Jurisprudence : CA Paris, 5, 2, 09-12-2011, n° 10/12909, Confirmation



Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE aux parties le AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 5 - Chambre 2 ARRÊT DU 09 DÉCEMBRE 2011 (n° 325, 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général 10/12909.
Décision déférée à la Cour Jugement du 25 Mai 2010 - Tribunal de Grande Instance de CRÉTEIL 1ère Chambre - RG n° 09/00950.

APPELANTE
SARL PRODECO
prise en la personne de son gérant,
ayant son siège social BONNEUIL SUR MARNE,
représentée par la SCP BAUFUME GALLAND VIGNES, avoués à la Cour,
assistée de Maître Olivier ... substituant Maître Sylvie BENOLIEL CLAUX du Cabinet ANTOINE BENOLIEL-CLAUX, avocats au barreau de PARIS, toque R 064.
INTIMÉE
SAS L3C
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège BOURG DE THIZY,
représentée par la SCP BOMMART FORTSER FROMANTIN, avoués à la Cour,
assistée de Maître Albane LAFANECHERE plaidant pour la SELARL COLBERT, avocat au barreau de LYON.

COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 3 novembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de
Monsieur Eugène LACHACINSKI, président,
Madame Marie-Claude APELLE, présidente de chambre,
Madame Sylvie NEROT, conseillère.
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats Monsieur Truc Lam NGUYEN.
ARRÊT
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

Le 30 juin 2008, la société L3C - créée en 2003, dont l'activité porte notamment sur la commercialisation de linge de maison et qui est une filiale, comme les sociétés Fred ... et Decordis, de la société holding U10 - a signé une convention d'apport partiel d'actif aux termes de laquelle la société Décordis (devenue Décor 10), après fusion-absorption de la société Fred Olivier, lui a apporté sa branche d'activité opérationnelle de distribution de toiles cirées et de nappes textiles, avec effet rétroactif au 1er janvier 2008.
Cet apport comportait, en particulier
- les droits d'auteur portant sur des nappes désignées par les références 'madras', 'pomme de pin' et 'coquelicot prestige',
- un dessin et modèle déposé le 23 avril 2007, n° 07/1989 (reproduction n° 15 intitulée 'lavandine') protégeant le dessin de nappe référencé 'madras'.
Exposante au Salon du Bourget de septembre 2008, elle a découvert que la société Prodeco, société créée en 2006 qui commercialise des nappes sur son site internet, sur des emplacements commerciaux éphémères ou en gros et à qui la société Décordis avait livré des nappes en mai 2007, proposait à la vente trois nappes dénommées 'carré', 'feuilles de houx' et 'coquelicot' contrefaisant, selon elle, les trois modèles précités.
Il lui est également apparu que la société Prodeco a déposé à l'INPI, le 26 juillet 2007, n° 07/3479, les reproductions de ces trois modèles.
La société L3C a fait procéder à une mesure de constat sur le site internet de la société Prodeco, le 25 novembre 2008, à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de cette société et au domicile de sa gérante, Madame Sabrina ..., le 16 décembre 2008, avant d'assigner la société Prodeco et sa gérante aux fins de réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de droits d'auteur et de faits de concurrence déloyale.

Par jugement rendu le 25 mai 2010, le tribunal de grande instance de Créteil a, avec exécution provisoire et en substance
- mis hors de cause Madame Sabrina ...,
- dit que les trois nappes référencées 'madras', 'pomme de pin' et coquelicot prestige' bénéficient de la protection du droit d'auteur, que les modèles référencés 'feuilles de houx' et 'coquelicot' contrefont les produits référencés 'pomme de pin' et 'coquelicot prestige' et qu'en les commercialisant, la société Prodeco a commis des actes de contrefaçon,
- ordonné sous astreinte la production, par la société Prodeco, de divers documents comptables et informations,
- rejeté les demandes de provision formées par la société L3C,
- prononcé la nullité partielle du dépôt effectué le 23 juillet 2007, n° 07/3479 relativement aux modèles 'coquelicot' et 'feuille de houx',
- ordonné la cessation immédiate des agissements illicites sous astreinte
- réservé les demandes relatives à la destruction des marchandises, les demandes reconventionnelles en restitution de marchandises saisies et de dommages-intérêts ainsi que les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté le surplus des demandes et renvoyé l'affaire à la mise en état.

