Jurisprudence : Cass. com., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-21.947

Cass. com., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-21.947

A98566BN

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Cass. com., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-21.947. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300716-cass-com-conclusions-10072024-n-2221947
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AVIS DE M. BONTHOUX, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 413 du 10 juillet 2024 (B) – Chambre commerciale, financière et économique Pourvoi n° 22-21.947⚖️ Décision attaquée : 5 juillet 2022 de la cour d'appel de Rennes M. [N] [X] C/ la société Equip'Jardin Atlantic

_________________

I - Faits et procédure Le 6 octobre 2017, les époux [X] ont cédé à la société Equip'jardin (vente de matériel agricole) la totalité des titres composant le capital social de la société Tamo. Motoculture (distribution d'équipements et matériels d'entretien de parcs et jardins). L'acte de cession stipulait que le prix de 250.000 euros était arrêté sous la réserve que le montant des capitaux propres retraités de la société Tamo tels que résultant des comptes sociaux de référence soit au moins égal à 262.000 euros et les cédants s'engageaient irrévocablement à restituer au cessionnaire à titre de réduction du prix de cession, au prorata du nombre de titres sociaux cédés par chacun d'eux, une somme correspondant à la différence entre la somme de 262.000 euros et le montant des capitaux propres retraités de la société au 30 septembre 2017. Estimant que le montant des capitaux propres retraités était de 122.149 euros, la société Equip'Jardin a assigné M. et Mme [X] en paiement de la différence entre cette somme et celle de 262.000 euros prévue au contrat.

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Par jugement du 27 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nantes fait droit à cette demande. La cour d'appel de Rennes, par arrêt du 5 juillet 2022, l'a confirmé. C'est l'arrêt attaqué.

II - Moyen unique Les époux [X] font grief à l'arrêt par un moyen développé en deux branches d'avoir accueilli la demande de la société EQUIP'JARDIN et de les avoir condamné à lui payer la somme de 135.795 € alors d'une part qu'il y a violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif, d'autre part parce qu‘elle s'est appuyée pour exclure le vice du consentement sur des éléments intervenus postérieurement à la conclusion de la cession.

III - Discussion À la veille de la réforme du droit des obligations, la jurisprudence répondait en substance que la violence pouvait être retenue s'il était établi que le cocontractant avait profité de la situation pour obtenir un avantage excessif. C'est de cette solution qu'a entendu s'inspirer l'actuel article 1143 du code civil🏛. Dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016🏛, en vigueur au 1er octobre 2016 et donc applicable au présent litige 1, il prévoit en effet qu'« il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant « à son égard » (ajout de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018🏛, ratifiant l'ordonnance de 2016), obtient de lui un engagement qu'il n‘aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». La violence suppose l'existence d'une menace suscitant un sentiment de crainte, qui pèse sur la personne ou le patrimoine du contractant en raison de l'exploitation abusive par l'autre partie de l'état de dépendance dans lequel il se trouve à son égard. Elle doit présenter un caractère déterminant apprécié in concreto en fonction des particularités individuelles du contractant. « La violence se présente comme un délit civil qu'il importe de réprimer en raison de son caractère moralement fautif et socialement dangereux » 2. « Si le consentement est en principe éclairé, il jamais n'est totalement libre et intervient sous l'empire d'une nécessité, d'un besoin ou d'un désir, spontané ou suscité, souvent donné aux conditions dictées par le cocontractant » 3. 1

Dalloz.fr : « Les modifications apportées par la loi n° 2018-287 du 20 avril. 2018 à l'article 1143 du code civil ont un caractère interprétatif ». 2

J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil , Les obligations, 1. L'acte juridique : Dalloz-Sirey, 17e éd., 2022, n° 351. 3

P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations : LGDJ, 12e éd., 2022, n° 322.

