Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-11.582

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-11.582

A98806BK

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:SO00960

Identifiant Legifrance : JURITEXT000050316276

Référence

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-11.582. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300740-cass-soc-conclusions-02102024-n-2311582
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Abstract

En application de l'article 1231-1 du code civil, l'exécution d'une prestation de travail pour le compte de l'employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie, d'accident ou d'un congé de maternité engage la responsabilité de l'employeur et se résout par l'allocation de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi

AVIS DE Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 960 du 2 octobre 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-11.582⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier du 7 décembre 2022 Mme [Z] [T], divorcée [S] C/ Fondation [6] M. [L] [B], en qualité de mandataire judiciaire de la fondation [6] SELARL Baronnie-Langlet, en qualité d'administrateur judiciaire de la fondation [6] Unedic, délégation AGS CGEA d'Ile de France - Est _________________

1. Faits et procédure Le 20 janvier 1992, Mme [Z] [T] (la salariée) a été embauchée par la [6] (ci-après l'employeur ou la fondation [6]) dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Elle a bénéficié de plusieurs promotions et était directrice régionale, dans le dernier état de la relation de travail. Son employeur lui ayant notifié qu'il envisageait de la licencier pour un motif économique, la salariée a accepté le contrat de sécurisation professionnelle. Son contrat de travail a, de ce fait, été rompu le 20 octobre 2017.

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Le 24 avril 2018, elle a saisi le conseil des prud'hommes de Perpignan afin d'obtenir la condamnation de son employeur à lui régler un rappel de salaires ainsi que diverses sommes à titre de dommages et intérêts. Elle soutenait avoir travaillé pendant ses congés de maternité ou de maladie, sans avoir été rémunérée, mais également avoir été victime d'une discrimination pendant son congé de maternité, consistant à n'avoir pas bénéficié d'une augmentation de salaire accordée aux autres cadres. Par jugement en date du 1er octobre 2018, le tribunal de grande instance de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la fondation [6]. Par décision rendue le 12 décembre 2019, le conseil des prud'hommes a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens. Le 26 mai 2020, le tribunal judiciaire de Créteil a, notamment : - arrêté le plan de redressement de la fondation [6], selon des modalités qu'il a fixées, - fixé la durée de ce plan à neuf années, - désigné Maître [B] en qualité de commissaire chargé de veiller à l'exécution du plan, - et maintenu la SELARL Baronnie-Langlet dans sa mission d'administrateur judiciaire « afin d'assurer la vente de la parcelle détenue à [localité 1] ». Dans un arrêt en date du 7 décembre 2022, la cour d'appel de Montpellier a, s'agissant de l'instance prud'homale : - dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture et écarté des débats les conclusions n° 3 de l'employeur et les conclusions n° 4 de la salariée, - confirmé le jugement sauf en ses dispositions sur les dommages et intérêts pour violation du statut protecteur et sur les dépens, - et, statuant à nouveau, a : - condamné l'employeur à régler à la salariée une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts « pour avoir fait travailler [cette dernière] pendant ses arrêts de travail et congé de maternité », - dit que la décision sera opposable à l'AGS, qui devra sa garantie sur cette somme, - dit que cette garantie sera suspendue pendant la durée d'exécution du plan de redressement et ne pourra être mise en oeuvre qu'en cas de révocation de celuici et d'insuffisance d'actifs ou d'indisponibilité des fonds, - mis hors de cause les administrateur et mandataire judiciaires, - et condamné l'employeur aux dépens ainsi qu'à verser à la salariée une somme au titre de ses frais irrépétibles. C'est l'arrêt attaqué par cette dernière. Elle développe cinq arguments au soutien de son pourvoi, le premier présenté à titre principal et les autres subsidiaires. Elle soutient, tout d'abord, que la cour d'appel ne pouvait valablement écarter des débats ses dernières écritures car elles avaient été régulièrement notifiées par voie électronique avant l'ordonnance de clôture. Elle avance, dans un deuxième temps, que la cour d'appel ne pouvait rejeter ses demandes de rappel de salaires et d'indemnité pour travail dissimulé dès lors qu'elle