Par dernières conclusions signifiées le 29 septembre 2011, la société à responsabilité limitée Prodeco appelante demande à la cour, au visa des articles 32 et suivants du code de procédure civile ainsi que des dispositions des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle
- d'infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a mis hors de cause Madame ... et a rejeté la demande de la société L3C relative à la contrefaçon du modèle référencé 'madras',
- de déclarer la société L3C 'irrecevable et mal fondée' en toutes ses prétentions, de prononcer la nullité du dessin 'lavandine', dépôt n° 07/1989, pour défaut de nouveauté, de condamner l'intimée à lui verser la somme indemnitaire de 20.000 euros pour procédure et saisie abusives outre celle de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 29 septembre 2009, la société par actions simplifié L3C demande à la cour, au visa des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle et de l'article 1382 du code civil
- de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions qui lui sont favorables, en précisant que la nullité du modèle 07/3479 concerne les reproductions publiées sous les n° 809 833 et 809 846,
- de l'infirmer en ce qu'il a considéré que le modèle 'madras cashmere' n'était pas contrefait par le modèle 'carré' ; d'ordonner en conséquence la nullité du dépôt effectué le 26 juillet 2007, n° 07/3479, par la société Prodeco relativement à ce modèle 'carré' dont les reproductions ont été publiées sous les n° 809 832, 809 841 et 809 848 ; et de dire qu'en commercialisant ce modèle, la société Prodeco s'est livrée à des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- en tout état de cause, d'ordonner la cessation immédiate des agissements illicites sous astreinte, de déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée la demande indemnitaire reconventionnelle, de rejeter toute autre demande de la société Prodeco et de la condamner à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

SUR CE,
Sur la titularité des droits
Considérant que l'appelante soutient que la société L3C ne peut revendiquer des droits d'auteur sur les trois modèles de nappes litigieux dans la mesure où elle ne justifie pas de leur création à une date déterminée et ne fonde pas son action sur un modèle précis ; qu'elle fait valoir que les pièces versées aux débats concernent deux, voire trois modèles de nappes différents, avec des formes et des compositions différentes et ne renvoient jamais à une référence unique et précise ;
Considérant, ceci rappelé, qu'une personne morale qui exploite une oeuvre sous son nom, de façon non équivoque, est présumée à l'égard des tiers poursuivis en contrefaçon, en l'absence de toute revendication du ou des auteur(s), titulaire des droits patrimoniaux sur cette oeuvre ;
Qu'il lui appartient de caractériser l'oeuvre sur laquelle elle revendique des droits, de justifier de la date et des modalités de la première commercialisation sous son nom et d'apporter la preuve que les caractéristiques de l'oeuvre qu'elle a commencée à commercialiser à cette date sont identiques à celles qu'elle revendique ;
Que si les conditions de commercialisation apparaissent équivoques, il lui appartient alors de préciser les circonstances de fait et de droit qui la fondent à agir en contrefaçon ;
Considérant, en l'espèce, que la société L3C se prévaut d'abord de la création, en septembre 2003, du décor de nappe référencé 'pomme de pin' par la société Sarocco Designer Textile qui exerce une activité de dessins originaux destinés à l'industrie textile ;
Qu'elle justifie de la commande de ce décor par la société Fred Olivier et de la cession des droits y afférents le 15 septembre 2003 (pièces 7 et 8), de son horodatage Fidéalis par huissier le 23 septembre 2007 à la requête de la société absorbante, la société Décor 10 (pièce 11) ;
Que la commercialisation régulière de la nappe supportant ce décor, depuis 2004, par les sociétés Fred ..., Décor 10 puis par elle-même (à la faveur de la chaîne de contrats sus-évoquée) est établie par la production de tableaux des ventes réalisées certifiés par son commissaire au compte, d'attestations de commerçants et de factures (pièces 49 / 43, 45 à 48 / 10 et 50) ;
Que les pièces émanant de la société Sarocco Designer Textile et des deux fabricants chinois (pièces 12 et 60 / 8, 43, 45 à 48 / 72 et 73) attestant, par ailleurs, que ce décor de nappe sur lequel la société L3C revendique des droits privatifs est identique au modèle créé en 2003 et commercialisé depuis cette date font présumer à l'égard des tiers que la société L3C est titulaire de droits patrimoniaux sur ce décor 'pomme de pin', ce qu'au demeurant l'appelante ne combat par aucune argumentation précise ;
