Jurisprudence : CJCE, 12-11-2002, aff. C-206/01, Arsenal Football Club plc c/ Matthew Reed

CJCE, 12-11-2002, aff. C-206/01, Arsenal Football Club plc c/ Matthew Reed

A0404A74

Référence

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ARRÊT DE LA COUR (cour plénière)


12 novembre 2002 (1)


"Rapprochement des législations - Marques - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1, sous a) - Étendue du droit exclusif du titulaire de la marque "


Dans l'affaire C-206/01,


ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre


Arsenal Football Club plc


et


Matthew Reed,


une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1),


LA COUR


composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet et C. W. A. Timmermans (rapporteur), présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, juges,


avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,


greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,


considérant les observations écrites présentées:


- pour Arsenal Football Club plc, par MM. S. Thorley, QC, et T. Mitcheson, barrister, mandatés par Lawrence Jones, solicitors,


- pour M. Reed, par M. A. Roughton, barrister, mandaté par Stunt & Son, solicitors,


- pour la Commission des Communautés européennes, par M. N. B. Rasmussen, en qualité d'agent,


- pour l'Autorité de surveillance AELE, par M. P. Dyrberg, en qualité d'agent,


vu le rapport d'audience,


ayant entendu les observations orales d'Arsenal Football Club plc, représentée par MM. S. Thorley et T. Mitcheson, de M. Reed, représenté par MM. A. Roughton etS. Malynicz, barrister, et de la Commission, représentée par MM. N. B. Rasmussen et M. Shotter, en qualité d'agent, à l'audience du 14 mai 2002,


ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 juin 2002


rend le présent


Arrêt


1.


Par ordonnance du 4 mai 2001, parvenue à la Cour le 18 mai suivant, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la "directive").


2.


Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Arsenal Football Club plc (ci-après "Arsenal FC") à M. Reed à propos de la vente et de l'offre de vente par ce dernier d'écharpes sur lesquelles figurait en grands caractères le mot "Arsenal", signe enregistré comme marque par Arsenal FC notamment pour de tels produits.


Le cadre juridique


La réglementation communautaire


3.


La directive constate, à son premier considérant, que les législations nationales sur les marques comportent des disparités qui peuvent entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. Selon ce considérant, il en résulte qu'il est nécessaire, en vue de l'établissement et du fonctionnement du marché intérieur, de rapprocher les législations des États membres. Le troisième considérant de la directive précise qu'il n'est pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations nationales en matière de marques.


4.


Aux termes du dixième considérant de la directive:


"[...] la protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d'origine de la marque, est absolue en cas d'identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services [...]"


5.


L'article 5, paragraphe 1, de la directive dispose:


"La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:


a))d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;


b))d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque."


6.


L'article 5, paragraphe 3, sous a) et b), de la directive prévoit:


"Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:


a))d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;


b))d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins [...]"


7.


Aux termes de l'article 5, paragraphe 5, de la directive:


"Les paragraphes 1 à 4 n'affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice."


8.


L'article 6, paragraphe 1, de la directive est libellé comme suit:


"Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires,


a) de son nom et de son adresse;


b) d'indications relatives à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci;


c))de la marque lorsqu'elle est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoires ou pièces détachées,


pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale."


La réglementation nationale


9.


Au Royaume-Uni, le droit des marques est régi par la Trade Marks Act 1994 (loi sur les marques de 1994) qui, afin de mettre en oeuvre la directive, a remplacé la Trade Marks Act 1938 (loi sur les marques de 1938).


10.


L'article 10, paragraphe 1, de la Trade Marks Act 1994 dispose:


"Une personne se rend coupable de contrefaçon de marque enregistrée si elle fait usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée."


11.


Aux termes de l'article 10, paragraphe 2, sous b), de la Trade Marks Act 1994:


"Une personne se rend coupable de contrefaçon de marque enregistrée si elle fait usage, dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison


[...]


b))de sa similitude avec la marque et de son usage pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée,


il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque."


Le litige au principal et les questions préjudicielles


12.


Arsenal FC est un club de football renommé qui évolue en première division anglaise. Également surnommé "the Gunners", il a pendant fort longtemps été associé à deux emblèmes, à savoir celui de l'écu ("the crest device") et celui du canon ("the canon device").


13.


En 1989, Arsenal FC a obtenu l'enregistrement comme marques, notamment, des mots "Arsenal" et "Arsenal Gunners" ainsi que des emblèmes du canon et de l'écu, pour une catégorie de produits comprenant des articles de confection, des vêtements de sport et des chaussures. Arsenal FC conçoit et fournit ses propres produits ou les fait fabriquer et fournir par l'intermédiaire de son réseau de revendeurs agréés.


14.


Ses activités commerciales et promotionnelles dans le domaine de la vente, sous lesdites marques, de souvenirs et de produits dérivés prenant ces dernières années un très grand essor et lui procurant d'importants revenus, Arsenal FC a cherché à faire en sorte que les produits "officiels" - c'est-à-dire les produits fabriqués pour Arsenal FC ou avec son autorisation - puissent être identifiés clairement et a essayé de convaincre ses supporters de n'acheter que de tels produits. De plus, il a engagé des actions judiciaires, tant au civil qu'au pénal, à l'encontre de commerçants vendant des produits non officiels.


