Jurisprudence : TA Paris, du 10-01-2025, n° 2218174


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2218174

5e Section
lecture du 10 janvier 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 août 2022 et 3 juillet 2024, M. A B, représenté par la Selarl MDMH, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 14 juin 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission de recours des militaires réceptionné le 1er février 2022 contre sa décision du 1er décembre 2021 portant inscription au tableau d'avancement pour l'année 2022 (armée active) ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de l'inscrire au grade de lieutenant-colonel sur le tableau d'avancement pour l'année 2022 à compter du 1er janvier 2022 et de le rétablir sans délai et sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans l'ensemble de ses fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont il aurait été privé par les effets de la décision annulée, notamment de reconstituer sa carrière en lui attribuant l'ancienneté et l'indice de solde correspondants et les arriérés de solde en découlant ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'une erreur de fait dès lors que le syndrome d'épuisement professionnel dont il souffre est en lien direct avec la dégradation de ses conditions de travail, qu'aucun état antérieur ou une autre circonstance particulière ne pouvait lui être opposé afin d'exclure le lien présumé de sa pathologie avec le service ; il remplissait donc les conditions statutaires pour candidater à l'avancement au choix pour le grade de lieutenant-colonel en application de l'article L. 4138-12 du code de la défense🏛 ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation particulière en l'absence d'appréciation de ses mérites ; eu égard à son absence d'activité professionnelle pendant deux ans et à l'absence d'évaluation professionnelle au titre de l'année 2020 la comparaison des mérites effectuée par l'administration dans son mémoire en défense est erronée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- à titre principal, le tableau d'avancement des officiers du corps technique et administratif de la gendarmerie nationale au grade de lieutenant-colonel étant indivisible, les conclusions de la requête de M. B, uniquement dirigées contre sa non-inscription à ce tableau et non contre l'ensemble du tableau, sont irrecevables ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2012-1456 du 24 décembre 2012🏛 portant statut particulier des officiers du corps technique et administratif de la gendarmerie nationale ;

- l'arrêté du 23 novembre 2020 fixant les taux de promotion dans les corps militaires de la gendarmerie nationale pour les années 2021 et 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Medjahed, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Degand, rapporteur public ;

- et les observations de M. B.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, officier du corps technique et administratif de la gendarmerie nationale depuis le 1er janvier 2011 et au grade de commandant depuis le 1er mai 2017, a été placé en congé de longue durée pour maladie non imputable au service pour une durée de six mois à compter du 1er novembre 2020 par une décision du ministre de l'intérieur du 12 octobre 2020. Constatant qu'il n'était pas inscrit au tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel pour l'année 2022, il a présenté un recours devant la commission de recours des militaires réceptionné le 1er février 2022 contre la décision du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 1er décembre 2021 portant inscription au tableau d'avancement pour l'année 2022 (armée active). Par une décision du 14 juin 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours. Par la présente requête, M. B demande au tribunal l'annulation de cette décision du 14 juin 2022.

Sur la fin de non-recevoir :

2. Lorsqu'un tableau d'avancement comporte un nombre maximum d'agents, il présente un caractère indivisible. Des conclusions d'un agent tendant à l'annulation de ce tableau en tant qu'il n'y figure pas sont donc irrecevables.