Considérant que la société L3C se prévaut ensuite, en en justifiant, de la création, en juin 2003, du décor de nappe d'abord identifié sous le nom de 'nappe coquelicots' dans les mêmes conditions que celles du décor 'pomme de pin' (pièces 20 et 58 / 14) et de la même opération d'horodatage, sous le nom de 'coquelicot prestige' en novembre 2007 (pièce 19), ajoutant que son fournisseur, la société France Graphic a conçu en juin 2004, comme elle en justifie, une fiche produit correspondant à ce décor en format nappe ronde et nappe rectangulaire (pièces 58 / 15 et 80 / 16) ;
Qu'elle établit, de la même façon que précédemment, la mise sur le marché continue de nappes supportant ce décor à la faveur de la même chaîne de contrats (pièces 49 / 43 à 48 / 18, 43.2, 44.2, 47.2, 51 à 54) et produit semblablement une attestation du créateur de ce décor selon lequel le décor de la nappe dont il question dans la présente procédure est identique à celui qu'il a créé et vendu (pièces 20 et 58 / 43 à 48) ;
Que l'argumentation qu'oppose à l'intimée la société Prodeco afin de voir juger qu'en dépit de ces divers éléments, elle ne démontre pas l'identité du modèle de nappe créé en juin 2003 et celui qu'elle présente, dans les caractéristiques telles que revendiquées, comme le modèle de nappe objet de la contrefaçon incriminée doit être considérée comme inopérante ;
Qu'en effet, il importe peu que ce décor de nappes ait pu, au cours de leurs années de commercialisation et au fil des conventions successives, figurer sur des nappes aux formes géométriques et aux couleurs différentes dès lors qu'est seul opposé, en la présente espèce (page 10/22 des conclusions de l'intimée), un décor figurant sur un modèle rectangulaire aux coloris crème et beige référencé par sa créatrice, la société Sarocco, 'GEP 06/03 - nappe coquelicots' et que cette dernière atteste, selon lettre du 15 septembre 2008, qu'elle a cédé ses droits d'auteur à la société Fred Olivier sur ce décor créé le 17 juin 2003 figurant en photographie dans l'attestation (pièce 14) ;
Qu'il suit que l'argumentation de la société Prodeco ne permet pas contester la présomption de titularité des droits sur le modèle de décor tel que revendiqué bénéficiant à la société L3C au motif qu'il ne s'agirait pas d'une création déterminée ayant date certaine ;
Considérant que la société L3C se prévaut enfin de la création, en 2001, du décor de nappe 'madras cashmere' pour lequel la société Fred Olivier, aux droits de laquelle elle vient, a commandé à la société de photogravure textile Chermette la réalisation de cylindres nécessaires à l'impression du motif revendiqué sur des tissus (pièces 21, 22, 24) et de la mise sur le marché des pièces de tissu reproduisant ce motif en 2002 et 2003 (pièces 55 à 57) ;
Qu'elle verse une fiche produit de la nappe 'madras cashemere' d'octobre 2005 (pièces 16 et 59), une attestation du fabricant turc indiquant qu'il a livré 35.000 mètres du tissu au décor 'madras cashmere' à la société Décor 10 entre janvier 2006 et janvier 2008 (pièce 74) et de la commercialisation de nappes supportant ce décor depuis 2006 (pièces 49 / 43 à 48 / 25, 43.2, 44.2 et 47.2/ 28, 28.2, 28.3) ;
Qu'elle justifie, de plus, d'un dépôt simplifié auprès de l'INPI le 23 avril 2007 sous l'identification de 'lavandine', lequel, quand bien même sa validité serait contestée, tend à prouver l'existence de ce décor de nappe à cette date, ainsi que de son horodatage, sous le nom de 'madras cashmere' effectué le 30 août 2008 à la diligence de la société Décor 10 (pièces 26 et 27) ;
Qu'il convient de considérer, en l'absence d'argumentation précise opposée par l'appelante, que ce faisceau d'éléments de preuve fait présumer à l'égard des tiers que la société L3C est, de la même façon que pour les décors de nappes 'pomme de pin' et 'coquelicot prestige', titulaire de droits patrimoniaux sur ce décor 'madras cashmere ;
Qu'ainsi, par motifs substitués, le jugement qui en a ainsi décidé doit être confirmé ; Sur l'originalité des décors de nappe
Considérant que l'appelante poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il a considéré que les modèles de décor 'coquelicot prestige' et 'pomme de pin' étaient éligibles à la protection du Livre I du code de la propriété intellectuelle et sa confirmation en ce qu'il a dénié au décor de nappe 'madras cashmere' toute originalité ;