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avait constaté que son employeur l'avait faite travailler pendant les périodes de suspensions de son contrat de travail. Dans un troisième moyen, elle conteste le rejet de ses demandes au titre de la discrimination et de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement, soutenant que la cour d'appel n'a pas respecté le régime probatoire en la matière. Par ailleurs, elle estime que la cour d'appel ne pouvait ordonner la mise hors de cause des mandataire et administrateur judiciaires, car celle-ci n'était pas demandée par les parties et l'adoption du plan de redressement judiciaire n'avait pas mis fin à leurs missions. Enfin, elle conteste la suspension de la garantie de l'AGS pendant la durée de ce plan de redressement, estimant que la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article L. 3253-20 du code du travail🏛. Les défendeurs au pourvoi concluent au rejet de celui-ci.

2. Discussion et avis Puisque seul le premier moyen est présenté à titre principal et que tous portent sur des dispositions différentes de la décision attaquée, il convient de les aborder séparément et dans l'ordre retenu par la salariée.

sur le premier moyen relatif aux conclusions de la salariée écartées des débats Je partage l'avis de Mme le rapporteur Palle qui propose de rejeter ce moyen. En effet, la salariée soutient que la cour d'appel ne pouvait valablement écarter des débats son dernier jeu de conclusions car celui-ci avait été régulièrement notifié par la voie électronique avant l'ordonnance de clôture. En vertu des dispositions de l'article 748-1 du code de procédure civile🏛, « Les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication. »

L'article 748-3 du de ce même code dispose ce qui suit :

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« Les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 font l'objet d'un avis électronique de réception adressé par le destinataire, qui indique la date et, le cas échéant, l'heure de celle-ci. Lorsque les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 se font par l'intermédiaire d'une plateforme d'échanges dématérialisés entre le greffe et les personnes mentionnées à l'article 692-1, ils font l'objet d'un avis électronique de mise à disposition adressé au destinataire à l'adresse choisie par lui, lequel indique la date et, le cas échéant l'heure de la mise à disposition. Ces avis électroniques de réception ou de mise à disposition tiennent lieu de visa, cachet et signature ou autre mention de réception qui sont apposés sur l'acte ou sa copie lorsque ces formalités sont prévues par le présent code. En cas de transmission par voie électronique, il n'est pas fait application des dispositions du présent code prévoyant la transmission en plusieurs exemplaires et la restitution matérielle des actes et pièces remis ou notifiés. » S'agissant plus précisément de la procédure d'appel, l'article 906 de ce code🏛 prévoit, dans ses deux premiers alinéas, que : « Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués. Copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification. » Ainsi, pour pouvoir être valablement prises en compte dans une procédure d'appel ordinaire avec représentation obligatoire, les conclusions des parties doivent non seulement avoir été notifiées à leurs adversaires mais également remises au greffe. Si cela est fait par voie électronique, la preuve en est rapportée par la production de l'accusé de réception du message auquel étaient jointes ces écritures. Or, dans notre espèce, la salariée justifie avoir notifié ses conclusions n°4 à ses adversaires mais ne produit aucun justificatif de leur remise au greffe, avant l'ordonnance de clôture des débats rendue le 3 octobre 2022. C'est donc, à bon droit, que la cour d'appel a écarté des débats ces écritures. Le premier moyen peut être rejeté. sur le deuxi me moyen relatif aux demandes de rappels de salaire et d'indemnité pour travail dissimulé La salariée reproche à la cour d'appel de l'avoir déboutée de sa demande au titre d'un rappel de salaires ainsi que sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé. Elle estime que les juges du fond ont retenu des moyens qui n'étaient pas dans le débat et ont, dès lors, violé le principe de la contradiction. Elle ajoute que, puisque la cour d'appel a estimé qu'elle avait travaillé pendant son congé de maternité et ses arrêts de travail, elle se devait de lui allouer un rappel de salaires, contreparties de tout travail.

