TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE
DE PARIS
.
3ème chambre 1ère section
N° RG 10/00943 N° MINUTE Li
JUGEMENT
rendu le 27 Septembre 2011
DEMANDERESSE
Association COMITE PROFESSIONNEL DES GALERIES
D'ART - CPGA
PARIS
représentée par Me Jean AITTOUARES - SELARL OX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0966
DÉFENDERESSE
Société CHRISTIE'S FRANCE SNC
PARIS
représentée par Me Didier ... - DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire
#R170 -
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente
Thérèse ANDRIEU, Vice Présidente
Laure COMTE, Juge
assistées de Léoncia BELLON, Greffier
DÉBATS
A l'audience du 21 Juin 2011 tenue publiquement devant Marie-Christine ... et Thérèse ..., juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.
Expéditions
exécutoires 2 b 13 / A4
délivrées le
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JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoirement
en premier ressort
FAITS ET PRÉTENTIONS
Le COMITÉ PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART (CPGA), association fondée en 1947, indique être chargé de la défense des galeristes (190 membres) et de manière plus générale du bon fonctionnement du marché de l'art et d'avoir la mission " de régulariser les pratiques commerciales, de réagir contre la concurrence déloyale ".
La société CHRISTIE'S FRANCE qui est une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a, à l' occasion de la vente intitulée " l'Art d'Après-Guerre et Contemporain " des 27 et 28 mai 2008, édité des conditions générales de vente précisant que l'acheteur paierait une somme équivalente au montant du droit de suite, lorsque celui-ci serait dû.
C'est pourquoi le CPGA saisissait par lettre du 19 mai 2008, le Conseil des ventes volontaires pour dénoncer la pratique de CHRISTIE'S et par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mai 2008, le CPGA rappelait à la société CHRISTIE' S, le texte de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle en attirant son attention sur les effets néfastes de la pratique mise en place. Il invitait la société CHRISTIE' S à " revoir [sa] position " et lui demandait, en tout état de cause, de lui " faire connaître sa position dans les meilleurs délais ".
La société CHRISTIE'S répondait par lettre du 26 mai 2008 qu'elle maintenait sa décision de faire peser le droit de suite sur l'acheteur.
Par lettre du 10 juin 2008, la Direction des affaires civiles et du sceau du Ministère de la justice qui avait été sollicitée par les deux parties, confirmait au CPGA le caractère illicite du transfert de la charge du droit de suite dans les termes suivants " dans sa transposition de la directive à l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle, le législateur a réaffirmé le principe de la charge du paiement du droit de suite au vendeur ".
Elle adressait une deuxième lettre le 26 janvier 2009 et précisait avoir sollicité la Commission européenne qui a rendu son avis le 22 décembre 2008 précisant que " l'interprétation la plus appropriée de la directive semble être que les parties ont le droit de conclure des conventions en ce qui concerne les modalités de paiement du droit de suite, mais que ces arrangements n'ont qu'un effet relatif et ne dégagent pas les parties des obligations qui leur sont conférées par la loi française".
Ayant appris que CHRISTIE'S avait décidé de maintenir sa position à l'occasion de la vente Pierre ... et Yves ... Laurent des 23, 24 et 25 février 2009, le CPGA protestait une nouvelle fois auprès de cette dernière par lettre du 13 février.
La société CHRISTIE'S répondait en date du 19 février 2009 que ledit aménagement était possible en se fondant sur l'avis de la Commission.