' sur le décor de la nappe référencée 'pomme de pin'
Considérant que l'intimée en caractérise comme suit l'originalité
- au centre une bande rouge en lavis comportant des motifs de branchage de pin de couleur crème, bordée symétriquement de chaque côté d'une frise à motifs rouges sur fond clair représentant un tiers de la largeur de la nappe,
- de chaque côté de la bande centrale rouge, de manière symétrique et vers l'extérieur
(1) une bande crème représentant un tiers de la largeur de la nappe comportant (a) un motif central de feuilles de houx (ces feuilles étant pour moitié vert clair et pour moitié vert foncé afin de donner un effet de relief et les fruits étant groupés par trois), de branches et pommes de pin et d'un ruban rouge à motifs, noué à intervalles réguliers, tous formant des entrelacs (b) de chaque côté du motif central, sur une bande crème, une frise formée d'une succession de motifs végétaux de couleur beige,
(2) une frise rouge identique à celle bordant la bande centrale rouge, (3) un ruban rouge formant des noeuds, (4) à nouveau la même frise rouge sur fond crème, (5) une bande mince rouge en lavis de la même teinte que la bande centrale (6) une finition par un biais rouge ;
Que pour en contester l'originalité, la société Prodeco (dont la société L3C relève incidemment qu'elle a elle-même estimé opportun de protéger son propre modèle 'feuille de houx' argué de contrefaçon en procédant à son dépôt auprès de l'INPI le 26 juillet 2007) tire argument de l'extrême banalité, pour des articles de Noël, de ses composantes et de leur appartenance à des thèmes et couleurs du 'folklore de Noël' qui ne peuvent être monopolisées ;
Mais considérant que si les divers éléments entrant dans la composition de ce décor de nappe sont isolément connus et appartiennent individuellement au fonds commun du décorum entourant la célébration de la fête de Noël, tel n'est pas le cas de la combinaison telle que revendiquée ;
Qu'il ressort, en effet, de l'appréciation de ce décor de nappe, laquelle doit être effectuée de manière globale en prenant en compte l'aspect d'ensemble produit par l'agencement de ses différents éléments, que les choix particuliers opérés - qu'il s'agisse de la disposition, de l'irrégularité et de l'espacement des bandes formant, en sa partie centrale, chemin de table, de l'alliance arbitraire des coloris adoptés, de l'effet de volume donné par les contrastes ou encore de la coexistence de produits végétaux et textiles noués présentés sous forme d'entrelacs - confèrent à ce modèle de décor de nappe une physionomie qui le distingue d'autres dessins de décor du même genre, autrement agencés, et traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ;
Qu'il suit que ce décor de nappe doit bénéficier de la protection instituée au titre du droit d'auteur ;
' sur le décor de la nappe référencée 'coquelicot prestige'
Considérant que l'intimée en caractérise ainsi l'originalité
- un rectangle central de couleur crème unie sur lequel sont représentés des coquelicots par paires, ourlé d'un liseré beige,
- une bande de même largeur de couleur beige, avec un effet de 'pointillé' encadrant le rectangle central,
- une bande extérieure de même largeur reprenant à l'identique les couleurs et motifs du rectangle central, et ourlé du même liseré beige,
- les paires de coquelicots présentent un premier coquelicot en fleur, droit sur tige, et un deuxième coquelicot croisant le premier dont la cloche retombe vers le bas - dans certaines paires, le coquelicot du bas est en fleur, dans les autres, il n'est qu'entrouvert,
- les fleurs de coquelicot sont de forme triangulaire, d'un rouge-rose foncé vers l'extérieur et rose pâle vers l'intérieur ;
Que pour en contester l'originalité, la société Prodeco fait valoir que ce décor floral est d'une extrême banalité et oppose à l'intimée diverses pièces afin de démontrer l'existence d'oeuvres antérieures ;
Considérant, ceci rappelé, qu'à juste titre, la société L3C relève que ne peuvent valablement lui être opposées les pièces adverses n° 17, 19, 21, 22, 23 et 41, sans date certaine ou comportant des dates postérieures à la date de création du décor de nappe revendiqué pas plus que la nappe 'Castellane' (pièce n° 82) qui lui appartient et que sont seules pertinentes les pièces n° 20 et 20-1 se rapportant au parfum 'Flower by Kenzo', de l'année 2000 ;
