Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 24-04-2024, n° 22-20.539

Cass. soc., Conclusions, 24-04-2024, n° 22-20.539

A99186BX

Référence

Cass. soc., Conclusions, 24-04-2024, n° 22-20.539. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300778-cass-soc-conclusions-24042024-n-2220539
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AVIS DE M. HALEM, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 413 du 24 avril 2023 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-20.539⚖️ Décision attaquée : 22 juin 2022 de la cour d'appel de Montpellier Mme [W] [R] C/ la société Ernst & Young Société d'Avocats _________________

Mme [R] (ci-après “la salariée”) a été engagée par la société Ernst & Young (ciaprès “l'employeur”) le 7 octobre 2013 en contrat à durée indéterminée de fiscaliste puis d'avocate à compter du 5 novembre 2013, promue au grade “Senior 3” en 2017. A la suite de deux congés maternité pris entre le 2 mars 2018 et le 15 janvier 2020, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse le 27 mai 2020. Le 29 janvier 2021, la salariée a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Montpellier de demandes tendant notamment à voir ordonner son repositionnement au grade supérieur “senior manager 1” au 1er juillet 2019, condamner l'employeur au paiement d'heures supplémentaires liées à la nullité de sa convention de forfait en jours, de dommages-intérêts pour discrimination et harcèlement discriminatoire, exécution fautive du contrat de travail et licenciement vexatoire, sollicitant en outre la nullité du licenciement avec réintégration.

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Par décision du 22 septembre 2021, le bâtonnier a condamné l'employeur à verser à la salariée 12 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral lié à la discrimination, 8 000 euros pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail, 13 900 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la déboutant de sa demande au titre du paiement d'heures supplémentaires au titre de la nullité du forfait en jours. Par arrêt du 22 juin 2022, la cour d'appel de Montpellier a confirmé la décision sauf sur le caractère réel et sérieux du licenciement, condamné l'employeur au paiement de 13 900 euros, rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, annulé le licenciement, condamné l'employeur à payer 40 000 euros de dommages-intérêts à ce titre et 2 000 euros pour licenciement vexatoire, rejeté les demandes en prononcé de la nullité du forfait jour et en paiement d'heures supplémentaires. Le 22 août 2022, la salariée a formé un pourvoi en cassation.

DISCUSSION Le pourvoi se fonde sur quatre moyens de cassation, les trois premiers étant liés à la réparation du préjudice résultant de la discrimination et le dernier aux conditions de recours au forfait annuel en jours. * Selon le quatrième moyen, qui a motivé le renvoi de l'affaire devant la quatrième section de la chambre sociale de la Cour de cassation et fera seul l'objet du présent avis, il appartient à l'employeur qui conclut avec un salarié une convention individuelle de forfait en jours sur l'année de s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail: (i) Si l'accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, l'exécution d'une telle convention conclue sur le fondement d'un accord collectif qui, au 9 août 2016, ne déterminerait pas ces modalités peut être poursuivie si l'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. Or la cour d'appel a débouté la salariée de sa demande de nullité du forfait jour et de paiement d'heures supplémentaires sans rechercher si la charte des bonnes pratiques invoquée par employeur permettait à celui-ci de s'assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires, alors que l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail à la convention collective des avocats salariés du 17 février 1995 et l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007 n'étaient pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressée (défaut de base légale au regard des articles L. 3121-60, L. 3121-64 et L. 3121-65 du code du travail🏛🏛🏛, ensemble de l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛). 2

(ii) En cas de litige, il appartient à l'employeur de prouver qu'il s'est conformé aux modalités prévues par voie d'accord collectif et/ou de décision unilatérale, de sorte qu'à défaut, la convention de forfait en jours est privée d'effet, permettant au salarié d'obtenir le paiement des heures supplémentaires réalisées. Or la cour d'appel a retenu l'existence d'un outil de contrôle de la charge de travail pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle des salariés sans rechercher si, dans le cadre de l'exécution de la convention de forfait en jours, l'employeur établissait s'être effectivement assuré régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail (défaut de base légale au regard des articles L. 3121-60, L. 3121-64 et L. 3121-65 du code du travail, ensemble de l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016). Le moyen, pris d'un défaut de base légale, pose la question de l'office du juge en ce qui concerne (i) l'appréciation de la légalité des mesures unilatérales palliatives prises par l'employeur en vertu des dispositions transitoires de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛 à l'égard d'une convention individuelle de forfait annuel en jours en cours fondée sur un accord collectif irrégulier (branche 1) et (ii) l'effectivité du respect par celui-ci de son obligation d'évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié, en application de l'accord collectif et des mesures unilatérales palliatives qui fondent cette convention individuelle de forfait (branche 2). * Les mesures palliatives objet de la première branche du moyen permettant la poursuite d'une convention individuelle de forfait fondée sur un accord collectif irrégulier, prévues par les dispositions transitoires de la loi du 8 août 2016 (article 12, III) renvoyant aux critères de fond insérés par cette loi aux articles L. 3121-64, II, 1° et 2°, et L. 3161-65 du code du travail🏛, étant précisément applicables en cas d'illégalité d'un tel accord, les parties ont été interrogées sur le moyen relevé d'office tiré de la légalité du cadre conventionnel de la convention de forfait annuel en jours litigieuse (avenant n° 7 à l'accord de branche du 7 avril 2000, accord d'entreprise du 14 mai 2007 et avenant n° 15 du 25 mai 2012, non visé par le moyen), en tant qu'il ne permettrait pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié (violation de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008🏛, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne).

Après avoir rappelé l'exigence accrue de protection de la sécurité et de la santé du salarié dans le recours au forfait annuel en jours (I), il conviendra de constater en l'espèce l'adéquation du cadre conventionnel applicable et des mesures palliatives à la garantie du caractère raisonnable et de la bonne répartition dans le temps de la charge de travail du salarié (II - moyen relevé d'office et moyen 4, branche 1) mais le manquement de la cour d'appel à son office dans le contrôle de l'effectivité de ces garanties (III - moyen 4, branche 2).

I. L'exigence accrue de protection de la sécurité et de la santé du salarié dans le recours au forfait annuel en jours Le forfait en jours, qui peut être défini comme un accord par lequel l'employeur et le salarié conviennent d'une rémunération globale sur la base d'un nombre de jours travaillés annuellement, fait depuis sa création l'objet de critiques récurrentes en ce qu'il exposerait le salarié à une durée de travail excessive en le privant d'une rémunération majorée pour heures supplémentaires. Les risques associés au forfait annuel en jours pour la santé et la sécurité du salarié ont en effet conduit à un encadrement plus strict des conditions de recours à celuici (1), en particulier au niveau de la qualité du contrôle par l'employeur du caractère raisonnable de la charge de travail supportée par le salarié (2), ces exigences ayant été intégrées dans le code du travail afin d'en sécuriser la pratique (3). 1. Crées par la loi “Aubry II” n° 2000-37 du 19 janvier 2000, les conventions de forfait en jours ont été initialement conçues comme un dispositif flexible répondant aux besoins d'autonomie des cadres dont le temps de travail ne peut être prédéterminé, renvoyant de ce fait à un accord collectif le soin de définir les modalités de décompte des durées travaillées et de repos ainsi que de suivi de l'organisation du travail, de l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail de salariés concernés1. 1 Voir article L. 212-15-3, I et III, du code du travail🏛, dans sa version issue de la loi n° 2000-37 du