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Elle soutient donc que les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations en retenant qu'elle ne pouvait prétendre qu'au paiement de dommages et intérêts. Enfin, elle considère que, puisqu'il est établi qu'elle a travaillé pendant les périodes de suspension de son contrat de travail, son employeur devait lui délivrer des bulletins de salaires et qu'en ne le faisant pas, il lui est redevable d'une indemnité au titre du travail dissimulé. •

sur la violation du principe de la contradiction prévu procédure civile

l'article 16 du code de

La cour d'appel a estimé que la salariée ne pouvait solliciter un rappel de salaires pour les heures de travail accomplies pendant les périodes de suspension de son contrat de travail car elle avait également perçu des revenus de substitution 1. Si la salariée ne faisait pas mention de ce point, tel n'était pas le cas de l'employeur. En effet, comme le relève également Mme le rapporteur Palle, il résulte des conclusions n°2 de ce dernier (en page 23) qu'il soutenait qu' « En outre, lui allouer le règlement de telles heures reviendrait à assurer au salarié deux revenus : à la fois ses indemnités journalières (sécurité sociale ou maternité) et à la fois une rémunération. » Ainsi, la cour d'appel s'est fondée sur un moyen figurant dans le débat auquel la salariée avait simplement omis de répondre. Il n'y a donc pas eu de méconnaissance du principe de la contradiction par les juges du fond. •

sur les conséquences juridiques découlant du constat qu'un salarié dont le contrat de travail est suspendu a néanmoins travaillé pour son employeur

Il résulte des dispositions des articles L. 1226-12 et L. 1225-293 du code du travail🏛 que le contrat de travail d'un salarié absent à raison d'une incapacité résultant d'une maladie ou d'un accident constaté par un certificat médical ou d'une femme en congé de maternité est suspendu. La suspension se caractérise par l'impossibilité momentanée d'exécuter le contrat de travail.

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La cour d'appel a indiqué que la salariée reconnaissait avoir perçu « pendant les périodes travaillées, l'équivalent de son salaire ou un substitut de salaire soit au titre du droit conventionnel [...] soit au titre des indemnités journalières de sécurité sociale en sorte qu'elle ne saurait prétendre à un double paiement ». 2

Qui dispose notamment que « Tout salarié ayant une année d'ancienneté dans l'entreprise bénéficie, en cas d'absence au travail justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident constaté par certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière » sous certaines conditions 3

Qui prévoit qu' « Il est interdit d'employer la salariée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement. Il est interdit d'employer la salariée dans les six semaines qui suivent son accouchement. »

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Par conséquent, les obligations principales pesant sur les parties au contrat n'ont pas à être exécutées, et ce sans que cela puisse leur être reproché : le salarié n'a pas à accomplir de travail pour son employeur4 et ce dernier ne lui est pas, en principe, redevable de salaires. Le salarié peut prétendre à des revenus de substitution servis par les caisses de sécurité sociale. Ainsi, l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale🏛, dans sa version applicable au litige, prévoyait que « L'assurance maladie comporte : [...] 5°) L'octroi d'indemnités journalières à l'assuré qui se trouve dans l'incapacité physique constatée par le médecin traitant, selon les règles définies par l'article L. 162-4-1, de continuer ou de reprendre le travail ; l'incapacité peut être également constatée, dans les mêmes conditions, par la sage-femme dans la limite de sa compétence professionnelle et pour une durée fixée par décret ; toutefois, les arrêts de travail prescrits à l'occasion d'une cure thermale ne donnent pas lieu à indemnité journalière, sauf lorsque la situation de l'intéressé le justifie suivant des conditions fixées par décret. » S'agissant du congé de maternité, les dispositions de l'article L. 331-1 du code de la sécurité sociale🏛 sont un peu différentes en ce qu'elles prévoient, en leur alinéa 1er, que « Pendant une période qui débute six semaines avant la date présumée de l'accouchement et se termine dix semaines après celui-ci, l'assurée reçoit une indemnité journalière de repos à condition de cesser tout travail salarié durant la période d'indemnisation et au moins pendant huit semaines. » L'assemblée plénière de la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que cette prohibition de tout travail pendant le congé de maternité ne s'appliquait qu'au salariat et non aux revenus provenant de l'exercice d'une profession libérale 5. Toute femme en congé de maternité, qui aurait une activité salariée pendant cette période, perd donc ses droits à des indemnités journalières. Toutefois, il est tout à fait possible de cumuler indemnités journalières, servies pour cause de maladie ou pendant le congé de maternité, avec tout ou partie de son salaire versé par l'employeur en application de dispositions conventionnelles favorables à condition qu'aucun travail ne soit accompli pour ce dernier. Enfin, cette règle du non-cumul est édictée dans les relations entre l'assuré social et l'organisme qui lui verse les prestations auxquelles il a droit pendant la suspension de son contrat de travail. Mais, est-ce que cela exclut pour autant que l'employeur lui verse des salaires s'il a permis ou demandé au salarié de travailler pendant cette suspension ?

