Références
CAA de PARISN° 14PA00930Inédit au recueil Lebon
2ème chambre lecture du mercredi 16 décembre 2015REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 27 février 2014 présentée pour la Société Infolution, représentée par MeB..., liquidateur judiciaire, 20 avenue de l'Europe à Versailles (78000), par Me A...; la société Infolution demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1217498/1-3 du 27 décembre 2013 en tant que le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés sur le fondement de l'article 283-4 bis du code général des impôts au titre de la période du 3 novembre 2009 au 31 juillet 2010 ;
2°) de prononcer ladite décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la procédure de vérification de comptabilité a été détournée dans la mesure où le service a utilisé cette procédure pour rassembler des informations ;
- la lettre du 10 octobre 2011 ne l'a pas mise en mesure de présenter ses observations avant de lui adresser un avis de mise en recouvrement ;
- elle n'a pas bénéficié des garanties attachées à la procédure de redressement contradictoire ;
- le service aurait dû lui envoyer un avis d'absence de rectification ;
- la doctrine administrative référencée BOI-CF-PGR-30-30 n°10 confirme ce principe ;
- elle n'a pas bénéficié d'un débat oral et contradictoire sur place, ni des recours hiérarchiques prévus par la Charte du contribuable vérifie ;
- le service n'a pas informé la société des éléments recueillis auprès de tiers avant la mise en recouvrement ;
- le tribunal n'a pas répondu à ce dernier moyen ;
- de telles exigences découlent de l'instruction du 30 novembre 2007 référencée BOI 3 A-7-07 n°45 et 46 ;
- il appartient au service de justifier des montants appelés en solidarité ;
- le secret professionnel ne lui est pas opposable ;
- l'article 283-4 bis du code général des impôts ne permet d'appeler en solidarité que la seule taxe fraudée par le fournisseur défaillant ;
- la société Areo distribution n'était pas le fournisseur défaillant ;
- le principe de sécurité juridique a été méconnu ;
- le principe de proportionnalité a été méconnu ;
- le principe de non-cumul des procédures a été méconnu ;
- l'implication volontaire de la société Infolution dans un schéma de fraude de type carrousel n'est pas établie ;
- le tribunal n'a pas répondu à tous les arguments de la société sur ce point ;
- il conviendrait à titre subsidiaire de limiter le montant de taxe à celui éludé par la société Geha France ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2014, présenté par le ministre des finances et des comptes publics, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- la vérification de comptabilité a été régulièrement effectuée ;
- les conclusions du contrôle ont été portées à la connaissance de l'intéressée ;
- la garantie attachée à l'existence d'un débat oral et contradictoire et à la possibilité de saisir les supérieurs hiérarchiques a été assurée ;
- les droits de la défense ont été respectés ;
- le montant appelé en solidarité a été justifié ;
- le montant appelé en solidarité correspond à la taxe fraudée par le fournisseur défaillant Geha ;
- les principes de sécurité juridique et le principe de proportionnalité n'ont pas été méconnus ;
- le principe de non-cumul des procédures n'a été pas méconnu ;
- l'implication volontaire de la société Infolution dans un schéma de fraude de type carrousel est établie ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 29 juillet 2014, présenté par la société Infolution, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que :
- la lettre d'information L 751 SD reçue le 10 octobre 2011 ne comportait ni le montant des droits mis à sa charge, ni la mention selon laquelle elle pouvait se faire assister d'un conseil, ni la durée du délai ouvert pour faire parvenir ses observations ;
- l'avis de mise en recouvrement lui a été envoyé seulement 8 jours après ladite lettre ;
- l'article L. 11 du livre des procédures fiscales a été méconnu ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 1er septembre 2014, présenté par le ministre de l'économie et des finances, qui maintient ses conclusions précédentes par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 3 octobre 2014, présenté pour la société Infolution, qui maintient ses conclusions précédentes par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la réponse ministérielle du 16 février 2010 prévoit qu'une lettre n°751 doit respecter les droits de la défense ;