19 janvier 2000 : “I. - Les salariés ayant la qualité de cadre au sens des conventions collectives de branche ou du premier alinéa de l'article 4 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et qui ne relèvent pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 doivent bénéficier d'une réduction effective de leur durée de travail. Leur durée de travail peut être fixée par des conventions individuelles de forfait qui peuvent être établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. La conclusion de ces conventions de forfait doit être prévue par une convention ou un accord collectif étendu ou par une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement qui détermine les catégories de cadres susceptibles de bénéficier de ces conventions individuelles de forfait ainsi que les modalités et les caractéristiques principales des conventions de forfait susceptibles d'être conclues. A défaut de convention ou d'accord collectif étendu ou de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement, des conventions de forfait en heures ne peuvent être établies que sur une base hebdomadaire ou mensuelle. (...) III. - La convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours ne doit pas avoir fait l'objet d'une opposition en application de l'article L. 132-26. Cette convention ou cet accord doit fixer le nombre de jours travaillés. Ce nombre ne peut dépasser le plafond de deux cent dix-sept jours. La convention ou l'accord définit les catégories de salariés concernés pour lesquels la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée du fait de la nature de leurs fonctions, des responsabilités qu'ils exercent et du degré d'autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de leur emploi du temps. La convention ou l'accord précise en outre les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos. Il détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. L'accord peut en outre prévoir que des jours de repos peuvent être affectés sur un compte épargne-temps dans les conditions définies par l'article L. 227-1. (...)”.

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1.1. Après avoir été élargie aux cadres autonomes par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 2 puis aux salariés non cadres par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005🏛 3, cette modalité d'aménagement de la durée du travail a été encore assouplie par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 - sous l'empire de laquelle le cadre conventionnel litigieux a été adopté 4 -, qui a donné la priorité à l'accord d'entreprise ou d'établissement sur l'accord de branche pour définir les catégories de salariés concernées, leur durée annuelle de travail et les caractéristiques principales de ces conventions (article L. 3121-39 du code du travail🏛 5, visé par le moyen relevé d'office). Du point de vue du volume de travail, le nombre de jours travaillés dans l'année s'élevait à 218 (article L. 3121-44 du code du travail🏛), avec faculté de renonciation aux jours de repos pouvant porter ce quantum à 235 (article L. 3121-45 du même code🏛). La seule protection du salarié contre une charge de travail excessive se limitait pour l'essentiel à un entretien annuel organisé par l'employeur sur ce thème (article L. 3121-46 du code du travail🏛) et au droit de saisir le juge judiciaire aux fins d'obtenir une réparation proportionnelle au préjudice subi (article L. 312147 du même code).

L'article L. 212-15-2 du code du travail🏛, dans sa version issue de la même loi, définit la notion de cadre notamment par le fait qu'il s'agit de salariés “pour lesquels la durée de leur temps de travail peut être prédéterminée” ; a contrario, lorsque cette durée ne pouvait être prédéterminée, ils relevaient donc bien de l'application du forfait annuel en jours. 2 Voir article L. 212-15-3, III, alinéa 1er, du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003🏛 : “III. - La convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours ne doit pas avoir fait l'objet d'une opposition en application de l'article L. 132-26. Cette convention ou cet accord doit fixer le nombre de jours travaillés. Ce nombre ne peut dépasser le plafond de deux cent dix-sept jours. La convention ou l'accord définit, au regard de leur autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, les catégories de cadres concernés. La convention ou l'accord précise en outre les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos. Il détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. L'accord peut en outre prévoir que des jours de repos peuvent être affectés sur un compte épargne-temps dans les conditions définies par l'article L. 227-1” 3 Voir article L. 212-15-3, III, alinéa 3, dans sa version issue de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 : “La convention ou l'accord peut également préciser que les conventions de forfait en jours sont applicables, à condition qu'ils aient individuellement donné leur accord par écrit, aux salariés non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées”. 4 Le dernier contrat de travail de la salariée a été conclu le 5 novembre 2013, sous l'empire d'un avenant n° 7 du 7 avril 2000 à la convention collective nationale des cabinets d'avocats du 17 février 1995, d'un accord d'entreprise du 14 mai 2007 et d'un avenant n° 15 du 25 mai 2012 à la convention collective précitée, sous l'empire de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et avant la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, laquelle régit cependant, par le biais de dispositions transitoires, les accords antérieurs lui étant éventuellement non conformes (voir infra, § 3). 5 Article L. 3121-39 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 “La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions”.

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1.2. Cependant, les salariés au forfait en jours n'étant pas soumis à la durée légale hebdomadaire, ni aux durées quotidienne et hebdomadaire maximales (article L. 3121-48 du code du travail🏛) 6, ils se trouvaient exposés à l'intérieur du cycle annuel au risque de durées de travail excessives 7, interrogeant la compatibilité du mécanisme avec les exigences constitutionnelles et supranationales. Au niveau constitutionnel, le Conseil constitutionnel avait ainsi jugé que le régime des conventions de forfait en jours était constitutionnel “(..) sous réserve de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives au droit à la santé et au droit au repos résultant du Préambule de 1946 8” (Conseil constitutionnel, décision n° 2005-523 DC du 29 juillet 2005⚖️, § 6). Au niveau supranational, et en premier lieu du droit européen, l'article 17, § 1, de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 permet aux Etats membres de déroger à la durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures prévue par le même texte (article 6) lorsque la durée du travail “en raison des caractéristiques particulières de l'activité exercée, n'est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes, et notamment lorsqu'il s'agit (...) de cadres dirigeants ou d'autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome” mais “Dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (...)”, ce que confirme la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après “CJUE”) (CJUE, 5 octobre 2004, Pfeiffer, C-397/01 à C-403/01, § 12 et 52). De la même manière, cette Cour affirme l'importance du droit fondamental de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ce qui exige “une détermination objective et fiable du nombre d'heures de travail quotidien et hebdomadaire” (CJUE, 14 mai 2019, CCOO, C-55/18, § 49 et 50). En outre, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui a la même valeur juridique que les Traités, énonce que “Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés” (article 31, § 2)9.

6 Règle ensuite reprise à L. 3121-62 du code du travail🏛
, dans sa version issue de la loi n° 20161088 du 8 août 2016. 7 Des auteurs illustrent ce risque en énonçant que : “Concrètement, cette disposition peut ainsi autoriser à faire travailler le salarié jusqu'à 12h30 par jour, soit en moyenne sur l'année plus de 73 heures de travail par semaine, et jusqu'à 282 jours par an, ne laissant, comme le temps de repos annuel, que 30 jours de congés payés, le 1er mai et les dimanches” (P. Bailly, G. Pignarre, M. Blatman et M. Varicel, Conditions de travail, Dalloz référence, éd. 2021-2022, n° 112.211). 8 Le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que la Nation “garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs (...)”. 9 Ce droit est d'autant plus important que la CJUE a admis que cet article, en ce qui concerne l'existence du droit au congé payé annuel, revêt un caractère à la fois précis et inconditionnel permettant à un travailleur de l'invoquer dans un litige l'opposant à son employeur, le juge ayant l'obligation de laisser inappliquée la réglementation nationale contraire (invocabilité horizontale d'exclusion) : CJUE, 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, points 85 à 91 ; CJUE, 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft, C-684/16, points 74 à 80.