Qu'il est vrai que le décor de nappe 'coquelicot prestige' comporte des coquelicots ouverts et fermés figurant déjà sur le flaconnage et les emballages du parfum de la société Kenzo commercialisé sous cette forme antérieurement à la création du décor de nappes revendiqué ;
Que force est, toutefois, de relever que ces pièces ne font qu'attester de la divulgation d'une partie seulement des caractéristiques invoquées par la société L3C et que, de plus, les modèles de coquelicots déposés le 26 mai 2000 (DM/052244) par la société Kenzo (pièce 81 de l'intimée) présentent cette fleur à quatre stades précis de sa floraison, comme repris sur l'emballage du produit, de sorte que cet élément de preuve ne permet pas de ruiner l'originalité de la combinaison précitée ;
Que quand bien même la présence d'éléments floraux sur des articles de décoration et d'arts de la table relèverait d'une tendance de la mode ou d'un genre, il n'en reste pas moins que la combinaison des caractéristiques sus-énoncées procède de choix et d'agencements particuliers de nature à suggérer la finesse et la sobriété en dépit du foisonnement d'éléments floraux à des stades d'épanouissement divers ; qu'ils sont le reflet de l'activité créative de son auteur si bien que le décor de nappe revendiqué par l'intimée doit être protégé au titre du droit d'auteur ;
' sur le décor de la nappe référencée 'madras cashmere'
Considérant que la société L3C caractérise l'originalité de ce décor de nappe par la combinaison des éléments suivants
- un assemblage de carrés de six couleurs différentes, dont cinq avec un effet lavis et un sixième uni,
- formant des bandes séparées les unes des autres par de tout petits traits parallèles formant une ligne, comme des points de couture,
- un motif floral incluant également des brins de lavande (d'où le dépôt à l'INPI sous la dénomination 'lavandine') est apposé à cheval sur deux des six carrés,
- l'un des six carrés comporte un motif d'inspiration indienne en forme de larme ;
Que, d'évidence, l'appartenance de ce décor de nappe au genre 'patchwork' qui consiste à assembler des pièces de tissu de couleurs différentes ne prive pas d'originalité la combinaison des caractéristiques revendiquées dès lors que ce décor de nappe, par delà la juxtaposition de simples carrés, révèle le parti-pris personnel de son auteur d'assembler, en des séquences précises, des masses colorées suggérant des textures dissemblables que vient partager, en lignes parallèles et sans aucune exigence technique, une impression de piqûres en forme de traits et d'y adjoindre en surimpression et à intervalles réguliers, un important élément floral outre un motif stylisé de boteh ;
Que ce décor traduit un réel effort créatif au sens du droit d'auteur de sorte que l'appelante ne peut valablement en contester l'originalité ;
Sur la contrefaçon du droit d'auteur
' sur le décor de la nappe référencée 'pomme de pin'
Considérant que pour affirmer que le décor de sa nappe référencée 'feuille de houx' n'en constitue pas la contrefaçon, la société Prodeco fait valoir que la nappe qu'elle commercialise comporte des motifs tous différents (feuilles de houx et non point pommes de pin, frises composées de feuilles de vigne, de fleurs de houx différentes des éléments revendiqués) et que le consommateur sera tout à fait à même de faire la différence ;
Mais considérant qu'il résulte de l'article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle que constitue une contrefaçon ' toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur (...) ' ; qu'il s'ensuit que l'existence ou non d'un risque de confusion pour le consommateur est étrangère à l'appréciation de la contrefaçon de droits d'auteur, laquelle résulte de la seule reprise des caractéristiques essentielles de l'oeuvre qui sont au fondement de son originalité ;
Qu'en outre, la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences ; qu'il ressort, en l'espèce, de l'examen des décors de nappe opposés, que le décor 'feuilles de houx' reprend l'ensemble des caractéristiques du décor 'pomme de pin' précitées (disposition des bandes, chemin de table, alliance des coloris, effet de volume donné par les contrastes ou coexistence de produits végétaux et textiles noués, ensemble présentés sous forme d'entrelacs) ;
Que les seules différences invoquées, qui ne sont que de détail, ne sont pas de nature à exclure la contrefaçon, laquelle est parfaitement constituée au vu de la reprise quasi-identique des traits substantiels fondant l'originalité du décor de nappe de la société L3C ;
