RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /11 DU 07 SEPTEMBRE 2011
Numéro d'inscription au répertoire général 10/01912
Décision déférée à la Cour jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G.n° 08/03913, en date du 17 mai 2010,
APPELANT
Monsieur Ali Mazlum Z exerçant sous l'enseigne Y BABA,
né le ..... à WIESBADEN (ALLEMAGNE),
demeurant NANCY
représenté par la SCP MILLOT-LOGIER ET FONTAINE, avoués à la Cour
assisté de Me Alexandre GASSE, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE
Madame Brigitte X épouse X
née le ..... à COMMERCY (55200),
demeurant POMPEY
représentée par Me Thierry ..., avoué à la Cour
assistée de Me Annie SCHAF-CODOGNET, avocat au barreau de NANCY, substituée à l'audience par Me Samuel ADAM, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 905 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 14 Juin 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Bernard CUNIN, Président de Chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de
Monsieur Bernard CUNIN, Président de Chambre,
Madame Muriel ZECCA-BISCHOFF, Conseiller,
Monsieur Dominique BRUNEAU, Conseiller,
Greffier, Madame Caroline HUSSON, lors des débats ;
A l'issue des débats, le Président a informé les parties que le délibéré serait prononcé le 07 Septembre 2011.
ARRÊT Contradictoire, prononcé à l'audience publique du 07 Septembre 2011, par Monsieur Bernard CUNIN, Président, conformément à l'article 452 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Bernard CUNIN, Président, et par Madame Caroline HUSSON, greffier présent lors du prononcé ;
Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame ... est liée à Monsieur Z par un bail commercial signé le 4 novembre 1985 et renouvelé le 27 mars 1995 portant sur des locaux à usage commercial situés à Nancy, 5 Place Thiers, dans lesquels est exercée une activité de bar restaurant sous l'enseigne Ali ZY.
Ce bail, qui a pris fin le 15 novembre 2003, s'est poursuivi par tacite reconduction.
Madame ... a fait signifier le 24 août 2007 à Monsieur Z un congé avec offre de renouvellement du bail pour neuf ans à compter du 1er mars 2008 moyennant le paiement d'un loyer annuel de 33.500 euros hors taxes et hors charges.
Elle a notifié le 25 mars 2008 aux locataires un mémoire préalable par lequel elle sollicitait, en s'appuyant sur un rapport d'expertise de Monsieur ..., la fixation du loyer à un montant annuel de 42.000 euros hors taxes et hors charges.
Par jugement en date du 27 novembre 2008, le Juge des Loyers commerciaux a constaté que le bail à renouveler s'était poursuivi pendant plus de douze ans et a jugé que le montant du loyer sera fixé en considération de la valeur locative. Avant dire droit sur le montant du loyer, il a ordonné une mesure d'expertise qu'il a confiée à Monsieur ....
L'expert a déposé son rapport le 30 juin 2009 et a proposé de fixer le loyer à un montant de 38.100 euros sur la base d'un prix au m2 de 247 euros pour une surface pondérée de 154,20 m2.
Par jugement en date du 17 mai 2010, le Juge des Loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance de Nancy a fixé à la somme de 31.860 euros hors taxes et hors charges le montant du loyer annuel du bail renouvelé à compter du 1er mars 2008 et a dit que les loyers porteront intérêts au taux légal à compter de chaque échéance, déduction faite des acomptes versés. Monsieur Z a été débouté de sa demande de contre-expertise et a été condamné à payer à Madame ... la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur Z a relevé appel de ce jugement et demande à la Cour de l'infirmer et d'ordonner une contre-expertise. Subsidiairement, il demande à la Cour de fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 18.408 euros par an à compter du 1er mars 2008 et de l'autoriser à payer les loyers dus depuis cette date sur une période de deux ans par application de l'article 1244-1 du code civil. Il réclame une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il met en avant la vétusté de certains locaux, l'implantation du commerce sur la Place Thiers à proximité d'une rampe d'accès à un parking qui limite la possibilité de terrasse et l'agencement intérieur pour estimer que les caractéristiques du local ont été mal appréciées par l'expert. Il estime encore que la surface pondérée a été surévaluée, eu égard à la pondération Carrez.
Il conteste les majorations retenues en raison des clauses du bail et prétend que la clause " tous commerces " ne présentant aucun avantage pour les fonds situés Place Thiers, qui ne peuvent être que des débits de boissons et des restaurants et ne fidélisent aucune clientèle. Il conteste la double majoration en raison de la possibilité de sous-louer et de céder le droit au bail.
Il souligne que les facteurs locaux de commercialité ont évolué défavorablement, notamment du fait de l'aménagement de la place de la République et de l'implantation de son commerce sur la place Thiers.
Il critique les références de comparaison retenues par l'expert en faisant valoir que seuls les commerces semblables auraient dû être pris en considération.
