Jurisprudence : Ass. plén., Conclusions, 15-11-2024, n° 23-16.670

Ass. plén., Conclusions, 15-11-2024, n° 23-16.670

A03276HL

Référence

Ass. plén., Conclusions, 15-11-2024, n° 23-16.670. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112776113-ass-plen-conclusions-15112024-n-2316670
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AVIS DE M. LECAROZ, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 679 du 11 octobre 2024 (B+R) – Assemblée plénière Pourvoi n° 23-16.670⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 4 avril 2023. M. [L] [J] M. [U] [J] C/ La société La Vierge _________________

Le présent avis fait suite à un premier avis informant les parties de la consultation extérieure entreprise par le Parquet général auprès de l'Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA). Les parties pourront prendre connaissance du contenu de cette consultation dans l'annexe du présent document.

1.- Rappel des faits et de la procédure Les faits et la procédure sont rappelés dans l'arrêt n° 50 (FS-D, pourvoi n° T 1912.696) rendu par la chambre commerciale, financière et économique le 19 janvier 2022. La société par actions simplifiée (SAS) La Vierge, dont le capital est détenu par la société Audacia, MM. [L] et [U] [J], M. [Y], M. [H] et Mme [R], est présidée par la société Financière de [Localité 8]. Lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société La Vierge, le 22 octobre 2015, les associés ont décidé, notamment, 1

d'augmenter son capital social par l'émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés et de réserver l'émission des nouvelles actions à la société Financière de [Localité 8]. Ces délibérations ont été adoptées par 229 313 voix contre 269 185, en application de l'article 17 des statuts stipulant que « Les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. » M. [Y] a assigné la société La Vierge et ses associés, ainsi que la société Financière de [Localité 8], en annulation de la délibération du 22 octobre 2015 relative à la décision d'augmenter le capital de la société La Vierge. MM. [J] se sont associés à cette demande et M. [L] [J] a, en outre, demandé au tribunal, « à titre reconventionnel », de prononcer la nullité de l'article 17 des statuts de la société. Ayant cédé à la société Financière de [Localité 8] l'ensemble des actions qu'il détenait dans le capital de la société La Vierge, M. [Y] s'est désisté de son appel, MM. [J] maintenant quant à eux leur demande. Dans son arrêt du 19 janvier 2022, la chambre commerciale a rejeté le premier moyen du pourvoi formé par MM. [J], qui faisaient grief à l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2018) de déclarer irrecevable la demande d'annulation de l'article 17 des statuts. La Cour a revanche cassé l'arrêt attaqué sur le second moyen, au visa de l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce🏛, mais seulement en ce qu'il déboute MM. [L] et [U] [J] de leur demande d'annulation de la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société La Vierge relative à la décision d'augmenter le capital social de 586 206,92 euros par émission d'actions nouvelles en date du 22 octobre 2015.

La chambre commerciale a adopté, pour la rédaction de cet arrêt, une motivation enrichie qui apparaît aux paragraphes 11 à 17 de l'arrêt : « 11. Selon ce texte [en l'espèce l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce], dans les sociétés par actions simplifiées, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. 12. Ce texte, créé par la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994🏛 instituant la société par actions simplifiée, laisse une grande liberté aux associés pour déterminer, dans les statuts d'une telle société, la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu'il énumère. 13. Toutefois, cette liberté dans la rédaction des statuts trouve sa limite dans la nécessité d'instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires. 14. Tel n'est pas le cas d'une clause statutaire stipulant qu'une résolution est adoptée lorsqu'une proportion d'associés représentant moins de la moitié des droits 2

de votes présents ou représentés s'est exprimée en sa faveur, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil. 15. Par conséquent, les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés. 16. Pour rejeter la demande d'annulation des délibérations litigieuses, l'arrêt retient qu'elles ont été adoptées par 229 313 voix contre 269 185, aucune abstention n'étant constatée et qu'elles ont donc recueilli le tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, conformément à ce que prévoit l'article 17 des statuts qui, de façon claire et précise, stipule que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. 17. En statuant ainsi, alors que, nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés, la cour d'appel a violé le texte susvisé. » C'est donc dans une configuration particulière que s'est présenté le litige restant à juger devant la cour d'appel de renvoi (Paris, autrement composée) et qu'il se présente à nouveau devant la Cour de cassation : si l'article 17 des statuts qui prévoit l'adoption des décisions collectives à « la majorité des tiers des droits de vote des associés » ne peut plus faire l'objet d'une annulation, les délibérations prises en application de cette stipulation statutaire peuvent encore être annulées sur le fondement de l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, selon la chambre commerciale. Dans son arrêt rendu après cassation le 4 avril 2023, la juridiction de renvoi n'a pas remis en cause cette possibilité d'annuler une délibération par application de l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce malgré l'impossibilité d'annuler la stipulation des statuts prévoyant une « majorité d'un tiers des droits de vote ». C'est sur la condition, posée par la Cour de cassation, d'une majorité simple pour l'adoption d'une délibération collective des associés, que la cour d'appel de renvoi s'est refusée de suivre le raisonnement de la chambre commerciale. Fidèle à la liberté contractuelle qui s'attache à la rédaction des statuts des SAS, la cour d'appel a estimé qu'aucune disposition législative n'interdisait l'adoption de décisions collectives des associés au moyen d'un simple seuil, serait-il minoritaire, que cette modalité d'adoption des décisions collectives ne porte atteinte ni au droit des associés de participer aux décisions collectives, ni à l'intérêt social, ni à l'égalité entre associés, lesquels ont accepté cette modalité.