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La chambre évoque même une absence pour le salarié de toute obligation de « poursuivre une collaboration » avec son employeur pendant cette période de suspension - voir Soc., 15 juin 1999, pourvoi n° 96-44.772⚖️, Bull. 1999, V, n° 279 et Soc., 6 février 2001, pourvoi n° 98-46.345⚖️, Bulletin civil 2001, V, n° 43 5

Ass. plén., 20 mars 1992, pourvoi n° 88-17.028⚖️, Bulletin 1992 AP N° 4

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Comme cela a été évoqué plus haut, par principe, la suspension entraîne la nonexécution des obligations principales du contrat de travail et dispense donc le salarié de son obligation d'accomplir les tâches qui lui incombent. Cela est assez compréhensible puisque, pour des raisons tenant à son état de santé, le salarié ne peut normalement pas travailler et l'employeur se doit de prendre acte des raisons médicales qui ont conduit à cette suspension. Admettre le principe d'un paiement de salaires lorsque l'employeur a imposé ou permis au salarié de travailler serait revenir à une application des dispositions légales et stipulations contractuelles relatives à l'exécution du contrat de travail quand bien même celui-ci est suspendu. Cela conduirait, à mon sens, à mettre à néant la protection accordée aux salariés dont l'état de santé justifie une telle suspension. En effet, cela reviendrait à régulariser une situation qui n'est pas conforme aux prescriptions légales précitées, violation qui peut, d'ailleurs, être constitutive d'une infraction pénale6. Selon moi, la violation d'une prohibition ne peut se résoudre que par la mise en oeuvre de la responsabilité de la partie qui l'a méconnue et donc par sa condamnation à réparer les dommages que sa faute a ainsi pu causer. Et, ces dommages peuvent fort bien excéder le montant des salaires qui auraient normalement été dus si le contrat de travail n'avait pas été suspendu. C'est pourquoi, je considère que, si la solution retenue par la cour d'appel, à savoir l'allocation à la salariée de dommages et intérêts, est pertinente, les motifs sur lesquels elle s'est fondée ne le sont pas. En effet, seul l'organisme ayant servi prestations sociales pourrait se plaindre du cumul salaires/indemnités journalières. En revanche, l'employeur ne peut être déchargé de sa responsabilité, au motif qu'un tiers a versé des revenus de substitution à sa salariée. Je suis donc d'avis de procéder à une substitution des motifs de la cour d'appel, dans les termes suggérés par Mme Palle dans son rapport, et de rejeter cet argument. De ce fait, puisqu'aucun salaire n'était dû à la salariée, pendant les périodes de suspension de son contrat de travail au cours desquelles elle a travaillé pour son employeur, mais qu'elle pouvait uniquement prétendre à des dommages et intérêts, ce dernier n'avait pas à émettre de bulletin de salaires. La cour d'appel a, donc, à bon droit rejeté la demande d'indemnité au titre du travail dissimulé. Je suis d'avis de rejeter le deuxième moyen. 6

Le fait de ne pas respecter les dispositions relatives au congé de maternité constitue une infraction prévue et réprimée par l'article R. 1227-6 du code du travail🏛