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S'agissant en second lieu du Conseil de l'Europe, la Charte sociale européenne révisée garantit également le droit des travailleurs à une “durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire” (article 2, § 1) ainsi qu'à un “taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires” (article 4, § 2), ce qui a conduit à plusieurs reprises le Comité européen des droits sociaux (ci-après “CEDS”) 10 à considérer que le système des forfaits en jours autorisait une durée du travail “manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable”, en “l'absence de garanties suffisantes” (CEDS, décision du 16 novembre 2001 sur la réclamation n° 9/2000, § 30 et 31 ; décision du 12 octobre 2004 sur la réclamation n° 16/2003, § 41 ; décision du 8 décembre 2004 sur la réclamation n° 22/2003, § 57 ; décision du 23 juin 2010 sur la réclamation n° 55/2009, § 57), et le Comité des ministres de l'organisation à en prendre acte (résolutions ResChS(2005)8 du 4 mai 2005 et CM/ResChS(2011)4 du 6 avril 2011). 2. Outre le fait qu'elle considérait déjà que l'accord collectif devait prévoir “les modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte, ainsi que les modalités concrètes d'application des dispositions concernant les repos quotidiens et hebdomadaires” (Soc, 13 décembre 2006, n° 05-14.685⚖️), la Cour de cassation a donc renforcé les conditions de validité du forfait annuel en jours en précisant dans un arrêt de principe du 16 juin 2011, au visa de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, de l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne révisée ainsi qu'à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, que “toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, tant journaliers qu'hebdomadaires, telles que définies par le code du travail et selon les Directives communautaires de 1993 et 2003, dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs” (Soc, 29 juin 2011, n° 09-71.107⚖️). Elle a ensuite décliné cette position en deux exigences. D'une part, la nécessité pour l'accord de garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié (Soc, 26 septembre 2012, n° 11-14.540⚖️ ; Soc, 24 avril 2013, n° 11-28.398⚖️ ; Soc, 13 novembre 2014, n° 13-14.206⚖️). D'autre part, la nécessité de mettre en place un dispositif de contrôle effectif et régulier de la charge de travail, imposant à l'employeur de réagir en cas d'activité anormalement élevée (Soc, 14 mai 2014, n° 12-35.033⚖️ ; Soc, 14 mai 2014, n° 1310.637 ; Soc, 11 juin 2014, n° 11-20.985⚖️). Ainsi, ne respectent pas ces conditions les accords :

10 Le CEDS veille au respect de la Charte sociale européenne par les Etats parties au titre de

leur obligation d'application de bonne foi de toutes les dispositions conventionnelles adoptées au sein du Conseil de l'Europe.

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- qui se bornent à ouvrir le recours aux forfaits en jours en reproduisant les dispositions légales 11 ; - se limitent à de simples déclarations de principe sans instaurer de contrôle effectif et régulier de la charge de travail du salarié et de son adéquation avec une durée du travail raisonnable 12 ; - n'imposent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable 13. 11 Soc, 31 janvier 2012, n° 10-19.807⚖️ : accord cadre renvoyant à la convention écrite conclue

avec le salarié concerné le soin de fixer les modalités de mise en œuvre et de contrôle du nombre de jours travaillés ainsi que la nécessité d'un entretien annuel d'activité du cadre avec sa hiérarchie, et accord d'entreprise se bornant à affirmer que les cadres soumis à un forfait en jours sont tenus de respecter la durée minimale de repos quotidien et hebdomadaire (accord dans l'industrie chimique) ; Soc, 24 avril 2013, n° 11-28.398 : accord prévoyant un suivi spécifique au moins deux fois par an (application de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques) ; Soc, 4 février 2015, n° 13-20.891⚖️ : accord prévoyant l'organisation sur cinq jours de l'activité des salariés concernés, afin qu'ils puissent exercer utilement leur droit au repos hebdomadaire et l'établissement d'un document récapitulant leur présence sur l'année (convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire) ; Soc, 24 mars 2021, n° 19-12.208⚖️: veille par le chef d'établissement à ce que la charge de travail des cadres concernés par la réduction du temps de travail soit compatible avec celle-ci, qu'ils bénéficient d'un repos quotidien de 11 heures, ne soient pas occupés plus de six jours par semaine et bénéficient d'un repos hebdomadaire de 35 heures consécutives (accord dans le secteur du bricolage). 12 Soc, 14 mai 2014, n° 12-35.033 : fixation d'une limite de durée quotidienne de 10 heures et hebdomadaire de 48 heures en précisant que le dépassement doit rester exceptionnel (convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes) ; Soc, 11 juin 2014, n° 11-20.985 : tenue de compte par les salariés des limites journalières et hebdomadaires et alerte de leur hiérarchie en cas de circonstances particulières (accord national des entreprises du bâtiment et travaux publics) ; Soc, 5 octobre 2017, n° 16-23.110, 16-23.111, 16-23.106, 16-23.107, 16-23.108 et 1623.109 : saisie du temps de travail hebdomadaire dans le système de gestion des temps, état récapitulatif du temps travaillé par personne établi chaque mois pour le mois M-2 et remis à la hiérarchie du salarié et présentation chaque année au comité de suivi de cet accord (accord d'entreprise sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des cadres consultants et administratifs). 13 Soc, 25 janvier 2017, n° 15-14.807 et Soc, 7 juillet 2015, n° 13-26.444⚖️ : décompte mensuel par l'employeur des journées travaillées, du nombre de jours de repos pris et de ceux restant à prendre afin de permettre un suivi de l'organisation du travail, obligation de respecter les limites légales de la durée quotidienne de travail et entretien annuel entre l'intéressé et son supérieur hiérarchique portant sur l'organisation du travail et l'amplitude des journées de travail (convention nationale des hôtels, cafés, restaurants et accord d'entreprise) ; Soc, 26 septembre 2012, n° 11-14.540, précité : entretien annuel avec le supérieur hiérarchique et examen trimestriel par la direction des informations communiquées sur ces points par la hiérarchie (convention nationale de commerces de gros et accord d'entreprise) ; Soc, 19 septembre 2012, n° 11-19.016⚖️ : salariée devant gérer son temps de travail au moyen d'une feuille de route (accord des entreprises de l'habillement) ; Soc, 13 novembre 2014, n° 13-14.206 : bilan du temps de travail effectué par le salarié, communiqué à l'employeur, sur lequel il précise, le cas échéant, ses heures habituelles d'entrée et de sortie afin de pouvoir apprécier l'amplitude habituelle de ses journées de travail et de remédier aux éventuels excès (convention collective du notariat) ; Soc, 17 janvier 2018, n° 16-15.124⚖️ : établissement par le salarié sous la responsabilité de l'employeur d'un document de contrôle faisant apparaître les jours travaillés et les repos et entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé ainsi que l'amplitude de ses journées d'activité (convention collective du notariat) ; Soc, 9 novembre 2016, n° 15-15.064⚖️ : document de contrôle faisant apparaître les journées travaillées ou non et calendrier mensuel établis par le salarié luimême (convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle) ; Soc, 14 décembre 2016, n° 15-22.003⚖️ : définition par l'employeur et le salarié en début d'année, ou deux fois par an si nécessaire, du calendrier prévisionnel de l'aménagement du temps de travail et de la prise des jours de repos sur l'année et établissement une fois par an d'un bilan de la charge de travail de l'année écoulée (convention collective nationale de l'immobilier) ; Soc, 6 novembre 2019, n° 18-19.752⚖️ : décompte mensuel des jours de travail et de repos établi par le cadre et visé par son supérieur hiérarchique sans suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis (convention collective nationale des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs) ; Soc, 24 avril 2013, n° 11-28.398 : suivi spécifique par les représentants du personnel (convention Syntec) ;

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A l'inverse, ont été généralement jugés valides des accords cumulant (i) un système de décompte, sous la supervision de l'employeur, du nombre de journées et de demi-journées de travail et de repos, (ii) un examen régulier et contradictoire, parfois assorti d'un dispositif d'alerte, du nombre de jours d'activité effectués, de la charge de travail du salarié et de l'existence de pics d'activité et (iii) la prise obligatoire de mesures correctrices en cas de constat d'une surcharge récurrente ou d'atteinte aux droits à repos du salarié 14.

