CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
382156
Mme A.-B.
Mme Mireille Le Corre, Rapporteur
Mme Suzanne von Coester, Rapporteur public
Séance du 6 mars 2015
Lecture du
27 mars 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 3 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme C.A.-B., demeurant . ; Mme A.-B. demande au Conseil d'Etat de condamner la SCP Potier de la Varde, Buk Lament à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison du dépôt tardif d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, rejeté pour irrecevabilité, et à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et de 572 556, 06 euros au titre du préjudice matériel, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mars 2015, présentée pour Mme A. -B. ;
Vu le code civil ;
Vu l'ordonnance du 10 septembre 1817, notamment son article 13 modifié par le décret n° 2002-76 du 11 janvier 2002 ;
Vu l'avis du 30 avril 2014 du conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de Mme A.-B. et à Me Le Prado, avocat de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament ;
1. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 13 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement, le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre, dans sa rédaction issue du décret du 11 janvier 2002 relatif à la discipline des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation : " (.) Les actions en responsabilité civile professionnelle engagées à l'encontre d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont portées, après avis du conseil de l'ordre, devant le Conseil d'Etat, quand les faits ont trait aux fonctions exercées devant le tribunal des conflits et les juridictions de l'ordre administratif, et devant la Cour de cassation dans les autres cas. (.) " ;
2. Considérant que, par un jugement du 5 février 2008, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de Mme A.-B., agent des transmissions stagiaire de l'Etat, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 novembre 2006 par laquelle le préfet de la zone de défense Est, préfet de la région Lorraine, préfet de Moselle l'a radiée des cadres pour abandon de poste ; que, par un arrêt du 17 novembre 2008, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête de l'intéressée contre ce jugement ; que, par une ordonnance du 1er décembre 2009, le président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a rejeté pour tardiveté le pourvoi de Mme A.-B. dirigé contre cet arrêt ; que l'intéressée soutient qu'en omettant de faire les diligences nécessaires pour que son pourvoi soit formé dans le délai de recours, la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a commis une faute qui lui a fait perdre une chance sérieuse d'obtenir l'annulation de l'arrêt du 17 novembre 2008 de la cour administrative d'appel de Nancy ; qu'elle recherche, sur le fondement des dispositions citées au point 1, la responsabilité civile de son avocat aux fins de réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 2225 du code civil : " L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission " ; que le délai de prescription de cette action en responsabilité, qui est de cinq ans à compter de la fin de la mission de l'avocat, est suspendu par la saisine du conseil de l'ordre et recommence à courir à compter de la notification de l'avis de ce dernier ; que la requête de Mme A.-B. a été présentée conformément à ces règles ;
4. Considérant qu'il n'est pas contesté que la SCP Bachellier, Potier de la Varde, devenue la SCP Potier de la Varde, Buk, Lament, qui a accepté de présenter pour la requérante un pourvoi en cassation tendant à l'annulation de l'arrêt du 17 novembre 2008 mentionné ci-dessus a, ainsi que le soutient la requérante, omis de faire les diligences nécessaires pour que le Conseil d'Etat soit saisi de ce pourvoi dans le délai de recours imparti par le code de justice administrative ; qu'elle a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile à l'égard de Mme A.-B. ;
5. Considérant, toutefois, que Mme A.-B. n'est fondée à demander à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de cette faute que dans la mesure où celle-ci lui aurait fait perdre une chance sérieuse d'obtenir tant la cassation de l'arrêt du 17 novembre 2008 que l'annulation de la décision du 29 novembre 2006 la radiant des cadres pour abandon de poste ;
6. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme A.-B. aurait perdu une chance sérieuse d'obtenir la cassation de cet arrêt, au vu des moyens invoqués dans la présente instance, et tirés, en premier lieu, de ce que la cour a commis une erreur de droit et irrégulièrement statué en ne procédant pas à une analyse complète de ses mémoires, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, en deuxième lieu, a entaché son arrêt d'une erreur de droit et méconnu son office en jugeant que la décision de radiation des cadres était légale alors que la décision, créatrice de droits, la plaçant en congé-maladie n'avait été ni retirée ni abrogée et, en troisième lieu, a insuffisamment motivé son arrêt et dénaturé les pièces du dossier en omettant, d'une part, de se prononcer sur l'attestation qu'elle avait produite établissant qu'elle n'avait pas été auscultée par le médecin lors de la contre-visite effectuée le 16 novembre 2006, d'autre part, de tirer les conséquences d'un nouveau certificat médical en date du 29 novembre 2006 ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la demande de Mme A.-B. en vue de la réparation d'un préjudice matériel ne peut qu'être rejetée ; que, par ailleurs, sa demande en vue de la réparation d'un préjudice moral n'est, en tout état de cause, pas assortie des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requérante tendant à rechercher la responsabilité de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 13 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A.-B. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme C.A.-B. et à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament.
Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice et à l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.