Jurisprudence : CA Paris, 5, 12, 17-06-2025, n° 24/05193, Confirmation

CA Paris, 5, 12, 17-06-2025, n° 24/05193, Confirmation

B5231AKX

Référence

CA Paris, 5, 12, 17-06-2025, n° 24/05193, Confirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/120478356-ca-paris-5-12-17062025-n-2405193-confirmation
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Abstract

Mots-clés : plan de vigilance • devoir de vigilance • mesures du plan exigées • cartographie des risques • prise en compte des parties prenantes .


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 12


ARRÊT DU 17 JUIN 2025


(n° / 2025, 16 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/05193 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJDK3


Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 décembre 2023 -Tribunal Judiciaire de PARIS - RG n° 21/15827



APPELANTE


S.A. LA POSTE, société anonyme, prise en la personne de ses représentant légal, Monsieur [U] [K], domicilié en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 356 000 000,

Dont le siège social est situé [Adresse 3]

[Localité 2]


Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044,

Assistée de Me Bernard CAZENEUVE de la SCP AUGUST & DEBOUZY ET ASSOCIÉS, toque P438, de Me Ophélia CLAUDE et de Me Antonin LEVY de PAUL HASTINGS EUROPE LLP, avocats au barreau de PARIS, toque P177,


INTIMÉE


FÉDÉRATION DES SYNDICATS SOLIDAIRES UNITAIRES ET DÉMOCRATIQUES DES ACTIVITÉS POSTALES ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS (Syndicat SUD PTT), union de syndicats de travailleurs régie par la deuxième partie du livre 1 du code du travail🏛, représentée par [X] [R] en qualité de secrétaire générale, membre du bureau fédéral,

Située [Adresse 1]

[Localité 2]


Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF &ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075,

Assistée de Me Celine GAGEY de l'AARPI PERGAME AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque P301,



COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue le 18 mars 2025, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Nathalie RENARD, présidente de chambre,

Madame Sandrine MOISAN, conseillère,


Qui en ont délibéré.


Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL


ARRÊT :


- Contradictoire


- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.


***



FAITS ET PROCÉDURE:


La SA La Poste forme avec ses filiales le Groupe La Poste, qui comprend 232.700 collaborateurs, dont 22,7% à l'international. Son activité s'organise autour de quatre branches: la branche historique Services-courrier-colis ( 23% du chiffre d'affaires), la branche Geopost spécialisée dans la livraison express de colis en France et à l'étranger (45% du CA), la Banque Postale qui concentre les services financiers du groupe ( 21,1% du CA) et la branche Grand Public et Numérique qui est chargée de la transformation numérique du groupe en vue de la distribution des offres du groupe et du développement des services numériques de confiance via Docaposte.


En 2024, le Groupe La Poste a réalisé un chiffre d'affaires de 34,6 milliards d'euros.


La Poste est soumise aux dispositions de l'article L.225-102-4 du code de commerce (renuméroté L.225-102-1 à compter du 1er janvier 2025) issues de la loi 2017-399 du 27 mars 2017, dite loi vigilance, selon lesquelles 'Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège est situé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établi et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance.', ce plan devant comporter des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi qu'envers l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L.233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.


La Poste a établi et publié sept plans de vigilance depuis 2018, qui ont évolué au fil des ans. Le plan de vigilance objet du présent litige est celui publié le 21 mars 2022 (ci-après le plan de vigilance 2021).


Par courrier du 17 mai 2021, la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunication ( Sud Ptt), invoquant les insuffisances du plan de vigilance 2021, a mis en demeure La Poste de compléter son plan vigilance, à défaut de quoi, elle envisagerait d'éventuelles actions judiciaires en vertu de l'article L.225-102-4 du code de commerce.


Ce courrier demandait à La Poste:


- de compléter son plan de vigilance sur huit points: 1)la cartographie des risques destinée à leur identification, analyse et hiérarchisation, 2)la liste des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, 3) les procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques, 4) le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après concertation avec les organisations syndicales, 5)les actions adaptées d'atténuation des risques et de prévention des atteintes graves à la sécurité et la santé des postiers et sous-traitants en situation de crise sanitaire, dont action spécifique par rapport au Covid 19, 6) les mesures adéquates pour éviter les situations de marchandage et de prêts illicites de main d'oeuvre dans le cadre de la sous-traitance et pour assurer la sécurité des sous-traitants sur site, 7) les mesures adéquates de prévention des risques psycho-sociaux au sein du Groupe, des filiales, des sous-traitants et des fournisseurs, 8) les mesures adéquates de lutte contre le harcèlement.


- de mettre en oeuvre de manière effective des mesures de vigilance relatives à la lutte contre le harcèlement, contre le travail dissimulé et contre la sous-traitance illicite,


- d'établir un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance incluant les ressources affectées et les objectifs poursuivis, notamment les données anonymisées relatives à la cellule de crise et au numéro vert de la cellule psychologique.