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« C'est donc en fonction d'une appréciation portée sur la conduite de celui-ci que se fait le tri, imposé par les nécessités de la sécurité contractuelle, entre les pressions admises et les contraintes interdites » 4. La violence est en revanche constituée lorsque le cocontractant a profité de la situation pour stipuler des conditions abusives5. La jurisprudence se montre depuis longtemps sensible au souci de protéger celui que sa situation économique contraint à accepter de contracter à des conditions désavantageuses. La violence ne résultait cependant pas des seules difficultés économiques du contractant. Il ne suffisait pas davantage que les parties ne soient pas sur un pied d'égalité. La cour de cassation exige des juges qu'ils précisent en quoi les agissements du concédant sont illégitimes 6. La violence économique est soumise à deux conditions : l'existence d'un état de dépendance économique 7 et l'exploitation abusive de cette situation 8. La violence par abus de dépendance n'a pas vocation à protéger toutes les personnes intrinsèquement vulnérables, mais seulement celles qui sont placées en situation de dépendance ou de sujétion à l'égard de leur cocontractant en raison de la nature des relations qu'elles entretiennent avec celui-ci, " au point d'avoir perdu leur autonomie de décision vis-à-vis de lui " 9. La violence est exclue dès lors qu'il n'est pas établi que le contractant a été contraint par sa dépendance à consentir un avantage excessif ou anormal à son cocontractant10 ou, plus largement, que celui-ci a commis un "abus de droit"11. La violence économique avait cependant été retenue sans que soit formellement relevée une situation de dépendance, mais une "contrainte économique"12. 4

J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil , La formation du contrat, t. 1, Le contrat, Le consentement : LGDJ, 4e éd., 2013, n° 1489). 5

M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 6, Obligations, 1re partie, par P. Esmein : LGDJ, 2e éd., 1952, n° 195. - F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil , Les obligations : Précis Dalloz, 13e éd., 2022, n° 320. 6

Cass. com., 20 mai 1980, n° 78-10.833 : JurisData n° 1980-000212⚖️ ; Bull. civ. IV, n° 212.

7

Cass. 1re civ., 18 février 2015, n° 13-28.278 : JurisData n° 2015-003366⚖️ ; Bull. civ. I, n° 44

8

Cass. com., 29 janvier 2008, n° 06-20.808 : JurisData n° 2008-042625⚖️ ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. 96 , note M. Malaurie-Vignal, à propos d'une clause d'objectifs dans un contrat de distribution exclusive. 9

M. Latina, L'abus de dépendance : premiers enseignements des juridictions du fond : D. 2020, p. 2180, n° 2.

10

Cass. com., 9 octobre 2007, n° 06-16.744 : JurisData n° 2007-040805⚖️.

11

Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-15.604⚖️ : Bull. Joly 2009, p. 276 , note P. Mousseron.

12

Cass. 1re civ., 4 février 2015, n° 14-10.920⚖️ : Comm. com. élec 2015, comm. 33 , note G. Loiseau ; D. 2016, p. 566, obs. M. Mekki ; RDC 2015, p. 445 , obs. E. Savaux.

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La chambre semble rigoureuse pour reconnaître l'existence d'un état de dépendance économique et casse pour défaut de base légale l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait admis l'état de dépendance économique d'une société d'aviation ayant signé un avenant prévoyant une augmentation significative du coût du contrat de maintenance de sa flotte d'avions sous la menace d'une rupture du contrat, faute pour les juges d'avoir précisé en quoi le risque de devoir retarder l'exploitation d'un avion qu'elle comptait acquérir, le temps de trouver un prestataire de maintenance de substitution pour sa prise en charge, l'aurait conduite à rompre les contrats d'achats de nouveaux avions et aurait eu des conséquences économiques telles qu'il aurait placé la compagnie d'aviation dans une situation de dépendance à l'égard du prestataire13. Sur renvoi, la cour d'appel de Paris ne retient pas cet état de dépendance au motif que la société d'aviation " n'établit pas l'impossibilité de trouver un autre prestataire pour la maintenance de ses avions, ne démontre pas qu'elle aurait été contrainte de rompre ses contrats et se serait trouvée dans une situation de dépendance économique à l'égard de son cocontractant la contraignant à signer l'avenant "14. Le constat de l'existence d'un état de dépendance économique ne suffit pas. Il faut encore, aux termes de l'article 1143 du Code civil, que la partie qui impose sa domination en "abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtienne de lui un engagement qu'il n'aurait pas obtenu en l'absence d'une telle contrainte et qu'il en tire un avantage manifestement excessif ". Le comportement du contractant qui impose sa domination doit être abusif. De fait, conclure un contrat avec une personne en état de dépendance n'est pas en soi illégitime et seule une contrainte illégitime caractérise la violence considérée en tant que délit civil15. Il est par ailleurs nécessaire que l'abus de dépendance économique entraîne au profit de son auteur " un avantage manifestement excessif ". La doctrine semble partagée sur la question de l'autonomie des deux dernières conditions. Certains auteurs considèrent que l'existence d'un abus constitue une exigence autonome qui possède une consistance propre et doit donc être démontrée séparément16. D'autres considèrent au contraire que le profit illégitime résultant de l'avantage manifestement excessif constitue un critère objectif qui suffit à caractériser l'abus, sans qu'il soit en outre nécessaire de démontrer un comportement actif du cocontractant17. 13

Cass. com., 9 juillet 2019, n° 18-12.680 , JurisData n° 2019-012228⚖️.