Soc, 21 septembre 2022, n° 21-15.114⚖️ : mention du nombre de jours travaillés dans l'année de 217 jours au plus, du fait que les salariés doivent veiller à respecter les règles concernant le repos quotidien et le repos hebdomadaire, qu'une demi-journée de travail ne peut être inférieure à deux heures de travail effectif et une journée à six heures, qu'ils devront éviter d'effectuer des horaires journaliers et hebdomadaires excessifs que des impératifs exceptionnels ne justifieraient pas, entretien individuel annuel permettant aux cadres concernés et à la direction de prendre les mesures qui s'imposeront pour rendre la charge de travail plus compatible avec le respect des 217 jours, comptabilisation des jours et demi-journées travaillées sur un état hebdomadaire et mensuel tenu à jour par le salarié, visé par lui et son supérieur hiérarchique et remis chaque mois à la direction (accord d'entreprise de l'Association de gestion et de comptabilité de l'artisanat) ; Soc, 14 décembre 2022, n° 21-10.251, 20-20.572 : décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris établi mensuellement par le salarié, remis une fois par mois à l'employeur qui le valide et d'un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours ou de demi-jours de repos pris et ceux restant à prendre, suivi de l'organisation du travail, contrôle de l'accord et de l'impact de la charge de travail sur leur activité de la journée, contrôle des jours effectués soit au moyen d'un système automatisé, soit d'un document auto-déclaratif et dans ce cas, le document signé par le salarié et par l'employeur étant conservé par ce dernier pendant trois ans et tenu à la disposition de l'inspecteur du travail (convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires). 14 Soc, 17 décembre 2014, n° 13-22.890⚖️ : système auto-déclaratif des journées et demi-journées travaillées, suivi régulier de l'organisation du travail par la hiérarchie qui veille aux éventuelles surcharges de travail, le cas échéant analyse de la situation pour prendre toutes dispositions adaptées pour respecter, en particulier, la durée minimale du repos quotidien (accord d'aménagement et de réduction du temps de travail dans le secteur des banques) ; Soc, 8 septembre 2016, n° 14-26.256⚖️ : accord d'entreprise dont les dispositions assurent la garantie du respect des repos, journalier et hebdomadaire, ainsi que des durées maximales raisonnables de travail en organisant le suivi et le contrôle de la charge de travail selon une périodicité mensuelle par le biais d'un relevé déclaratif signé par le supérieur hiérarchique et validé par le service de ressources humaines, assorti d'un dispositif d'alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, avec possibilité de demande d'entretien auprès du service de ressources humaines ; Soc, 22 juin 2017, n° 16-11.762⚖️ : déclaration des journées et demi-journées de travail et de repos par le salarié dans un logiciel de l'entreprise, consolidation par la direction des ressources humaines, examen au cours de l'entretien annuel d'appréciation avec le supérieur hiérarchique du nombre de jours d'activité au cours de l'exercice précédent au regard du nombre théorique de jours de travail à réaliser, des modalités de l'organisation, de la charge de travail et de l'amplitude de ses journées d'activité, de la fréquence des semaines dont la charge a pu apparaître comme atypique, arrêté d'un commun accord de toutes mesures propres à corriger cette situation et s'il s'avère que l'intéressé n'est pas en mesure d'exercer ses droits à repos, prise de toute disposition pour remédier à cette situation d'un commun accord entre le cadre concerné et son manager (accord d'entreprise du Crédit Foncier de France) ; Soc, 5 juillet 2023, n° 21-23.294⚖️: suivi régulier de l'organisation du travail des salariés par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos, document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) tenu par l'employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, permettant un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l'ensemble des jours de repos dans le courant de l'exercice (convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment).

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Cette jurisprudence dessine ainsi une grille d'analyse tripartite résumée par un auteur autour des idées (i) de déclaration, (ii) de contrôle de la charge de travail et, si nécessaire, (iii) de mesures à mettre en œuvre pour remédier aux difficultés constatées, ce dernier élément étant essentiel pour apprécier si l'accord répond, en pratique, aux objectifs de protection de la santé et du repos du salarié 15. A plusieurs reprises, la chambre a en outre précisé que l'étalon d'appréciation est celui d'une amplitude de travail raisonnable, ce qui permet de prendre en compte les spécificités du secteur d'activité ou de l'emploi concerné ainsi que l'intensité de travail supportée en pratique par le salarié (Soc, 17 décembre 2014, n° 13-22.890 ; Soc, 8 septembre 2016, n° 14-26.256 ; Soc, 5 juillet 2023, n° 21-23.294, précités). Ce renforcement des garanties par la Cour de cassation depuis sa décision du 29 juin 2011 avait suscité l'approbation du CEDS qui, dans ses conclusions pour 2014, avait “(...) constat[é] que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation donne des assurances quant au respect de la durée du travail raisonnable des salariés relevant du forfait jours”, tout en “(...) consid[érant] par conséquent que l'article 2§1 sera respecté lorsque toutes les conventions collectives concernées auront été modifiées conformément à l'arrêt de la Cour”.

15 Voir le commentaire de M. Morand sur Soc, 22 juin 2017, n° 16-11.762, Forfait en jours : un

autre accord exemplaire, JCP E, n° 37, 14 septembre 2017, 1487 : “Dans cette nouvelle décision, la Cour de cassation « valide » en effet l'accord d'entreprise après avoir constaté qu'il comportait tout d'abord des modalités de décompte des jours ou demi-journées travaillées ainsi que des journées ou demi-journées de repos (...). La deuxième étape est constituée par la définition des modalités de contrôle de la charge de travail (...). Enfin, la troisième étape concerne les mesures à mettre en œuvre éventuellement pour remédier aux difficultés constatées. Donc, déclaration, contrôle de la charge de travail et, si nécessaire, mesure à mettre en œuvre constituent les trois figures imposées permettant d'éviter la « sanction » jurisprudentielle. Même si ces précisions concernent un accord collectif conclu en application de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000🏛
, elles seront aussi très utiles dans la mise en œuvre du processus de sécurisation juridique de la loi du 8 août 2016 qu'il s'agisse de l'appréciation du contenu de l'accord collectif tel que décrit par l'article L. 3121-64, II du Code du travail ou de la mise en œuvre des dispositions supplétives définies par l'article L. 3121-65 du même code qui s'appliquent en cas de défaillance de l'accord collectif (...). De cette motivation, il apparaît que le juge du fond est souverain dans l'appréciation des éléments qui lui sont soumis mais qu'il doit s'assurer que le salarié fait l'objet d'un suivi régulier par l'employeur afin de vérifier que la charge de travail n'est pas excessive. En outre, ce qui paraît essentiel, ce n'est pas tant le respect strict des dispositions de l'accord mais les moyens mis en œuvre par l'employeur pour satisfaire aux conséquences de protection de la santé et du repos du salarié. Si cet objectif est atteint par des moyens mis en oeuvre par l'employeur qui ne correspondent pas tout à fait à la lettre de l'accord, peutêtre qu'une certaine permissivité sera admise. Pour une fois, le juge semble admettre de privilégier le fond sur la forme. Une telle approche ne peut qu'être saluée, surtout quand il s'agit de satisfaire à des exigences de protection de la santé des salariés”.

