Jurisprudence : TA Nancy, du 22-04-2025, n° 2302285


Références

Tribunal Administratif de Nancy

N° 2302285

Chambre 1
lecture du 22 avril 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 juillet 2023, 21 mars et 9 août 2024, M. C D, représenté par Me Bégel, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le maire de la commune de Frizon a accordé à M. A un permis de construire un bâtiment de stockage, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Frizon et de M. A une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- la décision méconnaît les dispositions des articles R. 431-7 à R. 431-10 du code de l'urbanisme🏛🏛 ;

- la décision méconnaît les dispositions des articles UA1, UA10 et UA11 du plan local d'urbanisme de la commune de Frizon.

Par des mémoires en défense enregistrés les 19 février et 29 octobre 2024, la commune de Frizon, représentée par Me Géhin, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce qu'il soit fait application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme🏛 ;

3°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. D en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. D ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 juillet 2024, M. A, représenté par Me Keyser, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. D en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grandjean, rapporteure,

- les conclusions de M. Gottlieb, rapporteur public,

- les observations de Me Bégel, représentant M. D,

- les observations de Me Géhin, représentant la commune de Frizon,

- et les observations de Me Keyser, représentant M. A.

Connaissance prise de la note en délibéré présentée pour la commune de Frizon et enregistrée le 25 mars 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 3 février 2023, le maire de la commune de Frizon (Vosges) a accordé à M. A un permis de construire un hangar à destination de stockage de fourrage au lieu-dit Dumont et les Châteaux, situé en zone UA (centre ancien) du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune à l'emplacement d'une ancienne ferme détruite par un incendie. M. D a adressé le 31 mars 2023 un recours gracieux contre cet arrêté au maire de la commune de Frizon qui a fait l'objet d'un rejet implicite. Par la requête susvisée, M. D sollicite l'annulation de l'arrêté du 3 février 2023 et de la décision de rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article UA1 du PLU de la commune de Frizon, portant sur les " occupations et utilisations du sol interdites " : " 1.1. Les constructions suivantes : / () / les constructions à usage agricole, industriel et forestier / () ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le projet autorisé par l'arrêté du 3 février 2023, qui s'implante au lieu-dit Dumont et les Châteaux situé en zone UA de la commune, est un hangar de stockage de fourrage et est donc destiné à un usage agricole. Eu égard aux dispositions précitées de l'article UA1 du PLU, le requérant est fondé à soutenir que le maire de la commune de Frizon ne pouvait légalement accorder un permis de construire en vue de l'édification d'un tel bâtiment.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article UA11 du PLU : " peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Aux termes du sous-article 11.1 : " Les constructions nouvelles, les aménagements et les extensions des bâtiments doivent présenter un volume et un aspect satisfaisants permettant une bonne intégration dans le site dans lequel il s'inscrit, et notamment avec la végétation et les constructions voisines existantes qui sont implantées. Le rythme des façades doit s'harmoniser avec celui des bâtiments contigus ou proches. Les accroches aux constructions limitrophes doivent être particulièrement étudiées. / Les extensions, les constructions annexes, les pignons apparents, les façades latérales et postérieures doivent être traitées avec le même soin que les bâtiments principaux. / Lors de rénovations, les matériaux traditionnels ou naturels mis en œuvre seront privilégiés, afin de conserver au bâti son authenticité dans l'environnement dans lequel il se situe. En façade principale, les fenêtres, les volets et les portes d'entrée seront conservés ou devront être restaurés ou remplacés en respectant les proportions existantes. / Les couleurs apparentes (façade, pignons et toitures) devront respecter les tons et les usages des constructions traditionnelles de la région et privilégier des tonalités harmonieuses. / Est interdit l'emploi à nu de matériaux destinés à être recouverts (parpaings, briques) ".

5. Il résulte de ces dispositions que pour apprécier si un projet de construction porte atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

6. Le projet en litige est situé dans un environnement naturel ouvert et arboré, à proximité de l'allée des Marronniers et aux abords immédiats, d'une part, d'une demeure, dite " le château ", repérée sur le règlement graphique du PLU comme un élément remarquable du patrimoine bâti de la commune, construite en pierres enduites d'un ton clair et couverte d'un toit en tuiles en terre cuite de couleur rouge, d'autre part, d'une tour carrée également de facture ancienne. Eu égard à l'emplacement du projet en litige, en co-visibilité, depuis la voie publique, de ces deux constructions historiques, à son implantation en milieu de parcelle, à son aspect extérieur et aux matériaux utilisés, le hangar projeté porte atteinte au caractère des lieux avoisinants. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir qu'en autorisant la construction du projet en litige, le maire de la commune de Frizon a commis une erreur manifeste d'appréciation.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme🏛 : " Lorsqu'un bâtiment régulièrement édifié vient à être détruit ou démoli, sa reconstruction à l'identique est autorisée dans un délai de dix ans nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement ".

