COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS le 23/04/2015
Me Laurent ...
SELARL SEBAUX ET ASSOCIÉS
ARRÊT du 23 AVRIL 2015
N° 218 - 15 N° RG 14/01128
DÉCISION ENTREPRISE Jugement du Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 06 Juin 2013
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE - Timbre fiscaL dématérialisé N° 1265144364952943
Madame Sylvie Z épouse Z
née le ..... à BLOIS (41000)
CORMERAY
représentée par Me Laurent LECCIA, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉE - Timbre fiscal dématérialisé N° 1265142515782773
La CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL VAL DE FRANCE
CHARTRES
représentée par Me Yves-André SEBAUX de la SELARL SEBAUX ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de BLOIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du 27 Mars 2014.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du 19 février 2015
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 12 MARS 2015, à 9 heures 30, devant Monsieur Thierry MONGE, Conseiller, par application de l'article 786 du Code de Procédure Civile.
Lors du délibéré
· Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de Chambre,
· Madame Elisabeth HOURS, Conseiller,
· Monsieur Thierry MONGE, Conseiller, qui en a rendu compte à la collégialité.
Greffier
· Madame Anne-Chantal PELLÉ, Greffier lors des débats et du prononcé.
Prononcé le 23 AVRIL 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
EXPOSÉ
Florent ..., qui exploitait en nom personnel un fonds de menuiserie, a été placé en redressement judiciaire le 5 novembre 2009 puis en liquidation judiciaire le 6 mai 2010. La caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France lui ayant consenti divers concours dont son épouse Sylvie née Z était co-emprunteur, a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire puis a mis en demeure Mme ... le 27 avril 2010 de lui régler les sommes exigibles en annonçant son intention de prononcer la déchéance du terme de ses concours à défaut de régularisation. En l'absence de règlements, elle en a prononcé la déchéance du terme le 16 juin 2010 et a fait assigner Mme Z épouse Z, par acte du 14 octobre 2010, en paiement des sommes dues.
Par jugement du 6 juin 2013, rectifié le 30 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Blois -au profit duquel la juridiction consulaire initialement saisie s'était déclarée incompétente par décision du 22 juillet 2011- a rejeté les contestations de Mme ... ainsi que sa demande subsidiaire de délai de grâce et l'a condamnée à payer à la banque
*au titre du prêt de 7.000 euros n°2692 5.152,29 euros avec intérêts à 2,45% l'an
*au titre du prêt de 3.000 euros n°2704 2.304,55 euros avec intérêts à 4,90% l'an
*au titre du prêt de 4.600 euros n°6600 3.430,09 euros avec intérêts à 2,25% l'an
*au titre du prêt de 15.000 euros n°6593 15.975,67 euros avec intérêts à 2,45% l'an
*au titre du prêt de 6.500 euros n°6600 7.339,29 euros avec intérêts à 5,92% l'an
*au titre de l'ouverture de crédit de 3.000 euros 3.312,33 euros avec intérêts à 11% l'an
*au titre du solde débiteur du compte de dépôt 2.508,42 euros outre intérêts au taux légal
en réduisant à néant la clause pénale et en ordonnant la capitalisation des intérêts.
Mme Z épouse Z a relevé appel.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile, ont été déposées
-le 26 juin 2014 par Mme Z épouse Z
-le 25 août 2014 par le Crédit Agricole.
Mme ... demande à la cour de débouter la banque de toutes ses prétentions pour cause de soutien abusif, en faisant valoir que les prêts professionnels sont antérieurs à la création du fonds, et que tous ces concours n'ont fait qu'aggraver une situation déjà délicate.
À titre subsidiaire, elle réclame des dommages et intérêts du montant de sa créance en affirmant que le prêteur a manqué à son devoir de mise en garde et de conseil en n'attirant pas son attention d'emprunteur profane sur le risque d'endettement né de l'octroi de ces divers concours dont la charge du remboursement dépassait la moitié de son revenu, et elle affirme à cet égard qu'elle a ainsi perdu une chance de ne pas s'engager.