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sur le troisi me moyen portant sur les demandes au titre de la discrimination en raison de l'état de grossesse et de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement La salariée reproche à la cour d'appel d'avoir rejeté sa demande avant dire-droit de production par l'employeur de certaines pièces, sa demande de rappels sur salaires au titre de la violation du principe d'égalité de traitement ainsi que sa demande indemnitaire fondée sur une discrimination dont elle dit avoir été victime en raison de son état de grossesse. Elle considère que les juges du fond ont méconnu le régime probatoire applicable en la matière et n'ont pas procédé aux recherches que sa demande induisait. En matière de discrimination ou d'égalité de traitement, le régime probatoire a été aménagé par le législateur de telle sorte que la preuve n'incombe pas exclusivement à la partie qui se dit victime d'un traitement inégal ou discriminatoire. En effet, partant du constat que les éléments de preuve pouvant servir à trancher les demandes sont en possession de l'employeur, qui n'a pas nécessairement intérêt à les produire aux débats, il a été prévu, à l'article L.1134-1 du code du travail🏛, que le salarié doit présenter « des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte » et que la partie défenderesse doit « prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Le juge doit, quant à lui, former sa conviction au vu de tous ces éléments, au besoin en recourant à des mesures d'instruction. En l'espèce, la salariée soutenait devant la cour d'appel avoir subi un traitement différent des autres salariés, à raison de son état de grossesse. Elle ajoutait n'avoir perçu aucune augmentation pendant sa grossesse, et notamment celle de 300 euros que les autres directeurs généraux ayant le statut de cadre ont perçu dès février 2015 tandis qu'elle lui a été allouée à son retour de congé de maternité, quelques mois plus tard7. Pour la débouter, la cour d'appel a, notamment, retenu ce qui suit : « Or, alors en premier lieu qu'il est établi que tout au long de la relation de travail, [la salariée], qui le reconnaît, avait bénéficié d'une évolution de carrière très favorable, en second lieu que [l'employeur] justifie que [la salariée] avait bénéficié d'augmentations salariales notamment entre le mois de janvier 2013 et le mois d'août 2015 (cf avenants au contrat de travail) puis à compter du 7 septembre 2015 (+ 7,4 %) et à compter du 1 er février 2016 (+ 7,84 %), soit une augmentation salariale cumulée de plus de 15 % sur 7

Elle indiquait en page 19 de ses conclusions : « Or attendu qu'en l'espèce, force est de constater que durant son congé maternité, la salariée n'a bénéficié d'aucune augmentation salariale contrairement à ses collègues de travail ; Qu'en effet, alors que l'ensemble des salariés a bénéficié d'une augmentation, en février 2015, Madame [S] se l'est vue refuser pendant son congé maternité, d'autant plus que celle-ci avait était préalablement convenue à hauteur de 300 € par Monsieur [U], le Directeur Général; Qu'elle n'en a bénéficié qu'à compter du mois d'octobre 2015 à son retour dans l'entreprise ; »

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une période concomitante ou très proche de son congé maternité et en dernier lieu que, contrairement à ce que la salariée soutient, l'augmentation de 300 euros par mois promise par l'employeur lui avait été effectivement accordée à compter du 7 septembre 2015, ce qui contredit son accusation d'inégalité salariale ou de discrimination en raison de sa maternité ». Il n'est pas contesté que, suite à un accident de la circulation, la salariée a été placée en arrêt du travail du 13 octobre 2014 au 24 février 2015 puis a, ensuite, été placée en congé de maternité jusqu'au 6 septembre 2015. Or, la cour d'appel a constaté qu'au cours de cette période (plus précisément entre janvier 2013 et août 2015), elle avait bénéficié d'augmentations salariales. Pour dresser ce constat, elle s'est fondée sur des pièces produites par l'employeur. Puisqu'aucune dénaturation de ces pièces n'est invoquée, il me semble que la cour d'appel a apprécié souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis et a considéré que la différence de traitement invoquée par la salariée, sur une période de temps précise et circonscrite, n'était pas établie. Je considère que cette motivation, au demeurant non contradictoire, n'est pas critiquable et qu'il n'y a pas eu méconnaissance du régime probatoire applicable. Par ailleurs, dès lors que la cour d'appel estimait que les dires de la salariée étaient contredits par les pièces versées aux débats, la demande avant dire-droit de cette dernière devenait sans objet. Ainsi, quand bien même les motifs retenus pour rejeter cette seconde demande semblent contestables, ils ne fondent pas la décision des juges du fond qui reposent sur le fait que, contrairement à ce que soutient la salariée, elle a bénéficié d'une augmentation de salaire pendant son congé de maternité. Pour toutes ces raisons, je suis au rejet de ce moyen.

