TA Nancy, du 27-05-2025, n° 2301660
B5431AEU
Référence
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 mai et 5 juillet 2023, 27 novembre 2024 et 4 janvier 2025, Mme D G, représentée par Me Mine, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 4 avril 2023 par laquelle la préfète des Vosges n'a pas fait droit à sa demande de reconnaissance de congé pour invalidité temporaire imputable au service ;
2°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de reconnaître l'imputabilité au service de son accident du 15 novembre 2022 et des arrêts maladies subséquents dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de ce jugement et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de tirer toutes les conséquences de cette reconnaissance, s'agissant notamment de ses droits au congé et rappel de rémunération ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un vice de procédure au regard de l'article L. 135-6 du code général de la fonction publique ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle a fait une demande de reconnaissance d'accident de service dès le 25 novembre 2022 puis le 1er décembre 2022, et non le 9 décembre 2022 ; le délai de quinze jours ne lui est pas opposable dès lors qu'elle était hors d'état de transmettre la déclaration d'accident de service et qu'elle se trouvait en incapacité temporaire de travail ;
- elle est entachée d'une inexacte application de l'article L. 822-22 du code général de la fonction publique et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'accident du 15 novembre 2022 est imputable au service ;
- les témoignages produits ne sont pas conformes à l'article 202 du code de procédure civile🏛 et doivent donc être écartés ;
- elle est entachée d'erreur de fait dès lors que M. A ne lui adressait aucune note écrite, qu'il l'a poursuivie jusque dans le bureau de son adjointe pour la menacer et l'insulter et qu'elle n'a pas commis de manquement professionnel.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 juillet et 23 décembre 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête.
Elle sollicite une substitution de motifs, la décision aurait légalement pu être fondée sur la circonstance que l'échange du 15 novembre 2022 ne caractérise pas une action soudaine et violente et soutient que les moyens soulevés par Mme G ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986🏛 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bastian, conseiller,
- les conclusions de Mme Cabecas, rapporteure publique,
- les observations de Me Mine, avocat de Mme G et de M. C, représentant la préfète des Vosges.
1. Mme G, cheffe de bureau à la direction départementale des territoires des Vosges, a été placée en arrêt de travail à compter du 15 novembre 2022, après un échange avec le chef adjoint du service de l'urbanisme et de l'habitat. Elle a demandé à être placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service. Par une décision du 4 avril 2023, dont Mme G demande l'annulation, la préfète des Vosges n'a pas fait droit à sa demande de reconnaissance de congé pour invalidité temporaire imputable au service.
Sur les moyens de légalité externe :
2. En premier lieu, par un arrêté du 21 novembre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour, la préfète des Vosges a donné délégation de signature à M. F E, directeur départemental des territoires des Vosges, à l'effet de signer dans le cadre de ses attributions et compétences, les décisions relatives à l'octroi, à l'ensemble des fonctionnaires titulaires ou stagiaires, de congés pour accident de service ou de maladie professionnelle. Une telle délégation n'est pas subordonnée à l'absence de la préfète. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 135-6 du code général de la fonction publique : " Les employeurs publics mentionnés à l'article L. 2 mettent en place un dispositif ayant pour objet de recueillir les signalements des agents qui s'estiment victimes d'atteintes volontaires à leur intégrité physique, d'un acte de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel, d'agissements sexistes, de menaces ou de tout autre acte d'intimidation et de les orienter vers les autorités compétentes en matière d'accompagnement, de soutien et de protection des victimes et de traitement des faits signalés. / Ce dispositif permet également de recueillir les signalements de témoins de tels agissements. "
4. Les dispositions citées au point précédent, qui sont relatives à la mise en place d'un dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d'agissements sexistes prévoyant une procédure d'orientation vers les autorités compétentes, ne constituent pas un préalable obligatoire à l'instruction par l'autorité administrative d'une demande de placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service et à sa décision sur une telle demande. Dès lors, le moyen tiré de leur méconnaissance est inopérant et doit être écarté pour ce motif.
5. En troisième lieu, et alors qu'il ne ressort en tout état de cause pas des pièces du dossier que Mme G aurait sollicité la protection fonctionnelle, l'absence de mesure de protection fonctionnelle est sans incidence sur la décision en litige.
