N° D 13-83.407 F P+B N° 608
SM 10 MARS 2015
REJET
M. GUÉRIN président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
- La société Generali, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 4 avril 2013, qui, dans la procédure suivie contre Mme ... ... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 janvier 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale M. Guérin, président, Mme Duval-Arnould, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DUVAL-ARNOULD, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, article 5 de l'ordonnance no 92-1146 du 12 octobre 1992, des articles 7 et 11 de la loi organique no 2004-192 du 27 février 2004, des articles 1 et 2 de l'ordonnance no 59-76 du 7 janvier 1959, du principe de la réparation intégrale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Mme ... à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 3 500 768 francs FCP au titre des charges patronales ;
"aux motifs qu'en matière d'application de la législation nationale en Polynésie française l'ancien article 72 de la Constitution du 27 octobre 1946 disposait que sauf pour la législation criminelle, le régime des libertés publiques et l'obligation politique et administrative, la loi française n'était applicable que par disposition expresse ou extension par décret ; que ce principe n'a pas été modifié par l'article 74 de la Constitution du 4 octobre 1958 dans sa rédaction initiale en vigueur lors de la promulgation de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ; que le statut actuel de la Polynésie française issu de la loi organique du 27 février 2004 prévoit, en son article 7, les domaines de compétence réservés à l'Etat, au rang desquels figurent les statuts de ses agents publics ; que ces statuts sont d'application immédiate, sans nécessité d'une disposition législative ou réglementaire particulière, puisque visant les prérogatives régaliennes comme la défense nationale, le domaine public, la nationalité, l'état et la capacité des personnes, et les relations de l'Etat avec ses agents ; que les autres matières de la compétence de l'Etat, énumérées à l'article 14 de la loi statutaire, nécessitent une disposition spéciale d'extension à la Polynésie française ; qu'en elle-même, l'ordonnance du 7 janvier 1959 n'a prévu aucune extension à la Polynésie française et n'a été publiée que par extraits et à titre d'information au Journal officiel de la Polynésie française du 16 août 1996 ; que ce texte ne concerne pas que les actions récursoires de l'Etat contre des tiers mais également les actions récursoires d'autres collectivités publiques, comme les collectivités locales, les établissements publics à caractère administratif, la Caisse des dépôts et consignations ; que cette ordonnance n'entre pas ainsi dans le domaine prévu par l'article 7 du statut actuel de la Polynésie française, ne concernant pas les pouvoirs régaliens de la puissance publique sur le territoire, ni les statuts de la fonction publique de l'Etat, mais ses actions récursoires en qualité d'employeur de droit public ; qu'elle n'est donc pas applicable localement faute d'une extension législative ; que le régime subrogatoire de l'Etat obéit ainsi, en matière d'accident causé par un véhicule terrestre à moteur, au régime de droit commun instauré non par la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation, mais par l'ordonnance du 12 octobre 1992 portant extension et adaptation notamment à la Polynésie française de certaines dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ; que si les articles 1 à 6 de cette dernière sont rendus applicables localement sans modification concernant les conditions générales du régime d'indemnisation des victimes, le recours des tiers payeurs reste particulier ; que l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 faisant notamment référence à l'ordonnance de 1959 n'est pas repris ainsi que l'a justement relevé le tribunal ; que cependant, selon les articles 3 à 6 de l'ordonnance du 12 octobre 1992, les recours des tiers payeurs s'exercent dans les limites de la part de l'indemnité qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité à caractère personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique ou d'agrément ; que l'employeur est admis à poursuivre directement contre le responsable des dommages ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d'indisponibilité de celle-ci ; qu'hormis les prestations telles que notamment les salaires et accessoires de salaires maintenus par l'employeur pendant la période d'inactivité, aucun versement effectué au profit d'une victime en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation ou son assureur ; qu'il en résulte que ces articles, applicables en Polynésie française en raison de l'énoncé de l'ordonnance, concernent le recours subrogatoire de tout employeur, le permettant et le limitant au droit commun concernant les avantages contractuels ou statutaires dont a pu bénéficier la victime directe ; que ces articles, à défaut de précision contraire et concernant des avantages légaux ou statutaires, alors que la fonction publique obéit à des règles de nature statutaire, sont applicables au recours de l'État et des collectivités publiques ; que le tribunal a ainsi méconnu les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 12 octobre 1992 permettant le remboursement des charges patronales ;