Le Crédit Agricole oppose à l'appelante l'article L.650-1 du code de commerce en assurant n'avoir commis ni fraude ou ni immixtion, et n'avoir pas sollicité de garanties disproportionnées aux concours consentis. Il conteste que la situation de M. ... ait été compromise à l'époque de ses concours. Il affirme que Mme ... est un emprunteur averti, à même de comprendre l'incidence de prêts aussi simples, et il estime n'avoir été tenu d'aucun devoir de conseil ou de mise en garde envers elle, en ajoutant aussi qu'il n'existait pas de risque d'endettement car le couple pouvait faire face à ses engagements. Il sollicite la confirmation du jugement déféré sauf à lui accorder la majoration de 5% du taux d'intérêts contractuels sur les sommes autres que l'indemnité contractuelle -qu'il nie être une clause pénale-ainsi que le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Il est référé pour le surplus aux dernières conclusions récapitulatives des parties.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 19 février 2015, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu que l'appelante ne reprend pas en cause d'appel son moyen de première instance tiré d'une irrégularité prétendue de la déclaration de créance faute de délégation régulière ;
* sur le soutien abusif allégué
Attendu que même s'ils ont été souscrits par les deux époux, les concours litigieux sont tous des prêts ou des ouvertures de crédit professionnels accordés au mari, d'abord artisan menuisier puis commerçant à compter du 11 juin 2009 (cf pièce n°9 de l'appelante), pour les besoins de son activité ;
Attendu que M. ... ayant fait l'objet d'un redressement judiciaire ultérieurement converti en liquidation judiciaire, la banque est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L.650-1 du code de commerce, qui sont opposables au co-emprunteur maître de ses biens (cf Cass Com. 17/09/213 P n°12621.871) ;
Et attendu qu'en vertu de ce texte légal, lorsque leur responsabilité est recherchée au titre des concours qu'ils ont accordés, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait de leurs concours, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, que si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs ; qu'il appartient donc à l'emprunteur de démontrer non seulement que le banquier n'a pas normalement satisfait à ses obligations professionnelles de prudence et de diligence, en octroyant sciemment des crédits à une entreprise dont la situation est déjà irrémédiablement compromise ou dont le coût est insupportable pour l'équilibre de la trésorerie et incompatible pour elle avec toute rentabilité, mais encore qu'il se trouve dans l'un des cas de figure énumérés précédemment, l'autorisant à engager son action en responsabilité ;
Attendu que Mme ... ne fait pas cette démonstration et ne produit d'ailleurs quasiment aucune pièce à l'appui de ses affirmations ; qu'il s'avère que les concours consentis le furent à une époque où Florent ... créait son entreprise artisanale avec une subvention de Loir et Cher Initiative, et ils finançaient les frais de constitution, l'acquisition de matériel et d'outillage ainsi que le fonds de roulement ; qu'ensuite, un crédit a financé l'achat d'un véhicule utilitaire remplaçant celui, indispensable, qui était devenu inutilisable ;qu'un prévisionnel avait été fourni (cf pièce n°16 de l'intimée), et cette charge financière était compatible avec les résultats escomptés, puis, pour les concours suivants, avec les premiers résultats dégagés ; que la responsabilité du Crédit Agricole ne peut donc être engagée ;
* sur les sommes dues au Crédit Agricole par Mme ...