Par la suite, le CPGA obtenait en date du 1er décembre 2009 une ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Paris fondée sur l'article 145 du code de procédure civile l' autorisant à " se faire remettre copie des documents suivants, sur lesquels le nom des vendeurs aura été préalablement masqué, les mandats de ventes et tous contrats signés entre les vendeurs et CHRISTIE'S, ou CHRISTIE'S en association avec PIERRE BERGE ASSOCIÉS, portant sur des oeuvres soumises au droit de suite, conclus à l'occasion des ventes
- " Art d'Après-Guerre et Contemporain " des 27 et 28 mai 2008 ;
- " ... Yves ... Laurent et Pierre Bergé " des 23, 24 et 25
février 2009 ;
- " Art d'Après-Guerre et Contemporain " du 27 mai 2009 ; - " Art impressionniste + moderne " du 1er décembre 2009 ;
- " Art d'Après-Guerre et Contemporain " du 8 décembre 2009 ;
- l'ensemble des factures et/ou bordereaux relatifs aux adjudications d'oeuvres soumises au droit de suite, émis par CHRISTIE'S, ou CHRISTIE'S en association avec PIERRE BERGE ASSOCIÉS, intervenues à l'occasion des mêmes ventes ;
- l'ensemble des procès-verbaux relatifs à des ventes d'oeuvres soumises au droit de suite, établis par CHRISTIE'S à l'occasion des mêmes ventes ".
C'est dans ces conditions que le CPGA a, par exploit d'huissier en date du 8 janvier 2010, fait assigner la société CHRISTIES FRANCE aux fins de voir qualifier cette pratique de concurrence déloyale et illicite, d'abus de position dominante et d'obtenir la nullité des stipulations contractuelles
Par ordonnance du 5 mai 2010, le Président du Tribunal de grande instance de Paris prononçait la rétractation de l'ordonnance du 1er décembre 2009 et ordonnait la restitution des documents remis.
Dans ses dernières conclusions en date du 1er juin 2011, le CPGA demande au tribunal,sous bénéfice de l'exécution provisoire, de Rejeter les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la société CHRISTIE'S FRANCE SNC ;
Qualifier la pratique illicite de la société CHRISTIE' S FRANCE SNC d'un acte de concurrence déloyale ;
Prononcer la nullité des stipulations contractuelles par lesquelles la société CHRISTIE'S FRANCE SNC transfère la charge du droit de suite sur l'acheteur ;
Faire interdiction à la société CHRISTIE'S FRANCE SNC de poursuivre ou reprendre la pratique litigieuse sous astreinte 5 000 euros par infraction constatée, c'est-à-dire par vente à l'occasion de laquelle elle ferait supporter à l'acheteur la charge du droit de suite ;
L.121-1 du Code de la consommation et, en cela, constituent une faute susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Il fait valoir que l'article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle est une disposition d'ordre public qui relève d'une nullité absolue de sorte qu'il est recevable à agir.
Il affirme n'avoir jamais demandé la réparation du préjudice subi par les " acheteurs ", ni même celui subi par chaque " marchand d'art " pris individuellement, mais seulement le préjudice résultant de l'atteinte à l'intérêt collectif de ses membres.
Il expose qu'en cas de vente aux enchères publiques, la charge du droit de suite pèse sur le vendeur et la responsabilité du paiement sur la société de ventes volontaires alors que la société CHRISTIES fait peser sur l'acheteur la charge du droit de suite. Selon lui la substitution d'un débiteur à un autre constitue, selon l'article 1271 du Code civil, une novation qui suppose toujours et nécessairement l'accord du créancier, Il précise que cette pratique porte atteinte au droit d'auteur et à la libre concurrence.
Il ajoute que la clause aboutit à faire peser sur l'acheteur une charge qui ne lui revient légalement pas, a incontestablement " pour objet et pour effet " de créer un " déséquilibre significatif " au détriment dudit acheteur.
Il soutient que la pratique de la société CHRISTIE'S induit l'acheteur en erreur et qu'il est impossible à l'enchérisseur de calculer, en temps réel, le montant des frais qu'il va être amené à acquitter en plus du prix. Il prétend que la pratique de CHRISTIE' S, en ce qu'elle lui procure un avantage illégalement obtenu, a pour effet de rompre l'égalité entre les concurrents à tous ces niveaux ; que cette pratique rompt l'égalité avec les marchands d'art respectueux de la législation en vigueur. Il se prévaut également d'un préjudice matériel et moral pour les professionnels qu'il représente.