2. Une question ne faisant pas difficulté juger : la proposition de rejet non spécialement motivé du moyen, pris en sa première branche

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Le moyen de cassation, qui développe trois branches, peut faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé, en sa première branche, qui invoque une dénaturation par la cour d'appel de renvoi de l'article 17 des statuts de la SAS La Vierge. Il est exact, comme le rappelle le moyen, que cette stipulation prévoit l'adoption des décisions collectives « à la majorité du tiers des droits de vote exprimés ». Mais cette formulation est frappée d'ambiguïté, pour ne pas dire de maladresse. Le tiers des droits de vote exprimés ne désigne ni la moitié de ceux-ci plus une voix (majorité simple voire absolue), ni même la réunion du plus grand nombre de droits de vote exprimés en comparaison des autres votes exprimés (majorité relative). La cour d'appel de renvoi était donc dans l'obligation de requalifier correctement cette modalité d'adoption des décisions collectives en rappelant qu'elle désigne non pas une condition de majorité mais une condition de seuil. La cour d'appel de renvoi n'a donc pas dénaturé l'article 17 des statuts de la SAS La Vierge.

3.- Les questions auxquelles devra répondre l'Assemblée plénière L'Assemblée plénière de la Cour de cassation devra dire si les associés de SAS, seraient-ils minoritaires, peuvent arrêter une décision collective au sens de l'article L. 227-9 du code de commerce et, dans la négative, de préciser quelle est la majorité (relative, simple, absolue) requise, le champ d'application de cette exigence majoritaire ainsi que sa sanction. 3.1.- Exigence d'une majorité pour l'adoption de décisions collectives ou liberté contractuelle dans la rédaction des statuts de la société par actions simplifiée

3.1.1.- Les thèses en présence Les termes du débat sont parfaitement exposés par l'ANSA dans sa consultation du 3 septembre 2024, ci-après annexée : « [...] Sauf exceptions légales1, toute liberté est laissée aux statuts des SAS pour déterminer les « formes et conditions » des décisions collectives des associés, que soient celles définies comme telles par les statuts (article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce) ou celles en application de la loi (article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, i.e. modification du capital social, fusion, scission, dissolution, 1

Cas des offres de titres financiers et d'instruments admis à des fins de financement participatif (article L. 411-2 du code monétaire et financier🏛 ; article L. 227-2-1 du code de commerce🏛 renvoyant aux règles applicables aux SA : majorité des 2/3 pour les assemblées générales extraordinaires - article L. 225-96 - majorité simple pour les assemblées générales ordinaires - article L. 225-98) ; cas des fusions transfrontalières (article L. 236-38 : « Par dérogation à l'article L. 227-9, les statuts des sociétés par actions simplifiées prévoient, pour décider d'une fusion transfrontalière, une majorité comprise entre les deux tiers et 90 % des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés »), scissions transfrontalières (article L. 236-46), apports partiels d'actifs transfrontaliers (article L. 236-48) et transformations transfrontalières (article L. 236-50).

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transformation, nomination d'un commissaire aux comptes, approbation des comptes). Ainsi, les statuts d'une SAS peuvent prévoir des conditions de quorum et de majorités particulières, qui peuvent être différentes en fonction de la nature des décisions collectives. [...] La question que vous soumettez oppose le concept juridique même de la majorité qui, par définition, s'entend du plus grand nombre de voix exprimé, au principe de la liberté contractuelle propre à la SAS qui permettrait de fixer un seuil d'approbation inférieur à la majorité. Tel est le cas d'une SAS dont les statuts prévoient une adoption des décisions collectives « à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré », c'est-à-dire en fait sous une condition de seuil. Cette question est d'autant plus pertinente qu'elle s'inscrit dans un contexte général qui tend à aligner la SAS sur les régimes applicables aux autres formes de sociétés commerciales ; tel est le cas des derniers dispositifs européens en matière d'ESG2 (CSRD3 et devoir de vigilance). Deux thèses peuvent s'opposer quant à la validité d'une telle clause statutaire. Tout d'abord, la thèse restrictive : retenir un seuil d'approbation inférieur à la majorité des voix serait susceptible d'aboutir à des décisions qui pourraient être contradictoires. En effet, la même résolution pourrait être approuvée par une première décision minoritaire, puis supprimée par une nouvelle décision recueillant la majorité des voix, voire une minorité concurrente dès lors que le seuil requis par les statuts serait atteint. Ainsi se poserait la question de décisions contradictoires adoptées successivement, le cas échéant par deux minorités opposées, situation qui serait manifestement source d'une grande insécurité juridique, tant pour les associés que pour la société elle-même. Plus fondamentalement, se pose la question de la nature même d'une décision prise par la collectivité des associés : ne requiert-elle pas, par nature, une majorité des votes en tout cas des votes exprimés ? C'est cette thèse restrictive qu'a retenu la Cour de cassation dans son arrêt de 2022, précité [...] Ensuite la thèse libérale : l'article L. 227-9 du code de commerce accorde aux associés toute liberté pour fixer les formes et conditions de la prise des décisions collectives.

