles, celle de M. A dominant celle de M. B. Il apparaît également qu'il dispose toujours d'une vue sur mer et qu'un élagage astucieux de la végétation permettrait à M. A de voir la mer sans apercevoir le toit de l'extension litigieuse. Ces circonstances de fait et la distance entre les constructions ne permettent pas de caractériser le trouble anormal de voisinage revendiqué.

S'agissant de l'illégalité de construction au regard des prévisions du règlement du lotissement, M. B n'a pas respecté la procédure prévue par l'article 9 du règlement du lotissement qui impose au propriétaire qui souhaite construire de soumettre son projet au président de l'association syndicale libre pour vérifier "l'incidence de la construction' et donner son accord ou refuser le projet de construction’, en raison de l'absence d'organisation de l'association syndicale libre depuis 2010. Cet article 9 poursuit ' En cas de refus ou si le propriétaire passait outre, le président de l'association syndicale libre pourrait s'opposer [au projet] nonobstant tout permis de construire et convoquer une assemblée générale pour décider des mesures à prendre'. En l'espèce par ordonnance du président du tribunal de grande instance du 21 mai 2015, un administrateur provisoire a été désigné, notamment, pour organiser l'association syndicale libre, une assemblée générale a eu lieu le 25 janvier 2018 pour notamment mettre en conformité les statuts de

l'association syndicale libre en application de l'ordonnance du 1er juillet 2004, du décret d'application du 3 mai 2016 et de la loi ALUR du 24 mars 2014. Ces dispositions légales sont reprises à l'article L442-9 du code de l'urbanisme et nonobstant les prétentions contraires, le non-respect des règles du lotissement (convention) ne constitue pas la violation d'une règle d'urbanisme (loi ou règlement).

Quoiqu'il en soit pour être constitutive d'une faute, cette carence n'a pas causé préjudice à M. A puisqu'il n'est pas démontré que le projet de M. B aurait été refusé, s'agissant d'une extension, dans un lotissement, qui à l'inverse de ce qui soutenu n'obstrue pas la vue sur mer dont disposait M. A.

Surabondamment, il n'est pas démontré en présence d'un règlement de lotissement des 14 janvier, 9 et 20 avril et 6 mai 1971 qu'il ait subsisté aux dispositions issues des lois ALUR du 24 mars 2014 et ELAN du 23 novembre 2018.

S'agissant de la perte de valeur vénale alléguée, elle a été examinée par l'expert qui a relevé le caractère irréaliste de la réclamation d'un loyer de l'ordre de 5 000 euros par mois sur la base du prix d'une location estivale, sans commune mesure avec le prix d'une location à l'année. L'expert a également noté que la villa idéale pour l'été l'est beaucoup moins pour l'hiver, avec de grandes pièces orientées au nord, sans chauffage central, sans commerce accessible à pieds, avec un chemin d'accès en très mauvais état. De plus, le rapport d'expertise unilatéral établi à la seule demande de l'intéressé, n'a pas tenu compte de la vétusté de la maison de plus de dix ans que M. A a reçu en héritage. D'ailleurs, cette expertise n'a nullement fait état de la vue, mais seulement du parc boisé d'essences variées, de l'environnement plutôt calme, des conditions de vie à Saint-Florent. Seul l'avenant établi à la demande de M. A, pour ‘calculer la moins-value de sa propriété après qu'une construction réalisée en aval…lui cache la vue mer' examine cet élément et conclut de but en blanc sans explication à une dévaluation de 20 %, chiffrée 205 200 euros. Cet avenant au rapport ne permet pas de prouver l'existence de la perte de valeur vénale.

S'agissant du préjudice esthétique, comme relevé par l'expert, M. A est contrarié par la présence de l'extension érigée par M. B, mais il ne rapporte pas la preuve d'un préjudice esthétique indemnisable. Tel ne serait pas le cas si avait été construit en limite de propriété un hangar, un mur en parpaings, un immeuble d'appartements qui en dépit de la dénivellation existant entre les deux parcelles, surplomberait sa piscine, sa villa et son jardin.

Il résulte de ces éléments que le jugement doit être confirmé et M. A est débouté de ses demandes contraires.

M. A qui succombe est condamné au paiement des dépens y compris les frais d'expertise. Il est en conséquence débouté de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Il est en revanche condamné à payer à M.

B une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.


PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort,

- Confirme le jugement déféré,

- Déboute M. C A de ses demandes contraires,

- Condamne M. C A au paiement des dépens, y compris les frais d'expertise,

- Condamne M. C A à payer à M. X B une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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