TA Melun, du 18-03-2025, n° 2502809
A68320CZ
Référence
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées le 27 février, le 3 et le
10 mars 2025, Mme D C, représentée par Me Bouboutou, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 27 novembre 2024 par lequel le maire de la commune de Villejuif a refusé de la titulariser, a mis fin à son stage et l'a radiée des cadres du personnel de la commune ;
2°) d'enjoindre au maire de la commune de Villejuif, à titre principal de la titulariser à titre provisoire à partir du 1er janvier 2025, avec des aménagements spécifiques, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 250 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa demande de titularisation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Villejuif une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- la condition tenant à l'urgence est présumée remplie dès lors que la décision en litige a pour conséquence de priver un agent public de la totalité de sa rémunération, et alors en outre que France Travail a refusé de lui allouer une allocation d'aide au retour à l'emploi ;
- son foyer ne dispose plus que de la seule rémunération de son conjoint alors que leur famille est composée de quatre enfants, dont deux sont à leur charge, alors qu'ils doivent faire face à d'importantes charges incompressibles ;
- l'arrêté litigieux a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire, applicable dès lors que les faits sur lesquels il se fonde sont susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ;
- elle avait droit à la communication de son dossier et à être informée de son droit à l'assistance d'une défense de son choix, en vertu des dispositions de l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique ;
- cet arrêté est entaché d'un vice de procédure, faute de respect de la procédure préalable au licenciement intervenant en cours de stage, qui aurait dû prendre fin le 31 décembre 2024 ;
- la saisine de la commission administrative paritaire est irrégulière, à défaut d'établir le respect des délais réglementaires pour sa convocation alors que son avis mentionne une saisine hors délai ;
- l'arrêté en litige est constitutif d'un licenciement déguisé intervenu en cours de stage, dès lors que le refus de titularisation n'entre pas dans les cas susceptibles d'entraîner une radiation des cadres, applicable aux seuls agents publics titulaires ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, alors que l'arrêté est fondé sur deux rapports établis par Mme A, qui n'était plus sa supérieure hiérarchique ;
- ces rapports sont dépourvus d'objectivité, Mme A ayant préconisé un refus de titularisation dès le mois de janvier 2024, alors que sa période de stage avait débuté depuis trois mois et que les faits qui lui sont reprochés s'arrêtent au 12 janvier 2024 ;
- elle souffre de vives douleurs à l'épaule et au coude gauches depuis son accident de service, ayant justifié que des aménagements soient préconisés par plusieurs expertises médicales ;
- elle a été affectée dès sa reprise au grand nettoyage des établissements scolaires de la commune, en totale contre-indication avec le rapport médical de reprise, et elle n'a bénéficié d'aucun aménagement de poste avant le mois de février 2024 ;
- l'ensemble de ses absences a été justifié par des certificats médicaux ;
- affectée en janvier 2024 sur un poste permettant d'assurer des remplacements dans les différentes écoles communales, elle a exprimé le souhait d'une affectation fixe au sein de l'école Simone Veil pour des raisons médicales ;
- le seul reproche formulé dans l'exercice de ses missions porte sur la mission de nettoyage des locaux alors que les fonctions des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles incluent de nombreuses autres missions, et que les difficultés rencontrées trouvent leur origine dans des raisons médicales.
La requête a été communiquée le 27 février 2025 à la commune de Villejuif qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu :
- la requête enregistrée le 27 février 2025 sous le n° 2502815 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 92-850 du 28 août 1992🏛 ;
- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992🏛 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme Letort, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référés, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 11 mars 2025 à 14h00, ont été entendus :
- le rapport de Mme Letort ;
- et les observations de Me Leplat, substituant Me Bouboutou, représentant
Mme C, présente, qui soutient en outre que l'arrêté litigieux a eu pour conséquence de lui faire perdre tout revenu, en l'absence de perception de l'aide au retour à l'emploi, qu'un refus de titularisation doit être justifié par l'insuffisance professionnelle ou la manière de servir de l'agent, sur la base d'un cumul d'éléments factuels diversifiés, alors qu'aucun fait ne lui a été reproché de janvier à août 2024, qu'elle a été obligée de signer un rapport portant sur une évaluation qui n'a pas eu lieu, que le motif tiré d'absences injustifiées manque en fait puisqu'elles sont toutes intervenues avant janvier 2024, ont été de courte durée et justifiées par des raisons médicales, que sa manière de servir ne peut justifier la décision en litige alors qu'elle a donné pleine satisfaction sur l'ensemble des missions d'ATSEM, fonction qu'elle exerce depuis des années, tandis que sa condition médicale s'opposait à la réalisation des tâches de ménage, qu'elle souhaite travailler et qu'il soit simplement tenu compte de cette condition médicale, par exemple en remplaçant le ménage par de l'animation pendant les petites vacances.
