TA Bordeaux, du 28-03-2025, n° 2501623
A31700E7
Référence
Mots clés : commande publique • redressement judiciaire • exclusion du marché • poursuite d'activité • mise en concurrence Doit être déclarée irrecevable la candidature d'une entreprise en situation de redressement judiciaire, qui ne présente ni plan de redressement, ni autorisation à exercer ses activités durant la durée d'exécution du marché public.
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 et 27 mars 2025, la société Les Fils de Madame A, représentée par Me Laroche, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛 ;
1°) d'annuler la procédure de passation du marché public d'assistance pour l'exploitation du marché municipal du Cap-Ferret (entretien et encaissement des droits de place) pour les années 2025-2026 au stade de l'analyse des candidatures ;
2°) d'enjoindre à la commune de réexaminer sa candidature et son offre ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Lège Cap-Ferret le versement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Les sociétés soutiennent que :
- le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société attributaire, la société Lombard et Guérin Gestion et qu'elle ne bénéficie pas d'un plan de redressement judiciaire ; la période durant laquelle cette dernière a été autorisée à poursuivre son activité doit expirer le 14 juillet 2025 et ne couvre pas la durée prévisible d'exécution du marché qui doit courir a minima jusqu'au 4 janvier 2026 ; il appartenait à la commune de Lège-Cap-Ferret de déclarer sa candidature irrecevable en application de l'article L. 2141-3 du code de la commande publique🏛 ;
- le choix d'une offre présentée par un candidat irrégulièrement retenu est susceptible de l'avoir lésée dès lors que son offre a été classée deuxième à l'issue du jugement des offres.
Par un mémoire enregistré le 25 mars 2025, la commune de Lège Cap-Ferret, représentée par la Selarl HMS Atlantique Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société requérante le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que si la société attributaire est actuellement placée en redressement judiciaire, la période d'observation de six mois a été renouvelée jusqu'au 14 juillet 2025 par un jugement du tribunal des activités économiques de Nanterre du 14 janvier 2025 au regard de sa capacité à poursuivre son activité ; ce renouvellement témoigne d'une viabilité économique qui ne pourrait être que consolidée par l'exécution du marché en cause ; aucun élément objectif ne l'a amenée à considérer que la société attributaire pourrait être dans l'incapacité d'exécuter le marché jusqu'à son terme, le 4 janvier 2026 ; aucune raison ne lui permettait de penser qu'elle n'obtiendrait pas une nouvelle prolongation de la période d'observation de six mois supplémentaires.
Par un mémoire enregistré le 26 mars 2025, la SAS Lombard et Guérin Gestion, la Selarl AJRS et la Selarl C. Basse, représentées par Me Fourmon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les termes de l'article L. 2141-3 du code de la commande publique sont larges et ne mentionnent pas expressément que la justification de l'habilitation à poursuivre les activités pendant la durée prévisible d'exécution du marché serait uniquement réduite à la preuve, apportée lors de la période de dépôt des candidatures et des offres, que la période d'observation couvre cette période d'exécution ; lorsque la justification est apportée au regard de la période d'observation applicable, cette justification doit être appréciée au regard de l'ensemble des informations disponibles sur la procédure collective en cause, y compris postérieurement à la procédure de passation ;
- Maître Martinat, administrateur judiciaire de la société Lombard et Guérin Gestion, apporte des précisions quant à l'activité de la société permettant d'attester qu'elle sera en mesure d'assurer son activité pendant la durée d'exécution du marché ; ainsi, à la fin de la période d'observation, soit un plan de redressement sera adopté en juillet 2025, soit la période d'observation sera à nouveau renouvelée de six mois jusqu'au 17 janvier 2026 afin de finaliser le plan de redressement, comme le permet l'article L. 631-7 du code de commerce🏛 ; le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'offre de la société attributaire manque en fait.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Gay, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique du jeudi 27 mars 2025 à 14h30, ont été entendus, en présence de Mme Souris, greffière :
- le rapport de Mme Gay, juge des référés ;
- les observations de Me Laroche représentant la société Les Fils de Madame A, qui confirme ses écritures ;
- les observations de Me Cazcarra, représentant la commune de Lège Cap-Ferret, qui confirme ses écritures ;
- les observations de Me Delapalme, représentant la SAS Lombard et Guérin Gestion, la Selarl AJRS et la Selarl C. Basse, qui confirme ses écritures.