Sur le motif tiré de la tardiveté de sa demande de congé pour invalidité temporaire imputable au service :
6. En premier lieu, il ressort d'une part d'un courriel envoyé le 25 novembre 2022 par Mme G que celle-ci a transmis, à cette date, un arrêt de travail ainsi qu'un certificat médical justificatif à son administration. Toutefois, il ne ressort pas de ce courriel qu'elle aurait également transmis une déclaration d'accident de service. D'autre part, si Mme G soutient qu'elle a déposé le formulaire de déclaration d'accident de service à la préfecture le 1er décembre 2022, la seule mention de cette date apposée manuscritement par ses soins sur l'enveloppe ne permet pas d'attester de cette date de dépôt alors, au contraire, que le tampon de la préfecture a été apposé le 9 décembre 2022. Mme G n'apporte à ce titre aucune pièce de nature à étayer les allégations selon lesquelles cette réception tardive par les services de la préfecture résulterait d'un dysfonctionnement du service en charge du courrier. Par suite, en relevant que Mme G a transmis sa déclaration d'accident de service le 9 décembre 2022, la préfète des Vosges n'a pas entaché sa décision d'erreur de fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 47-2 du décret du 14 mars 1986🏛 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Pour obtenir un congé pour invalidité temporaire imputable au service, le fonctionnaire, ou son ayant-droit, adresse par tout moyen à son administration une déclaration d'accident de service, d'accident de trajet ou de maladie professionnelle accompagnée des pièces nécessaires pour établir ses droits. / La déclaration comporte : / 1° Un formulaire précisant les circonstances de l'accident ou de la maladie. Un formulaire type est mis en ligne sur le site internet du ministère chargé de la fonction publique et communiqué par l'administration à l'agent à sa demande ; / 2° Un certificat médical indiquant la nature et le siège des lésions résultant de l'accident ou de la maladie ainsi que, s'il y a lieu, la durée probable de l'incapacité de travail en découlant. " Aux termes de l'article 47-3 de ce décret : " I.-La déclaration d'accident de service ou de trajet prévue à l'article 47-2 est adressée à l'administration dans le délai de quinze jours à compter de la date de l'accident. / Ce délai n'est pas opposable à l'agent lorsque le certificat médical prévu au 2° de l'article 47-2 est établi dans le délai de deux ans à compter de la date de l'accident. Dans ce cas, le délai de déclaration est de quinze jours à compter de la date de cette constatation médicale. () IV.-Lorsque les délais prévus aux I et II ne sont pas respectés, la demande de l'agent est rejetée. "
8. Si Mme G soutient qu'elle se trouvait hors d'état de respecter le délai de quinze jours pour adresser une déclaration d'accident de service permettant d'être placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service, elle ne produit en tout état de cause aucune pièce permettant d'étayer de telles allégations alors, au demeurant, qu'elle a bien transmis à son employeur, le 25 novembre 2022, le certificat médical. En outre, il ne résulte d'aucun principe ni d'aucune disposition que les délais mentionnés au point précédent ne s'appliqueraient pas lorsque le fonctionnaire est en incapacité temporaire de travail. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
Sur le motif tiré de l'absence d'imputabilité au service :
9. Aux termes de l'article L. 822-21 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à : / 1° Un accident reconnu imputable au service tel qu'il est défini à l'article L. 822-18 ; () ". Aux termes de l'article L. 822-18 de ce code : " Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. "
10. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce. Par ailleurs, un accident de service est un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.
11. Il est constant que le 15 novembre 2022 M. A, chef de service adjoint, s'est rendu dans le bureau de l'adjointe de Mme G pour venir à la rencontre de cette dernière. Si celle-ci soutient que M. A l'a insultée et menacée, elle ne produit aucune autre pièce que les observations qu'elle a elle-même apportées au registre de santé et de sécurité au travail et les certificats médicaux relatant ses propres explications. Au contraire, la préfète des Vosges produit un compte-rendu d'entretien avec Mme B, adjointe de Mme G et témoin directe, qui a relaté que M. A avait " haussé le ton " et " dit quelque chose de directif ", mais ne mentionne aucune insulte ou menace à l'égard de Mme G. Contrairement à ce que soutient Mme G, il ressort en outre des pièces du dossier que M. A était adjoint au chef de service urbanisme et habitat, au sein duquel se trouve le bureau du logement social et de l'accessibilité dirigé par Mme G, et exerçait donc une relation hiérarchique. Dès lors, il n'est pas établi que l'entretien du 15 novembre 2022 aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dans ces conditions, Mme G n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige serait entachée d'une inexacte application de l'article L. 822-21 du code général de la fonction publique.
Sur le motif tiré des fautes personnelles de Mme G :
12. Le motif tiré de ce que Mme G aurait commis une faute personnelle susceptible de détacher l'accident du service présente un caractère surabondant et il résulte de ce qui précède que les deux autres motifs suffisent à fonder la décision attaquée.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 4 avril 2023 par laquelle la préfète des Vosges n'a pas fait droit à sa demande de reconnaissance de congé pour invalidité temporaire imputable au service. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La requête de Mme G est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme D G et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera adressée, pour information, à la préfète des Vosges.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Bourjol, première conseillère,
- M. Bastian, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.
Le rapporteur,
P. Bastian
La présidente,
A. Samson-Dye
La greffière,
L. Bourger
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Article, 202, CPC Décret, 86-442, 14-03-1986 Article, 47-2, décret, 14-03-1986 Arrêté, 21-11-2022 Reconnaissance de l'imputabilité Délai à compter de la notification du jugement Incapacité temporaire Erreur d'appréciation Substitution de motifs Moyens de légalité externe Acte administratif Directeur Signature des décisions Maladie professionnelle Intégrité physique Instruction administrative Instruction de la demande Moyen inopérant Protection Tardiveté d'une demande Certificat médical Préfecture Conditions d'aptitude physique Régime des congés Fonctionnaire Accident de trajet Établissement des droits Délai de déclaration Caractère d'un accident de service Imputabilité au service Événements survenus Pouvoir hiérarchique Sanction disciplinaire Entretien Logements sociaux Caractère surabondant