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3. Afin de sécuriser la pratique des conventions de forfait en jours en minimisant le risque d'annulation 16 ou de privation d'effet 17 de celles-ci, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 - susceptible d'être appliquée en l'espèce grâce à ses dispositions transitoires et à ce titre invoquée par le moyen - a donc intégré dans le code du travail les préconisations de la jurisprudence de la Cour de cassation, en précisant notamment les clauses obligatoires de l'accord collectif devant garantir la santé et la sécurité du salarié 18, ce de deux manières. D'une part, par l'inscription formelle de la règle d'ordre public selon laquelle “L'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail” (article L. 3121-60 du code du travail) et la nécessité imposée à l'accord collectif de fixer les modalités selon lesquelles (i) “l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié” et (ii) “l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise” (article L. 3121-64, II, 1° et 2°, du même code). D'autre part, par deux mécanismes de régularisation des insuffisances affectant éventuellement l'accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait annuel en jours.

16 La convention est nulle si les garanties conventionnelles sont insuffisantes à protéger le droit

au repos, à la santé et à la sécurité du salarié (Soc, 24 avril 2013, n° 11-28.398). 17 Le non-respect par l'employeur d'une clause conventionnelle de nature à garantir le suivi de la charge de travail rend sans effet la convention de forfait (Soc, 15 décembre 2021, n° 19-18.226⚖️ ; Soc, 2 mars 2022, n° 20-16.683⚖️). 18 Voir étude d'impact : “Le juge judiciaire est très attentif au respect du caractère raisonnable de la charge de travail et de l'amplitude de travail du salarié, ainsi qu'à la bonne répartition du travail dans le temps, et exige que l'accord collectif contienne des modalités précises de suivi de l'activité, au-delà de la simple formalité de l'entretien annuel. Cette jurisprudence a été à l'origine d'un certain nombre d'invalidations de conventions individuelles de forfaits conclues sur la base d'accords collectifs, le plus souvent de branche, jugés incomplets. Parmi les branches concernées par ces jugements, on peut citer le bâtiment, le commerce de gros, le commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, les experts comptables et commissaires aux comptes, l'industrie chimique, le notariat, les bureaux d'études techniques (avant que la branche ne renégocie un nouvel accord). (...) Or, si l'accord de branche est jugé non conforme au droit par le juge, ce sont toutes les conventions individuelles signées sur son fondement qui sont susceptibles d'être annulées par un juge en cas de contentieux. Et l'annulation d'une convention de forfait implique un retour au décompte horaire du temps de travail du salarié, ce qui peut être extrêmement coûteux pour l'employeur (...). C'est la raison pour laquelle il est apparu indispensable de sécuriser le dispositif du forfait en jours, en intégrant dans le code du travail les recommandations formulées par la Cour de cassation à travers sa jurisprudence, afin que les partenaires sociaux négocient un accord, que ce soit au niveau de la branche comme de l'entreprise, n'aient plus qu'une seule source du droit et non deux (le code et la jurisprudence). C'est exactement la préconisation formulée par la Cour de cassation dans son rapport annuel 2014 : préciser, dans le code du travail, les clauses obligatoires de l'accord collectif permettant de garantir la protection de la santé et de la sécurité des salariés” (p. 37-38).

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En premier lieu, le dispositif supplétif dit de “béquille” 19 ouvre la faculté pour l'employeur, en cas d'absence des stipulations conventionnelles requises par l'article L. 3121-64, II, 1° et 2°, du code du travail 20, de conclure néanmoins de nouvelles conventions en respectant trois conditions tenant à (i) l'élaboration d'un document de contrôle faisant apparaître les journées et demi-journée travaillées, (ii) la vérification par celui-ci que la charge de travail est compatible avec les temps de repos quotidiens et hebdomadaires et (iii) l'organisation d'un entretien annuel sur le caractère raisonnable de la charge de travail, l'articulation de l'activité avec la vie personnelle du salarié et sa rémunération (article L. 3121-65, I, du code du travail) 21. En second lieu, le dispositif de “sécurisation” prévu par l'article 12, III, de la loi du 8 août 2016🏛 précitée, permettant la poursuite de l'exécution d'une convention (déjà) conclue sur le fondement d'un accord irrégulier ou la conclusion de nouvelles conventions (dispositif redondant sur ce dernier point avec celui de l'article L. 312165, I, précité) sous réserve de respecter les nouvelles exigences légales :

19 Voir notamment rapport n° 3675 de M. Sirugue : “En second lieu, le II du présent article

propose de sécuriser les accords collectifs qui, à la date de publication de la loi ne respecteraient pas les conditions spécifiques requises à l'avenir de tels accords – suivi régulier de la charge de travail du salarié et échange période sur sa charge de travail, etc. – en prévoyant que les conventions individuelles conclues sur leur fondement restent exécutoires sous réserve que l'employeur respecte les dispositions supplétives déjà évoquées (document de contrôle du nombre de jours travaillés, contrôle de la charge de travail du salarié, entretien annuel avec le salarié). Il s'agit par ce biais de tenir compte en particulier des plus petites entreprises, dans lesquelles la convention individuelle de forfait s'appuie non pas sur un accord d'entreprise, mais sur un accord de branche. Compte tenu de leur difficulté à négocier des accords, il est indispensable, pour ces petites entreprises, de sécuriser l'accord de branche sur lequel elles s'appuient : en effet, un employeur serait bien impuissant en cas de blocage des négociations de branche pour réviser l'accord encadrant le recours au forfait. Il convient de souligner que ce dispositif de « béquille » n'a pas vocation à sécuriser l'accord collectif quelles que soient ses lacunes, mais uniquement à compenser ses éventuelles insuffisances en termes de suivi de la charge de travail. Ainsi, un accord qui omettrait d'autres clauses obligatoires comme par exemple le plafond de jours ou encore les catégories de salariés visés, serait nul” (p. 315). 20 Article L. 3121-64, II, 1° et 2°, du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 : “II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine: 1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ; 2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise”. 21 Article L. 3121-65, I, du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016: “I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes : 1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ; 2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; 3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération”.

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“L'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait”. Il peut être relevé qu'en dépit de ces évolutions législatives, le contexte européen et jurisprudentiel demeure exigeant. Non seulement la Cour de cassation a récemment considéré que manque à son obligation de sécurité l'employeur qui ne justifie pas d'un suivi précis et conforme portant notamment sur la charge de travail, l'organisation du travail et l'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale et donc de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié (Soc, 10 janvier 2024, n° 22-13.200⚖️, précité ; Soc, 29 novembre 2023, n° 22-19.424⚖️ ; Soc, 2 mars 2022, n° 20-16.683) mais le CEDS a également réitéré le grief de violation de l'article 2, § 1, de la Charte sociale européenne en ce qui concerne la durée raisonnable de travail des salariés relevant d'un régime de forfait en jours, considérant “(...) qu'en l'absence de limitations légales à la durée maximale autorisée de travail hebdomadaire dans le régime de forfait en jours et indépendamment de l'obligation légale de l'employeur de surveiller la charge de travail, un contrôle a posteriori par un juge d'une convention de forfait en jours n'est pas suffisant pour garantir une durée raisonnable de travail” (CEDS, décision du 19 mai 2021 sur la réclamation n° 149/2017, § 143 et 144) 22.

II. L'adéquation du cadre conventionnel applicable et des mesures palliatives à la garantie du caractère raisonnable et de la bonne répartition dans le temps de la charge de travail du salarié (moyen relevé d'office et moyen 4, branche 1) Le quatrième moyen du pourvoi, pris en sa première branche, reproche à la cour d'appel de ne pas avoir vérifié que la Charte des bonnes pratiques mise en place par l'employeur, qui s'analyse en une mesure unilatérale palliative au sens de l'article 12, III, de la loi du 8 août 2016, renvoyant pour son appréciation aux critères de fond de l'article L. 3121-65, I, du code du travail, répond aux exigences légales de suivi régulier de la charge de travail du salarié.