La parole a été donnée en dernier lieu aux défendeurs et la clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. D'une part, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code🏛 : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". L'article L. 551-3 du même code🏛 dispose que : " Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ". En vertu des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
2. D'autre part, aux termes de l'article L. 2141-3 du code de la commande publique : " Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes : () / 3° Admises à la procédure de redressement judiciaire instituée par l'article L. 631-1 du code de commerce🏛 ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger, qui ne bénéficient pas d'un plan de redressement ou qui ne justifient pas avoir été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d'exécution du marché ".
3. En premier lieu, la commune de Lège-Cap-Ferret a lancé, selon la procédure adaptée, une consultation, en vue de l'attribution d'un marché ayant pour objet l'assistance pour l'exploitation du marché municipal du Cap-Ferret (entretien et encaissement des droits de place) pour les années 2025 et 2026. Le 10 mars 2025, la commune informait la société Les fils de Madame A du rejet de son offre, classée deuxième et de l'attribution du marché à la société Lombard et Guérin Gestion. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 17 juillet 2024, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de cette dernière et a fixé à six mois la durée de la période d'observation. Cette période d'observation initiale a été renouvelée pour une durée complémentaire de six mois par un jugement du 14 janvier 2025 du tribunal des activités économiques de Nanterre, soit jusqu'au 17 juillet 2025. Par ailleurs, il ressort notamment du courrier du 25 mars 2025 de Me Martinat, administrateur judiciaire de la société Lombard et Guérin Gestion qu'un plan de plan de redressement est en cours d'élaboration. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le délai d'exécution des prestations du marché en cause, pour la période initiale, court du 2 avril 2025 jusqu'au 4 janvier 2026. Ainsi, la société Lombard et Guérin Gestion, admise à la procédure de redressement judiciaire instituée par l'article L. 631-1 du code de commerce, ne bénéficiait pas, le 27 janvier 2025, à la date de remise des offres, ni au demeurant à la date de la présente ordonnance, d'un plan de redressement et ne justifiait pas davantage avoir été habilitée à poursuivre ses activités pendant la durée prévisible d'exécution du marché ayant pour objet l'assistance pour l'exploitation du marché municipal du Cap-Ferret (entretien et encaissement des droits de place) pour les années 2025 et 2026. Par suite, la société Les fils de Madame A est fondée à soutenir que la commune de Lège Cap-Ferret a manqué à ses obligations de mise en concurrence en déclarant recevable la candidature de la société Lombard et Guérin Gestion.
4. En second lieu, ni la recevabilité de la candidature de la société Les fils de Madame A, ni le caractère approprié, régulier et acceptable de son offre ne sont contestés. Le choix d'une offre présentée par un candidat irrégulièrement retenu est dès lors susceptible de l'avoir lésée, quel qu'ait été son propre rang de classement à l'issue du jugement des offres.
5. Il résulte de ce qui précède que le société Les fils de Madame A est fondée à demander l'annulation de la procédure à compter de l'examen des candidatures.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Les fils de Madame A, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la commune de Lège Cap-Ferret et par les sociétés Lombard et Guérin Gestion, AJRS et C. Basse, au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lège Cap-Ferret une somme de 1 500 euros à verser à la société Les fils de Madame A sur le fondement des mêmes dispositions.
Article 1er : La procédure engagée par la commune de Lège Cap-Ferret pour l'attribution du marché d'assistance pour l'exploitation du marché municipal du Cap-Ferret (entretien et encaissement des droits de place) pour la période 2025 et 2026 est annulée à compter de l'examen des candidatures.
Article 2 : La commune de Lège Cap-Ferret versera à la société Les fils de Madame A une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à société Les fils de Madame A, à la commune de Lège Cap-Ferret et à la SAS Lombard et Guérin Gestion, la Selarl AJRS et la Selarl C. Basse.
Fait à Bordeaux, le 28 mars 2025.
La juge des référés,
N. Gay La greffière,
E. Souris
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N°2501592
Article, L631-1, C. com. Article, L631-7, C. com. Article, L551-1, CJA Redressement judiciaire Durée d'exécution Candidat retenu Activité réduite Preuves apportées Informations disponibles Procédure collective Plan de redressement Pouvoirs adjudicateurs Prestation de service Intérêt public Dernier ressort Entreprise concurrente Droit étranger Obligation de mise en concurrence