3. Il résulte des dispositions du I de l'article L. 4136-4 du code de la défense🏛, des articles 18 et 20-1 du décret du 24 décembre 2012🏛🏛 portant statut particulier des officiers du corps technique et administratif de la gendarmerie nationale et de l'article 2 de l'arrêté du 23 novembre 2020🏛 fixant les taux de promotion dans les corps militaires de la gendarmerie nationale pour les années 2021 et 2022 que le nombre de commandants qui peuvent être promus au grade de lieutenant-colonel est limité et que le tableau d'avancement contesté comporte le nombre maximum d'officiers pouvant être promus. Les conclusions à fin d'annulation de M. B sont dirigées contre la décision du 14 juin 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires dans lequel il a contesté ce tableau d'avancement dans son ensemble et non pas seulement en tant qu'il n'a pas été promu au grade de lieutenant-colonel, ainsi qu'il résulte de l'objet indiqué au début de ce courrier. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur en défense selon laquelle la requête de M. B est irrecevable au motif qu'il demande l'annulation du tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel au titre de l'année 2022 en tant que son nom n'y figure pas alors qu'il s'agit d'un acte indivisible, doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 4138-12 du code de la défense : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie (), pour les affections dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. / Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite🏛, ce congé est d'une durée maximale de huit ans. Le militaire perçoit, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant cinq ans, puis une rémunération réduite de moitié les trois années qui suivent. / () / Le militaire placé en congé de longue durée pour maladie continue de figurer sur la liste d'ancienneté, concourt pour l'avancement à l'ancienneté, et dans les cas visés au deuxième alinéa du présent article, pour l'avancement au choix. Le temps passé en congé est pris en compte pour l'avancement et pour les droits à pension de retraite. / () ". Aux termes du I de l'article L. 4136-4 du même code : " Les statuts particuliers fixent : / 1° Les conditions requises pour être promu au grade supérieur ; / 2° Les proportions respectives et les modalités de l'avancement à la fois au choix et à l'ancienneté, pour les corps et dans les grades concernés ; / 3° Les conditions d'application de l'avancement au choix. / () ". Aux termes de l'article 18 du décret du 24 décembre 2012 portant statut particulier des officiers du corps technique et administratif de la gendarmerie nationale : " Les promotions au grade de lieutenant ont lieu à l'ancienneté. Les autres promotions ont lieu au choix ". Enfin, l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984🏛 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si cette dernière a été prononcée en application de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983🏛 portant droits et obligations des fonctionnaires ainsi que du deuxième alinéa des 2° et 3° de l'article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984🏛 précitée. / () ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'un commandant qui bénéficie d'un congé de longue durée pour maladie ne peut pas être promu au grade de lieutenant-colonel lorsque son affection ne survient pas du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou lorsque ses infirmités ne résultent pas de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes.

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 4138-47 du code de la défense🏛 : " Le congé de longue durée pour maladie est la situation du militaire, qui est placé, au terme de ses droits à congé de maladie, dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions pour l'une des affections suivantes : / () / 3° Troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ainsi que le traitement sont incompatibles avec le service ". Aux termes de l'article R. 4138-48 du même code : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, sur demande ou d'office, dans les conditions fixées à l'article L. 4138-12, par décision du ministre de la défense () sur le fondement d'un certificat médical établi par un médecin ou un chirurgien des hôpitaux des armées, par périodes de trois à six mois renouvelables ". Enfin, aux termes de l'article R. 4138-49 dudit code : " La décision mentionnée à l'article R. 4138-48 précise si l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie est survenue ou non du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions (). / Lorsqu'il est établi que l'origine de l'affection du militaire placé en congé de longue durée pour maladie diffère de celle initialement retenue, la décision mentionnée au premier alinéa est modifiée ".