22 Bien qu'il faille relativiser la portée normative de ces décisions, la Charte sociale européenne

elle-même étant dépourvue d'effet direct dans les rapports entre particuliers, comme l'ont jugé aussi bien le Conseil d'Etat (non-invocabilité dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir : CE, 2 octobre 2009, Union syndicale solidaires Isère, n° 301014⚖️ ; CE, 19 mars 2010, Syndicat national des officiers de police, n° 317225⚖️) que la Cour de cassation (Soc, 11 mai 2022, n° 21-15.247⚖️).

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Ce moyen, ainsi que relevé au rapport, ne vise toutefois pas l'intégralité du cadre conventionnel applicable, en particulier l'avenant n° 15 du 25 mai 2012 (pourtant mentionné par la cour d'appel) à la convention collective nationale des cabinets d'avocats du 17 février 1995, et qui n'était d'ailleurs pas dans le champ de l'arrêt du 8 novembre 2017 par lequel la Cour de cassation a considéré que l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 à la même convention collective et l'accord d'entreprise du 14 mai 2007 ne permettaient pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié (Soc, 8 novembre 2017, n° 15-22.758⚖️). Or, il résulte de la lettre de l'article 12, III, précité que le dispositif de “sécurisation” d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'un accord irrégulier 23 suppose précisément que celle-ci ait été “conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail”, condition devant être préalablement remplie. Il y a dès lors lieu d'examiner en premier lieu la légalité du cadre conventionnel (1), dont la non-conformité éventuelle détermine la possibilité de poursuivre l'exécution d'une convention individuelle de forfait de ce fait irrégulière, au moyen de mesures palliatives telles que la Charte des bonnes pratiques opposée en l'espèce par l'employeur (2). 1. La conformité du cadre conventionnel aux exigences de contrôle de la charge raisonnable de travail du salarié 1.1. L'invalidation du cadre conventionnel applicable en l'espèce par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 novembre 2017 précité ne portait que sur l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail à la convention collective des avocats salariés du 17 février 1995 et l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007, de sorte qu'il convient de centrer l'analyse sur l'avenant n° 15 du 25 mai 2012, dernier accord de branche applicable, non concerné par cet arrêt. Les dernières décisions de la Cour de cassation ayant admis la conformité aux exigences de suivi régulier de la charge de travail du salarié au forfait annuel en jours peuvent être résumées autour de la grille d'analyse en trois étapes décrites plus haut 24, qu'il convient d'appliquer à ce dernier avenant. 23 Si le moyen invoque l'article 12 de la loi du 8 août 2016 en combinaison avec les articles L.

3121-60, L. 3121-64 et L. 3121-65 du code du travail, la convention litigieuse a été conclue en 2013, antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte, de sorte qu'elle est plus directement concernée par le dispositif de “sécurisation” de l'article 12, III, précité, qui concerne les conventions en cours, que par les mesures palliatives supplétives de l'article L. 3121-65, I, du code du travail, qui concernent la conclusion de nouvelles conventions de forfait (même si, sur le fond, le test de conformité de l'article 12, III, renvoie aux critères de l'article L. 3121-65, I). 24 Voir supra, § 1.2 : (i) déclaration, (ii) contrôle de la charge de travail et (iii), si nécessaire, mesures à mettre en œuvre.

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1.1.1. S'agissant du décompte des journées et des demi-journées de travail et de repos, cet accord de branche : - impose, dans un article 4 dédié aux “Garanties d'un équilibre entre charge de travail et durée de travail”, le respect de la durée quotidienne de travail de 11 heures (article 4.1) ainsi que des durées de temps de repos quotidien de 11 heures consécutives (article 4.2.1) et hebdomadaire de 24 heures consécutives (article 4.2.2) ; - prévoit, dans un article 5 relatif au “Décompte des jours travaillés”, la comptabilisation du nombre de journées ou de demi-journées de travail sur un document de contrôle établi à échéance régulière par l'avocat salarié concerné selon une procédure établie par l'employeur, ce document contenant “Un espace relatif à la charge de travail (...) afin que l'avocat salarié puisse y indiquer ses éventuelles difficultés” (article 5). 1.1.2. S'agissant des modalités de contrôle de la charge de travail, l'article 8 du même avenant relatif au “Dispositif de veille et d'alerte” prévoit que : - dans le souci de prévenir les effets d'une charge de travail trop importante sur la santé”, “l'employeur ou son représentant devra analyser les informations relatives au suivi des jours travaillés au moins une fois par semestre” ; - de son côté, l'avocat salarié pourra alerter sa hiérarchie “s'il se trouve confronté à des difficultés auxquelles il estime ne pas arriver à faire face”. 1.1.3. S'agissant enfin des mesures à prendre pour remédier aux difficultés constatées, l'article 8 précité ajoute que, dans le cadre de la veille semestrielle précédemment décrite ou le cas échéant d'une procédure d'alerte, “S'il apparaît que la charge de travail et l'organisation du salarié révèlent une situation anormale, [l'employeur ou son représentant] recevra l'avocat salarié concerné à un entretien, sans attendre l'entretien annuel prévu ci-dessus, afin d'examiner avec lui l'organisation de son travail, sa charge de travail, l'amplitude de ses journées d'activité, et d'envisager toute solution permettant de traiter les difficultés qui auraient été identifiées”. La lecture de ces dispositions révèle ainsi que les non-conformités à l'impératif de protection de la santé et de la sécurité du salarié du cadre conventionnel initial du forfait en jours applicable au statut d'avocat salarié, qui se bornait en substance à prévoir une obligation de moyens de suivi du temps de travail du salarié à qui il était laissé le soin de régulariser ses éventuels dépassements horaires, relevées par la Cour de cassation dans le cadre de son arrêt de 2017, ne paraissent pas transposables à l'avenant ultérieur n° 15 du 25 mai 2012 à l'accord de branche.

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Celui-ci prévoit en effet à l'inverse, en imposant le respect des durées conventionnelles de repos, une obligation de décompte des journées de travail et de repos, une procédure de suivi régulier de la charge de travail du salarié, assortie d'un dispositif d'alerte libellé en des termes très larges, ainsi qu'une obligation pour le supérieur hiérarchique de recevoir le salarié même hors période de suivi en cas de détection de difficultés, afin d'envisager les mesures correctrices à prendre pour restaurer une charge de travail raisonnable. Ces nouvelles dispositions, conformes aux critères posés par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation pour admettre la légalité du cadre conventionnel du forfait annuel en jours, apparaissent donc bien de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail et donc protègent la sécurité et la santé du salarié. 1.2. La légalité du cadre conventionnel de la convention individuelle de forfait en jours - qui conditionne l'examen de la régularité des mesures unilatérales palliatives prises par l'employeur au titre des dispositions de sécurisation de la loi du 8 août 2016 (article 12, III), conformément aux critères de fond de l'article L. 3121-65, I, du code du travail auquel ce texte renvoie - étant établie, il n'y a pas lieu de prononcer la cassation sur ce fondement, de sorte que le moyen relevé d'office pourra être laissé inappliqué. Si la motivation retenue par la cour d'appel, qui a procédé par voie de simple énumération des textes conventionnels applicables25, sans examiner leur contenu au regard des exigences des articles L. 3121-64, II, 1° et 2°, et L. 3121-65, I, du code du travail, auquel renvoie l'article 12, III, de la loi du 8 août 2016, pourrait être discutée 26, la première branche du quatrième moyen ne met en cause l'office du juge qu'au regard des mesures correctrices prises par l'employeur - dans le cadre de la Charte des bonnes pratiques critiquée - en application de ce dernier texte, non dans l'examen de la légalité de l'ensemble du cadre conventionnel luimême.