La commune de Villejuif n'était ni présente ni représentée.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Mme C, qui exerçait les fonctions d'agente territoriale spécialisée des écoles maternelles vacataire depuis 2012, a été recrutée en cette qualité par la commune de Villejuif en décembre 2017. Nommée agente stagiaire au sein du service scolaire/ Secteur bâtiments scolaires à partir du 1er avril 2021, la requérante a présenté sa démission et a été radiée des cadres par une décision du 22 septembre 2021. Mme C a ensuite été de nouveau nommée agente stagiaire, pour une durée d'un an à compter du
18 octobre 2021, par un arrêté du 13 octobre 2021. En conséquence de l'interruption de ce stage par un accident de service, intervenu le 18 janvier 2022, le maire a placé Mme C en stage à compter du 2 septembre 2023 pour une nouvelle période d'un an. Toutefois, le
2 septembre 2024, la requérante a été informée de l'intention de la commune de ne pas prononcer sa titularisation. Par un avis du 15 novembre 2024, la commission administrative paritaire s'est déclarée défavorable à la décision envisagée. Par un arrêté du 27 novembre 2024, le maire de la commune de Villejuif a refusé de titulariser la requérante et l'a radiée des cadres de la commune. Mme C demande, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cet arrêté.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
En ce qui concerne l'urgence :
3. Il résulte des dispositions précitées que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce.
4. Il résulte de l'instruction que la décision en litige a pour conséquence de priver définitivement Mme C des fonctions qu'elle occupait en qualité d'agente territoriale spécialisée des écoles maternelles au sein de la commune de Villejuif, et bouleverse ainsi ses conditions d'existence. La commune de Villejuif, qui n'a pas produit de mémoire en défense et n'était pas représentée à l'audience, ne justifie pas de circonstances particulières de nature à renverser une telle présomption. Par conséquent, la condition d'urgence posée par les dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme satisfaite.
En ce qui concerne l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige :
5. D'une part, aux termes de l'article 4 du décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992🏛 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale : " La durée normale du stage et les conditions dans lesquelles elle peut éventuellement être prorogée sont fixées par les statuts particuliers des cadres d'emplois./ Sous réserve de dispositions contraires prévues par ces statuts et de celles résultant des articles 7 et 9 du présent décret, la durée normale du stage est fixée à un an./ Elle peut être prorogée d'une période au maximum équivalente si les aptitudes professionnelles du stagiaire ne sont pas jugées suffisantes pour permettre sa titularisation à l'expiration de la durée normale du stage () ". B l'article 5 de ce décret : " Le fonctionnaire territorial stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage () ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 2 du décret n° 92-850 du 28 août 1992🏛 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles : " Les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles sont chargés de l'assistance au personnel enseignant pour l'accueil et l'hygiène des enfants des classes maternelles ou enfantines ainsi que de la préparation et la mise en état de propreté des locaux et du matériel servant directement à ces enfants./ Les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles appartiennent à la communauté éducative. Ils peuvent participer à la mise en œuvre des activités pédagogiques prévues par les enseignants et sous la responsabilité de ces derniers. Ils peuvent également assister les enseignants dans les classes ou établissements accueillant des enfants à besoins éducatifs particuliers./ En outre, ils peuvent être chargés de la surveillance des enfants des classes maternelles ou enfantines dans les lieux de restauration scolaire. Ils peuvent également être chargés, en journée, des missions prévues au premier alinéa et de l'animation dans le temps périscolaire ou lors des accueils de loisirs en dehors du domicile parental de ces enfants ". B l'article 4 de ce décret : " Les candidats inscrits sur une liste d'aptitude au grade d'agent spécialisé principal de 2e classe des écoles maternelles et recrutés sur un emploi d'une collectivité ou d'un établissement public sont nommés stagiaires pour une durée d'un an par l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination () ". Enfin, l'article 6 de ce décret dispose que " La titularisation des stagiaires intervient à la fin du stage par décision de l'autorité territoriale au vu notamment d'une attestation de suivi de la formation d'intégration établie par le Centre national de la fonction publique territoriale. Lorsque la titularisation n'est pas prononcée, le stagiaire est soit licencié, s'il n'avait pas préalablement la qualité de fonctionnaire, soit réintégré dans son grade d'origine./ Toutefois, l'autorité territoriale peut, à titre exceptionnel, décider que la période de stage est prolongée d'une durée maximale d'un an ".