7. Une maladie contractée par un militaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

8. Par une décision du 12 octobre 2020, le ministre de l'intérieur a placé M. B en congé de longue durée pour maladie sans imputabilité au service à compter du 1er novembre 2020 pour une durée de six mois. Ce congé a ensuite été régulièrement renouvelé. Il ressort des termes de la décision attaquée du 14 juin 2022 que M. B n'a pas été admis à concourir pour l'avancement au choix au grade de lieutenant-colonel au titre de l'année 2022 au motif que sa pathologie est étrangère à l'exercice de ses fonctions et, par suite, qu'il ne remplit pas les conditions statutaires de l'article L. 4138-12 du code de la défense pour candidater à un avancement au choix dans ce grade.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. B a été affecté, dans la branche " ressources humaines/informatique ", au poste de chef de section " Agorha gestion " du service des ressources humaines de la direction générale de la gendarmerie nationale à compter du 1er août 2016 puis de chef de la section " Aghora statistiques et infocentre du BAEQ " à compter du 25 août 2018. Il ressort des écritures non contestées en défense que, dans le cadre de ces fonctions, il a dû faire face à un accroissement de sa charge de travail aggravé par la réduction conséquente des effectifs de sa section avec un passage de cinq agents en août 2018 à quatre en mai 2019 en raison d'une absence pour maladie puis à deux en juillet 2019 en raison de mouvements de personnels entre les sections. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'une attestation délivrée le 21 décembre 2020 par un psychiatre du centre du burn out et d'une attestation de prise en charge dans ce centre du 15 décembre 2020, que M. B souffre d'un syndrome d'épuisement professionnel ou burn out pour lequel il est suivi depuis le 25 février 2020. Ces attestations sont corroborées par un courrier d'un médecin du centre médical des armées adressé le 1er octobre 2021 à l'attention d'un psychiatre de l'hôpital d'instruction des armées de Percy dans le cadre d'une éventuelle prolongation de son congé de longue durée aux termes duquel il indique que M. B souffre d'un " syndrome anxiodépressif secondaire à un burn out " et qu'il présente une anxiété liée à la naissance prochaine de son deuxième enfant et à son travail. Le ministre de l'intérieur ne produit aucune pièce de nature à contredire ces constatations médicales. En revanche, les échanges de courriels versés au dossier par M. B ne permettent pas de caractériser des relations de travail tendues, malveillantes ou anormales à son encontre de la part de sa hiérarchie, de ses collègues, des agents sous sa responsabilité en qualité de chef de section ou des responsables des autres services de la direction générale de la gendarmerie nationale. Toutefois, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, alors même que la pathologie de M. B a été en partie aggravée par des évènements de sa vie privée, ses conditions de travail doivent être regardées comme ayant été de nature à entraîner la pathologie qu'il présente, sans qu'il ne ressorte des pièces du dossier qu'un fait personnel ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de cette pathologie au service. Dans ces conditions, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'affection dont il souffre et ses fonctions est établie. Par suite, sans qu'il soit besoin de caractériser une volonté délibérée de l'administration de lui nuire, sa maladie doit être regardée comme imputable au service. Dès lors, M. B remplissant les conditions pour concourir à l'avancement au choix au grade de lieutenant-colonel pour l'année 2022 en application des dispositions de l'article L. 4138-12 du code de la défense, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision du 14 juin 2022 d'illégalité.

10. Toutefois, dans son mémoire en défense enregistré le 22 mai 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que sa décision est légalement justifiée par le motif, autre que celui qu'il avait initialement opposé au requérant, que M. B n'avait pas vocation à être inscrit sur le tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel pour l'année 2022 après comparaison de ses mérites à ceux des deux derniers inscrits sur ce tableau. Le ministre doit être regardé comme demandant au juge de procéder à la substitution de ce motif au motif initial retenu. Cependant, il ne peut utilement procéder à la comparaison des mérites de M. B avec les autres candidats promus sans tenir compte, comme il le fait, des difficultés auxquelles celui-ci a été confronté durant la période de référence et de sa manière de servir durant la période antérieure. Par suite, ce motif ne saurait légalement fonder la décision attaquée.

11. Il résulte de ce qui précède que la décision du ministre de l'intérieur du 14 juin 2022 rejetant le recours administratif préalable obligatoire présenté par M. B ainsi que, par voie de conséquence, le tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel pour l'année 2022 doivent être annulés.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

12. L'annulation d'une décision établissant un tableau d'avancement pour une année donnée est sans effet sur les nominations prononcées sur son fondement dès lors qu'elles sont devenues définitives, faute d'avoir été contestées dans le délai de recours contentieux. Dans ces conditions, l'annulation du tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel pour l'année 2022 n'implique pas nécessairement que M. B soit inscrit au tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel mais seulement que le ministre de l'intérieur réexamine sa candidature, en la comparant aux mérites des candidats non retenus, et, dans l'hypothèse où ses mérites lui apparaîtraient supérieurs à ceux de ces autres militaires, qu'il apprécie, en tenant compte du nombre de nominations susceptibles d'être encore prononcées au titre de l'année 2022, si son inscription au tableau est possible. Par suite, il y a seulement lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 14 juin 2022 et le tableau d'avancement au grade de lieutenant-colonel pour l'année 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder, selon les modalités fixées au point 12 du présent jugement, au réexamen de la demande de M. B tendant à son inscription au grade de lieutenant-colonel au tableau d'avancement pour l'année 2022 dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L'Etat versera à M. B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Aubert, présidente,

M. Julinet, premier conseiller,

M. Medjahed, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.

Le rapporteur,

N. MEDJAHED

La présidente,

S. AUBERT La greffière,

A. LOUART

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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