Par courrier du 30 juillet 2021, La Poste, après s'être expliquée sur les différents points visés dans la mise en demeure, a répondu que le plan de vigilance défini et mis en oeuvre satisfaisait à l'ensemble des obligations lui incombant en application de l'article L.225-102-4 du code de commerce.


C'est dans ce contexte, que par acte du 22 décembre 2021, la Fédération des syndicats solidaires unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications a fait assigner la SA La Poste devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'injonction sur le fondement de la Loi Vigilance.



Par jugement du 5 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Paris a:


- Enjoint à La Poste:


- de compléter le plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation,


- d'établir des procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques,


- de compléter son plan de vigilance par un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives,


- de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance,


- Débouté le syndicat Sud Ptt de:


- sa demande tendant à intégrer la liste des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie,


- sa demande d'injonction d'établir des mesures de sauvegarde se rapportant: à la prévention du travail dissimulé par les sous-traitants, les situations de marchandage et de prêt illicite de main d'oeuvre dans le cadre de la sous-traitance et pour assurer la sécurité des sous-traitants présents sur site, à la prévention des risques psycho-sociaux au sein du Groupe, des filiales et des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, à la lutte contre le harcèlement,


- sa demande de mise en oeuvre effective des mesures de vigilance en matière de lutte contre le harcèlement, de lutte contre le travail dissimulé, y compris en résiliant immédiatement les contrats conclus avec les sous-traitants ou prestataires ayant recours au travail dissimulé, de lutte contre la sous-traitance illicite,


- Dit n'y avoir lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction de compléter le plan de vigilance,


- Condamné La Poste aux entiers dépens et à payer au syndicat Sud Ptt une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛 et a débouté La Poste de sa propre demande sur ce fondement,


- Rappelé que la décision est exécutoire par provision.



La SA La Poste a relevé appel de cette décision le 8 mars 2024.


Par conclusions n°3 déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 mars 2025, La Poste demande à la cour de:


- déclarer son appel recevable,


- d'infirmer le jugement en ce qu'il lui a enjoint de:


- compléter le plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation,


- établir des procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques,


- compléter son plan de vigilance par un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives,


- publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance.


- et statuant à nouveau, dire n'y avoir lieu à injonction,


- débouter le syndicat Sud Ptt de l'intégralité de ses demandes,


- condamner le syndicat Sud Ptt aux entiers dépens et à lui payer une indemnité procédurale de 10.000 euros.


Dans ses conclusions n°3, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 10 mars 2025, la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunication ( Sud Ptt) demande à la cour de:


- confirmer le jugement en ce qu'il a enjoint à La Poste de:


- compléter le plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation,


- établir des procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques,


- compléter son plan de vigilance par un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives,


- publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance.


- en ce qu'il a condamné La Poste aux entiers dépens et à lui verser une indemnité procédurale de 5.000 euros,


- débouter La Poste de l'intégralité de ses demandes,


- condamner La Poste à lui verser une indemnité de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,


- condamner La Poste aux entiers dépens.


Il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs demandes et moyens.



SUR CE,


L'appel interjeté par la société La Poste porte sur le plan de Vigilance 2021 qu'elle a publié le 21 mars 2022.


L'article L.225-102-4, I du code de commerce (devenu L.225-102-1 à compter du 1er janvier 2025) après avoir défini les critères d'application de la loi vigilance aux entreprises, prévoit que:


'Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.


Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale. Il comprend les mesures suivantes :


1° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;


2° Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;


3° Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;


4° Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;


5° Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d'évaluation de leur efficacité.


Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 225-100.


Un décret en Conseil d'Etat peut compléter les mesures de vigilance prévues aux 1° à 5° du présent article. Il peut préciser les modalités d'élaboration et de mise en œuvre du plan de vigilance, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale'.


- Sur le périmètre de l'appel


Il résulte de l'article 954 du code de procédure civile🏛 que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.


Dans le dispositif de ses dernières écritures, La Poste sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il lui a enjoint de :


' - compléter le plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation,


- établir des procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques,


- compléter son plan de vigilance par un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives,


- publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance'.


- et statuant à nouveau, dire n'y avoir lieu à injonction,


- débouter le syndicat Sud Ptt de l'intégralité de ses demande.


Le syndicat Sud Ptt n'a pas formé d'appel incident, demandant seulement à la cour de confirmer le jugement sur les quatre points précis ayant donné lieu à la délivrance d'une injonction à La Poste, ainsi que sur la condamnation de cette dernière au paiement d'une indemnité procédurale et aux dépens.


