AVIS DE M. SASSOUST, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 579 du 23 octobre 2024 (B) –
Première chambre civile Pourvoi n° 22-20.367⚖️ Décision attaquée : 14 juin 2022 de la cour d'appel de Versailles M. [D] [X] C/ M. [Y] [E] _________________
Les faits et la procédure ont été parfaitement exposés par madame le conseiller rapporteur et il convient de s'y référer. Dans l'intérêt du requérant, la SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA soutient deux moyens de cassation :
PREMIER MOYEN DE CASSATION M. [X] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré prescrite sa demande en délivrance de son legs contenue dans le testament du 13 juillet 2007 et d'avoir dit que ce legs était privé de toute efficacité. 1°) ALORS QUE l'action en délivrance du légataire universel est soumise à la prescription décennale de l'
article 780 du code civil🏛 ; qu'en faisant application de la prescription quinquennale prévue à l'
article 2224 du code civil🏛 pour déclarer prescrite la demande de délivrance de son legs formée par M. [X] en sa qualité de légataire universel, la cour d'appel a violé les articles 780 et 2224 du code civil ;
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2°) ALORS QUE, subsidiairement, la demande en délivrance d'un legs n'est soumise à aucune forme particulière ; que, notamment, constitue une demande implicite en délivrance du legs la résistance judiciaire opposée par le légataire à l'action par laquelle un héritier tente de remettre en cause ou de réduire son legs ; qu'en l'espèce, en défense à l'action formée par M. [E] en interprétation du testament qui avait institué M. [X] légataire universel, ce dernier a déposé des conclusions par lesquelles il a demandé que soit constatée la validité du testament et que M. [E] soit débouté de sa demande d'interprétation du testament tendant à le priver d'une partie de son legs ; qu'en retenant cependant, pour déclarer l'action de M. [X] prescrite, que ces conclusions ne pouvaient s'analyser comme des demandes en délivrance du legs, la cour d'appel a violé les
articles 1004, 2224 et 2241 du code civil🏛🏛 ; 3°) ALORS QUE, subsidiairement, la demande en délivrance d'un legs n'est soumise à aucune forme particulière ; qu'elle peut notamment être implicite et résulter de la résistance judiciaire opposée par le légataire à l'action par laquelle un héritier tente de remettre en cause ou de réduire son legs ; qu'en l'espèce, en défense à l'action formée par M. [E] en interprétation du testament qui avait institué M. [X] légataire universel, ce dernier a déposé des conclusions par lesquelles il a demandé que soit constatée la validité du testament et que M. [E] soit débouté de sa demande d'interprétation du testament tendant à le priver d'une partie de son legs ; qu'en déduisant de l'absence de demande expresse que les conclusions de M. [X] ne pouvaient s'analyser comme des demandes en délivrance du legs sans rechercher si la défense opposée par le légataire à une action tendant à réduire ses droits ne constituait pas une demande implicite de délivrance du legs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1004, 2224 et 2241 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION M. [X] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les frais de déménagement, de garde-meubles et d'administration seront payés par lui. ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; que M. [X] sollicitait la condamnation de M. [E] au paiement de l'ensemble des frais de garde-meubles, de déménagement et d'administration judiciaire ; que M. [E] ne présentait, à titre principal en cas de prononcé de la prescription, aucune demande relative à ces frais et demandait, à titre subsidiaire, que l'ensemble des frais de garde-meubles, de déménagement et d'administration judiciaire soient à la charge de la succession ; qu'en condamnant M. [X] à payer les frais de déménagement, de garde-meubles et d'administration bien qu'aucune des parties n'ait présenté une telle demande, la cour d'appel a violé les
articles 4 et 5 du code de procédure civile🏛🏛. Un mémoire en défense a été produit par la S.C.P. Anne SEVAUX et Paul MATHONNET.