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i.e. règles ou données environnementales, sociétales et de gouvernance

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La directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier.

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Même si l'on peut estimer en pratique imprudent ou inefficace 4 ce type de clause, cela ne suffit pas à en consacrer l'illégalité. On rappellera tout d'abord que le législateur ayant adopté la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994, créant la SAS, a écarté du projet de loi initial le principe selon lequel certaines décisions devaient être prises en assemblée par les actionnaires statuant à « une majorité qui ne peut être inférieure à la majorité absolue des voies exprimées »5. On doit également observer que lorsque les statuts visent précisément un seuil « d'approbation », seuls comptent les votes favorables au projet de résolution, il s'agit donc de faire émerger une minorité constructive prévue le cas échéant pour débloquer une situation. C'est le sens de la décision de la cour d'appel de Paris qui relève que la clause statutaire contestée ne fixe pas une règle de majorité (malgré son appellation maladroite) mais bien une condition de seuil or « une telle condition de seuil pour adopter une résolution ne peut pas être remplie simultanément par ses partisans et ses adversaires puisque l'article 17 des statuts ne prévoit pas de condition de rejet de la résolution. » Elle conclut : « la résolution litigieuse n'étant pas irrégulière et ayant été adoptée dans l'intérêt social de la société [...], il n'y a pas lieu de l'annuler. »

Enfin, on pourrait ajouter que si le législateur avait voulu limiter la liberté contractuelle des associés, il l'aurait fait expressément comme en matière de financement participatif ou d'opérations transfrontalières [...] » J'ajouterai à l'avis de l'ANSA que, sous réserve de décisions à intervenir de la chambre commerciale, il est intellectuellement concevable que la liberté contractuelle dans la rédaction des statuts des SAS autorise une délibération collective des actionnaires qui ne reposerait pas sur le calcul des voix exprimées, mais sur un « calcul par tête » d'actionnaires, quel que soit le nombre de droits de vote qu'ils détiennent. Si ce mode de délibération serait a priori étonnant pour une société de capitaux, la liberté contractuelle offerte par l'article L. 227-9 du code de commerce me paraît autoriser ce mode de décompte des voix par « tête », comme cela existe, par exemple, au sein des conseils d'administration des sociétés anonymes (article L. 225-37 du code de commerce🏛).

3.1.2.- Appréciations : la justification de la règle majoritaire Le comité juridique de l'ANSA n'est pas parvenu à une position unanime. La question fait donc véritablement difficulté à juger. Une « minorité significative » du comité juridique partage la position de la cour d'appel de Paris. Cependant, ses 4

L'attribution d'actions à droits de vote multiple ou de droits de veto à un ou plusieurs associés minoritaires semble plus opportune et sécurisée. 5

JOAN, 12 juin 1993, p. 1415, article 262-10

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membres ont estimé, à la majorité, que lorsque la loi ou les statuts prévoient une « décision collective », celle-ci doit nécessairement être prise à une « majorité » définie par les statuts (et non pas un seuil qui réunirait des associés minoritaires). Je partage cet avis majoritaire pour les raisons exposées par l'ANSA et pour d'autres éléments. On ne niera pas que l'adoption de décisions collectives des associés selon un critère de seuil peut présenter des avantages certains. Comme le rappelle l'ANSA, un simple seuil (minoritaire en droits de vote) autorise la sortie de situations de blocage. Il peut aussi conférer aux nouveaux financeurs de la société, qui souhaiteraient prendre une participation au capital social, des pouvoirs supplémentaires qui leur permettrait, non seulement de garantir sur leur situation mais encore d'adopter des décisions collectives tout en ayant apporté un capital représentant moins de la moitié des droits de vote. Cependant, d'autres mécanismes, comme les actions à droit de vote multiple ou le droit de veto conféré à un actionnaire minoritaire, présentent des garanties ou des pouvoirs équivalents ou similaires. Comme le souligne la consultation extérieure, une clause fixant un seuil d'approbation minoritaire en droits de vote aurait pour effet d'écarter a priori les opposants à une résolution, alors même qu'ils seraient majoritaires en droits de vote, ce qui serait, selon l'ANSA, paradoxal. Il se trouve aussi d'autres arguments en faveur du principe d'une majorité pour l'adoption d'une décision collective des associés d'une SAS. Ils sont principalement d'ordre conséquentialiste.