Il s'ensuit que la cour n'est saisie que de l'appréciation de la conformité du plan relativement aux mesures numéros 1, 2, 4 et 5 visées à l'article L.225-102-4,I du code de commerce. La cour n'examinera donc pas la conformité du plan avec les mesures n°3 relatives aux actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves, que La Poste discute dans le corps de ses écritures.


- Sur les demandes d'injonction


Il sera liminairement relevé que la directive (UE) 2024/1760⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859, ou Corporate Sustainability Due Diligence Directive, dite directive CS3D, doit être transposée en droit national d'ici le 26 juillet 2026.


Si les obligations qui en résulteront ont vocation à entrer en vigueur entre 2027 et 2029 selon la taille des entreprises concernées et conduiront à une modification de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017🏛, en l'état la directive n'étant pas transposée en droit national, c'est à l'aune de l'article L225-102-4 du code de commerce tel qu'issu de la loi de 2017, que doivent être examinées les demandes d'injonction, étant simplement relevé que conformément au devoir de coopération loyale inscrit à l'article 4 du Traité de l'Union européenne (TUE), les juridictions nationales doivent s'abstenir, dans toute la mesure du possible, d'interpréter le droit interne d'une manière qui risquerait de compromettre sérieusement, après le délai de transposition, la réalisation de l'objectif poursuivi par la directive.


Les points contestés portent principalement sur le niveau de détail et de formalisation attendu du plan de vigilance et du compte rendu de mise en oeuvre effective, ainsi que sur la place accordée à la concertation et à sa définition donnée par le tribunal.


- Sur la cartographie des risques


La première mesure que doit comporter le plan de vigilance est 'Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation.'


Le tribunal a jugé que la cartographie des risques, qui revêt un caractère fondamental dans la mesure où ses résultats conditionnent les étapes ultérieures et donc l'effectivité du plan, n'était pas conforme aux exigences de l'article L.225-102-4 du code de commerce dans le plan de vigilance 2021, en ce qu'elle était réalisée à un très haut niveau de généralité qui ne permettait pas de déterminer si les facteurs de risque précis liés à l'activité engendraient une atteinte aux valeurs protégées et en ce que leur hiérarchisation était réalisée à un niveau particulièrement global.


La Poste conteste ces critiques et expose que:


- son plan vigilance 2021 classe les risques en trois grandes catégories : Droits humains et libertés fondamentales, Santé et sécurité et Environnement, avec des sous-catégories par grand groupe de risque faisant l'objet d'une description propre, tant pour ses activités propres que pour les activités à l'international, qu'il n'y a pas lieu d'alourdir la compréhension du plan avec une présentation plus détaillée, qui n'est exigée ni par la loi vigilance du 27 mars 2017 ni par les principes directeurs de l'ONU, ni par ceux de l'OCDE, qu'une présentation large et générique permet au contraire de s'emparer de toutes les déclinaisons et manifestations du risque, que contrairement à ce que soutient Sud Ptt les obligations de cartographie prévues par la loi vigilance ne peuvent être assimilées ni à celles issues de la loi Sapin II, qui instaure une obligation de prévention contre les faits de corruption et de trafic d'influence, ni aux recommandations de l'Agence française anti-corruption, que l'analogie avec la loi Sapin II se limite à une description générale des piliers composant le dispositif d'ensemble,

- l'article L.225-102-4 du code de commerce n'exige pas de décrire les facteurs de risques, qu'en effet l'identification des facteurs de risque découle de l'analyse du niveau de gravité et de probabilité des risques,


- les facteurs de risques varient en fonction des pays, des activités, des fournisseurs, sous-traitants etc... et qu'exiger une liste de facteurs de risque exposerait la société à révéler au public des informations confidentielles en contradiction avec la limite imposée par le Conseil Constitutionnel,


- la hiérarchisation des risques ne doit pas se faire seulement en fonction de leur gravité, mais aussi à l'aune de la probabilité d'occurrence et que ne prendre en compte que la gravité fausse la cotation des risques,


- en mentionnant la 'concertation' avec les parties prenantes au stade de l'élaboration de la cartographie, le tribunal a ajouté une condition à la loi.


Sud Ptt répond que la cartographie publiée doit détailler les risques concrets propres à l'activité de l'entreprise, les identifier et les hiérarchiser afin de pouvoir prendre des mesures pour prévenir les atteintes et les limiter, cette exigence ressortant du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur la loi relative au devoir de vigilance, et de ce que le législateur s'est inspiré de la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016 et des principes directeurs de l'OCDE.