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SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION SOULEVÉ La question posée consiste à déterminer le délai dont dispose le légataire universel pour exercer son action en délivrance de legs : Doit-on appliquer le régime de la prescription décennale, prévue à l'article 780 du code civil ou bien celui de la prescription quinquennale de droit commun stipulé à l'article 2224 du même code ? Cette interrogation, comme l'a rappelé madame le conseiller rapporteur, a longtemps divisé la doctrine et la réponse à y apporter, clairement cette fois à l'occasion de ce dossier, n'est pas dépourvue de conséquences graves, la prescription de la demande en délivrance de legs pouvant conduire à la déchéance du droit de propriété du légataire, pourtant acquis dès le jour du décès du disposant. Or, sur ce point, la Cour de cassation ne s'est jamais directement prononcée. Néanmoins, la réponse peut s'inférer -notamment- des arrêts rendus par votre Chambre les 30 septembre 2020 (pourvoi n°
19-11.543⚖️) et 21 juin 2023 (pourvoi n°
21-20.396⚖️). Sans revenir sur l'excellent historique effectué dans le rapport, qui explique parfaitement l'ensemble des données du problème et l'évolution des positions de chacun des acteurs judiciaires, les textes, la jurisprudence et la doctrine se rapprochent désormais pour estimer que l'action en délivrance de legs est soumise à la prescription quinquennale. En outre, comme le souligne Michel Grimaldi, la durée de la prescription de l'action en délivrance peut être différente de celle de l'option successorale parce que les deux actions ont des objets distincts. De surcroît, il convient de distinguer la délivrance de l'option : - Dans le premier cas le légataire demande aux héritiers saisis la reconnaissance de son droit (vérification de la régularité apparente de son titre). - Dans le second cas, le légataire “consolide ou abdique son droit”. Enfin, d'une part, les règles issues de la réforme des délais de prescription du 17 juin 2008 militent en faveur d'une prescription quinquennale, le nouveau délai de droit commun étant de 5 ans (à défaut de disposition particulière applicable à l'action en délivrance de legs). D'autre part, vous avez jugé que “...l'action en nullité de testament engagée par un héritier réservataire, qui n'empêche pas le légataire universel d'exercer l'action en délivrance de son legs, n'en suspend pas la prescription (Cf : arrêt précité du 30 septembre 2020). De son côté, la cour d'appel a rappelé, notamment, que s'agissant de la prescription de l'action en délivrance de legs, cette prescription, une fois acquise, empêche le légataire de se prévaloir de son legs (1
Civ., 28 janvier 1997, pourvoi n° 95-13.835⚖️, 3
Buli. 1997, I, n° 37) et que les parties ont admis que le point de départ de ladite prescription doit être fixé au jour du décès d'[N] [E], soit le 8 décembre 2008 de sorte que le délai de l'action en délivrance, sauf interruption, expirait le 8 décembre 2013. Il s'ensuit que, faute d'avoir engagé cette action avant le 8 décembre 2013, et à défaut de justifier d'un acte interruptif de prescription, l'action en délivrance de legs de M. [X] est prescrite...”. En statuant ainsi, l'arrêt critiqué n'encourt aucun des griefs du moyen, les deuxième et troisièmes branches se heurtant à l'analyse détaillée, faite par les juges du fond, de chacune des actions engagées par M. [X] durant la période de prescription de droit commun de l'action en délivrance de legs (et même après), analyse qui a conclu souverainement qu'aucune d'elles n'était une action en délivrance ou susceptible d'être considérée comme telle (à défaut de conclusions contraires et expressément détaillées des parties, énoncées au dispositif). En conséquence, le premier moyen de cassation soulevé ne peut qu'être écarté.
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION PROPOSÉ Monsieur [X] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les frais de déménagement, de garde-meuble et d'administration seraient payés par lui. Il rappelle qu'il sollicitait la condamnation de Monsieur [E] au paiement de ces frais, et que Monsieur [E], en cas de prononcé de la prescription, ne présentait, à titre principal, aucune demande relative à ces frais et demandait, à titre subsidiaire, que ceux-ci soient à la charge de la succession. Or, selon les articles 4 et 5 du code de procédure civile, le juge est tenu de respecter l'objet du litige tel qu'il a été déterminé par les prétentions respectives des parties. En conséquence, en statuant ainsi, la cour d'appel a statué ultra petita. C'est pourquoi la cassation est encourue de ce chef.
Avis de CASSATION sur le second moyen.
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