sur le quatri me moyen concernant la mise hors de cause des administrateur et mandataire judiciaires désignés dans la procédure de redressement judiciaire dont fait l'objet l'employeur La salariée reproche à la cour d'appel d'avoir mis hors de cause mandataire et administrateur judiciaires, qui avaient été désignés dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de l'employeur. Elle soutient que, non seulement, ceux-ci n'avaient pas formulé une demande de mise hors de cause mais également que la cour d'appel a pris cette disposition sans s'assurer au préalable que ceux-ci n'avaient plus aucune mission dans l'exécution du plan de redressement prononcé par le tribunal judiciaire de Créteil. La cour d'appel a motivé sa décision sur ce point comme suit :

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« Dès lors que l'[6] est au jour de sa condamnation sous le bénéfice d'un plan d'apurement, il y a lieu [...] de mettre hors de cause le SELARL Baronnie-Langlet en sa qualité d'administrateur judiciaire et de Maître [B] en qualité de mandataire judiciaire ». Or, à la lecture des conclusions d'appel tant de l'employeur que des mandataire et administrateur judiciaires, il apparaît qu'aucun n'avait formulé de demande de mise hors de cause. La cour d'appel a donc pris cette disposition d'office et sans que les mentions de l'arrêt établissent que cette question avait été mise dans le débat et que les parties avaient pu s'expliquer sur ce point.

En outre, il ne peut être tenu de raisonnement par analogie entre la mise hors de cause prononcée par la cour d'appel et celle faite à hauteur de cassation. En effet, en cas de cassation d'un arrêt, il peut y avoir renvoi des parties devant les juges du fond pour qu'ils statuent sur les points restant à trancher. Il est, dès lors, opportun de ne pas laisser dans la cause des parties qui n'ont plus à y être car aucune disposition de l'arrêt attaqué ne les concerne. C'est, à mon avis, le sens à donner à la décision du 17 novembre 1966 rendue par la 2ème chambre civile dont se prévalent les défendeurs au pourvoi. En revanche, le débat ne se pose pas dans ces termes à hauteur d'appel puisque la cour tranche le fond sans renvoyer l'affaire aux premiers juges. Or, la mise en cause des organes de la procédure est imposée par l'article L. 625-3 du code de commerce🏛 qui dispose, en son premier alinéa, que « Les instances en cours devant la juridiction prud'homale à la date du jugement d'ouverture sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance ou ceux-ci dûment appelés. » Enfin, si l'employeur a effectivement bénéficié d'un plan de redressement, prononcé par une décision du tribunal judiciaire de Créteil du 26 mai 2020, Maître [B], mandataire judiciaire, avait été désigné commissaire chargé de l'exécution du plan et la SELARL Baronnie-Langlet était maintenue dans sa mission d'administrateur judiciaire jusqu'à la vente d'une parcelle de terrain. Par ailleurs, les articles L. 3253-19 et L. 3253-20 du code du travail🏛 prévoient que le mandataire judiciaire est chargé d'établir l'état des créances salariales et demande leur prise en charge par l'Association pour la Gestion du régime d'assurance des créances des Salariés (AGS) si elles ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles. En vertu des dispositions des articles L. 626-24 et L. 626-25 du code de commerce🏛🏛, le mandataire judiciaire demeure en fonction le temps de la vérification et de l'établissement définitif de l'état des créances. Pour sa part, le commissaire à l'exécution du plan veille à l'exécution de celui-ci et peut, à ce titre, engager des actions dans l'intérêt collectif des créanciers, percevoir des