Il indique que même si la notion de facteurs de risque n'est pas inscrite dans la loi, elle est inhérente à l'identification et à la hiérarchisation des risques, que s'agissant de la probabilité des risques, l'insertion de la probabilité d'occurrence n'a pas été discutée en première instance et n'a pas d'incidence sur le dispositif du jugement déféré, et que s'agissant de la place des parties prenantes dans l'élaboration de la cartographie des risques, le tribunal n'a pas sanctionné la cartographie du plan au motif qu'elle n'aurait pas été établie « en concertation » avec les parties prenantes.


Sur ce la cour:


Il sera liminairement relevé que si le paragraphe I de l'article L.225-102-4 du code de commerce prévoit que les parties prenantes des sociétés ont vocation à être associées à l'élaboration du plan de vigilance et incite ainsi au dialogue et à l'échange, il n'impose pas pour autant au stade de l'établissement de la cartographie des risques une obligation de concertation et, contrairement à ce que soutient l'appelante, les premiers juges n'ont, aux termes du jugement déféré, posé aucune exigence de concertation à ce stade du processus.


Avant d'énumérer les cinq mesures que doit comporter le plan de vigilance, le paragraphe I de l'article L.225-102-4 du code de commerce précise que le plan comporte ' les mesures de vigilance raisonnables propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie'.


Il résulte de ces dispositions que la finalité des mesures contenues dans le plan de vigilance est double puisqu'elles doivent permettre d'identifier les risques liés aux activités des sociétés concernées, comprenant les sous-traitants et les fournisseurs, mais également de prévenir les atteintes graves dans les trois domaines concernés par le devoir de vigilance (les droits humains et les libertés fondamentales/ la santé et la sécurité des personnes/ l'environnement).


L'article L.225-102-4 du code de commerce ne met pas les entreprises concernées en situation de devoir prévenir ou atténuer tous les impacts de leur activité, mais seulement les « risques ou atteintes graves », le critère déterminant étant la « gravité », à l'instar d'ailleurs de ce qui est prévu aux termes du Principe directeur n° 24 de l'ONU selon lequel « Lorsqu'il est nécessaire de conférer aux mesures un rang de priorité pour remédier aux incidences négatives potentielles sur les droits de l'homme, les entreprises devraient commencer par prévenir et atténuer les atteintes les plus graves ou celles auxquelles tout retard d'intervention donnerait un caractère irrémédiable. »


Comme l'ont exactement relevé les premiers juges, la loi du 27 mars 2017 a placé la cartographie des risques au premier rang des mesures à prévoir dans le plan de vigilance d'une entreprise, puisque de celle-ci dépend la détermination des actions à mener pour réduire les risques, prévenir les atteintes graves et mettre en œuvre leur suivi.


Si le contenu de la cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation n'est pas précisément détaillé à l'article L.225-102-4 I 1° du code de commerce, il résulte de ce qui précède qu'elle doit être élaborée en considération du critère déterminant de gravité.


Ainsi, les risques à identifier et à évaluer dans le cadre de cette cartographie sont les risques réels et potentiels impliqués par les activités des sociétés concernées que les entreprises doivent prendre en compte pour cartographier leurs activités, afin de recenser les domaines généraux dans lesquels les incidences négatives sont les plus susceptibles de se produire et d'être les plus graves, puis procéder, sur la base de cette cartographie, à une évaluation approfondie de leurs propres activités, de celles de leurs filiales et de leurs éventuels partenaires commerciaux, dans les domaines dans lesquels les incidences négatives ont été recensées comme étant les plus susceptibles de se produire et les plus graves.


Cette analyse est en phase avec la directive qui prévoit :


-en son article 8 traitant du recensement et de l'évaluation des incidences négatives réelles et potentielles, que les Etats membres veillent à ce que les entreprises prennent des mesures appropriées pour recenser et évaluer les incidences négatives réelles et potentielles découlant de leurs propres activités ou de celles de leurs filiales et partenaires commerciaux,


-et en son article 9 relatif à la hiérarchisation des incidences négatives réelles et potentielles recensées, que lorsqu'il n'est pas possible de prévenir, d'atténuer, de supprimer ou de réduire au minimum toutes les incidences négatives recensées simultanément et dans leur intégralité, les entreprises hiérarchisent les incidences négatives en fonction de leur gravité et de leur probabilité.


La cartographie des risques est traitée au point V du plan de vigilance 2021. Le plan décrit tout d'abord la méthodologie globale d'analyse des risques utilisée, explique avoir utilisé la cartographie des risques bruts sectoriels de l'AFNOR, recensant 118 secteurs d'activités, pour en sélectionner 11 « particulièrement représentatifs de catégorie d'achats à risque ».


Il sera relevé que tant pour les activités du groupe en France et à l'international (1), que pour celles des fournisseurs, prestataires et sous-traitants (2), les risques sont énumérés et décrits en des termes généraux dans chacune des trois catégories visées par L.225-102-4 I (Droits humains et libertés fondamentales/ Santé et sécurité au travail/ Environnement), sans précision sur leur degré de gravité et des facteurs de risque pertinents qui ont permis de les retenir, de sorte qu'il n'en ressort aucune hiérarchisation comme l'exige l'article L.225-102-4 I, 1° du code du commerce.