Vu la décision par laquelle le président de la 2ème chambre de la Cour a fixé la clôture de l'instruction au 3 octobre 2014 à 12 heures ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 décembre 2015 :
- le rapport de M. Magnard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Egloff, rapporteur public
- et les observations de MeA..., pour la société Infolution ;
1. Considérant que la société Infolution, qui exerce à titre principal une activité de vente de produits consommables de marque " Hewlett Packard ", a réalisé, à compter du mois de novembre 2009, des opérations d'achat-revente de téléphones et téléviseurs LCD ; qu'elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2008 au 31 août 2010 ; qu'estimant que l'intéressée avait participé, dans le cadre de son activité secondaire, à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée dont elle ne pouvait ignorer l'existence, l'administration a engagé, sur le fondement des dispositions de l'article 283-4 bis du code général des impôts, sa responsabilité solidaire au paiement des droits de taxe non reversés par son fournisseur de second rang, la société Geha France, pour un montant de 6 271 689,44 euros ; que la Société Infolution, représentée par
MeB..., son liquidateur judiciaire, fait appel du jugement n° 1217498/1-3 du
27 décembre 2013 en tant que le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation solidaire de paiement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés en conséquence sur le fondement de l'article 283-4 bis du code général des impôts au titre de la période du 3 novembre 2009 au 31 juillet 2010 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que le moyen tiré de ce que le service n'a pas informé la société des éléments recueillis auprès de tiers après la mise en recouvrement est inopérant en tant qu'il est dirigé contre la procédure d'imposition ; que, dans cette mesure, les premiers juges n'ont entaché leur jugement d'aucune irrégularité en ne statuant pas sur ce moyen ; que, plus généralement, les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à l'intégralité des arguments soulevés par l'intéressée à l'appui de ses moyens ; que le jugement attaqué répond à l'ensemble des moyens invoqués par le contribuable à l'appui de sa contestation du bien-fondé de sa mise en cause au titre de sa responsabilité solidaire au paiement des droits de taxe non reversés par son fournisseur de second rang ; que la circonstance que des documents de nature à établir la réalité et l'étendue de cette responsabilité solidaire n'aient pas été produits par l'administration et que les premiers juges se soient estimés suffisamment informés malgré cette absence de production est en tout état de cause sans influence sur la régularité du jugement attaqué ; que le moyen tiré de l'irrégularité de ce jugement ne peut en conséquence qu'être écarté ;
Sur la procédure d'imposition :
3. Considérant, en premier lieu, que l'administration, dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle, a le libre choix de procéder ou non à une vérification de comptabilité, indépendamment des informations qu'elle détient ; qu'en procédant à la vérification de comptabilité de la société Infolution en vue notamment de contrôler le respect, par cette société, des conditions de déduction de taxe sur la valeur ajoutée acquittée à raison de ses acquisitions auprès de certains fournisseurs, le service n'a fait qu'user, conformément à leur objet, des pouvoirs dont il dispose ; qu'il a également pu à bon droit, et sans détourner ladite procédure de son objet, se fonder notamment sur les éléments recueillis lors des opérations de vérification, pour recouvrer, auprès de la société requérante, selon les règles prévues à l'article 283-4 bis du code général des impôts, les droits de taxe sur la valeur ajoutée frauduleusement éludés par ses fournisseurs d'amont ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une société commerciale a été effectuée, comme il est de règle, dans ses propres locaux, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat ; qu'il est constant que la société Infolution, au siège de laquelle s'est déroulée la vérification de comptabilité, a bénéficié de plusieurs entrevues ainsi que d'une réunion de synthèse avec l'administration ; qu'en se bornant à faire état de l'attitude de la vérificatrice au cours du contrôle, sans apporter de preuve du refus qui lui aurait été opposé de débattre de son implication dans le schéma de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mis en évidence par le service, la société requérante ne démontre pas, ainsi qu'elle en a la charge, avoir été privée