CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°s
379579, 382945
SOCIETE BOUYGUES TELECOM
M. Tristan Aureau, Rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public
Séance du 21 septembre 2015
Lecture du
9 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu les procédures suivantes :
1) Sous le n° 379579, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 mai et 22 juillet 2014 et les 26 février et 4 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bouygues Télécom demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) sur sa demande du 3 février 2014 tendant à ce que l'ARCEP définisse les modalités d'extinction de l'itinérance dont bénéficie la société Free Mobile sur le réseau de la société Orange ;
2°) d'enjoindre à l'ARCEP de définir, dans un délai maximum de trois mois, les modalités d'extinction de l'itinérance dont bénéficie la société Free Mobile sur le réseau de la société Orange, en prévoyant notamment, d'une part, une extinction progressive, par plaque, de l'accord d'itinérance 3G conclu entre les deux sociétés, celui-ci devant être arrêté dans l'ensemble des zones que Free Mobile déclare avoir couvertes par son propre réseau, d'autre part, une extinction définitive de l'accord d'itinérance 3G en janvier 2016 et, enfin, une extinction de l'accord d'itinérance 2G en janvier 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2) Sous le n° 382945, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 22 juillet 2014 et les 26 février et 4 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bouygues Télécom demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 mai 2014 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a rejeté sa demande du 5 mai 2014 tendant à ce que l'ARCEP définisse les modalités d'extinction de l'itinérance dont bénéficie la société Free Mobile sur le réseau de la société Orange ;
2°) d'enjoindre à l'ARCEP de définir, dans un délai maximum de trois mois, les modalités d'extinction de l'itinérance dont bénéficie la société Free Mobile sur le réseau de la société Orange, en prévoyant notamment, d'une part, un dispositif d'extinction progressive, par plaque, de l'accord d'itinérance 3G conclu entre les deux sociétés, celui-ci devant être arrêté dans l'ensemble des zones que Free Mobile déclare avoir couvertes par son propre réseau, d'autre part, une extinction définitive de l'accord d'itinérance 3G en janvier 2016 et, enfin, une extinction de l'accord d'itinérance 2G en janvier 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Tristan Aureau, auditeur,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;
1. Considérant que les requêtes de la société Bouygues Télécom présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les dispositions applicables au litige :
2. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques : " II.- Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées aux objectifs poursuivis et veillent : (.) / 2° A l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques. A ce titre, ils veillent (.), lorsque cela est approprié, à la promotion d'une concurrence fondée sur les infrastructures " ;
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques : " I.- L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes attribue les autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires tenant compte des besoins d'aménagement du territoire " ; qu'aux termes de l'article L. 36-6 du même code : " (.) l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes précise les règles concernant : / 1° Les droits et obligations afférents à l'exploitation des différentes catégories de réseaux et de services, en application de l'article L. 33-1 ; / 2° Les prescriptions applicables aux conditions techniques et financières d'interconnexion et d'accès, conformément à l'article L. 34-8 (.) " ; qu'aux termes de l'article L. 36-7 du même code : " L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes : / (.) 3° Contrôle le respect par les opérateurs des obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables en vertu du présent code, du règlement (UE) n° 531/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juin 2012, concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union et des autorisations dont ils bénéficient et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues aux articles L. 36-10 et L. 36-11 ; / (.) 6° Assigne aux opérateurs et aux utilisateurs les fréquences nécessaires à l'exercice de leur activité dans les conditions prévues à l'article L. 42-1 et veille à leur bonne utilisation (.) " ; qu'enfin, en vertu de l'article L. 36-11 du même code, l'ARCEP peut sanctionner les manquements qu'elle constate, de la part des exploitants de réseaux ou des fournisseurs de services de communications électroniques, aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à leur activité ou aux décisions prises pour en assurer la mise en uvre, et notamment prononcer la suspension ou le retrait des décisions d'attribution de fréquences prises en application de l'article L. 42-1 ;
Sur le litige :