7. Un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne. L'autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu'elle retient caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et la manière de servir de l'intéressé. Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l'intéressé ait été alors mis à même de faire valoir ses observations.
8. Enfin, pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir.
9. Il résulte de l'instruction, d'une part, que Mme C a été nommée en qualité d'agente territoriale spécialisée des écoles maternelles stagiaire par un arrêté du
13 octobre 2021, à compter du 18 octobre suivant, pour une durée d'un an. Toutefois, ce stage a été interrompu par la survenue le 18 janvier 2022 d'un accident, reconnu imputable au service, ayant entraîné le placement de la requérante en congé de maladie jusqu'au
2 septembre 2023. Par un nouvel arrêté du 13 février 2024🏛, Mme C a été de nouveau placée en stage à compter du 2 septembre 2023, pour une durée d'un an. D'autre part, l'arrêté du 27 novembre 2024 prononçant le refus de titularisation de Mme C à partir du
1er janvier 2025 est fondé sur les rapports établis par son responsable hiérarchique sur sa manière de servir durant sa période de stage, ainsi que sur son dossier.
10. Au regard de l'ensemble des pièces produites par la requête, en l'absence de tout élément présenté en défense, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation est de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du maire de Villejuif en date du 27 novembre 2024.
11. Il résulte de ce qui précède que l'exécution de cet arrêté doit être suspendue.
Sur les conclusions à fin d'injonction avec astreinte :
12. La suspension prononcée implique nécessairement que Mme C soit réintégrée dans ses fonctions à titre provisoire, en qualité de stagiaire, à la date de notification de la présente ordonnance et jusqu'à ce qu'intervienne une nouvelle décision sur sa titularisation ou qu'il soit statué au fond sur sa requête. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au maire de Villejuif de procéder à une telle réintégration à titre provisoire. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la requête.
Sur les frais de justice :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Villejuif une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 27 novembre 2024🏛 par lequel le maire de Villejuif a refusé de titulariser Mme C est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au maire de Villejuif de procéder à la réintégration de Mme C à titre provisoire en sa qualité d'agente territoriale spécialisée des écoles maternelles stagiaire, à la date de notification de la présente ordonnance et jusqu'à ce qu'intervienne une nouvelle décision sur sa titularisation ou qu'il soit statué au fond sur sa requête.
Article 3 : La commune de Villejuif versera à Mme C une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D C et à la commune de Villejuif.
La juge des référés,
La greffière,Signé : C. LETORTSigné : O. DUSAUTOIS
La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Article, L521-1, CJA Décret, 92-1194, 04-11-1992 Article, L511-2, CJA Décret, 92-850, 28-08-1992 Arrêté, 13-02-2024 Allocation d'aide Commission paritaire Erreur d'appréciation Épaules Expertise Certificat médical École communale Écoles maternelles Perte de revenus Insuffisance professionnelle Moyens propres Suspension Intérêt public Atteinte grave et immédiate Renversement d'une présomption Durée du stage Restauration scolaire Établissement public Autorité investie du pouvoir de nomination Fonctionnaire Autorités territoriales Décision de titularisation Erreur manifeste dans l'appréciation Caractère d'une sanction disciplinaire Détournement de pouvoir