15.


Depuis 1970, M. Reed vend des souvenirs et d'autres produits dérivés du football, presque tous revêtus de signes évoquant Arsenal FC, dans plusieurs échoppes situées à l'extérieur de l'enceinte du stade d'Arsenal FC. Il n'a pu obtenir de la société KT Sports, chargée par le club de vendre ses produits aux revendeurs situés autour dudit stade, que de très petites quantités de ces produits officiels. En 1991 et en 1995, Arsenal FC a fait confisquer des articles non officiels détenus par M. Reed.


16.


La juridiction de renvoi indique qu'il n'est pas contesté en l'espèce au principal, que, dans une de ses échoppes, M. Reed a vendu et proposé à la vente des écharpesrevêtues de signes évoquant Arsenal FC inscrits en grands caractères et qu'il s'agissait en l'occurrence de produits non officiels.


17.


Elle indique en outre que, dans ladite échoppe figurait un grand panneau portant le texte suivant:


"Le mot ou le(s) logo(s) reproduits sur les objets vendus ne sont que des ornements et n'impliquent pas ni n'indiquent une relation quelconque avec les fabricants ou distributeurs de tout autre objet. Seuls les produits revêtus d'étiquettes attestant qu'il s'agit de produits officiels d'Arsenal sont des produits officiels d'Arsenal."


18.


De plus, la juridiction de renvoi relève que, quand il a pu, exceptionnellement, se procurer des articles officiels, M. Reed a, dans ses contacts avec ses clients, clairement distingué les produits officiels des produits non officiels, notamment en apposant une étiquette portant la mention "officiel". Par ailleurs, les produits officiels étaient vendus à des prix supérieurs.


19.


Considérant que, en vendant les écharpes non officielles en cause, M. Reed avait, d'une part, engagé sa responsabilité non contractuelle en raison d'un "passing off" - à savoir, selon la juridiction de renvoi, le comportement d'un tiers induisant en erreur de telle sorte qu'un grand nombre de personnes croit ou est amené à croire que les objets vendus par ce tiers sont des objets du requérant ou vendus avec son autorisation ou présentant un lien de nature commerciale avec lui - et s'était, d'autre part, rendu coupable de contrefaçon de marque, Arsenal FC a introduit contre ce commerçant une action devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division.


20.


Au vu des circonstances de l'espèce au principal, la juridiction de renvoi a débouté Arsenal FC de son action en responsabilité non contractuelle (pour "passing off"), au motif que, en substance, ce club n'avait pas pu prouver l'existence d'une réelle confusion dans le chef du public concerné et, plus particulièrement, n'avait pas pu démontrer que tous les produits non officiels vendus par M. Reed étaient considérés par le public comme provenant d'Arsenal FC ou autorisés par lui. À cet égard, la juridiction de renvoi a notamment relevé qu'il lui semblait que les signes évoquant Arsenal FC, apposés sur les objets vendus par M. Reed, ne comportaient aucune indication relative à l'origine de ceux-ci.


21.


Quant au grief d'Arsenal FC relatif à la contrefaçon de ses marques et tiré de l'article 10, paragraphes 1 et 2, sous b), de la Trade Marks Act 1994, la juridiction de renvoi a rejeté l'argument d'Arsenal FC selon lequel l'usage fait par M. Reed des signes enregistrés comme marques était perçu par ceux auxquels ils étaient destinés comme indiquant la provenance des produits ("badge of origin") et constituait donc un usage de ces signes "en tant que marques" ("trademark use").


22.


En effet, selon cette juridiction, les signes apposés sur les produits de M. Reed étaient perçus par le public comme des témoignages de soutien, de loyauté ou d'attachement ("badge of support, loyalty or affiliation").


23.


Au vu de ces éléments, la juridiction de renvoi a considéré que l'action d'Arsenal FC en contrefaçon ne pouvait aboutir que si la protection conférée au titulaire de marque par l'article 10 de la Trade Marks Act 1994 et par la directive que cette loi transpose interdisait à un tiers un usage autre qu'un usage en tant que marque, ce qui supposerait une interprétation large de ces textes.


24.


À cet égard, la juridiction de renvoi juge que la thèse selon laquelle un usage autre qu'un usage en tant que marque est interdit à un tiers présente des incohérences. Toutefois, la thèse inverse, à savoir celle selon laquelle seul l'usage en tant que marque est réglementé, se heurterait à une difficulté liée au libellé de la directive et de la Trade Marks Act 1994, qui définissent la contrefaçon comme l'usage d'un "signe" et non comme l'usage d'une "marque".


25.


La juridiction de renvoi relève que c'est notamment au vu de ce libellé que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) a jugé, dans l'arrêt Philips Electronics Ltd/Remington Consumer Products ([1999] RPC 809), que l'usage d'un signe, enregistré comme marque, autrement qu'en tant que marque pouvait constituer une violation d'un droit de marque. La High Court observe que l'état du droit sur cette question reste toutefois incertain.


26.


Par ailleurs, la juridiction de renvoi a rejeté l'argument de M. Reed quant à l'invalidité prétendue des marques d'Arsenal FC.


27.


Dans ces circonstances, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:


"1))Dans une situation où une marque est régulièrement enregistrée et:

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