' sur le décor de la nappe référencée 'coquelicot prestige'
Considérant que pour se dédouaner des agissements contrefaisants qui lui ont été imputés à faute par le tribunal, la société appelante a fait réaliser un calque tendant à démontrer que les caractéristiques propres de son modèle - à savoir un seul et même motif de deux coquelicots croisés, avec des feuilles et des pétales marqués, disposés en ligne droite dans un sens puis un autre et entourés d'un motif beige type 'vichy' produisant un effet clair/sombre - ne sont pas la reprise du décor de nappe 'coquelicot prestige' ;
Que l'intimée souligne en réplique que les décors de nappe opposés ont pour caractéristiques communes le positionnement des bandes, le croisement des coquelicots, leur forme et leur teinte, ajoutant que la seule différence tient à la présence de feuilles sur les tiges, laquelle n'est toutefois pas apte, selon elle, à faire échec à 'l'impression d'ensemble' très similaire des deux nappes ;
Considérant, ceci rappelé, que 'l'impression d'ensemble' est indifférente pour apprécier l'existence d'une contrefaçon fondée sur le droit d'auteur, laquelle est constituée dès lors que les caractéristiques originales de la création sont reproduites, peu important les différences ;
Qu'en l'espèce, l'examen des deux décors de nappe opposés conduit à considérer qu'en dépit de la reprise d'une bande, de coloris voisins et de paires de coquelicots rouges s'entrecroisant, il ne peut être considéré que le décor de nappe de la société Prodeco qui alterne un seul motif de coquelicots inversés aux fleurs largement épanouies et aux silhouettes abondamment feuillues reprend les caractéristiques essentielles de la combinaison revendiquée qui fonde son originalité ;
Que la contrefaçon n'est donc pas caractérisée de sorte que le jugement qui en dispose autrement doit être infirmé sur ce point ;
' sur le décor de la nappe référencée 'madras cashmere'
Considérant que, formant appel incident, la société L3C fait valoir que nonobstant l'absence de reprise des motifs de brin de lavande et de boteh, le décor de nappe 'carré' de la société Prodeco contrefait son modèle du fait de l'assemblage de carrés de six couleurs différentes mais identiques dans les décors opposés, dont l'un suggère le procédé du lavis et un sixième est uni, séparés les uns des autres par de petits croisillons formant ligne ;
Qu'à juste titre, la société Prodeco fait valoir que son décor 'carré' qui combine, selon trois couleurs dominantes, de larges carrés suggérant de manière peu accentuée une impression de lavis entourés de toutes parts de piqûres en croisillons et qui se trouve, de plus, dépourvu des éléments floraux et des boteh qui participent significativement à l'originalité du décor 'madras cashmere' n'en reprennent pas, dans la combinaison revendiquée, les caractéristiques ;
Que le jugement qui énonce que la contrefaçon ne peut être retenue mérite, sur ce point, confirmation ;
Sur la validité du dépôt n° 07/1989 du dessin dénommé 'lavandine'effectué par la société Décor 10
Considérant que la société Prodeco conteste le jugement qui a rejeté sa demande de nullité à ce titre par des motifs, selon elle, erronés puisqu'il énonce que 'la nullité de la demande d'enregistrement n° 07/1989 (...) ne sera pas ordonnée puisque le fait que le modèle 'carré' ne soit pas contrefaisant ne fait pas échec à la protection du modèle 'madras cashmere' de la société L 3C, l'existence de droits d'auteur n'étant pas contestable' ;
Considérant, ceci exposé, que l'effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur, seul de nature à conférer à une oeuvre un caractère d'oeuvre originale protégée comme telle par le droit d'auteur permet d'agir en contrefaçon de droits d'auteur alors que, dans le cadre d'une action en contrefaçon de droit de dessins et modèles, il convient de ne s'attacher (selon l'article L 511-2 du code de la propriété intellectuelle issu de l'ordonnance du 25 juillet 2001) qu'à la nouveauté de l'œuvre et à son caractère propre sans rechercher en quoi l'oeuvre peut être originale ;
Qu'il est, toutefois, indifférent en l'espèce que le tribunal ait ainsi procédé à un rapprochement des critères de protection dès lors que la société Prodeco conteste principalement la force probante de la demande d'enregistrement versée en pièce 26 aux débats par l'intimée et fait état d'un défaut de publication ;