D'abord, on imagine mal le fonctionnement d'une SAS dont les règles de délibérations collectives permettraient l'adoption de décisions collectives contradictoires par deux associés ou deux groupes d'associés. Les décisions contradictoires pourraient paralyser la vie sociale et créer un contentieux, notamment de désignation d'un mandataire ad hoc, dont le juge serait bien en peine de déterminer les missions en présence de minorités pouvant également prétendre à un pouvoir de décision. L'opposition d'associés minoritaires mais atteignant le seuil requis par les statuts serait insoluble. Ensuite, la clause statutaire favorisant l'adoption d'une résolution par une minorité est susceptible de donner lieu à des artifices. Par exemple, la même question peut être posée en des termes différents et appeler, pour exprimer la même idée, une réponse tantôt affirmative tantôt négative. Par exemple : êtes-vous favorable à ne pas augmenter le capital social ? ou êtes-vous favorable à autoriser l'augmentation du capital ? L'associé qui entend refuser l'augmentation du capital social répondra oui ou non selon que le premier libellé ou le second libellé de la question aura été retenu. Du bon usage de la négation dans la formulation des projets de résolution…

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On voit que tout cela est parfaitement artificiel et qu'il est impossible de privilégier par principe les réponses favorables à une résolution.6 On peut encore ajouter que la consécration d'une stipulation statutaire favorisant l'adoption d'une résolution atteignant un seuil minoritaire risque de fragiliser les délibérations adoptées selon cette méthode. En effet, depuis le revirement de jurisprudence résultant de l'arrêt dit « Larzul II » rendu en matière de SAS (Com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B⚖️), les décisions collectives prises en violation de clauses statutaires sont susceptibles d'être annulées à la demande de tout intéressé, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Cet arrêt qui vient compléter, en matière de SAS, le régime général de droit commun des actes et délibérations des sociétés issu de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce🏛 a vocation à jouer le rôle le plus important. En effet, hors les compétences réservées à la décision collective des associés selon l'alinéa 2 de l'article L. 227-9 du code de commerce, dont la détermination peut être considérée comme une disposition impérative du Livre II du code de commerce, ainsi que les lois qui régissent les contrats, et dont les violations pourront être annulées, l'ensemble du processus de décision collective des associés de SAS résulte normalement des dispositions statutaires. Si la Cour de cassation validait les statuts ou les résolutions adoptées par une minorité, les cas d'influences sur le résultat du processus de décision se trouveraient multipliées. En effet, moins le seuil nécessaire à l'adoption d'une décision sera exigeant, plus les actionnaires malheureux (et peut-être même majoritaires) pourront influer sur le résultat du processus de décision, ce qui en cas de manquement aux statuts augmentera aussi le risque de nullité de la résolution concernée.7 Enfin, l'adoption de décisions collectives par seuil minoritaire obligerait de redéfinir les notions d'abus de minorité et d'abus de majorité. L'abus de minorité tel qu'il est défini aujourd'hui par la jurisprudence ne permet de corriger que les minorités de blocage et non les minorités d'adoption. Dans ce scénario, la Cour de cassation pourrait donc introduire un critère alternatif à celui du refus de voter une opération essentielle, afin de caractériser l'abus qui se matérialiserait non pas par une opposition mais par l'adoption d'une décision. On pourrait même se demander si les critères de l'abus de majorité (une décision contraire à l'intérêt social et prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés) ne seraient finalement pas plus adaptés dans l'hypothèse d'une minorité atteignant le seuil requis par les statuts.8 6

Exemple tiré de François-Xavier Lucas, « Définition de la majorité qu'implique la prise de décisions collectives de SAS », 01-04-2022 - Bulletin mensuel d'information des sociétés Joly (BMIS) - N° 4 - p. 22-26 7

Pierre-Alain Marquet, Avocat au Barreau de Paris, Counsel, Galembert Avocats et Pauline Lethenet, Avocat au Barreau de Paris, Galembert Avocats, « Adoption de décisions collectives dans les SAS : vers une minorité statutaire décisionnaire ? Note sous Cour d'appel de Paris, pôle 5 - ch. 8, 4 avril 2023, n° 22/05320 8

Article précité

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Je suis donc favorable à la position exprimée par la chambre commerciale qui suppose que, lorsque la décision collective des associés d'une société par actions simplifiée (SAS) est exigée par la loi, en l'espèce l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, cette décision doit être adoptée à la majorité des voix exprimées. Si le principe majoritaire devait l'emporter, il reste cependant éclaircissements que pourrait apporter l'Assemblée plénière.

quelques

3.2.- Les questions restant à trancher Ces précisions pourraient porter principalement sur la définition de la majorité exigée pour l'adoption de décisions collectives des associés de SAS, les fondements d'une telle décision, le champ d'application de l'exigence majoritaire et la nature de la sanction.