d'un débat oral et contradictoire ; que ce moyen doit, par suite, être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 49 du livre des procédures fiscales : " Quand elle a procédé à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou à une vérification de comptabilité, l'administration des impôts doit en porter les résultats à la connaissance du contribuable, même en l'absence de rectification. " ; que la lettre du 10 octobre 2011, puis la lettre du 20 décembre 2011, qui annulait et remplaçait la précédente, ont porté à la connaissance de la société Infolution les résultats de la vérification de comptabilité dont elle faisait l'objet et l'informaient notamment que sa responsabilité solidaire dans le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due par la société Geha était susceptible d'être engagée ; que le moyen tiré par la société requérante de ce que le service aurait dû lui envoyer un avis d'absence de rectification ne peut en conséquence qu'être écarté ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que la société Infolution, dont la responsabilité solidaire dans le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due par la société Geha a été engagée, n'a elle-même fait l'objet d'aucun rehaussement ; qu'elle ne saurait en conséquence utilement faire valoir qu'elle a été privée des garanties attachées à la procédure de redressement contradictoire, et notamment des possibilités de recours hiérarchiques prévues par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié et offertes aux contribuables faisant l'objet de redressements ;
7. Considérant, en cinquième lieu, que les moyens tirés de ce que la lettre du
10 octobre 2011 n'indiquait pas les montants susceptibles d'être mis en recouvrement, ne l'invitait pas à présenter ses observations et ne lui donnait pas un délai de trente jours à cette fin, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 11 du livre des procédures fiscales, sont inopérants, la lettre du 10 octobre 2011 ayant été annulée et remplacée par la lettre du 21 décembre 2011 ;
8. Considérant, en sixième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la lettre du
10 octobre 2011, puis la lettre du 20 décembre 2011, qui annulait et remplaçait la précédente, ont informé la société requérante, avant la mise en recouvrement à son égard des impositions dues par la société Geha France, de l'origine et de la nature des renseignements obtenus de tiers utilisés par le service ; que le moyen tiré par la société requérante de ce que le service ne l'a pas informée des éléments recueillis auprès de tiers avant la mise en recouvrement manque en conséquence, et en tout état de cause, en fait ;
9. Considérant, en septième lieu, que le moyen tiré de ce que le service n'a pas informé la société des éléments recueillis auprès de tiers après la mise en recouvrement est inopérant en tant qu'il est dirigé contre la procédure d'imposition ;
10. Considérant, enfin, que la société Infolution ne saurait en tout état de cause invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la doctrine contenue dans des instructions administratives relatives à la procédure d'imposition ;
Sur la responsabilité solidaire de la société Infolution :
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1. Considérant qu'aux termes des dispositions du 4 bis de l'article 283 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 93 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 : " L'assujetti en faveur duquel a été effectuée une livraison de biens et qui savait ou ne pouvait ignorer que tout ou partie de la taxe sur la valeur ajoutée due sur cette livraison ou sur toute livraison antérieure des mêmes biens ne serait pas reversée de manière frauduleuse est solidairement tenu, avec la personne redevable, d'acquitter cette taxe. " ;
12. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des mentions portées sur l'avis de mise en recouvrement adressé à la société le 26 décembre 2011 que la dette de taxe sur la valeur ajoutée qui a été réclamée à la société requérante sur le fondement de l'article 283-4 bis du code général des impôts correspondait à celle mise à la charge de la SARL Geha France, par avis de mise en recouvrement du 10 octobre 2011 et non acquittée par cette dernière à sa date d'exigibilité ; que doit par suite être écarté comme manquant en fait le moyen tiré de ce que la société Infolution aurait été appelée, en violation des dispositions précitées, au paiement de droits facturés par la société Aréo Distribution, qui n'était pas le fournisseur défaillant ;