Jurisprudence : TA Orléans, du 20-02-2025, n° 2500607


Références

Tribunal Administratif d'Orléans

N° 2500607


lecture du 20 février 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 février 2025 et un mémoire complémentaire enregistré le 19 février 2025, M. A B, représenté par Me Petit, demande au juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2024-0358 en date du 18 décembre 2024 par lequel le président de la communauté de communes du Grand Châteaudun (CCGC) l'a licencié pour insuffisance professionnelle ;

2°) d'enjoindre au président de la communauté de communes du Grand Châteaudun de le réintégrer à son poste de travail à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Grand Châteaudun la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

* la condition d'urgence est satisfaite dès lors que :

- la rupture de son contrat de travail avant le terme fixé au 1er octobre 2025 met fin au versement de son salaire ;

- n'ayant pas retrouvé d'emploi, il subit une perte importante de rémunération ;

- son taux d'endettement est passé de 27 à 56 % et a deux enfants scolarisés ;

* il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée au motif que :

- il a toujours correctement effectué ses missions avec la même équipe de 9 personnes placées sous sa responsabilité ;

- il a accompli les travaux demandés et d'autres sont en cours de réalisation ;

- il a respecté les attentes de son employeur s'agissant de la mise en œuvre du projet en participant aux réunions et préparant contrats et avenants ;

- le grief tiré de l'existence d'un désaccord est vague et n'est pas fondé ;

- il s'est parfaitement inséré dans le cadre fixé.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 février 2025, la communauté de communes du Grand Châteaudun, représentée par Me Hautefaye, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

* la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que :

- M. B n'est pas privé de traitement car il est toujours dans les effectifs de l'établissement et percevra le jour de son licenciement une indemnisation au titre de ses congés annuels non pris au titre de l'année 2025 ainsi qu'une indemnité de fin de contrat évaluée à 4 700 euros ;

- il était en situation précaire du fait de la conclusion du contrat à durée déterminée ;

- il bénéficie d'une pension de retraite car c'est un ancien militaire ;

- il bénéficiera d'une allocation de chômage calculée sur la base de son salaire de 6 342,21 euros mensuel ;

- les pièces produites pour justifier d'une situation d'urgence démontrent des biens immobiliers, ce qui peut supposer la perception de revenus locatifs ;

- il n'est pas seul à assumer charges et emprunts qu'il a avec son épouse ;

* il n'y a pas de doutes sur la légalité de la décision dès lors que :

- son expertise n'est pas remise en cause mais il ne s'est pas intégré dans le fonctionnement de la communauté et n'a pas réussi à fonctionner en tandem avec le président élu ;

- il n'y a pas lieu de remettre en cause les demandes qui lui ont été faites, même s'il était en désaccord avec ;

- M. B ne remet pas en cause les éléments du compte-rendu d'évaluation qui pointent sa mauvaise compréhension des finances publiques et son absence de maîtrise des marchés publics qui fragilisent la communauté ;

- le litige ayant opposé son prédécesseur à la communauté de communes est sans rapport et sans incidence ;

- les conclusions à fin d'injonction sont irrecevables car le juge ne peut prendre que des mesures provisoires.

Vu

- la requête enregistrée sous le n° 2500697 le 12 février 2025 par laquelle M. B demande au tribunal d'annuler l'arrêté n° 2024-0358 en date du 18 décembre 2024 par lequel le président de la communauté de communes du Grand Châteaudun (CCGC) l'a licencié pour insuffisance professionnelle ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2020-172 du 17 février 2020 ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Le président du tribunal a, par arrêté du 1er septembre 2024, désigné M. Deliancourt, vice-président en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative pour statuer sur les requêtes en référé.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 19 février 2025 à

11 heures.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Martin, greffière d'audience :

- le rapport de M. Deliancourt, juge des référés ;

- les observations de Me Lucas, représentant M. B ;