3.2.1.-Questions de définitions : majorité absolue, majorité simple et majorité relative9 L'arrêt de la chambre commerciale du 19 janvier 2022 énonce que « Par conséquent, les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des suffrages exprimés. » Il existe, pour certains auteurs une incertitude terminologique sur ce que sont la majorité relative, la majorité simple et la majorité absolue. Nous citerons par exemple M. Dondero10 : « La majorité est définie comme le « Total des voix qui l'emporte par son nombre lors d'une élection ou du vote d'une décision » (G. Cornu, (dir.) Vocabulaire juridique : PUF, 7e éd., 2005, v° Majorité, 1). Le tiers des voix ne constitue donc pas la majorité des voix, sauf à considérer que la majorité requise n'est qu'une majorité relative. Ces derniers termes visent le « Total de voix supérieur à celui de chacun des concurrents, suffisant pour l'emporter quand la loi n'exige pas une majorité absolue ou qualifiée » (G. Cornu, (dir.) Vocabulaire juridique : PUF, 7e éd., 2005, préc.). On notera d'ailleurs que le Vocabulaire juridique précité tient pour synonyme « majorité relative » et « majorité simple », là où il nous semble que la majorité simple devrait plutôt être synonyme de « majorité absolue ». D'autres auteurs s'interrogent sur cette expression de « majorité simple » utilisée par la chambre commerciale ; ainsi Laurent Godon, « S'agit-il d'une majorité relative (30, 40, 45 % des suffrages) ou d'une majorité absolue (plus de 50 % des votes) ? L'enjeu est considérable car de la réponse à cette interrogation dépend l'étendue 9

Nous n'aborderons pas ici la majorité qualifiée

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Bruno Dondero, « La décision adoptée à la… minorité ? ; Note sous Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 janvier 2022, pourvoi numéro 19-12.696⚖️ Affaire 1091 ; Arrêt partiellement reproduit », 10-03-2022 - JCP E Semaine Juridique (édition entreprise) - N° 10 - p. 17-22

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des aménagements statutaires possibles même après cet arrêt du 19 janvier 2022... »11 L'incertitude est d'autant plus grande que l'organe chargé de la rédaction des résolutions soumises à l'approbation collective des associés peut soumettre à l'approbation collective des actionnaires des résolutions n'impliquant pas seulement un choix alternatif (tel que « pour » ou « contre », mais des choix multiples (tels que Option 1, Option 2, Option 3). Commentant les inconvénients d'une majorité simple, M. Dondero rappelle que « L'inconvénient de ce mécanisme est qu'il peut conduire à la prise d'une décision qui n'a que le soutien d'une minorité de votants, les autres options proposées ayant simplement eu un accueil encore moins favorable... On peut surtout se demander si le vote à la majorité relative est admissible au regard de la décision commentée ». Je suis, pour ma part, favorable à l'exigence la moins forte, compte tenu de la liberté contractuelle qui s'attache à la rédaction des statuts de SAS : celle d'une majorité relative, qui réunit le plus grand nombre de voix sur un choix qui a la préférence des associés. Cette exigence me semble suffisante pour dégager une solution majoritaire, y compris dans le cas d'une décision collective se prononçant sur plus de deux solutions alternatives.

Je suis donc favorable à la substitution de la formule « majorité simple des votes exprimés » figurant dans l'arrêt de la chambre commerciale, par celle de « majorité relative des votes exprimés ». 3.2.2. - Les fondements justifiant l'exigence d'une majorité (relative ou simple) : le choix du visa L'exigence d'une majorité ne figure pas dans l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, ni d'ailleurs dans son premier alinéa. C'est d'ailleurs la critique principale adressée à l'arrêt de la chambre commerciale du 19 janvier 2022 par ses commentateurs. Ainsi, si vous deviez me suivre et adopter une position comparable à celle de la chambre commerciale, vous disposez de plusieurs possibilités pour consacrer l'exigence d'une majorité pour l'adoption d'une décision collective des associés. Une première solution serait d'affirmer le principe majoritaire en tant que tel ou de le faire dériver d'un autre principe du droit des sociétés, tel que le droit des associés de participer aux délibérations. Je ne suis pas favorable à cette solution. 11

Laurent Godon, « Discussion sur la clause de prise des décisions à la minorité, invalidée par la Cour de cassation ; Note sous Cour de cassation,Chambre commerciale, 19 janvier 2022, pourvoi numéro 19-12.696 », 01-09-2022 - Revue des sociétés - N° 9 - p. 493-499