En outre, aux termes du paragraphe « méthodologie globale d'analyse des risques » il est mentionné que la démarche consiste à:


- 'évaluer les risques potentiels (risques bruts) liés au devoir de vigilance afin d'identifier les risques d'atteintes graves à adresser en priorité', sans aucune référence aux risques réels;


- « identifier les dispositifs de maîtrise des risques mis en place pour couvrir ces risques prioritaires, et les analyser afin d'en évaluer l'efficacité, et ainsi déterminer le risque résiduel (risque net) pour chacun des risques identifiés », de sorte que, comme l'ont relevé les premiers juges, la cartographie des risques prend déjà en compte les mesures qui ne sont prévues que dans un troisième temps (article L.225-102-4 I, 3°) c'est-à-dire au titre des 'actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves'.


Par ailleurs, la cartographie ne fait pas état d'une analyse des risques, mais de leur évolution globale qui est ainsi exposée de façon succincte:


- l'exercice de cartographie réalisé en 2021 n'a pas révélé de changement significatif concernant l'exposition du groupe au risque d'atteinte grave aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité au travail et à l'environnement,


- pour les activités du groupe, le risque net global d'atteintes graves aux droits et libertés fondamentales est bien 'maîtrisé et mineur en France', et 'globalement maîtrisé à l'international'. Le risque net global d'atteintes graves à la santé sécurité au travail est évalué mineur grâce aux dispositifs de maîtrise des risques en France, et globalement maîtrisé à l'international, le risque net global d'atteintes graves à l'environnement demeure mineur en France, et globalement maîtrisé et limité à l'international, La Poste apportant sur ce point quelques précisions en indiquant que le groupe reste vigilant sur ses secteurs d'activité émissifs de GES et de polluants qui font l'objet de pilotages spécifiques et d'actions adaptées notamment à l'international et que le niveau d'exposition global aux risques pour les déchets est faible; 


- pour les activités des fournisseurs, prestataires et sous-traitants: le risque net demeure globalement mineur en France, sauf pour neuf activités qui sont détaillées mais pour lesquelles le niveau de risque n'est pas précisé, étant en outre relevé qu'aucune distinction n'est faite quant aux risques relatifs aux droits humains et libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes et à l'environnement, à l'international les risques relatifs aux libertés fondamentales et droits humains ont été globalement évalués limités, ceux relatifs à la santé et la sécurité au travail ont été globalement estimés comme maîtrisés, et ceux relatifs à l'environnement comme limités.


A plusieurs reprises il est ainsi question de risques maîtrisés, sans aucune précision sur leur degré de gravité.


Si la loi n'exige pas que le plan communique sur l'ensemble des risques, en revanche, il doit dans cette première étape essentielle mettre en évidence les risques qui présentent le niveau le plus élevé par le biais d'une cartographie qui les identifie, les analyse et les hiérarchise et ce, distinctement et indépendamment des mesures mises en œuvre, ce qui peut être fait de façon synthétique mais néanmoins précise.


La cartographie du plan de vigilance 2021 se caractérise par un trop haut niveau de généralité pour répondre à cet objectif.


En conséquence c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que l'étape initiale de cartographie des risques du plan de de vigilance 2021 n'était pas conforme aux exigences de l'article L.225-102-4 du code de commerce et ont fait droit à la demande d'injonction de la fédération Sud Ptt tendant à compléter le plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation.


- Sur les procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risque.


Les procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques, constituent la deuxième mesure qui, aux termes de l'article L.225-102-4 doit être développée dans le plan de vigilance.


Le tribunal a considéré que si le plan de vigilance 2021 énumérait les procédures concrètes d'évaluation, en particulier tournées vers ses fournisseurs et sous-traitants en combinant une évaluation externalisée, un contrôle opérationnel interne et un système automatisé de contrôle documentaire, ainsi qu'une action prioritaire d'évaluation à l'égard de la catégorie d'achat prioritaire (secteur transport, livraison, logistique), cette cartographie ne présente ni les facteurs précis de risque, ni leur hiérarchisation, de sorte que le plan ne permet pas réellement de mesurer si la stratégie d'évaluation des risques est conforme à la gravité des atteintes.