Attendu que les sommes allouées par le jugement rectifié sont conformes aux stipulations contractuelles et à l'historique des prêts, et elles ne sont pas contestées en elles-mêmes par Mme ..., fût-ce dans le cadre d'une argumentation simplement subsidiaire ;
Attendu que nonobstant sa motivation sur la clause pénale, le jugement a alloué au Crédit Agricole les sommes que celui-ci sollicitait, y compris l'indemnité contractuelle, sur laquelle il demande à bon droit que les intérêts ne courent qu'au taux légal ;
Que s'agissant des intérêts, ceux alloués par le tribunal l'ont été aux taux effectivement stipulés à chacun des contrats, et la banque n'est pas fondée à prétendre les aggraver chacun de cinq points, alors qu'elle agit non pas pour obtenir des sommes impayées, sur lesquelles les contrats prévoient en effet qu'est dû un intérêt de retard égal au taux du prêt majoré de 5 points, mais en vertu de la déchéance du terme, dont chacun des contrats stipule qu'elle rend exigibles les sommes en capital et intérêts, sans ici aucune clause de majoration de taux ;
Que le jugement, tel qu'il a été rectifié, sera donc confirmé quant aux condamnations qu'il prononce ; * sur le manquement allégué au devoir de mise en garde
Attendu, s'agissant du devoir de mise en garde du prêteur envers l'emprunteur, que la circonstance que Mme Sylvie Z ait été co-empruntrice des fonds litigieux ne suffit pas par elle-même à établir qu'elle fût impliquée dans les affaires de son mari, et il n'est pas justifié qu'elle l'ait effectivement été, alors que seul M. Florent ... s'était immatriculé au registre des métiers puis, à compter de juin 2009, au registre du commerce comme exploitant du fonds de menuiserie et qu'elle-même avait conservé son emploi salarié à plein-temps ; qu'il n'est aucunement démontré qu'elle ait disposé de la moindre expérience des affaires, non plus que des connaissances en matière financière lui permettant d'appréhender, sans difficultés, les chances de remboursement des prêts sollicités, peu important que leurs modalités ne fussent pas complexes ;
Qu'elle doit donc être regardée comme un emprunteur non-averti ;
Attendu qu'un établissement de crédit, avant d'apporter son concours à un tel client, doit en vertu du devoir de mise en garde auquel il est tenu à son égard, l'alerter sur les risques encourus de non-remboursement et ne pas lui accorder un crédit excessif par rapport à ses facultés contributives ;
Attendu que c'est à la banque de prouver qu'elle a satisfait à cette obligation ;
Or attendu que le Crédit Agricole ne rapporte absolument aucun élément à ce titre ;
Et attendu qu'il ressort des explications des parties, et des productions, que Mme ... percevait alors en tout et pour tout un modeste salaire de 1.500 euros et qu'elle a souscrit auprès du Crédit Agricole pas moins de six crédits,
* trois le 26 janvier 2007, pour un total de (7.000 + 3.000 + 4.600) 14.600 euros et des remboursements de (159 + 69 + 105) 333 euros
* deux le 2 février 2008 de (15.000 + 6.500) = 21.500 euros dont les échéances mensuelles s'élevaient à (277 + 125) = 402 euros
* et un le 12 septembre 2008, s'agissant d'une ouverture de crédit en compte courant à durée indéterminée d'un montant maximum de 3.000 euros remboursable au taux effectif global de 12,94% l'an
soit une charge de remboursement correspondant à la moitié de ses revenus au seul titre des cinq prêts sans même tenir compte de l'ouverture de crédit, ce qui excédait ses facultés contributives, particulièrement dans l'hypothèse, survenue, où elle serait seule recherchée en l'état de la déconfiture de l'affaire de son mari ;
Attendu que le préjudice né du manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter, ainsi que l'appelante le fait valoir, et les manquements du Crédit Agricole à l'égard de Mme Z épouse Z ont conduit celle-ci à souscrire des engagements qu'elle n'aurait probablement pas régularisés si la banque avait rempli son obligation, la chance perdue étant forte ;
Qu'elle recevra, en réparation, 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ; Qu'elle est fondée à solliciter la compensation entre les créances respectives ;
Attendu qu'il n'existait aucun motif de refuser au Crédit Agricole le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile en première instance, et le jugement sera réformé à ce titre ;
Attendu qu'eu égard au sens du présent arrêt, chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel, sans indemnité de procédure ;
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme Z épouse Z de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque au devoir de mise en garde et en ce qu'il a refusé au Crédit Agricole le bénéfice de la distraction des dépens
et statuant à nouveau de ces chefs
DIT que la caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France a manqué à son devoir de mise en garde envers Mme Sylvie Z épouse Z
CONDAMNE la caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France à payer à Mme ... 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui cause ces manquements
DÉBOUTE le Crédit Agricole de sa demande au titre de la majoration du taux d'intérêts
ORDONNE la compensation entre les créances respectives
ACCORDE à la caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile pour la première instance
LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens d'appel et DIT n'y avoir lieu à indemnité de procédure.
Arrêt signé par Monsieur Alain ..., président de chambre et Madame Anne-Chantal ..., greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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