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S'agissant de l'affirmation d'un principe majoritaire sui generis applicable à l'ensemble des sociétés, ce principe devra être concilié avec d'autres règles du droit des sociétés en général et des SAS en particulier. Ainsi, la règle majoritaire ne sera ni générale ni absolue de sorte qu'elle devra s'effacer devant l'exigence de l'unanimité des associés. Il est vrai que l'unanimité n'est plus requise que pour l'adoption ou la modification des clauses visées aux articles L. 227-13 et L. 227-17 (article L. 227-19, alinéa 1er). Les autres clauses prévues par la loi ne sont, en effet, plus couvertes par l'exigence d'unanimité (article L. 227-19, alinéa 2, du code de commerce🏛). Mais le principe majoritaire n'a pas vocation à être appliqué en cas d'augmentation des engagements des associés puisque, dans ce cas, c'est le principe d'unanimité qui devrait l'emporter (article 1836 du code civil🏛 pour les sociétés en général et L. 236-8 à L. 236-22 du code de commerce🏛 pour les SA qui s'applique aux SAS en vertu du principe de compatibilité). Il en va de même des apports partiels d'actifs s'ils sont soumis au régime des scissions (article L. 236-22 et L. 236-9 du code de commerce🏛). Ensuite, si la question qui vous est posée est d'importance, elle se présente rarement dans le contentieux du droit des sociétés. Cette question est apparue à l'occasion des statuts des SAS qui, malgré le succès rencontré par cette forme sociale, comportent rarement des clauses d'adoption de décisions collectives minoritaires. Vous n'êtes pas en présence d'un contentieux émergent ou sériel, aussi symbolique soit-il. S'agissant des fondements qui pourraient justifier l'exigence majoritaire, tels que le principe de l'égalité entre les associés (article 1844, alinéa 1er, du code civil🏛) ou le droit des associés de participer aux décisions collectives et de voter, il convient de relever qu'ils ne sont pas absolus et qu'ils reçoivent de nombreuses exceptions. Ainsi, s'agissant de l'égalité entre les associés, nul ne conteste la liberté des rédacteurs de statuts de SAS de prévoir différentes exceptions à cette égalité, tels que :12 - les clauses de stage modifiant le multiplicateur d'un vote multiple en fonction d'une ancienneté dans la société ; - le vote par tête, chaque associé ayant droit à une voix ; - le plafonnement (limitation du nombre des voix dont dispose chaque associé), sur le modèle de l'article L. 225-125 du code de commerce🏛 pour la société anonyme ou le distinguant par catégorie d'associés ; on peut aussi faire masse des actions détenues par toutes les sociétés appartenant à un même groupe ;

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Ces exemples sont donnés par MM. Germain et Périn, actualisé par Mme Azarian, « Fasc. 155-25 : Sociétés par actions simplifiées - décisions collectives et droit des associés », JurisClasseur Sociétés Traité, § 44

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- l'action spécifique (golden share) offrant à son titulaire un droit de veto ou d'ajournement sur certaines décisions telles qu'une opération sur le capital, une opération donnée (investissement, lancement d'un nouveau projet, emprunt) ou l'agrément d'un nouvel associé ; - les actions de préférence sans droit de vote, qui ne peut représenter plus de la moitié du capital social de la SAS (article L. 228-11, alinéa 3, du code de commerce🏛). L'égalité des associés paraît être un fondement trop fragile pour affirmer un principe général de majorité pour l'adoption de décisions collectives des associés. S'agissant du droit des associés de participer aux décisions collectives et de voter, il est exact que la Cour de cassation en a posé le principe. Cependant, la violation de ce principe, à elle seule, n'entraîne la nullité de la délibération (ou de la clause en question) que dans les cas d'exclusion des associés qui seraient privés de leur droit de participer et de voter la résolution les concernant (Com., 23 oct. 2007, n 06-16.537, Bull. N 225, arrêt « Arts et entreprise », voir déjà Com., 4 janv. 1994, n 91-20.256, Bull. IV n° 10 ; Com., 9 février 1999, n° 96-17.661⚖️, Bull. N 44, arrêt « Château d'Yquem » ; pour une affirmation récente de cette jurisprudence traditionnelle, Com., 29 mai 2024, n° 22-13.158 FS-B⚖️). Dès lors que ce sont les statuts d'une SAS qui prévoient une prise de décision minoritaire, il est difficile de dire que les associés majoritaires ont été privés de leur droit de participer à la décision et de voter. Cette participation et ce vote ont été effectivement réalisés. Seule est en cause la modalité d'adoption de la décision collective, selon un seuil minoritaire prévu par les statuts. Dès lors, il me semble qu'en toute logique, ce devrait être la jurisprudence Larzul II qui devrait être appliquée en matière de SAS (Com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B). Ainsi, outre le fait qu'un associé ait été privé de son droit de participer à la décision collective et de voter ne me parait pas constitué dans le cas de statuts de SAS prévoyant l'adoption de décisions collectives des associés réunissant un simple seuil minoritaire, l'annulation d'une décision portant sur un autre sujet que celui de l'exclusion de l'associé, ne pourrait intervenir que pour autant que « l'irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». Enfin des notions telles que l'affectio societatis ou l'interdiction des clauses léonines me paraissent trop éloignées pour être mobilisées afin d'affirmer le principe de l'adoption à la majorité de décisions collectives. C'est cependant la position de certains auteurs qui invoquent ainsi l'interdiction des clauses léonines. Pour eux, de même que l'article 1844-1 du code civil🏛 sanctionne la clause léonine à caractère financier, l'article 1832 du code civil🏛, dont la jurisprudence déduit l'exigence

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essentielle de collaboration et d'égalité, devrait permettre de sanctionner la clause léonine relative à la prise de décision.13 Un fondement bien plus certain me semble être l'interprétation de la base textuelle sur laquelle repose le présent litige, à savoir l'article L. 227-9 du code de commerce, qui commanderait à la fois la condition de l'adoption des décisions collectives des associés de SAS à la majorité, son champ d'application et la sanction qui s'attache à sa violation. 3.2.3.- L'article L. 227-9 du code de commerce : principe de majorité, champ d'application et sanction

