TA Lyon, du 17-03-2025, n° 2502596
A98420AR
Référence
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 28 février et 12 mars 2025, M. A C, représenté par Me Cornut, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 18 décembre 2024 par lequel la rectrice de l'académie de Grenoble a prononcé la sanction de résiliation de son contrat à la date de notification de l'arrêté ;
2°) d'ordonner sa réintégration au sein du lycée Saint-Denis à Annonay ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que la décision le place dans une situation de détresse psychologique et financière ; il est par ailleurs en instance de séparation et a deux enfants à sa charge ;
- sont propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée les moyens suivants : l'avis de la commission consultative mixte académique n'est pas motivé, en méconnaissance des dispositions de l'article 8 du décret n°84-961 du 25 octobre 1984🏛 ; la décision est fondée sur un délit pénal, alors que la procureure de Privas a classé l'affaire sans suite, en estimant que " les faits dénoncés ou révélés ne sont pas punis par un texte pénal " ; la sanction est disproportionnée.
Une lettre a été enregistrée pour la rectrice de l'académie de Grenoble le 3 mars 2025.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2025, la rectrice de l'académie de Grenoble conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie, l'intéressé n'étant pas privé de revenus, puisqu'il bénéfice de l'aide au retour à l'emploi et qu'il effectue des missions dans le secteur du bâtiment ; la requête a par ailleurs été introduite plus de huit semaines après la notification de la décision ; il existe un intérêt public au maintien de la décision eu égard à la gravité des faits ;
- aucun des moyens invoqués n'est de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête enregistrée le 28 février 2025 sous le n° 2502595 par laquelle le requérant demande l'annulation de la décision en litige.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret du 25 octobre 1984🏛 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'État ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision par laquelle la présidente du tribunal a désigné M. Bertolo, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Clément, greffier d'audience, ont été entendus :
- le rapport de M. Bertolo, juge des référés ;
- les observations de Me Cornut, représentant M. C, qui reprend les moyens et conclusions de la requête ;
- les observations de M. C ;
- les observations de M. B, représentant la rectrice de l'académie de Grenoble, qui persiste dans sa demande de rejet de la requête et insiste sur la gravité des faits au regard des obligations déontologiques des enseignants.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. M. C est maitre contractuel de l'enseignement privé depuis le 1er septembre 2012, et est affecté depuis le 1er septembre 2013 au lycée privée Saint-Denis à Annonay. Le 22 juillet 2024, la rectrice de l'académie de Grenoble a été destinataire d'un rapport du directeur adjoint faisant état de ce que M. C aurait entretenu une relation avec une élève de terminale, devenue majeure en février 2024. M. C a été suspendu de ses fonctions à compter du 30 août 2024, puis invité le 23 septembre 2024 à un entretien avec les services des ressources humaines. Par suite, par un courrier du 29 octobre 2024, la rectrice de l'académie de Grenoble a décidé d'engager une procédure disciplinaire à son encontre, la séance de la commission consultative mixte académique réunie en formation disciplinaire ayant eu lieu le 28 novembre 2024. Parallèlement, le 7 juin 2024, un signalement relatif à un mineur en danger a été déposé auprès de la procureure de la République de Privas par le chef d'établissement, qui a donné lieu à un avis de classement sans suite du 11 octobre 2024 au motif que " les faits dénoncés ou révélés dans le cadre de cette procédure ne sont pas punis par un texte pénal ". M. C demande au juge des référés d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 18 décembre 2024 par lequel la rectrice de l'académie de Grenoble a prononcé la sanction de résiliation de son contrat à la date de notification de l'arrêté.
Sur les conclusions à fin de suspension :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".
3. D'une part, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une mesure de suspension de l'exécution d'un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce (CE, 18 décembre 2024, n° 492519⚖️ B).
4. Il est constant que la décision en litige prive M. C de sa rémunération à compter du 4 janvier 2025, date de notification de la décision contestée. Si la rectrice de l'académie de Grenoble fait valoir que M. C perçoit des allocations chômage ainsi qu'une rémunération complémentaire par des missions dans le secteur du bâtiment, il ne résulte pas de l'instruction que les ressources ainsi retirées seraient équivalentes à sa rémunération antérieure, ni suffisantes pour couvrir les charges dont il fait état, qui ne sont pas contestées par l'administration. Par ailleurs, si la rectrice souligne l'intérêt public du maintien de la décision, il résulte de l'instruction que M. C a reconnu sa responsabilité, que le signalement à son encontre a été classé sans suite, et il ne résulte d'aucun élément de l'instruction qu'il représenterait un danger pour les autres élèves ou pour l'établissement dans lequel il enseigne. Enfin, la circonstance qu'il aurait introduit sa demande de suspension de l'arrêté litigieux près de huit semaines après la notification de l'arrêté ne permet pas, en l'espèce et eu égard à la gravité de l'atteinte portée à sa situation, de renverser la présomption d'urgence applicable. La condition d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit ainsi être regardée comme satisfaite.
5. D'autre part, en l'état de l'instruction, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'avis de la commission consultative mixte académique n'est pas motivé, en méconnaissance des dispositions de l'article 8 du décret n°84-961 du 25 octobre 1984, et d'autre part, de ce que la sanction est disproportionnée, sont de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
6. Les deux conditions requises par l'article L. 521-1 du code de justice administrative étant satisfaites, M. C est fondé à demander la suspension de l'arrêté du 18 décembre 2024, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard aux motifs retenus par la présente ordonnance, il y a lieu d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Grenoble de réintégrer M. C dans ses fonctions au sein du lycée Saint-Denis à Annonay, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser à M. C au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La présente instance n'ayant pas donné lieu à dépens, les conclusions de M. C présentées au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative🏛 ne peuvent qu'être rejetées.
Article 1er : L'arrêté du 18 décembre 2024🏛 par lequel la rectrice de l'académie de Grenoble a prononcé la sanction de résiliation du contrat de M. C est suspendu jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.
Article 2 : Il est enjoint à la rectrice de l'académie de Grenoble de réintégrer M. C dans ses fonctions au sein du lycée Saint-Denis à Annonay, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 000 euros à M. C au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A C, à la ministre de l'éducation nationale et à la rectrice de l'académie de Grenoble.
Fait à Lyon, le 17 mars 2025.
Le juge des référés,
C. Bertolo
Le greffier,
T. Clément
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier,
Article, L521-1, CJA Résiliation d'un contrat Instance de séparation Enfant à charge Sanction disproportionnée Intérêt public Procédure disciplinaire Maîtres de l'enseignement privé Directeur adjoint Entretien Ressource humaine Chef d'établissement Moyens propres Exécution d'un acte administratif Atteinte grave et immédiate Perception de rémunération Couverture des charges Reconnaissance de responsabilité Renversement d'une présomption