Madame ... demande à la Cour de confirmer le jugement déféré et de rejeter les prétentions de Monsieur Z, notamment la demande de délais. Elle réclame une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que les caractéristiques des locaux sont parfaitement adaptées à l'activité de bar restaurant qui y est exercée et prétend que la pondération des surfaces ne peut pas intervenir sur la base de la loi Carrez, inapplicable en matière de baux commerciaux. Elle ajoute que l'inconvénient lié à la présence de la rampe d'accès au parking de la Place Thiers et les particularités de l'agencement des locaux ont été pris en compte par le premier Juge.
Elle souligne que la destination " tous commerces " prévue par le bail et la possibilité de sous-louer et de céder le droit au bail amènent naturellement à une majoration de la valeur locative. Elle estime que les facteurs locaux de commercialité sont bons et que les références de comparaison sont pertinentes.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'il n'est pas contesté qu'en application des dispositions de l'article L 145-34, en son dernier alinéa, du code de commerce, le loyer du bail à renouveler doit correspondre à la valeur locative, puisque, par l'effet d'une tacite reconduction, la durée du bail a excédé douze ans ;
Attendu que l'article L 145-33 du code de commerce dispose que la valeur locative est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
Attendu que les parties s'opposent sur chacun de ces critères, de sorte qu'il convient de les examiner successivement ;
Les caractéristiques des locaux
Attendu que l'expert a décrit les locaux loués et a estimé que ceux-ci sont parfaitement adaptés à l'activité de restauration rapide qui y est exercée ; qu'il a joint à son rapport un plan et des photographies ;
Attendu que l'expert a tenu compte du fait que la cave est peu accessible et difficilement utilisable pendant les heures d'ouverture à la clientèle, puisqu'il retient une pondération de 0,10 dans le calcul de la superficie pondérée ; que l'expert amiable de Monsieur Z mentionne que les réserves et la seconde cuisine sont anciennes et la cave peu utilisable ;
Attendu que l'état des locaux est attesté par les photographies versées au dossier tant par l'expert judiciaire que par Monsieur ..., expert commis par le bailleur ; que l'expert a estimé à juste titre que les locaux ouvert à la clientèle sont en bon état d'entretien ;
Attendu que pareillement, l'expert a tenu compte du fait que l'ouvrant sur la place n'était que de 1,44 mètre et que les salles se trouvaient en enfilade ; que le premier Juge a cependant estimé que la salle située en profondeur devaient recevoir une pondération de 0,70 pour tenir compte de cet agencement de ces locaux qui entraîne une commercialité plus faible que la salle située sur la rue ;
Attendu qu'il appartient au locataire d'aménager les locaux dans lesquels il exerce son commerce ; que la circonstance que les travaux d'agencement sont à la charge de Monsieur Z est conforme aux clauses du bail et n'influe pas sur l'appréciation des caractéristiques des locaux loués ;
Attendu que la pondération proposée par Monsieur Z, qui s'appuie sur la loi Carrez, ne peut pas être adoptée, dans la mesure où les critères définis par cette loi Carrez ne sont pas applicables en matière de baux commerciaux ; que l'expert a au contraire tenu compte de l'intérêt pour le commerce de chacune des parties des locaux loués et y a affecté un coefficient ;
Attendu que le premier Juge a estimé que certains coefficients retenus par l'expert devaient être minorés et a retenu une surface pondérée de 141,60 mètres carrés ; que les parties demandent sur ce point la confirmation du jugement ;
Attendu qu'il apparaît en effet que la pondération des surfaces effectuée par le premier Juge correspond à la réalité des lieux loués ; qu'il convient en conséquence de retenir une surface pondérée de 141,60 mètres carrés ;
La destination des lieux et les obligations des parties
Attendu que le bail consenti à Monsieur Z est " tous commerces " ; que, s'il prévoit une restriction pour les commerces malodorants et bruyants, il est acquis que le bailleur a accepté que soit exploitée dans les locaux une activité de restauration ;
Attendu que le bail autorise encore la sous-location et la cession du bail à un cessionnaire autre que son successeur dans son commerce ;
Attendu que l'existence de telles clauses procure au locataire un avantage certain, puisqu'il peut modifier la destination du bail, sous-louer et céder son droit au bail en dehors de la cession du fonds de commerce ; que l'expert, qui affirme que les baux " tous commerces " sont une exception à Nancy et que la clause de cession ' sous-location est favorable au locataire, a proposé l'application d'une majoration de deux fois 10 % pour ces avantages ; que le premier Juge a homologué sur ce point le rapport de l'expert ;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que ces clauses sont inhabituelles à Nancy et qu'elles ne se retrouvent pas dans les baux examinés comme termes de référence ; que Monsieur Z, qui prétend le contraire, ne justifie par aucune pièce ses affirmations ;