Le principe de majorité Comme indiqué plus haut, la question de la majorité pour une prise de décision collective ne se pose de manière insistante que dans le cadre de la forme juridique de la SAS. Les autres sociétés n'ont pas donné lieu à un contentieux de cette nature et il n'apparaît pas nécessaire de développer un nouveau principe, applicable à toutes les sociétés. La base texte de l'article L. 227-9 du code de commerce réservée aux SAS apparaît donc suffisante. Ce texte prévoit dans ses deux premiers alinéas que les décisions des associés sont prises « collectivement par les associés » dans les formes et conditions prévues par les statuts de la SAS. Ce caractère collectif de la décision peut revêtir deux modalités en droit des sociétés, à savoir principalement l'unanimité et la majorité. Si l'article 1836 du code civil pour les modifications des statuts des sociétés civiles et l'article 1844-6 du code civil🏛 pour la prorogation de la société civile prévoient le principe de l'unanimité, ils ajoutent que les statuts peuvent en disposer autrement, l'article 1844-6 du code civil, précisant même que la prorogation peut être adoptée à la majorité prévue pour la modification des statuts. Les mêmes règles sont applicables aux décisions collectives des associés des sociétés civiles (article 1845 et suivants du code civil🏛). De la même manière, en matière de société en nom collectif, l'article L. 221-6 du code de commerce🏛 prévoit que « les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises à l'unanimité des associés. Toutefois les statuts peuvent prévoir que certaines décisions sont prises à une majorité qu'ils fixent ». La SARL obéit quant à elle au principe majoritaire dans les termes de l'article L. 22329 du code de commerce selon lequel : « Dans les assemblées ou lors des consultations écrites, les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si cette majorité n'est pas obtenue 13

En ce sens, Florence Deboissy et Guillaume Wicker, « Inefficacité de la disposition statutaire stipulant une majorité minoritaire », Chronique "Droit des sociétés" (pages 18 à 27), 10-11-2022 - JCP E Semaine Juridique (édition entreprise) - N° 45 - p. 23-24

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et sauf stipulation contraire des statuts, les associés sont, selon les cas, convoqués ou consultés une seconde fois, et les décisions sont prises à la majorité des votes émis, quel que soit le nombre des votants [...] ». Quant à la société anonyme, on rappellera qu'elle constitue pour la SAS un modèle de référence à part entière. Une fois appliquées les règles de fonctionnement issues des statuts de la SAS, dont on a dit qu'elles obéissent à la liberté contractuelle, c'est par référence aux règles applicables aux SA qu'il convient de se référer. Selon le principe de compatibilité énoncé à l'article L. 227-1, alinéa 3, du code de commerce🏛, « Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre [consacré aux sociétés par actions simplifiées], les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception de [...], sont applicables à la société par actions simplifiée [...] ». Or, en matière de SA, c'est incontestablement la règle majoritaire qui s'applique. On trouve ainsi 23 occurences du mot majorité dans le chapitre V, du Livre II du code de commerce consacré à la SA (il est vrai que cette recherche ne porte pas uniquement sur les décisions des assemblées générales d'actionnaires, mais sur d'autres organes de décision tels que le conseil d'administration ou le conseil de surveillance). Et cette majorité est déclinée dans toutes ses modalités : - majorité qualifiée (majorité des 2/3 de l'assemblée générale extraordinaire habilitée à modifier les statuts - article L. 225-96, alinéa 3 du code de commerce🏛 ; - majorité (simple ou absolue), - majorité relative (expressément prévu par l'article L. 225-28, alinéa 5, en cas d'impossibilité de réunir la majorité absolue au premier tour).

Nous insisterons particulièrement sur l'article L. 225-98, alinéa 3, du code de commerce🏛 selon lequel l'assemblée générale ordinaire de la SA « statue à la majorité des voix exprimées par les actionnaires présents ou représentés. Les voix exprimées ne comprennent pas celles attachées aux actions pour lesquelles l'actionnaire n'a pas pris part au vote, s'est abstenu ou a voté blanc ou nul ». Si ce texte n'a pas vocation à s'appliquer à une SAS dont les statuts prévoient d'autres modalités, le modèle de la SA demeure en toile de fond et suppose que, pour être qualifiée de collective au sens de l'article L. 227-9 du code de commerce, la décision prise par les associés d'une SAS devrait réunir une majorité, au moins relative, pour être adoptée. Le champ d'application Si vous deviez confirmer le principe de majorité posé par chambre commerciale, il subsiste la question de son champ d'application, qui est d'ailleurs étroitement lié à la question du fondement de votre décision.