Dans ses dernières conclusions en date du 9 juin 2011, la société CHRISTIES'S France sollicite du tribunal de
Dire et juger irrecevable le Comité Professionnel des Galeries d'Art à agir sur le fondement de l'article L.121-1 du code de la consommation; Dire et juger irrecevable la demande de cessation ou tendant à faire interdiction à la société CHRISTIE'S FRANCE de poursuivre ou reprendre la pratique litigieuse, ladite pratique n'ayant plus été mise en oeuvre depuis le 8 décembre 2009 ;
Dire et juger irrecevable la demande de nullité des stipulations contractuelles aux termes desquelles l'acheteur d'une oeuvre est redevable d'une somme équivalente au droit de suite;
Dire et juger irrecevable le Comité Professionnel des Galeries d'Art à agir en réparation du préjudice de l'ensemble des acheteurs et des vendeurs de la société CHRISTIE'S FRANCE;
Dire et juger irrecevable le Comité Professionnel des Galeries d'Art à agir en réparation du préjudice de l'ensemble des marchands d'art. Au fond, à titre principal
Dire et juger que l'aménagement contractuel de la société CHRISTIE'S France aux termes duquel l'acheteur d'une oeuvre est redevable d'une
Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir
- dans 3 revues à choisir par les demandeurs, dans la limite de 10 000
euros HT par insertion;
- en première page des catalogues des cinq prochaines ventes organisées par la société CHRISTIE'S FRANCE SNC comportant des lots assujettis au droit de suite, sous le titre " PUBLICATION JUDICIAIRE À LA DEMANDE DU COMITE PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART " dans un encadré occupant la totalité de ladite page du journal dans des caractères noirs d'un demi centimètre de hauteur sur fond blanc, et ce sous astreinte définitive de 100 000 euros par infraction constatée ;
- en première page de la version française du site Internet ww w.christies.com (http//www.christies.com/features/welcome/french/) sous le titre "PUBLICATION JUDICIAIRE À LA DEMANDE DU COMITE PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART" dans un encadré occupant le tiers de ladite page en caractères noirs d'un demi centimètre de hauteur sur fond blanc, et ce sous astreinte définitive de 10 000 euros par jour de retard ;
Condamner la société CHRISTIE'S FRANCE SNC à payer au COMITE PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART une somme d'l euro à titre de provision sur les dommages intérêts à lui devoir ; Ordonner à la société CHRISTIE'S FRANCE SNC sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir de produire les pièces justificatives mentionnées au dispositif des présentes
- les mandats de ventes et tous contrats signés entre les vendeurs et la société CHRISTIE'S FRANCE SNC, ou la société CHRISTIE'S FRANCE SNC en association avec PIERRE BERGE ASSOCIÉS, portant sur des oeuvres soumises au droit de suite, conclus à l'occasion des ventes
- " Art d'Après-Guerre et Contemporain " des 27 et 28 mai 2008 ;
- " ... Yves ... Laurent et Pierre Bergé " des 23, 24 et 25
février 2009 ;
- " Art d'Après-Guerre et Contemporain " du 27 mai 2009 ;
- " Art impressionniste + moderne " du 1er décembre 2009 ;
- " Art d'Après-Guerre et Contemporain " du 8 décembre 2009 ;
- l'ensemble des factures et/ou bordereaux relatifs aux adjudications d'oeuvres soumises au droit de suite, émis par la société CHRISTIE' S FRANCE SNC, ou la société CHRISTIE'S FRANCE SNC en association avec PIERRE BERGE ASSOCIÉS, intervenues à l'occasion des mêmes ventes ;
- l'ensemble des procès-verbaux relatifs à des ventes d'oeuvres soumises au droit de suite, établis par la société CHRISTIE'S FRANCE SNC à l'occasion des mêmes ventes.
Condamner la société CHRISTIE'S FRANCE SNC à payer à la demanderesse la somme de 34 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, le CPGA précise qu'il ne fonde pas son action sur l'article 121-1 du code de la consommation mais que les pratiques de la société CHRISTIE' S violent les dispositions de l'article somme équivalente au droit de suite respecte l'article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle ne constitue pas un acte de concurrence déloyale.