Qu'il ressort, en effet, de l'examen de cette pièce composée de trois pages que si elle comporte 30 fois, dans les deux premières pages pré-imprimées émanant de l'INPI, le même produit dans lequel le dessin ou modèle est destiné à être incorporé (à savoir 'linge de maison') aucun élément ne permet de rattacher l'annexe composée d'une photographie du dessin manuscritement intitulé 'lavandine decorio'aux désignations figurant dans l'imprimé ;
Que faute d'explications ou de documents de l'intimée venant contredire ce moyen, il apparaît qu'elle ne répond pas aux exigences de l'article 1er - (I) de l'arrêté du 13 août 1992 selon lequel 'la reproduction graphique ou photographique prévue à l'article R 512-3 du code de la propriété intellectuelle est présentée sur un support CERFA n° 12260*01" ;
Que, par ailleurs, faute par la société L3C de justifier de l'inscription au Registre national des dessins et modèles de la transmission des droits attachés au dessin ou modèle déposé par la société Déco 10, ainsi que requis par l'article L 513-3 du code de la propriété intellectuelle, il y a lieu de prononcer la sanction que ce texte prévoit, à savoir qu'elle n'est pas opposable aux tiers ;
Que le tribunal en ayant jugé autrement, le jugement - dont il y a lieu de relever qu'il ne reprend pas la décision statuant sur ce point dans son dispositif - sera amendé dans ce sens ;
Sur la validité du dépôt n° 07/3479 portant sur les dessins et modèles référencés 809 832, 809 833, 809 841, 809 846 et 809 848
Considérant que, selon la demande d'enregistrement que verse aux débats la société Prodeco (pièce 2), les dessins ci-avant individualisés reprennent, chacun, l'un des éléments des décors de nappe 'feuille de houx', 'coquelicot' et 'carré' précités et sont désignés comme des motifs apposables sur tous supports ;
Que le tribunal a prononcé la nullité partielle de ce dépôt, 'pour les modèles 'coquelicot' et 'feuilles de houx' sans en préciser les motifs et a rejeté la demande 'relative au modèle 'carré' en énonçant que la contrefaçon n'est pas constituée ;
Considérant, ceci exposé, qu'eu égard à ce qui précède sur la différence de protection des oeuvres protégées au titre du Livre I et celles qui sont concernées par le Livre V du code de la propriété intellectuelle, le tribunal ne peut être suivi en son raisonnement qui est repris, sans plus d'argumentation, par la société L3C en cause d'appel ;
Qu'il résulte de l'article L 511-2 du code de la propriété intellectuelle que 'seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre' ;
Qu'il ne peut qu'être relevé que la société L3C, qui conteste la protection dont bénéficient ces dessins et sur qui pèse la charge de la preuve, s'abstient de produire des antériorités de toutes pièces destructrices de nouveauté, de démontrer, de plus, qu'ils ne répondent pas à la condition cumulative posée tenant à la démonstration d'un caractère propre au sens de l'article L 511-4 du même code ; qu'elle ne peut donc être accueillie en sa demande de nullité ;
Que la société L3C sera déboutée en cette demande et le jugement, sur cet autre point, infirmé ; Sur les faits de concurrence déloyale et parasitaires
Considérant que la société Prodeco poursuit l'infirmation du jugement qui a retenu ce grief en faisant valoir qu'aucun acte contraire aux usages loyaux du commerce ne peut lui être reproché, qu'il s'agisse de la reproduction de décors de nappe sur des nappes, qui ne se distingue pas des faits de contrefaçon incriminés, du profit qu'elle aurait tiré d'un prétendu 'partenariat commercial' qui ne résulte que d'une commande de nappes référencées 'classique coquelicot' supportant un motif manifestement différent et, enfin, du grief de parasitisme qui n'est étayé par aucun développement ni aucun justificatif ;
Que la société L3C rétorque qu'en copiant ses trois décors de nappe afin de commercialiser des nappes, la société Prodeco avec laquelle elle est en situation de concurrence a 'immanquablement' créé dans l'esprit du public une confusion sur l'origine des produits ;
Que, de plus, le partenariat commercial qu'elle entretenait avec la société Prodeco a permis à cette dernière de se dispenser d'investir dans la création de modèles puisqu'elle s'est contentée de copier ses décors de nappe ;
Considérant, ceci rappelé, que la copie même servile du décor de la nappe 'pomme de pin' ne constitue pas en elle-même un acte distinct de la contrefaçon susceptible de fonder une action en concurrence déloyale ; que la société L3C qui n'invoque aucun acte distinct susceptible de fonder sa demande à ce titre doit en être déboutée ;