Attendu que pareillement il ne peut pas être prétendu que la clientèle de la place Thiers, qui jouxte la gare, ne peut pas supporter d'autres commerces que ceux de la restauration ou de débit de boissons ; que cette affirmation est contredite par le fait que des commerces autres sont implantés à proximité de la gare ;
Attendu en outre que la clause " tous commerces " et la clause de sous-location et de cession du droit au bail procurent des avantages distincts, qui justifient que soient appliquées deux majorations ; que le jugement déféré sera sur ce point confirmé ;
Les facteurs locaux de commercialité
Attendu que l'expert a conclu que les activités exercées bénéficient de bons facteurs de commercialité, sans toutefois égaler ceux de la Place Stanislas ou de la rue des Maréchaux ; qu'il a détaillé les éléments favorables, une place connue de tous, la proximité de la gare et d'activités générant une clientèle, la présence d'un important parking, une bonne visibilité ; qu'il a également exposé les inconvénients de l'implantation du commerce, une mauvaise visibilité depuis la rue Mazagran, une possibilité de terrasse limitée, l'hypothèque de l'aménagement de la place Thiers ;
Attendu en conséquence qu'il a été tenu compte de la présence de la rampe d'accès au parking, qui entraîne l'impossibilité de mettre en place une vaste terrasse ; que pareillement le défaut de visibilité du commerce a été pour partie pris en considération, dans la mesure où il est n'est pas significatif depuis l'autre côté de la place ; que l'ouverture le 31 août 2009 d'un établissement de restauration rapide Quick, rue Mazagran, est sans influence dans le présent litige, puisqu'elle est intervenue postérieurement à la date du renouvellement du bail ;
Attendu que les conséquences de la présence de la rampe d'accès au parking ont été prises en compte par le premier Juge, qui a appliqué une minoration de 10 % ; qu'il reste que la place Thiers est, malgré le réaménagement de la gare, le lieu de passage de ceux qui, venant de la gare, se rendent au centre-ville, de sorte que l'appréciation de la commercialité faite par le premier Juge doit être confirmée ;
Les prix pratiqués dans le voisinage
Attendu que l'expert a retenu des références de comparaison situées dans le voisinage, tout en ne se limitant pas aux commerces de même nature que celui de Monsieur Z ; que celui-ci fait grief à l'expert d'avoir retenu à titre de termes de comparaison une pharmacie et un commerce de prêt à porter situés à proximité ;
Attendu cependant qu'il n'y a aucune raison d'écarter les références portant sur des commerces d'une autre nature que celui exploité par Monsieur Z, d'autant que ces commerces sont très proches et que le bail de celui- ci est " tous commerces " ; qu'en outre les références citées par Monsieur Z concernent un bar-hôtel, dont le loyer est fixé de manière particulière, et un magasin Proxis à propos duquel l'expert a relevé des incohérences qui ne lui ont pas permis de le retenir ;
Attendu que le prix de 130 euros le mètre carré proposé par Monsieur Z ne repose sur aucune des références figurant au dossier ; que l'expert amiable choisi par Monsieur Z proposait d'ailleurs un prix de 175 euros le mètre carré, soit un loyer de 26.000 euros par an ;
Attendu qu'il convient au contraire de prendre en compte les références citées par l'expert et de retenir la valeur de 225 euros le m2 retenue par le premier Juge ;
Les autres demandes
Attendu que les éléments fournis par l'expert judiciaire et les experts amiables, les pièces du dossier et les explications des parties sont suffisants pour permettre à la Cour de statuer ; que l'expert judiciaire souligne d'ailleurs que les écarts dans l'évaluation du loyer, après correction de diverses erreurs, ne sont pas significatifs ; qu'il convient en conséquence de rejeter la demande de contre-expertise présentée par Monsieur Z ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de délais de paiement présentée par Monsieur Z d'une part parce qu'elle n'est pas justifiée, mais aussi en raison de la compétence restreinte du Juge chargé de fixer la valeur des loyers commerciaux ;
Attendu que Monsieur Z, qui succombe en son appel, sera débouté de ses demandes, notamment de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamné aux dépens d'appel ; qu'il sera en outre condamné à payer à Madame ... la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Et ceux non contraires du premier Juge.
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement en date du 17 mai 2010 du Juge des Loyers commerciaux de Nancy ;
Déboute Monsieur Z de ses demandes, notamment de sa demande de contre-expertise et de délais de paiement, ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Madame ... du surplus de ses demandes ;
Condamne Monsieur Z à payer à Madame ... la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur Z aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître ..., avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
L'arrêt a été prononcé à l'audience du sept septembre deux mille onze par Monsieur ..., Président de la deuxième chambre commerciale à la Cour d'Appel de NANCY, conformément à l'article 452 du Code de Procédure Civile, assisté de Madame ..., greffier.
Et Monsieur ... ... a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en sept pages.