La Poste soutient que le tribunal a procédé sur ce point à une appréciation excessivement formaliste, contraire à la loi vigilance, alors qu'elle a veillé à mettre en place des outils d'évaluation de ses sous-traitants et fournisseurs en trois phases: une première phase d'auto-déclaration réalisée en ligne par les fournisseurs et sous-traitants au moyen d'un questionnaire, suivie d'un audit documentaire à distance réalisé par un expert évaluateur de l'AFNOR pour les fournisseurs et sous-traitants dont la note d'auto-évaluation n'est pas satisfaisante ou qui relèvent d'un examen prioritaire compte tenu de la cartographie des risques et enfin un audit sur site de ces mêmes fournisseurs et sous-traitants qui ont fait l'objet d'un audit documentaire.


Sud Ptt réplique que les procédures d'évaluation ne sont pas faites au regard des risques identifiés dans la cartographie, cette insuffisance découlant de la lacune initiale de la cartographie des risques déjà exposée.


Sur ce la cour:


Si La Poste décrit dans son plan de vigilance un mécanisme de contrôle de ses fournisseurs et sous-traitants en trois phases consistant en un questionnaire à remplir par ceux-ci, un audit documentaire réalisé à distance par un expert évaluateur de l'Afnor, puis des audits sur site, il n'en demeure pas moins que cette procédure d'évaluation ne peut être considérée comme conforme aux dispositions précédemment rappelées à défaut d'identification, d'analyse et de hiérarchisation des risques les plus graves dans la cartographie des risques du plan de vigilance 2021.


Comme l'ont justement relevé les premiers juges, dans le paragraphe 4 intitulé « dispositifs d'évaluation et de contrôle opérationnels » du chapitre VI relatif « aux mesures de prévention et d'atténuation des risques » du plan de vigilances 2021, La Poste cite un exemple de contrôles des activités réalisées sur site par les sous-traitants déployés par la branche Services-Courriers-Colis qui consiste en une vérification des permis de conduire des chauffeurs et leur niveau d'alcoolémie, alors que la cartographie des risques relative aux fournisseurs, prestataires et sous-traitants en France mentionne de façon générale le risque lié aux « accidents du travail (défaut d'équipement de protection et équipements des salariés) » sans aucune précision sur le risque particulier lié aux infractions au code de la sécurité routière commises par les chauffeurs. De même, si la cartographie des risques mentionne le risque lié au « travail des enfants » et au « travail forcé », celui lié au travail illégal, qui est distinct, n'est pas identifié alors qu'il résulte des éléments de procédure que ce risque est prégnant.


En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a enjoint à la société La Poste d'établir des procédure d'évaluation des sous-traitants précis et identifiés par la cartographie des risques.


- Sur la concertation avec les organisations syndicales dans le cadre du mécanisme d'alerte.


Le plan de vigilance doit comporter, au titre des mesures n°4, 'Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société'.


La Poste soutient, que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a bien satisfait à son obligation de concertation avec les organisations syndicales représentatives. Elle fait valoir que:


- la notion de concertation au sens de la loi vigilance, issue d'un amendement (n°18) déposé le 25 novembre 2016, n'exige pas une décision de concert, ni une coopération avec les organisations syndicales et que le niveau de concertation exigé par le tribunal ne correspond ni à l'intention du législateur, ni à la Directive vigilance qui prévoit simplement que les organisations syndicales sont informées de la procédure d'alerte, ni aux principes directeurs qui invitent à des échanges constructifs et donc des obligations mutuelles de bonne foi pour participer au processus de concertation sur le dispositif d'alerte,


- que cette concertation a eu lieu entre 2019 et 2022 au moyen de deux canaux principaux d'alerte: 1/ un canal d'alerte éthique destiné aux collaborateurs de La Poste en place depuis 2011, géré par un prestataire externe WhistleB, 2/ un canal d'alerte spécifique vigilance depuis 2019 pour les salariés des fournisseurs et des sous-traitants, également géré par WhistleB, et qu'il a été exigé de ses fournisseurs et sous-traitants qu'ils informent leurs collaborateurs de l'existence de ce dispositif,


- qu'en outre, le déploiement et les évolutions du dispositif d'alerte éthique ont fait l'objet d'une concertation annuelle dans le cadre de la Commission de dialogue social de la Poste (CDSP) qui est l'organe de dialogue spécifique à La Poste, chaque année une CDSP étant dédiée au plan de vigilance.


Sud Ptt réplique que la concertation exigée ne se réduit pas à une consultation pour information et à un simple avis, mais implique un dialogue préalable pour en négocier le contenu, de manière à permettre de construire de manière concertée un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements, qu'en l'occurrence, les réunions de CDSP des 25 juillet 2019, 11 février 2021 et 14 février 2022 ont uniquement consisté en des présentations de visuels (support power point) sur le devoir de vigilance, que le dispositif d'alerte a été brièvement décrit sans appel à la concertation et semble avoir abouti, selon le DEU, à une actualisation de l'interface Whistle B, et, concernant le plan de vigilance 2021, qu'une seule réunion de présentation d'un visuel a eu lieu le 11 février 2021, quelques semaines avant sa publication, accompagné d'informations très générales et succinctes, le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements étant déjà finalisé.