Subsidiairement,
Dire et juger que l'article L.122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle n'est pas une disposition d'ordre public et qu'en conséquence la pratique de CHRISTIE' S FRANCE y déroge valablement ;
Dire et juger que l'aménagement contractuel de la société CHRISTIE' S FRANCE aux termes duquel l'acheteur d'une oeuvre est redevable d'une somme équivalente au droit de suite ne viole pas l'article L.121-1 du code de la consommation ;
Dire et juger que l'aménagement contractuel de la société CHRISTIE' S FRANCE aux termes duquel l'acheteur d'une oeuvre est redevable d'une somme équivalente au droit de suite n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale ;
Dire et juger que l'aménagement contractuel de la société CHRISTIE' S FRANCE aux termes duquel l'acheteur d'une oeuvre est redevable d'une somme équivalente au droit de suite n'est pas constitutif d'un abus de position dominante ;
Débouter le Comité Professionnel des Galeries d'Art de l'ensemble de ses demandes.
En tout état de cause
Constater que la demande de publication du dispositif du jugement n'est aucunement nécessaire à la réparation des préjudices allégués ; En conséquence,
Débouter le Comité Professionnel des Galeries d'Art de sa demande de publication du dispositif du jugement ;
Constater que les documents demandés ne sont aucunement nécessaires pour l'évaluation des préjudices allégués ;
En conséquence,
Débouter le Comité Professionnel des Galeries d'Art de sa demande de production des pièces sous astreinte;
Constater que la preuve des préjudices allégués n'est pas rapportée ; En conséquence,
Débouter le Comité Professionnel des Galeries d'Art de sa demande de condamnation à une somme d'un euro à titre de provision ;
Condamner le Comité Professionnel des Galeries d'Art à payer à la société CHRISTIE' S FRANCE la somme de 70 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Christie's France fait valoir que seul un consommateur profane peut être victime d'une tromperie ou d'une clause abusive au sens des articles L121-1 et L132-1 du code de la consommation de sorte que le CPGA dont les membres sont des professionnels du marché de l'art est irrecevable à agir.
Elle soutient que les dispositions de l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas d'ordre public et que le régime des nullités applicable est celui des nullités relatives. Seuls les auteurs ou leurs ayants droit sont en conséquence recevables à demander la nullité de stipulations qui contreviendraient à l'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle.
Elle avance que le CPGA en tant qu'association professionnelle représentant les intérêts de ses membres galeristes, n'a pas intérêt et qualité à agir pour tous les " acheteurs " et tous les " marchands d'art". Elle prétend que les aménagements contractuels qu'elle a mis en place ne libèrent pas le vendeur de son obligation légale par application du principe de l'effet relatif des contrats. Elle explique que les stipulations litigieuses n'opèrent aucune novation par substitution de débiteur dans la mesure où ces stipulations n'ont pas pour effet d' éteindre l'obligation légale du vendeur.
Subsidiairement elle avance qu'une telle dérogation est possible et que l'illécéïté de la pratique litigieuse ne saurait être déduite du simple constat que les textes ne prévoient pas expressément de dérogation possible et précise que l'esprit des règles relatives au droit de suite n'interdit pas de faire peser le droit de suite sur l'acheteur.
Elle ajoute qu'elle n'a pas commis le délit de pratique commerciale trompeuse car les acheteurs étaient informés de ce qu'ils seraient redevables d'une somme équivalente au droit de suite et des modalités de calcul de cette somme et que le requérant ne démontre pas que la clause litigieuse a créé un déséquilibre significatif et qu'elle ne peut donc être qualifiée de clause abusive.
Elle précise que le CPGA ne démontre aucun préjudice que les galeristes auraient subi et ne démontre pas qu'il y aurait un rapport de concurrence, ni la preuve d'un détournement de clientèle.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2011.
MOTIFS DE LA DÉCISION
sur l'intérêt à agir du CPGA sur le fondement des articles L 121-1 et L132-1 du Code de la consommation.
Il est manifeste que le CPGA ne peut agir sur le fondement des articles L121-1 et L132-1 du Code de la consommation puisque seul est habilité à agir sur ce texte un consommateur profane ce qui n'est pas le cas puisque le CPGA est une association de professionnels, ayant de par ses statuts mission de défendre des galeristes et de manière plus générale celle d'assurer le bon fonctionnement du marché de l'art, association qui par ailleurs n'a pas été déclarée d'utilité publique.