- les observations de Me Hautefaye, représentant la communauté de communes du Grand Châteaudun.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique à 12 heures 10.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que M. B a été recruté par la communauté de communes du Grand Châteaudun (CCGC) en qualité de " Coordonnateur aérodrome " par un contrat n° 2021-427 CDD conclu le 1er octobre 2021 pour une durée d'une année, puis par un second contrat n° 2022-0344 CDD conclu le 26 septembre 2022 à compter du 1er octobre 2022 pour une durée de trois ans, avec un terme fixé au 1er octobre 2025, pour assurer la préparation et la transformation de la base militaire " EAR 279 " transférée à la CCGC en aéroport civil régional. Selon sa fiche de poste, il était chargé, en liaison étroite avec le maire de la commune de Châteaudun (28200), également président de la CCGC, d'animer toutes les opérations nécessaires pour assurer cette conversion, piloter l'état des lieux, adapter les infrastructures militaires, mettre en œuvre le plan d'aménagement général du site et préparer l'organisation, la gouvernance et les statuts de la société publique locale (SPL) " Air Châteaudun ". Après un entretien qui s'est déroulé le 10 octobre 2024 à 16 h suivi d'un avis défavorable à l'unanimité rendu par la commission consultative paritaire (CCP) réunie le 5 décembre 2024, M. B a été licencié pour insuffisance professionnelle par arrêté n° 2024-0358 en date du 18 décembre 2024. Celui-ci est motivé par l'incapacité de M. B " à effectuer correctement les missions et tâches qui lui sont confiées, dans la mise en œuvre du projet ; une difficulté persistante à s'insérer dans le cadre de la fonction publique territoriale et un désaccord profond avec les instances politiques sur leurs demandes et orientations et par conséquent une incompréhension de l'exercice de ses missions au sein d'un environnement territorial ". Il met ainsi fin, les faits reprochés étant d'une " insuffisance professionnelle évidente ", à ses fonctions à l'issue d'un délai de préavis de deux mois majoré de ses congés annuels de l'année 2024. Par la présente requête, M. B demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Selon l'article 39-2 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " L'agent contractuel peut être licencié pour un motif d'insuffisance professionnelle./ L'agent doit préalablement être mis à même de demander la communication de l'intégralité de toute pièce figurant dans son dossier individuel, dans un délai suffisant permettant à l'intéressé d'en prendre connaissance. Le droit à communication concerne également toute pièce sur laquelle l'autorité territoriale entend fonder sa décision, même si elle ne figure pas au dossier individuel. ".

3. Si en matière disciplinaire il existe une échelle de sanctions entre lesquelles l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut choisir, en revanche, en cas d'insuffisance professionnelle, la seule mesure qui peut intervenir est l'éviction de l'intéressé.

4. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s'agissant d'un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s'agissant d'un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions. Lorsque la manière de servir d'un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l'administration de mettre fin à ses fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont l'agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

5. Selon l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ".

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire ".

7. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une mesure de suspension de l'exécution d'un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.

8. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire.

9. Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce.

10. Il résulte de l'instruction que l'arrêté n° 2024-0358 du 18 décembre 2024 mettant fin de manière anticipée au contrat de M. B prive ainsi ce dernier de sa rémunération mensuelle avant impôt s'élevant à 6 342,21 euros. L'intéressé se prévaut également des frais liés à la scolarité de ses deux enfants ainsi que deux prêts immobiliers de 1 355,82 euros et de 1 992,57 euros qu'il a contractés avec son épouse et avec laquelle il vit. Afin de renverser la présomption d'urgence dont jouit le requérant, son employeur justifie cependant de l'existence de circonstances particulières tirées de ce que le terme de son contrat à durée déterminée était fixé au 1er octobre 2025, soit 9 mois plus tard, et qu'il ne sera privé de son salaire qu'après préavis de deux mois et congés restant à prendre, qu'il percevra également une indemnité de fin de contrat d'un montant non contesté d'environ 4 700 euros ainsi que des allocations d'assurance chômage et alors qu'il perçoit également une pension en sa qualité d'ancien militaire. Dans ces conditions, en dépit de la présomption, simple, dont bénéfice le requérant, l'appréciation globale des éléments cités plus avant ne permet pas de considérer la condition d'urgence comme étant satisfaite au sens des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'urgence, que les conclusions à fin de suspension présentées par M. B doivent être rejetées selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative précité.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Aux termes du second alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ". Au regard de ce qui précède, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes du Grand Châteaudun, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. B au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter également les conclusions présentées à ce titre par la communauté de communes du Grand Châteaudun.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté de communes du Grand Châteaudun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et à la communauté de communes du Grand Châteaudun

Fait à Orléans, le 20 février 2025.

Le juge des référés,

Samuel DELIANCOURT

La République mande et ordonne au préfet d'Eure-et-Loir en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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