Sur ce,


Si avant d'énoncer les mesures que doit comporter le plan de vigilance, l'article L.225-102-4 I du code de commerce indique que « Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société », il précise en revanche, s'agissant spécifiquement de la 4ème mesure, que le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements est établi « en concertation » avec les organisations syndicales et représentatives, parties prenantes précisément identifiées.


L'élaboration en concertation, diffère d'une simple consultation sur un projet prédéfini, et suppose une transmission d'éléments d'information et un échange de points de vue et de propositions sur la rédaction du contenu et la mise en œuvre du mécanisme à établir, en vue, et donc en amont, de son élaboration.


Il incombe à La Poste d'établir qu'elle a mis en place un dialogue avec les organisations syndicales sur ce mécanisme d'alerte et de recueil des signalements, préalablement à son élaboration.


La Poste justifie avoir envoyé des courriels d'invitation pour les CDSP du 19 juillet 2019, du 11 février 2021, et du 14 février 2022, celle de 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, ainsi que de l'envoi de dossiers support le 4 février 2021 et le 10 février 2022, notamment au représentant de la fédération Sud Ptt, en vue des réunions de la CDSP sur le « devoir de vigilance ».


Il n'est pas indiqué dans ces courriels que le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements, visé par l'article L.225-102-4 I, 4° du code du commerce, sera établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives.


Concernant le plan de vigilance 2021, le support visuel transmis pour la réunion du 11 février 2021 présente un « dispositif d'alerte collaborateurs ouvert depuis 2011» et un « dispositif d'alerte fournisseurs ouvert depuis 2019» sous forme de schémas, comportant peu d'informations.


Aucun compte rendu des réunions n'étant versé aux débats, la teneur des échanges avec Sud Ptt n'est pas connue. L'allégation de La Poste, selon laquelle aucun compte-rendu n'a été réclamé et n'était obligatoire, est inopérante dès lors qu'il appartient à celle-ci de démontrer qu'elle a initié et permis une discussion sur le mécanisme d'alerte à élaborer, étant observé qu'aux termes d'une première mise en demeure, datée du 9 juillet 2020, Sud Ptt avait expressément demandé une concertation sur ce mécanisme d'alerte et de recueil des signalements prévu par la loi sur le devoir de vigilance, manifestant ainsi clairement son intérêt à ce sujet.


Si la communication par La Poste des documents qu'elle avait elle-même établis en vue d'une réunion du CDSP à laquelle participait Sud Ptt, permet de considérer qu'il a pu exister une consultation sur le dispositif d'alerte, ces éléments n'établissent pas en revanche que le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements figurant dans les documents transmis a été établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives au sens de l'article L.225-102-4 I, 4° du code de commerce.


La société La Poste ne démontrant pas avoir mis en place un dialogue avec les organisations syndicales préalablement à l'élaboration du mécanisme d'alerte et de recueil des signalements, le jugement sera confirmé en ce qu'il a enjoint à La Poste de compléter son plan de vigilance par un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société.


- Sur la publication d'un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance


La 5ème et dernière mesure que doit comporter le plan de vigilance concerne 'Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité'.


Le tribunal a relevé que le dispositif de suivi de la mise en oeuvre du plan de vigilance se présente sous forme d'un tableau d'indicateurs chiffrés complété par une courte analyse générale des tendances, qui présente succinctement et de manière aléatoire certaines mesures comprises dans le plan avec une analyse centrée seulement sur deux sujets spécifiques, que si certaines mesures donnent lieu à des bilans séparés (bilan de l'activité de la ligne d'écoute et de soutien psychologique devant la Commission nationale santé sécurité au travail) le compte-rendu du plan de vigilance n'y fait pas référence, de sorte qu'il ne permet pas de mesurer utilement l'efficacité des mesures prises, ni de servir de bilan pour orienter l'action en matière de vigilance.


La Poste soutient qu'il n'existe ni dans la loi vigilance, ni dans les principes directeurs de précision sur la forme que doit revêtir le compte rendu de mise en oeuvre du plan de vigilance, d'où une liberté de présentation, et que seules sont exigées les données concernant les atteintes graves. Elle souligne que le chapitre IX de son plan comporte des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, un mécanisme d'auto-évaluation des fournisseurs, un mécanisme de contrôle documentaire et des audits sur les fournisseurs, ainsi que des vérifications par des organismes spécialisés, externes et indépendants tels que Moodys, CDP et Ecovadis, qui permettent de rendre compte du suivi de la mise en oeuvre du plan.