Le CPGA prétend qu'il ne s'appuie sur ce texte que pour montrer le caractère illicite de la clause insérée dans les conditions générales de vente par la société CHRISTIE' S FRANCE afin de démontrer que cette clause est contraire aux intérêts des consommateurs.
Or, le CPGA n'a pas qualité pour défendre les intérêts des consommateurs et il lui appartient de prouver sur le terrain de la faute sa demande en concurrence déloyale au regard des intérêts de ses membres et non de ceux des consommateurs.
Sur la recevabilité de la demande de nullité formée par le CPGA
La société CHRISTIE' S FRANCE soulève une fin de non recevoir à l'encontre de la demande de nullité de la clause litigieuse contenue dans ses conditions générales de vente des 27 et 28 mai 2008, 23, 24 et 25 février 2009, 27 mai 2009, 2009 et 8 décembre 2009.
Le CPGA soutient que la demande de nullité de la clause contenue dans les conditions générales des ventes de la société CHRISTIE' S FRANCE n'est pas sa demande principale mais ne constitue qu'une conséquence de sa demande en concurrence déloyale et en abus de position dominante.
Cependant, il ressort de l'acte introductif d'instance et des conclusions récapitulatives que le CPGA a décrit la clause litigieuse comme étant une pratique illicite et donc un acte de concurrence déloyale et un abus de position dominante et a demandé la nullité de la dite clause.
La demande en nullité de la clause litigieuse est bien la demande principale du CPGA et les moyens relatifs à la pratique commerciale illicite de la société CHRISTIE' S FRANCE qui serait un acte de concurrence déloyale et un abus de position dominante ne sont développés que pour fonder la demande de nullité.
En conséquence, il convient de statuer sur la fin de non recevoir formée par la société CHRISTIE'S FRANCE à l'encontre de cette demande.
Le CPGA soutient la nullité de la clause contenue dans les ventes volontaires aux enchères publiques 27 et 28 mai 2008, 23, 24 et 25 février 2009, 27 mai 2009, 2009 et 8 décembre 2009 au motif que cette clause transfère la charge du droit de suite sur l'acheteur en lieu et place du vendeur en l'espèce la société CHRISTIE'S FRANCE.
La société CHRISTIE'S FRANCE prétend que le régime des nullités applicable à cette clause est celui des nullités relatives et que seuls les co-contractants peuvent invoquer la nullité éventuelle de cette clause ou les auteurs des objets vendus s'ils s'estimaient lésés par cette clause.
Le CPGA soutient pour sa part que ce texte dans son premier alinéa est un texte d'ordre public de sorte que la nullité qui peut être soutenue est absolue et peut être soulevée par tout intéressé et maintient que la clause rédigée comme suit
Droit de suite
"Pour tout lot assujetti au droit de suite, et désigné par le symbole au sein du présent catalogue, Christie 's percevra de la part de l'acheteur pour le compte et au nom du vendeur, une somme équivalente au montant du droit de suite exigible au taux applicable à la date de la vente. Christie 's reversera à l 'organisme chargé de percevoir ce droit, ou, le cas échéant à l'artiste lui-même".
est nulle pour mettre le droit de suite à la charge de l'acheteur et non du vendeur.
L'article L 122-8 du Code propriété intellectuelle est la transposition de la directive européenne 2001/84 relative au droit de suite.
Il dispose en son alinéa 1er que
"Les auteurs d'cvuvres originales graphiques et plastiques ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen bénéficient d'un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une oeuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses avants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art".
Ainsi et avant même d'organiser le marché de l'art, ce texte crée au niveau européen un droit de suite en faveur des auteurs d'oeuvres originales graphiques et plastiques, un droit qui est inaliénable puisque s'agissant d'un droit d'auteur.
Pour éviter des distorsions au niveau européen entre les pays qui appliquaient ce droit de suite et les autres lors des ventes effectuées par des professionnels, il a été convenu d'étendre le droit de suite à l'ensemble des pays de la COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE et en même temps de l'organiser.