8. Les défendeurs font valoir qu'une ancienne ferme, démolie à la suite d'un sinistre subi en 2019, se trouvait antérieurement sur le terrain d'assiette du projet et que le projet pouvait dès lors être autorisé en application des dispositions précitées de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme.

9. Il ressort des dispositions précitées de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme que le droit de reconstruire un bâtiment détruit ou démoli n'a pas un caractère absolu dès lors que tant le plan local d'urbanisme qu'une carte communale peuvent y faire échec par des dispositions spéciales relatives à la reconstruction.

10. Aux termes de l'article UA2 du PLU portant sur les " occupations et utilisation du sol soumises à des conditions particulières " : " 2.1 Les constructions suivantes : / () / Les constructions à l'identique après sinistre à condition que le projet respecte les dispositions réglementaires du présent PLU / () ". Il résulte de ces dispositions que, bien qu'elles autorisent la reconstruction à l'identique après sinistre, la condition à laquelle elles soumettent une telle reconstruction revient à interdire toute construction qui ne respecte pas les dispositions réglementaires du PLU, parmi lesquelles figurent celles, posées à l'article UA1 citées au point 2 ci-dessus, interdisant l'implantation de construction à usage agricole en zone UA. Ainsi, elles présentent le caractère de dispositions spéciales et expresses interdisant la reconstruction à l'identique de bâtiments détruits ou démolis depuis moins de dix ans sauf à respecter les dispositions du PLU.

11. En l'espèce, s'il est constant qu'une ancienne ferme, démolie à la suite d'un sinistre subi en 2019, se trouvait antérieurement sur le terrain d'assiette du projet, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les dispositions de l'article UA1 du PLU s'opposent à l'implantation en zone UA du hangar de stockage de fourrage envisagé.

12. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la ferme de type ferme lorraine, dont il ne ressort en outre pas des pièces du dossier qu'elle n'était qu'à usage agricole, antérieurement présente sur la parcelle du projet était implantée, sur deux de ses façades, en limite séparative, occupait une emprise au sol de 450 m² et présentait une hauteur de 11,20 mètres au faîtage et 6,20 mètres à l'égout du toit, enfin, était construite en pierres et disposait d'un toit de tuiles en terre cuite. Le dossier de demande de permis de construire fait quant à lui état d'un hangar implanté à 4 mètres de ses limites séparatives sud et ouest, d'une surface de 360 m², présentant une hauteur de 7,65 mètres au faîtage et 5,75 mètres à l'égout du toit, aux murs en blocs de béton agglomérés partiellement recouverts d'un bardage en bois et dont la couverture est en bac acier de couleur brun rouge, enfin, dont les ouvertures sont sensiblement différentes tant dans leur aspect que dans leur disposition. Dans ces conditions, les défendeurs ne peuvent sérieusement soutenir que le projet contesté consisterait en une reconstruction à l'identique de la ferme traditionnelle sinistrée.

13. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme🏛, aucun autre moyen n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de l'arrêté du 3 février 2023.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

14. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".

15. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

16. La régularisation du vice entachant l'arrêté attaqué, relevé aux points 3 et 6 du présent jugement, impliquerait de substituer au hangar de stockage de fourrage envisagé une ferme de type lorrain, apportant ainsi au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même. Par suite, il ne peut être fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1 précitées du code de l'urbanisme et l'arrêté du 3 février 2023 doit être annulé, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision.

Sur les frais de l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Frizon et M. A demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la seule commune de Frizon une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er :L'arrêté du 3 février 2023🏛 du maire de la commune de Frizon accordant à M. A un permis de construire un bâtiment de stockage est annulé, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. D.

Article 2 : La commune de Frizon versera à M. D une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Frizon et de M. A présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C D, à la commune de Frizon et à M. B A.

Copie en sera adressée, en application de l'article R. 751-10 du code de justice administrative🏛, au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Epinal.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2025, à laquelle siégeaient :

M. Coudert, président,

Mme Grandjean, première conseillère,

Mme Jouguet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 avril 2025.

La rapporteure,

G. Grandjean Le président,

B. Coudert

La greffière,

A. Mathieu

La République mande et ordonne à la préfète des Vosges en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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