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sommes ou rendre compte au président du tribunal et au ministère public en cas d'inexécution. Ainsi, à tout le moins, le maintien dans la cause de Maître [B], ès qualités, était nécessaire, comme la chambre l'a déjà jugé8. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis de casser l'arrêt sur ce moyen. sur le cinqui me moyen relatif la garantie de l'AGS pendant la durée du plan de redressement L'AGS, évoquée plus haut, a été instaurée par la loi n° 73-1194 du 27 décembre 1973 afin de garantir le paiement de certaines créances salariales qui ne peuvent l'être par l'employeur, qui fait l'objet d'une procédure collective. Elle intervient donc à titre subsidiaire, si le débiteur principal, qu'est l'employeur, ou si le représentant des créanciers, lorsque un redressement ou une liquidation judiciaire a été prononcé, ne peut régler tout à ou partie des sommes dues. Ce dispositif est régi par des dispositions figurant dans le code du travail. L'AGS couvre notamment « les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire » (article L. 3253-8 1°). La chambre a déjà retenu que « les dommages-intérêts dus à raison d'une inexécution par l'employeur des obligations découlant du contrat de travail sont garantis par l'AGS dans les conditions prévues à l'article L. 143.11.1 du Code du travail🏛 »9. Par ailleurs, l'article L. 3253-15 dispose que : 8

Voir, en ce sens, Soc., 19 avril 2000, pourvoi n° 97-44.276, 97-44.277, 97-44.279 : «⚖️ Attendu que pour condamner l'employeur à payer aux salariées diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et mettre hors de cause le CGEA d'[localité 2], les arrêts attaqués énoncent que le CGEA n'est amené à garantir les créances salariales que lorsqu'il est établi que les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles ; que l'employeur bénéficie d'un redressement par plan de continuation ; que l'adoption d'un tel plan s'analyse en la possibilité pour l'entreprise de faire face avec son actif disponible aux créances exigibles ; Attendu, cependant, d'une part, que les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement par cession ou continuation au régime de la procédure collective, d'autre part, que les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-1 du Code du travail doivent également avancer les sommes correspondant à des créances définitivement établies par décision de justice, même si les délais de garantie sont expirés et que dans le cas où le représentant des créanciers a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal ou le commissaire à l'exécution du plan, selon le cas, adresse un relevé complémentaire aux institutions mentionnées cidessus, à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes financiers ; D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle avait constaté que les créances des intéressées étaient nées antérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de l'employeur, qu'elle devait se borner à maintenir dans la cause le commissaire à l'exécution du plan et les institutions mentionnées ci-dessus et à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe sans pouvoir condamner la débitrice à payer celles-ci aux salariées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »

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Soc., 24 octobre 2000, pourvoi n° 98-42.742