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L'exigence d'une majorité pour l'adoption d'une décision collective des associés de SAS s'applique-t-elle uniquement aux décisions collectives visées par l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, comme le suggère le visa retenu par la chambre commerciale dans son arrêt du 19 janvier 2022 ? Doit-elle être étendue à celles des décisions qui doivent être adoptées collectivement par les associés de SAS selon les statuts, par application de l'article L. 227-9, alinéa 1er, du même code ? Cette exigence concerne-t-elle, plus largement, toutes les décisions collectives (délibérations le plus souvent), prises par les associés des autres sociétés ayant une forme sociale autre que celle de la SAS ? La réponse de l'ANSA me paraît explicite : « Il nous semble tout d'abord qu'il n'y aurait pas lieu à distinguer selon que la décision collective est définie par les statuts (article L. 227-9, alinéa 1er) ou par la loi (article L. 227-9, alinéa 2). En effet le raisonnement devrait le même sans qu'il soit nécessaire d'établir une hiérarchisation des décisions collectives selon leur source. D'ailleurs, la désignation du Président de la SAS, sa révocation ou encore une modification des statuts autre qu'une modification du capital social, telle que la modification de l'objet social, qui ne sont pas visées à l'alinéa 2, n'en revêtent pas moins une importance majeure pour la société ». Je ne peux que m'associer à cette observation en ajoutant que la chambre commerciale s'est déjà engagée dans un alignement des sanctions qui s'attachent aux violations des règles statutaires et légales en matière d'annulation des délibérations. Selon les arrêts précités Larzul II et Amoruso, les résolutions 14 sont susceptibles d'être annulées tant en raison de violations statutaires des SAS (Larzul II), qu'en raison de violation de la loi (pour une violation des articles 1844, alinéa 1 er, et 184410, alinéa 3, du code civil dans le cadre d'une SARL) pour autant que cette violation soit de nature à influer sur le processus de décision.

Dès lors, on voit mal comment, dans le cadre d'une SAS, un sort différent serait réservé aux décisions qui doivent être prises collectivement par les associés selon les statuts (article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce) et aux décisions dévolues à la collectivité des associés de par la loi (article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce). Quant à l'affirmation d'un principe majoritaire à la totalité des formes sociales, j'ai dit plus haut combien la question ne concernait, jusqu'à présent que la seule forme des SAS. La sanction Des auteurs ont souligné l'incertitude quant à la sanction applicable en l'espèce.

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L'arrêt Amoruso parle des « assemblées générales »

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S'agit-il de la nullité de la clause statutaire ou de son caractère réputé non écrit ? La décision collective prise pour son application est-elle nulle ou simplement inopposable à la société ?15 S'agissant de la première question, nous savons qu'en l'espèce, la nullité de stipulation statutaire ne pouvait plus être obtenue (prescription de 3 ans) 16. Doit-on en déduire son caractère réputé non écrit ? Le raisonnement à suivre serait alors le même qu'en matière de clause statutaire privant un associé de son droit de participer aux décisions collectives, laquelle étant réputée non écrite par l'article 1844-10, alinéa 2, toute décision d 'exclusion prise sur le fondement d'une telle clause étant automatiquement nulle, peu important que l'associé ait été admis à prendre part au vote (Com. 6 mai 2014, n° 13-14.960⚖️). S'agissant de la délibération ou de la décision collective en elle-même, l'hésitation ne me paraît pas permise : c'est bien la nullité plutôt que l'inopposabilité qu'encourt la délibération en raison de la rédaction même de l'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du code de commerce. Selon ce texte, « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. » Ainsi, je suis d'avis qu'il faudrait considérer que : - le terme « collectivement » prévu aux alinéas 1 er et deuxième de l'article L. 227-9 du code de commerce doit être interprété comme un synonyme de « majorité relative », ou en tout état de cause, de majorité simple, comme l'a jugé la chambre commerciale ; il faudrait donc postuler qu'une décision collective ne peut être qu'une décision prise à la majorité des droits de vote exprimés par les actionnaires ; - la sanction qui s'attache à la violation de ces deux alinéas est la nullité de la décision prévue par l'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du code de commerce, sans qu'il soit besoin de se référer à un autre principe tel que l'égalité entre les associés ou le droit des associés de participer et de voter. En d'autres termes, une clause statutaire instaurant une condition de seuil minoritaire violerait nécessairement les deux premiers alinéas de l'article L. 227-9, de sorte que les décisions prises en application de cette clause seraient nulles sur le fondement de l'alinéa 4 du même article et de l'article L. 235-1 du code de commerce.17 Je conclus donc à la cassation de l'arrêt attaqué sur le moyen, pris en sa deuxième branche, la troisième branche ne critiquant que des motifs inopérants auxquels il aura été répondu par la cassation à intervenir.

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Jean-François Hamelin, « La liberté contractuelle ne permet pas de retenir une majorité qui n'en est pas une ! », 01-04-2022 - Droit des sociétés - N° 4 - p. 37-40 16

Voir supra, l'exposé des faits et de la procédure

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En ce sens, Pierre-Alain Marquet, Pauline Lethenet, article précité

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Conformément à l'avis 1015 du code de procédure civile figurant au rapport, cette cassation pourrait intervenir sans renvoi, si l'Assemblée plénière envisageait de statuer au fond sur la demande d'annulation de la décision collective litigieuse, en application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile, pour une bonne administration de la justice. Il suffirait à l'Assemblée plénière de retenir qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la délibération relative à l'augmentation du capital de la société La Vierge, qui a été adoptée après avoir recueilli 229 313 voix pour, et 269 185 voix contre, sans aucune abstention, n'a pas été adoptée à la majorité (relative ou simple).

P.J. : Consultation écrite de l'Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA)

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