Que par ailleurs, la société L3C ne peut se prévaloir d'actes de concurrence déloyale du fait de la reprise des décors de nappe 'coquelicot'(sic) et 'madras cashmere' sans démontrer en quoi les décors de nappe 'coquelicot' et 'carré' de son concurrent, tels que décrits ci-avant, sont susceptibles de créer, comme elle ne fait que le prétendre, un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ;
Qu'enfin, pour attester du partenariat commercial dont elle fait état, la société L3C verse uniquement aux débats deux pièces (n° 36 et 37) ;
Qu'il s'agit de factures datées des 28 et 30 mai 2007 établies par la société Décor 10 et destinées à la société Prodeco attestant de la commande de multiples modèles de nappes au rang desquels figurent des modèles de nappes référencés '0177 classique coquelicot beige/rouge', '0177 classique coquelicot jaune/rouge', 'prestige 150x250 place coquelicot kenz', '0177 classique coquelicot beige/purple', '0177 classique madras cashmere bleu/fuschia' ou encore 'nappe prestige 150x250 place coquelicot kenzy vert';
Que le caractère très ponctuel de ces deux seules factures ne permet pas de qualifier de partenariat commercial la relation nouée entre ces deux sociétés ;
Qu'il n'est, de plus, nullement démontré que les référencements ci-dessus détaillés correspondent aux décors de nappe tels que revendiqués, précisément identifiés sous les références 'prestige coquelicot' et 'madras cashmere' et qu'ils reprennent, dans la même combinaison, leurs caractéristiques ;
Qu'à titre d'illustration, il sera relevé que la convention d'apport partiel versée aux débats (pièce 6) comporte une annexe 2 détaillant les dessins cédés au rang desquels figure à la fois le décor 'coquelicot A 901" et le décor 'coquelicot prestige' ; qu'en outre, le décor de la nappe ronde produit par l'intimée en pièces 47 et 58 et qui porte la seule référence 'coquelicot' présente des caractéristiques dont la combinaison diffère du modèle 'prestige coquelicot' revendiqué ;
Que la société L3C ne démontre donc pas, comme elle l'affirme, que la société Prodeco s'est trouvée dans la relation de confiance que suppose un partenariat commercial et qu'elle en a tiré profit en faisant l'économie de coûts de création ;
Qu'il suit que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'actes distincts de concurrence déloyale ;
Sur les demandes accessoires
Considérant qu'au titre des mesures réparatrices prononcées, il résulte de ce qui précède que l'interdiction de poursuivre 'les agissements illicites' prononcée sous astreinte par le tribunal se trouve circonscrite aux faits de contrefaçon du décor de la nappe référencée 'pomme de pin' ;
Considérant, sur la demande en paiement de dommages-intérêts reconventionnellement formée par la société Prodeco, que la société L3C a pu, sans abus, introduire la présente instance pour faire valoir ses droits ;
Qu'à ce titre, la société Prodeco ne peut, pas davantage, se prévaloir du caractère, selon elle, disproportionné et vexatoire de la saisie-contrefaçon réalisée au domicile de sa gérante dès lors que cette dernière est seule habile à s'en plaindre et que, personne morale distincte, la société Prodeco n'est pas recevable à agir en réparation du préjudice qui en serait résulté ;
Considérant que l'équité ne conduit pas à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Qu'en raison de leur succombance partielle, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement déféré à l'exception de ses dispositions relatives à la contrefaçon du décor de la nappe référencée 'coquelicot prestige', aux actes de concurrence déloyale ainsi qu'à la demande d'enregistrement n° 07/3479 et, statuant à nouveau en y ajoutant
Déboute la société par actions simplifié L3C de son action en contrefaçon portant sur le décor de la nappe référencée 'coquelicot prestige',
Déboute la société L3C de sa demande au titre de la concurrence déloyale ;
Dit que la demande d'enregistrement de dessins et modèles n° 07/1989 déposée le 26 juillet 2007 par la société Décor 10 et dont se prévaut la société L3C est inopposable à la société à responsabilité limitée Prodeco ;
Rejette la demande de nullité partielle de la demande d'enregistrement de dessins et modèles n° 07/3479 déposée le 23 juillet 2007 par la société Prodeco ;
Rejette la demande reconventionnelle en dommages-intérêts présentée par la société Prodeco ;
Déboute les sociétés L3C et Prodeco de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel. Le greffier, Le Président,

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