"1o) alors que l'article 5 de l'ordonnance du 12 octobre 1992 " portant extension et adaptation dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis-et-Futuna de certaines dispositions de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ", ratifiée par une loi no 92-1440 du 31 décembre 1992, reproduit l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985, à l'exception de la phrase suivante " Ces dispositions sont applicables à l'État par dérogation aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance no 59-76 du 7 janvier 1959 précitée " ; que partant, le législateur n'a manifestement pas entendu étendre à l'État, en Polynésie française, le bénéfice du recours direct de l'employeur au titre des charges patronales reconnu par l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 ; qu'en décidant que l'article 5 de l'ordonnance du 12 octobre 1992 était applicable au recours de l'État et des collectivités publiques " à défaut de précision contraire ", la cour d'appel a violé ce texte ;
"2o) alors qu'en toute hypothèse, il résulte de l'article 11 de la loi organique no 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d'autonomie de la Polynésie française, que les textes intervenus avant son entrée en vigueur demeurent applicables à moins que, entrant dans le domaine de compétence des autorités polynésiennes, il ne soit décidé leur abrogation ou leur modification ; que l'ordonnance no 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'État et de certaines autres personnes publiques, publiée au Journal officiel de la République française du 8 janvier 1959, et publiée au Journal officiel de la Polynésie française le 16 août 1996, était applicable en Polynésie française à la date de l'accident survenu le 9 octobre 2008 ; qu'en décidant que l'ordonnance no59-76 du 7 janvier 1959 n'était pas applicable " localement ", c'est-à-dire à la Polynésie française, faute d'une extension législative prévue à l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004, tandis que ce texte avait été régulièrement publié, et que, s'agissant d'un texte antérieur à l'entrée en vigueur de cette loi organique, il n'était pas soumis à cet article 7, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu, qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables d'un accident de la circulation survenu en Polynésie française
impliquant un véhicule, assuré auprès de la société Generali Iard dont le conducteur, Mme ..., reconnue coupable de blessures involontaires sur la personne de M. ..., agent de l'Etat, a été déclarée tenue à réparation intégrale, la cour d'appel était saisie de conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat en remboursement des charges patronales acquittées pendant la période d'indisponibilité de la victime ;
Attendu que, pour faire droit à cette demande, l'arrêt attaqué retient que l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat n'est pas applicable en Polynésie française ; qu'il relève, en se fondant sur l'article 74 de la Constitution du 4 octobre 1958 dans sa rédaction en vigueur lors de sa promulgation et sur la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, que cette ordonnance n'entre pas dans le domaine de compétence réservé à l'Etat, qu'elle n'a pas été étendue à ce territoire et qu'elle n'a été publiée que par extraits et à titre d'information au Journal officiel de la Polynésie française du 16 août 1996 ; que les juges en déduisent que l'action subrogatoire de l'Etat s'exerce sur le fondement de l'ordonnance du 12 octobre 1992, portant extension et adaptation notamment dans le territoire de la Polynésie française de certaines dispositions de la loi du 5 juillet 1985 et régissant les recours des tiers-payeurs ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application des textes visés au moyen, dès lors que, d'une part, l'ordonnance du 7 janvier 1959, limitant le recours subrogatoire de l'Etat aux prestations versées, n'était pas applicable en Polynésie française à la date de l'entrée en vigueur de la loi organique du 27 février 2004 et que, d'autre part, en l'absence de disposition spécifique régissant le recours subrogatoire de l'Etat en Polynésie française et de disposition excluant celui-ci du régime de droit commun issu de l'ordonnance du 12 octobre 1992 précitée, ce régime lui est applicable et lui permet, en sa qualité d'employeur, conformément à son article 5, de poursuivre le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d'indisponibilité de celle-ci ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mars deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.