Sud Ptt répond que le compte rendu est lacunaire, en ce qu'il se contente de fournir quelques indicateurs sociaux et environnementaux pour le groupe et, s'agissant des fournisseurs et sous-traitants, de fournir le taux de couverture par une 'clause vigilance' et le nombre de contrôles et d'audits effectués, sans faire le lien entre les risques identifiés et les mesures mises en oeuvre. Il affirme que le choix des indicateurs devant figurer dans le compte-rendu ne peut être laissé à la discrétion de La Poste, sans faire le moindre le lien avec les mesures de vigilance mises en oeuvre, les différentes obligations du plan de vigilance formant un tout cohérent et qu'elles ne sauraient être détachées les unes des autres, de sorte que le compte-rendu sur la mise en oeuvre découle de l'obligation première d'établir une cartographie des risques.


Le plan de vigilance 2021 comprend en dernier lieu un chapitre IX intitulé « Compte rendu de mise en œuvre effective : indicateurs de performance » relatif aux années 2020 et 2021, divisé en quatre sous-parties: a) Synthèse des indicateurs sociaux, b) Synthèse des indicateurs environnementaux, c) Synthèse des indicateurs fournisseurs, d) les indicateurs relatifs au dispositif d'alerte.


Dans la « synthèse des indicateurs sociaux » figurent des chiffres et pourcentages relatifs à la répartition hommes/femmes en termes d'effectif (sans autre précision), le nombre d'accords nationaux signés, filiales incluses, du taux « d'absentéisme maladie », du taux de fréquence des accidents de travail avec arrêt et sans arrêt, à la part des femmes au sein du Comité du management et à l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes.


Dans la « synthèse des indicateurs environnementaux », sont indiqués les chiffres relatifs, aux consommations énergétiques, à l'empreinte carbone, à l'intensité (gaz à effet de serre/CA consolidé), au parc de véhicules électriques, aux émissions d'oxyde d'azote, d'émissions de particules, de monoxyde de carbone, de NO+HC, à la part des kilomètres parcourus par la flotte gérée par Véhiposte.


La  synthèse des indicateurs fournisseurs mentionne quant à elle les chiffres relatifs au taux de couverture de la 'clause Vigilance', au nombre de fournisseurs informés du dispositif d'évaluation, au nombre d'auto-évaluations réalisées, d'audit documentaires et autres réalisés.


Le paragraphe relatif aux «indicateurs relatifs au dispositif d'alerte », indique le nombre de saisines du dispositif d'alerte éthique 'collaborateur' et 'externe'.


Le compte-rendu met in fine l'accent sur l'efficacité de la politique de La Poste en faveur de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (52,6% de femmes au sein de la société La Poste SA, 52% de femmes dans l'encadrement et 39,7% parmi les cadres stratégiques et dirigeants), sur les bons résultats de l'index de l'égalité entre les femmes et les hommes, sur la progression du taux d'emploi des personnes en situation de handicap et sur la reconnaissance du très haut niveau d'engagement de La Poste en termes d'enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux, son classement au 1er rang mondial pour la troisième année consécutive par l'agence Vigeo Eiris ainsi que son inscription sur la Liste A du CDP (Carbon Disclosure Project).


Si la loi ne donne aucune précision quant à la forme du compte rendu de la mise en œuvre effective du plan de vigilance, il n'en demeure pas moins que son contenu doit être le reflet de ce qui est attendu du plan de vigilance et en lien étroit avec les mesures du plan qui le précédent.


Or, le chapitre IX du plan de vigilance 2021 fait essentiellement état d'indicateurs choisis par la société La Poste qui révèlent une évolution dans certains domaines (égalité homme/femme, absentéisme maladie, accident du travail etc') , mais ne donne aucune explication sur la mise en œuvre et les effets des mesures de vigilance prévues par le plan propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, alors que ces sujets sont au centre du devoir de vigilance des entreprises. Il ne peut donc être considéré que ce compte-rendu porte sur la mise en œuvre effective du plan.


C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a jugé que ce compte-rendu ne permettait pas de servir de bilan utile pour orienter l'action en matière de vigilance et qu'il y avait lieu d'enjoindre à La Poste de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance. Le jugement sera confirmé de ce chef également.


- Sur les dépens et les frais irrépétibles


La Poste, qui succombe, doit être tenue aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel, avec recouvrement direct au profit de Maître Fertier de la SELARL JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Eu égard à la solution donnée au litige le jugement sera confirmé sur ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile, La Poste étant en outre condamnée à payer à la fédération Sud Ptt une indemnité de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.



PAR CES MOTIFS,


La cour,


Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,


Y ajoutant,


Condamne la société la SA La Poste aux dépens d'appel avec recouvrement au profit Maître Fertier de la SELARL JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


Condamne la société la SA La Poste à payer à la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunication (Sud Ptt) la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.


Liselotte FENOUIL


Greffière


Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT


Présidente

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