4. Considérant que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a pris, le 12 janvier 2010, une décision autorisant la société Free Mobile à utiliser des fréquences pour établir et exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération (3G) ouvert au public ; que, par cette décision, l'ARCEP a notamment reconnu à Free Mobile, alors nouvel entrant sur le marché, le droit de conclure avec l'un des opérateurs de réseaux de téléphonie mobile de deuxième génération (2G) de son choix un accord d'itinérance métropolitaine pour une durée de six ans à compter de la date de cette décision d'autorisation, afin d'assurer une concurrence effective entre les opérateurs 2G et 3G sur le marché de la téléphonie mobile ; que la société Free Mobile a, sur le fondement de cette décision, conclu un accord d'itinérance avec la société Orange, lequel autorise la société Free Mobile à accéder, moyennant une rémunération, au réseau de téléphonie mobile 2G et 3G de la société Orange jusqu'en 2016 ou 2018 ;
5. Considérant que la société Bouygues Télécom a, le 3 février 2014, adressé au président de l'ARCEP un courrier dans lequel elle demandait à l'Autorité de définir les modalités d'extinction de l'itinérance dont bénéficie la société Free Mobile ; que du silence gardé par l'ARCEP pendant deux mois sur cette demande est née une décision implicite de rejet dont la société Bouygues Télécom demande l'annulation pour excès de pouvoir sous le n° 379579 ; que, par un second courrier adressé au président de l'ARCEP le 5 mai 2014, la société Bouygues Télécom a réitéré cette demande, en demandant, en outre, à l'Autorité d'enjoindre aux sociétés Free Mobile et Orange de réduire le périmètre géographique et la durée de cet accord d'itinérance, tout en insistant sur la nécessité de rétablir une concurrence par les infrastructures sur le marché de la téléphonie mobile ; que l'ARCEP a répondu à ce courrier par une lettre du 22 mai 2014, dans laquelle elle s'est déclarée particulièrement attentive au respect par la société Free Mobile des obligations de couverture définies dans l'autorisation d'établir et d'exploiter un réseau radioélectrique qu'elle lui a délivrée le 22 janvier 2010, puis s'est déclarée incompétente pour définir les modalités d'une extinction progressive de l'itinérance dont bénéficie la société Free Mobile, en précisant qu'une telle extinction ne saurait relever que des parties à l'accord d'itinérance conclu entre les deux sociétés ou, le cas échéant, d'une décision de l'Autorité de la concurrence ; que la société Bouygues Télécom demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de rejet sous le n° 382945 ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions attaquées :
6. Considérant qu'aux termes des dispositions précitées du code des postes et des communications électroniques, il revient à l'ARCEP, au titre de sa mission de contrôle et de régulation, de veiller à l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, ainsi qu'à la promotion, lorsque cela est approprié, d'une concurrence fondée sur les infrastructures ; qu'il revient, par ailleurs, à l'ARCEP d'attribuer les autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, et de fixer les droits et obligations afférents à l'exploitation des différentes catégories de réseaux et de services ; que l'ARCEP est, en outre, compétente pour contrôler le respect par les opérateurs des obligations résultant des dispositions applicables du code des postes et des communications électroniques et des autorisations dont ils bénéficient concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles et peut, le cas échéant, sanctionner les manquements qu'elle constate, notamment en prononçant la suspension ou le retrait des décisions d'autorisation d'utilisation des fréquences radioélectriques qu'elle attribue ; que, par suite, quand bien même elle n'était pas compétente, en l'état du droit alors applicable, pour mettre un terme ou modifier une convention d'itinérance déjà conclue, l'ARCEP, en se bornant, en réponse aux demandes de la société Bouygues Télécom, à se déclarer attentive au respect par la société Free Mobile des obligations de couverture définies dans la décision d'autorisation d'établir et d'exploiter un réseau radioélectrique qu'elle lui a délivrée le 22 janvier 2010, et en refusant, par principe, de réexaminer, au vu de l'évolution de la concurrence entre les opérateurs, les conditions d'accès à l'itinérance dont bénéficiait la société Free, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et, par suite, commis une erreur de droit ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que la société Bouygues Télécom est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle attaque ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;
9. Considérant qu'eu égard aux motifs de la présente décision, l'exécution de celle-ci n'implique pas nécessairement que l'ARCEP définisse, dans un délai maximum de trois mois, les modalités de l'extinction de l'accord d'itinérance conclu entre les sociétés Free Mobile et Orange ; que les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Bouygues Telecom doivent, par suite, être rejetées ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Bouygues Télécom, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardé par l'ARCEP envers la demande que lui a adressée la société Bouygues Télécom le 3 février 2014 ainsi que la décision de l'ARCEP du 22 mai 2014 sont annulées.
Article 2 : L'Etat versera à la société Bouygues Télécom une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Bouygues Télécom est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bouygues Télécom, à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et à la société Free Mobile.
Copie en sera communiquée pour information à la société Orange.