CIV. 1 CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 7 octobre 2015
Cassation partielle sans
renvoi
Mme BATUT, président
Arrêt no 1080 F-P+B+I
Pourvoi no F 14-20.370
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. Z Z.
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 6 mai 2014.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Z Z, domicilié
chez Aty, M. Y, Toulouse,
contre l'ordonnance rendue le 21 mai 2013 par le premier président de la cour d'appel de Toulouse, dans le litige l'opposant au préfet de Haute-Garonne, domicilié Toulouse,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 septembre 2015, où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Gargoullaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bignon, conseiller doyen, Mme Nguyen, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Gargoullaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. Z, l'avis de Mme Valdès-Boulouque, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Vu l'article 88-1 de la Constitution, le Traité sur l'Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes et du principe d'effectivité issu des dispositions des deux autres, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par un premier président, et les pièces de la procédure, que M. Z, de nationalité algérienne, en situation irrégulière en France, a fait l'objet d'une retenue pour vérification de son droit au séjour sur le fondement de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, puis a été placé en rétention administrative par un arrêté du préfet ;
Attendu que, pour prolonger cette mesure, l'ordonnance attaquée retient, par motifs adoptés, que l'appréciation de la conformité de la loi aux conventions internationales, en particulier, au droit de l'Union, ne relève pas de la compétence du juge des libertés et de la détention ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui incombait d'appliquer les dispositions du droit de l'Union, le premier président, méconnaissant l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ;
Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
Attendu que les délais légaux de maintien en rétention étant expirés, il ne reste rien à juger ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare l'appel recevable, l'ordonnance rendue le 21 mai 2013, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Toulouse ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour M. Z.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise ordonnant le maintien de monsieur Z dans les locaux du centre de rétention administrative ;
Aux motifs propres que l'étranger ne pouvant fournir d'élément permettant d'apprécier son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, les policiers ont procédé, après information du procureur de la République, à la prise d'empreintes et consultation du fichier FAED afin de tenter d'établir sa situation ; que ces formalités ont été accomplies dans les conditions prévues par l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que la procédure est parfaitement régulière sur ce point ; que sur les autres points soulevés et évoqués devant le juge des libertés et de la détention, ce magistrat a apporté une réponse juridique précise, pertinente et circonstanciée que la cour adopte intégralement ;
Aux motifs expressément adoptés que l'appréciation de la légalité, de la constitutionnalité et de la conformité aux conventions internationales ne saurait relever de la compétence du juge des libertés et de la détention, surtout lorsqu'il statue dans ses attributions civiles ; qu'en l'espèce, le fait que la loi ne soit pas conforme à la Constitution et aux exigences du droit européen ne saurait être appréciée par le juge des libertés et de la détention ; qu'à titre superfétatoire, la prise d'empreintes digitales obéit à une impérieuse nécessité de déterminer l'identité d'un individu qu'il est impossible de croire sur parole ;
Alors que le juge des libertés et de la détention est tenu de faire application des dispositions résultant du droit de l'Union européenne applicables à la procédure dont la régularité est soumise à son contrôle et d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu'en retenant que la non conformité de la loi avec le droit de l'Union européenne ne peut être appréciée par le juge des libertés et de la détention, le président de la cour d'appel a méconnu l'article 88-1 de la Constitution et le principe d'effectivité issu du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ensemble l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux du droit de l'Union européenne ;
Alors, en tout état de cause, qu'il résulte des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que la collecte et le traitement d'empreintes digitales dans un système informatisé de traitement de données à caractère personnel ne peuvent avoir lieu que sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; que le procureur de la République ne constitue pas une autorité judiciaire au sens des dispositions précitées ; qu'en se bornant à constater que la prise d'empreintes obéit à l'impérieuse nécessité de déterminer l'identité d'un individu sans rechercher, ainsi qu'elle y été invitée (requête d'appel, p. 5), si le droit de l'Union européenne n'imposait pas de laisser inappliquées les dispositions de l'article L.611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en tant qu'elles ne prévoient pas l'intervention d'une autorité autre que le procureur de la République pour contrôler la collecte des empreintes digitales et la consultation des fichiers de données informatisées des empreintes digitales au cours de la retenue administrative, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Charte des droits fondamentaux du droit de l'Union européenne et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise ordonnant le maintien de monsieur Z dans les locaux du centre de rétention administrative ;
Aux motifs expressément adoptés que l'obligation d'informer l'étranger de la possibilité de contester la décision le plaçant en rétention administrative devant le juge administratif dans un délai donné n'est pas mentionnée sur la liste exhaustive des droits devant être notifiés à l'étranger figurant à l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que cette information ayant trait aux actes administratifs, il convient de se déclarer incompétent au profit de la juridiction administrative dès lors que celle-ci sera saisie ;
Alors, d'une part, que l'article 15.2.b. de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en sejour irregulier prévoit, à la charge des États membres, une obligation d'information immédiate des ressortissants étrangers de la possibilité dont ils disposent d'engager un recours contre la décision de placement en rétention administrative ; que ces dispositions, claires, précises et inconditionnelles, applicables à ce titre en droit interne en l'absence même de dispositions législatives, imposent la délivrance d'une telle information lors du placement en rétention administrative ; qu'en retenant qu'aucune obligation d'informer l'étranger de la possibilité de contester la décision le plaçant en rétention administrative devant le juge administratif dans un délai donné n'est mentionnée au sein de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le président de la cour d'appel a méconnu, par fausse application l'article L. 611-1-1 précité et, par refus d'application, l'article 15.2.b. de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en sejour irregulier ;
Alors, d'autre part, que l'information immédiate des ressortissants étrangers de la possibilité dont ils disposent d'engager un recours contre la décision de placement en rétention administrative participe de la régularité de la procédure qui tend à la mise en oeuvre de cette mesure et dont l'examen relève de la compétence du juge judiciaire ; qu'en se déclarant incompétent au profit du juge administratif pour apprécier les conséquences de l'absence d'information immédiate de la possibilité d'engager un recours contre la décision de placement en rétention administrative, le magistrat délégué du premier président de la cour d'appel de Toulouse a violé l'article 15.2.b. de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en sejour irregulier.