25 Voir arrêt attaqué, p. 23-24 : “Toutefois la société (...) répond que la convention de forfait en

jours est autorisée par l'avenant 7 2000-04-07 relatif à la réduction du temps de travail de la convention collective des avocats salariés dans la limite de 217 jours par an, que l'accord d'entreprise signé le 14 mai 2007 contient l'ensemble des mentions légalement prévues et mettant en place les garanties suffisantes, que l'avenant numéro 15 du 25 mai 2012 relatif au forfait annuel en jour de la convention collective des avocats salariés qui est applicable au sein du cabinet, valide cette convention de forfait, et que conformément aux dispositions de la loi travail du 8 août 2016 elle a complété l'ensemble des dispositions conventionnelles par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail, il est donc inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'a été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés”. 26 Le juge doit en effet examiner d'office la conformité aux conditions légales de l'accord collectif permettant le recours au forfait en jours : Soc, 31 octobre 2007, n° 06-43.876⚖️ ; Soc, 31 janvier 2012, n° 10-19.807 ; Soc, 26 septembre 2012, n° 11-14.540 ; Soc, 24 avril 2013, n° 11-28.398 ; Soc, 14 mai 2014, n° 12-35.033 ; Soc, 11 juin 2014, n° 11-20.985 ; Soc, 13 novembre 2014, n° 13-14.206 ; Soc, 6 juillet 2016, n° 15-12.199⚖️ ; Soc, 6 novembre 2019, n° 18-19.752 ; Soc, 13 octobre 2021, n° 19-20.561⚖️.

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Or ces mesures palliatives n'étant envisageables qu'en cas d'illégalité de l'accord servant de fondement à la convention individuelle de forfait, le constat précédemment fait de la légalité du cadre conventionnel de celle-ci ne peut conduire à reprocher à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si la Charte des bonnes pratiques dont se prévalait l'employeur répondait à l'exigence légale et jurisprudentielle de suivi régulier de la charge de travail du salarié. Dès lors, sauf à ne pas tenir compte du visa par la cour d'appel de l'accord de branche légal du 25 mai 2012 applicable et à considérer que le visa avant celui-ci d'accords en partie jugés illégaux par la Cour de cassation (avenant n° 7 du 7 avril 2000 et accord d'entreprise du 14 mai 2007) suffirait à vicier l'ensemble du cadre légal de la convention individuelle de forfait litigieuse, la juridiction n'était pas tenue d'examiner, pour statuer sur la demande en nullité de cette dernière, l'adéquation des mesures palliatives (de la Charte des bonnes pratiques) aux critères de l'article L. 3121-65, I, du code du travail 27. La première branche du quatrième moyen est donc inopérante, comme manquant en droit, par défaut de la condition préalable d'illégalité du cadre conventionnel de la convention individuelle de forfait, ce qui devra conduire à son rejet. 2. La conformité de la Charte de bonnes pratiques litigieuse, à titre de mesure unilatérale palliative de l'employeur, aux exigences de suivi de la charge de travail du salarié Dans l'hypothèse où l'avenant n° 15 du 25 mai 2012 (ou en raison du visa concomitant par la cour d'appel des anciens accords du 7 avril 2000 et du 14 mai 2007) serait jugé insuffisant au regard des garanties légales attendues quant au suivi régulier du caractère raisonnable de la charge de travail du salarié, il sera précisé que l'examen de la Charte des bonnes pratiques invoquée par l'employeur révèle un ensemble de règles proches des exigences jurisprudentielles, s'agissant des “cadres autonomes” tels que la salariée, notamment : - une amplitude de travail journalière n'excédant pas 13 heures, avec un maximum de 11 heures de travail effectif, l'employeur devant veiller au respect de ces dispositions, en adaptant la charge de travail en conséquence (chapitre 1, article 2, p. 5) ; - l'observation d'une période de repos de 11 heures consécutives après la cessation du travail effectif, avec obligation du collaborateur d'informer son associé ou le service des ressources humaines en cas d'incapacité et pour le cabinet de l'observer en toute circonstance (chapitre 1, article 2, p. 5) ;

27 La cour d'appel pouvait et aurait dû examiner d'office la légalité du cadre conventionnel de la

convention individuelle de forfait dont la nullité lui était demandée, mais cet élément n'est pas l'objet de la première branche du quatrième moyen du pourvoi, pris uniquement d'un manquement à l'office du juge quant au contrôle de légalité des seules mesures palliatives (Charte des bonnes pratiques), pouvant être prises après constatation de l'illégalité dudit cadre conventionnel.

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- l'existence d'un système de contrôle, dans lequel les salariés au forfait en jours doivent déclarer les journées et demi-journées de travail et de repos (chapitre 5, article 1, p. 13) ; - un entretien annuel portant notamment sur le ressenti du salarié sur sa charge de travail, l'organisation du travail et l'articulation de celui-ci avec sa vie personnelle, la charge individuelle de travail et l'amplitude des journées de travail (chapitre 5, article 1, p. 13) ; - un dispositif de veille et d'alerte, caractérisé par (i) une analyse par la direction des ressources humaines des données relatives au temps travaillé par chaque collaborateur, (ii) en cas d'atteinte d'un seuil d'au moins 750 heures sur le semestre et de 11 heures “chargeables” par jour à plus de cinq reprises, un entretien avec l'associé responsable, (iii) une faculté de saisine directe par le salarié du service des ressources humaines en cas de difficulté inhabituelle portant sur l'organisation et la charge de travail, déclenchant un entretien obligatoire avec l'associé responsable dans les trois jours, (iv) cet entretien étant consacré aux difficultés occasionnelles et aux moyens de les résoudre (chapitre 5, article 3, p. 14 et 15). Malgré l'incertitude liée à la pratique, à côté des heures “chargeables” facturées aux clients, des “heures passées en activité professionnelle”, considérées comme du temps de travail effectif 28, et des “heures non chargeables non professionnelles”, qui ne se rattachent à aucune activité professionnelle et ne peuvent être considérées comme du temps de travail effectif 29, lesquelles peuvent avoir une incidence non négligeable sur la charge de travail globale du salarié, le dispositif instauré par la Charte des bonnes pratiques recoupe assez largement le triple critère jurisprudentiel de déclaration, contrôle de la charge de travail et mesures à mettre en œuvre de même que la liste des mesures palliatives de l'article L. 3121-65, I, du code du travail (auquel renvoie l'article 12, III, de la loi du 8 août 2016 en ce qui concerne les conventions individuelles de forfait en cours) pouvant être adoptées par l'employeur en cas d'insuffisance de l'accord par rapport aux exigences de suivi posées par l'article L. 3121-64, II, 1° et 2°, du code du travail.

28 Voir les conclusions d'appel de l'employeur, qui distinguent trois catégories d'heures, dont :

“Les heures passées en activité professionnelle (conception de supports de formation, animation de formations, participation aux forums écoles, prospection commerciale, élaboration de propositions commerciales, travaux de recherche, projets internes, etc…) non facturables sur des clients. Ces heures sont donc imputées sur des comptes dits CFR (Comptes fonctionnels réglementés). Etant liées à une activité professionnelle, ces heures doivent également être considérées comme du temps de travail effectif” (p. 43). 29 Conclusions d'appel de l'employeur : “Les heures non chargeables non professionnelles : ces heures peuvent être imputées sur des comptes tels que Administratif, Unassigned, non valorisable. Ces heures ne peuvent donc pas être considérées comme du temps de travail effectif dès lors qu'elles ne se rattachent à aucune activité professionnelle” (p. 43).