En l'espèce, il convient de constater que le premier alinéa de cet article institue un nouveau droit en faveur des auteurs et met en oeuvre un principe d'ordre public économique qui a bien pour objectif de réguler le marché de l'art à l'intérieur de l'espace économique européen.
Cependant force est également de constater que la société CHRISTIE' S FRANCE a mis en oeuvre le droit de suite dans les ventes citées par le CPGA dans les termes de l'alinéa 1er de sorte qu'aucune nullité de la clause ne peut être soulevée par le CPGA.
Le CPGA conteste en fait le respect de l'alinéa 3 par la clause litigieuse, alinéa qui dispose
"Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur."
Or cet alinéa n'est pas lui-même d'ordre public puisqu'il ne s'agit que de la mise en place du principe cité à l'alinéa 1er ; les dispositions relatives au paiement du droit de suite sont des dispositions techniques que les pays avaient la possibilité de déterminer eux-mêmes au sein de leur législation nationale ; elles ont été fixées par l'article L122-8 alinéa 3 et la France a choisi, comme l'a rappelé la Direction des affaires civiles et du sceau du Ministère de la justice, dans sa lettre du 10 juin 2008, " dans sa transposition de la directive à 1 'article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle, le principe de la charge du paiement du droit de suite au vendeur ".
Cependant, la Commission Européenne a rendu un avis le 22 décembre 2008 aux termes duquel " l'interprétation la plus appropriée de la directive semble être que les parties ont le droit de conclure des
conventions en ce qui concerne les modalités de paiement du droit de suite, mais que ces arrangements n'ont qu'un effet relatif et ne dégagent pas les parties des obligations qui leur sont conférées par la loi française ".
Ainsi, il apparaît que la nullité pouvant entacher la clause litigieuse s'agissant du mode de paiement du droit de suite insérée dans les conditions de vente est une nullité relative puisque le professionnel chargé de la vente à savoir la société CHRISTIE' S FRANCE reste seul tenu du paiement mais que les parties ont pu valablement convenir d'un autre arrangement qui ne dégagera pas la société CHRISTIE'S FRANCE de ses obligations au regard des auteurs ou de leurs ayants droits;
En conséquence, seul un co-contractant d'une part et d'autre part un auteur ou ses ayants-droit, éventuellement une société d'auteurs le représentant, peuvent soulever la nullité éventuelle de cette clause et non une association de galeristes.
Le CPGA qui ne représente pas les intérêts des auteurs ou de leurs ayants-droits mais ceux de marchands d'arts est donc irrecevable à demander la nullité de la clause litigieuse relative au droit de suite insérée dans les conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S FRANCE.
sur la cessation de la pratique
Il convient de constater que depuis le 8 décembre 2009, la société CHRISTIE'S FRANCE a cessé d'insérer cette clause dans ses conditions générales de vente de sorte que de plus fort le CPGA est irrecevable à agir.
Sur la concurrence déloyale
Le CPGA prétend encore qu'en sa qualité d'association de professionnels chargée " de régulariser les pratiques commerciales, de réagir contre la concurrence déloyale ", avoir intérêt à agir en concurrence déloyale et donc à faire annuler la clause litigieuse contenue dans les conditions générales de vente qui ont régi les ventes intervenues au sein de la société Christie' s France les 27 et 28 mai 2008, 23, 24 et 25 février 2009, 27 mai 2009, 2009 et 8 décembre 2009.
La demande fondée sur l'article 1382 du Code civil suppose que soient démontrés une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice mais également que les sociétés soient en situation de concurrence.
Or, le CPGA ne démontre pas vraiment être en concurrence avec la société Christie' s France qui est une société de ventes volontaires aux enchères.
En effet, si les amateurs d'art s'adressent indifféremment à l'un ou l'autre des réseaux de vente à savoir les galeristes ou les maisons de ventes volontaires aux enchères, il n'est pas établi que les réseaux de distribution soient en concurrence puisque les conditions de vente sont totalement différentes.