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« Les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 avancent les sommes comprises dans le relevé établi par le mandataire judiciaire, même en cas de contestation par un tiers. Elles avancent également les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés. Les décisions de justice sont de plein droit opposables à l'association prévue à l'article L. 3253-14. Lorsque le mandataire judiciaire a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal ou le commissaire à l'exécution du plan, selon le cas, adresse un relevé complémentaire aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14, à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes créanciers. » Il est enfin prévu ce qui suit : - le mandataire judiciaire établit le relevé des créances dans des délais relativement courts (article L. 3252-19) - « Si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14. Dans le cas d'une procédure de sauvegarde, le mandataire judiciaire justifie à ces institutions, lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée. Ces institutions peuvent contester, dans un délai déterminé par décret en Conseil d'Etat, la réalité de cette insuffisance devant le juge-commissaire. Dans ce cas, l'avance des fonds est soumise à l'autorisation du juge-commissaire. » (article L. 325320) - « Les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 versent au mandataire judiciaire les sommes figurant sur les relevés et restées impayées : 1° Dans les cinq jours suivant la réception des relevés mentionnés aux 1° et 3° de l'article L. 3253-19 ; 2° Dans les huit jours suivant la réception des relevés mentionnés aux 2° et 4° du même article. [...]Le mandataire judiciaire reverse immédiatement les sommes qu'il a reçues aux salariés et organismes créanciers, à l'exclusion des créanciers subrogés, et en informe le représentant des salariés. » (article L. 3253-21). Comme le relève Mme Palle dans son rapport, la chambre commerciale a eu l'occasion de préciser, dans une décision du 7 juillet 2023 10, que le mandataire judiciaire qui sollicite la garantie de l'AGS n'a pas, sauf cas d'une procédure de sauvegarde, à justifier auprès d'elle de l'impossibilité de régler tout ou partie des créances salariales concernées. La présentation d'un relevé de créances salariales, établi sous sa seule responsabilité, suffit pour que l'AGS règle les sommes qui lui sont réclamées. Ceci vaut pour toutes les procédures collectives, autres que la sauvegarde judiciaire. En outre, la chambre sociale a énoncé, à plusieurs reprises, que l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de sorte que cette garantie ne peut être exclue en cas 10

Com., 7 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.902⚖️

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d'adoption d'un plan de continuation et au motif que ces créances pourraient être payées sur les fonds disponibles de l'entreprise11. Il résulte de tout ceci que les créances résultant du contrat de travail ou de sa rupture, nées antérieurement au jugement d'ouverture d'une procédure collective et qui sont garanties par l'AGS, restent soumises à cette procédure, même après qu'un plan de redressement a été adopté. Par ailleurs, cette garantie est mobilisée dès lors que le mandataire judiciaire s'adresse à l'AGS en présentant un état du relevé de ces créances, sans que celle-ci puisse lui opposer l'existence de fonds disponibles permettant de régler en partie les sommes dues. Dans notre espèce, les droits de la salariée sont nés au cours de l'exécution de son contrat de travail, soit avant l'ouverture de la procédure collective concernant son employeur. Il s'agit donc de créances antérieures qui sont couvertes par la garantie de l'AGS. Dès lors, les juges du fond ont, à tort, considéré que cette garantie était suspendue pendant le cours de l'exécution du plan de redressement dont bénéficie l'employeur. Il y a donc lieu de casser l'arrêt sur ce point. Il résulte de ces derniers développements que la salariée ne pouvait pas non plus solliciter la condamnation de son employeur à lui régler certaines sommes mais, s'agissant de créances antérieures restant soumises à la procédure collective, devait demander à ce qu'elles soient inscrites sur le relevé des créances salariales de la société12. Il me semble donc qu'il pourrait être envisagé de casser l'arrêt sur les quatrième et cinquième moyens mais également de le casser sur le deuxième moyen, uniquement en ce que la cour d'appel a condamné l'employeur à régler à la salariée une somme de 2 000 euros de dommages et intérêts, et de prévoir que cette somme sera inscrite sur le relevé des créances salariales de la société, sous réserve d'émettre un avis 1015 sur ce dernier point si la chambre partageait mon analyse. Pour toutes ces raisons, je suis à la cassation partielle de l'arrêt mais propose que la chambre statue, sans renvoyer l'affaire aux juges du fond.

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Voir, entre autres, Soc., 10 décembre 1996, pourvoi n° 95-40.485⚖️, Bulletin 1996, V, n° 434, Soc., 19 avril 2000, pourvoi n°

97-44.276, 97-44.277, 97-44.279 précité: « Attendu, cependant, d'une part, que les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement par cession ou continuation au régime de la procédure collective, d'autre part, que les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-1 du Code du travail doivent également avancer les sommes correspondant à des créances définitivement établies par décision de justice, même si les délais de garantie sont expirés » ou Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-24.272⚖️, cité au rapport 12

Voir en ce sens Soc., 19 avril 2000, pourvoi n° 97-44.276, 97-44.277, 97-44.279 déjà cité en notes de pas de page 8 et 11

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