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A supposer donc que l'avenant n° 15 du 25 mai 2012 ne soit pas jugé comme étant à la hauteur des exigences de protection posées par la jurisprudence et insérées dans le code du travail par la loi du 8 août 2016, les mesures prises par l'employeur au titre de la Charte des bonnes pratiques pourraient être considérées comme satisfaisant aux conditions posées par l'article 12, III, de cette loi et avoir permis la poursuite de la convention individuelle de forfait litigieuse, incorporée au contrat de travail de la salariée. Ce n'est que dans cette hypothèse (constat d'illégalité du cadre conventionnel du forfait) que la motivation de la cour d'appel, qui s'est bornée à viser ladite Charte sans en détailler le contenu ni examiner son adéquation aux exigences légales de suivi régulier de la charge de travail, pourrait être sujette à critique, au regard de l'exigence d'effectivité des mesures palliatives prises au titre des articles L. 312164, II, 1° et 2°, et L. 3121-65, I, du code du travail (auquel renvoie l'article 12, III, de la loi du 8 août 2016 applicable en l'espèce), qui impose un contrôle approfondi du juge à cet égard comme l'a récemment rappelé la Cour de cassation (Soc, 10 janvier 2024, n° 22-15.782)30, et justifier la cassation de l'arrêt sur ce fondement au titre du défaut de base légale, ainsi que le préconise la première branche du quatrième moyen. Ce n'est cependant pas la solution privilégiée (qui est le rejet de la première branche du quatrième moyen), compte tenu de la légalité du cadre conventionnel de la convention individuelle de forfait, par l'effet de l'avenant n° 15 du 25 mai 2012 31.

III. Le manquement de la cour d'appel à l'office du juge dans le contrôle de l'effectivité des garanties du caractère raisonnable et de la bonne répartition dans le temps de la charge de travail du salarié (moyen 4, branche 2) 1. La seconde branche du quatrième moyen se fonde sur un manquement par la cour d'appel à son office concernant le contrôle, non de la légalité de la Charte des bonnes pratiques de l'employeur elle-même, mesure palliative pouvant être prise seulement en cas de non-conformité du cadre conventionnel de la convention individuelle de forfait, mais de l'effectivité des garanties mises en œuvre par l'employeur (tant au titre du cadre conventionnel que de mesures unilatérales) pour assurer le caractère raisonnable et la bonne répartition dans le temps de la charge de travail du salarié.

30 Voir sur cette obligation d'effectivité du suivi le § III, 1, infra. 31 Il paraît en effet judicieux de retenir, pour apprécier la légalité du cadre conventionnel appliqué

par l'employeur, le dernier avenant modificatif n° 15 à l'accord de branche du 25 mai 2012 plutôt que l'avenant n° 7 antérieur du 7 avril 2000. S'il est vrai qu'en la matière l'accord d'entreprise ou d'établissement est censé primer l'accord de branche (article L. 3121-63 - auparavant L. 3121-39 - du code du travail🏛), l'illégalité de l'accord d'entreprise antérieur du 14 mai 2007 doit être mise en balance avec la légalité du nouvel accord de branche contraire, si le premier a été depuis lors laissé inappliqué par l'employeur et le second a servi de matrice à la rédaction des conventions individuelles de forfait postérieures.

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La jurisprudence de la Cour de cassation, y compris pour les accords adoptés sous l'empire du régime antérieur à la loi du 8 août 2016, insiste en effet sur l'exigence d'effectivité des mesures protectrices de la santé et de la sécurité du salarié dans le recours au forfait en jours. Au stade du contrôle de légalité des accords autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait, le caractère effectif et régulier du suivi opéré par l'employeur lui permettant d'intervenir en temps utile en cas de charge de travail déraisonnable est un élément déterminant pour apprécier leur conformité (Soc, 8 septembre 2016, n° 14-26.256 ; Soc, 17 décembre 2014, n° 13-22.890) ou leur contrariété (Soc, 13 octobre 2021, n° 19-20.561 ; Soc, 5 octobre 2017, n° 1623.110, 16-23.111, 16-23.106, 16-23.107, 16-23.108 et 16-23.109) au droit à la santé et au repos du travailleur. La chambre sociale de la Cour de cassation veille également au respect scrupuleux par l'employeur de l'effectivité de ce suivi régulier au stade de la mise en œuvre du forfait en jours (Soc, 22 juin 2017, n° 16-11.762), qu'elle a récemment renforcé en l'imposant au titre de l'obligation de sécurité (Soc, 2 mars 2022, n° 20-16.683). Une absence de respect effectif d'une telle obligation peut ainsi conduire à la privation d'effet de l'accord autorisant le forfait en jours (Soc, 2 juillet 2014, n° 13-19.990⚖️ ; Soc, 19 février 2014, n° 12-22.174, 12-28.170⚖️) et au refus du bénéfice des mesures palliatives de l'article L. 3121-65, I, du code du travail (Soc, 10 janvier 2024, n° 22-15.782⚖️ ; Soc, 10 janvier 2024, n° 22-13.200), ouvrant droit au salarié au paiement d'heures supplémentaires. Outre le caractère par nature opérationnel des préconisations relatives au suivi de la charge de travail, qui appellent une appréciation in concreto des diligences de l'employeur, le maintien d'un contrôle approfondi de l'effectivité de ces mesures par le juge apparaît d'autant plus important que le CEDS a récemment considéré qu' “(...) un contrôle a posteriori par un juge d'une convention de forfait en jours n'est pas suffisant pour garantir une durée raisonnable de travail”, concluant à une violation de l'article 2, § 1, de la Charte sociale européenne (CEDS, décision du 19 mai 2021 sur la réclamation 149/2017 précitée, § 143 et 144). En effet, si le législateur de 2016 a adopté des dispositifs de sécurisation (article 12, III, de la loi) ou à caractère supplétif (article L. 3121-65, I), ceux-ci n'avaient vocation qu'à soutenir les petites entreprises dans leurs démarches d'adaptation, lesquelles disposent de faibles capacités de négociation et sont fortement pénalisées en cas d'annulation d'un accord irrégulier conclu au niveau de la branche, non à permettre la survie de dispositifs insuffisamment protecteurs de la santé des salariés au forfait, en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation et les standards exigeants posés par les normes constitutionnelles ou supranationales.

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2. En l'espèce, il a été précédemment souligné que la cour d'appel s'est bornée, dans sa motivation, à une énumération des accords collectifs applicables et à constater que la société “(...) conformément aux dispositions de la loi travail du 8 août 2016 (...) a complété l'ensemble des dispositions conventionnelles par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail, [de sorte qu']il est donc inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'a été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés” (arrêt attaqué, p. 24). Elle s'est donc ainsi limitée à un contrôle purement formel, sans rechercher comme elle y était tenue si la mise en œuvre du forfait en jours avait fait l'objet d'un suivi régulier effectif par l'employeur. Ce faisant, elle a privé, comme le soutient la seconde branche du quatrième moyen, sa décision de base légale au regard des dispositions transitoires de l'article 12, III, de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et par renvoi de celui-ci de celles des articles L. 3121-64, II, 1° et 2°, et L. 3121-65, I, du code du travail. Il y aura donc lieu de prononcer la cassation sur ce fondement.

PROPOSITION - Non-application du moyen relevé d'office ; - rejet de la première branche du quatrième moyen ; - cassation sur la seconde branche du quatrième moyen.

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