Enfin, aucune faute n'est démontrée de la part de la société Christie's France qui a bien collecté ou fait collecter le droit de suite sur les objets vendus par elle lors des ventes les 27 et 28 mai 2008, 23, 24 et 25 février 2009, 27 mai 2009, 2009 et 8 décembre 2009.
Mais surtout et malgré les calculs compliqués effectués par le CPGA, il n'est pas davantage démontré que ses membres ont subi un préjudice du fait de l'insertion de cette clause dans les conditions des ventes précitées.
Il est en effet soutenu que l'acheteur aurait des difficultés à calculer le droit de suite dû lors de son achat auprès de la société Christie's France mais le tribunal ne constate pas qu'il soit plus facile de le faire quand le paiement est supporté par le vendeur.
Le CPGA est donc mal fondé à agir en concurrence déloyale à l'encontre de la société Christie's France et le tribunal note qu'il n'a d'ailleurs pas saisi le Conseil de la Concurrence de cette difficulté.
Sur l'abus de position dominante.
Le CPGA prétend que la société Christie's France serait en position dominante sur le marché de l'art.
Or cette demande ne peut être faite qu'au regard du marché de l'art français puisque c'est le non respect de l'article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle et notamment de son alinéa 3 qui serait une pratique discriminatoire et que c'est l'activité de la société Christie' s France située en France qui est contestée.
Le demandeur indique lui-même qu'en 2006 le marché de l'art en France était distribué de la façon suivante 60% de ventes commerciales (hors sociétés de ventes volontaires aux enchères ), 23% de ventes volontaires aux enchères et 17% de ventes en ateliers.
Il prétend que si le volume total des transactions commerciales des marchands d'art est globalement supérieur à celui des maisons de ventes, aucun marchand d'art pris individuellement ne dispose d'une puissance économique proche de celle de la société Christie's France .
Or cette approche est totalement erronée car le marché est d'abord défini par son volume global et par ceux réalisés par les différents secteurs du même marché ; ensuite, la société Christie's France n'est pas la seule maison de ventes volontaires et il n'est ni prétendu ni établi qu'elle réalise la moitié du marché des ventes volontaires ; à supposer même que ce soit le cas, elle ne représenterait sur le marché de l'art français que 11% des ventes face au 60% des ventes commerciales.
Ainsi, il est difficile de soutenir que la société Christie's France serait en mesure de s'abstraire des conditions de marché et d'agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et des réactions de ses concurrents puisqu'elle ne pèse que de façon marginale sur l'ensemble du marché de l'art..
Le moyen du CPGA sera rejeté et il sera débouté de toutes ses demandes subséquentes.
Sur les autres demandes.
L'exécution provisoire est sans objet et ne sera pas ordonnée.
Les conditions sont réunies pour allouer la somme de 5.000 euros à la société Christie's France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort et par remise au greffe;
- Déclare irrecevables les demandes formées par le COMITÉ PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART tant sur le fondement des articles L 121-1 et L132-1 du Code de la consommation, que tendant à voir déclarer nulle la clause relative au droit de suite insérée dans les conditions générales des ventes intervenues les 27 et 28 mai 2008, 23, 24 et 25 février 2009, 27 mai 2009, 2009 et 8 décembre 2009 et tendant à voir interdire à la société CHRISTIE'S FRANCE de cesser cette pratique.
-Déclare mal fondée la demande en concurrence déloyale formée par le COMITÉ PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART à l' encontre de la société CHRISTIE' S FRANCE.
Dit que le COMITÉ PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART ne rapporte pas la preuve de ce que la société CHRISTIE'S FRANCE serait en position dominante sur le marché de l'art français.
En conséquence,
- Déboute le COMITÉ PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART de toutes ses demandes subséquentes notamment de production de pièces et de publication judiciaire.
- Condamne le COMITÉ PROFESSIONNEL DES GALERIES D'ART à payer à la société CHRISTIE'S FRANCE la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
3ème chambre - 1ère section
Jugement du 27 octobre 2011
RG 10/943
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
- Condamne le CPGA aux dépens.
Fait et jugé à PARIS, le 27 septembre 2011.
LE PRÉSI Ert