14

CA Paris, 16 sept. 2020, n° 19/17530⚖️.

15

O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : LexisNexis, 2e éd., 2018, p. 259. - V. n° 38.

16

H. Barbier, La violence par abus de dépendance : JCP G 2016, 421. B. Fages, Droit des obligations : LGDJ, 12e éd., 2022, n° 122.

17

F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats : Dalloz, Hors collection, 2e éd., 2018, n° 123.177. - A. Bénabent, Droit des obligations : LGDJ, Domat, 19e éd., 2021, n° 113.

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Seule cette conception permettrait selon eux de donner un réel intérêt à l'article 1143 du Code civil par rapport à l'article 1140, les actes délictueux étant déjà sanctionnés sur le fondement de la violence générale18. D'autres enfin estiment, de manière intermédiaire ou bien que l'existence d'un avantage manifestement excessif ne constitue que l'élément matériel de l'abus, lequel requiert en outre un élément intentionnel19 ou que l'obtention d'un avantage manifestement excessif doit permettre, sauf preuve contraire, de présumer l'abus20. Les juges du fond énoncent clairement que la violence par abus de dépendance suppose que " trois conditions cumulatives soient réunies : l'état de dépendance, l'abus de cet état par l'autre cocontractant, et l'obtention par celui-ci d'un avantage manifestement excessif "21. Ils refusent donc de confondre abus et avantage manifestement excessif et soumettent la violence par abus de dépendance aux éléments matériels du vice de violence traditionnelle que sont les menaces ou les pressions. La position de la Cour de cassation est plus incertaine et ce, d'autant plus qu'elle semble n'être intervenue jusqu'à présent que dans des affaires dont les faits sont soumis au droit antérieur à l'ordonnance du 10 février 2016. Elle a renvoyé aux constatations des juges d'appel qui avaient " caractérisé l'état de dépendance économique dans lequel une partie se trouvait à l'égard de l'autre ainsi que l'avantage excessif que cette dernière en avait tiré ", sans évoquer un éventuel acte abusif.22 La chambre commerciale a mis l'accent sur l'absence d'un état de dépendance et ne permet donc pas d'en tirer un enseignement relatif à l'exigence propre de menaces ou de pressions23. La violence n'est sanctionnée que si elle revêt cumulativement deux caractères : elle doit être illégitime et déterminante. Ainsi, toute pression exercée sur une personne pour la persuader de conclure un contrat ne constitue pas une violence susceptible d'en entraîner l'annulation"24. La simple insistance ne constitue pas en principe une violence illégitime. Mais l'illégitimité peut résulter de la nature ou de l'ampleur des engagements obtenus. 18

M. Latina, L'abus de dépendance. Précité.

19

P. Malinvaud, M. Mekki et J.-B. Seube, Droit des obligations : LexisNexis, 16e éd., 2021, n° 230

20

M. Mekki, Pour une ratification minimaliste de l' ordonnance du 10 février 2016 : AJCA 2017, p. 462.

21

Pour l'admettre : CA Versailles, 26 novembre 2020, n° 19/03233⚖️ ou pour la refuser : CA Riom, 17 novembre 2021, n° 20/00359⚖️ ; CA Lyon, 15 avril 2021, n° 19/06590. 22

Cass. 2e civ., 9 déc. 2021, n° 20-10.096 : JurisData n° 2021-019849⚖️.

23

Cass. com., 21 sept. 2022, n° 21-12.218 : JurisData n° 2022-015190⚖️ ; RTD civ. 2022, p. 884 , obs. H. Barbier. Cass. com., 25 janv. 2023, n° 21-19.351 : JurisData n° 2023-000774⚖️.

24

Larroumet et S. Bros, Traité de droit civil , t. 3, Les obligations, Le contrat : Economica, 10e éd., 2021, n° 378.

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Votre chambre admet cependant que la légitimité peut cesser, et la violence apparaître, si le créancier fait preuve d'exigences excessives ou disproportionnées ou si, par son attitude, il aggrave les contraintes pesant sur le débiteur25. La violence, vice du consentement, n'est pas sanctionnée en tant que telle mais seulement dans la mesure où elle a été déterminante du consentement de la partie qui en a été victime. Les dispositions spécifiques de l'article 1143 du code civil qui subordonnent ce type de violence au fait qu'ait été obtenu d'un contractant " un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte ", peuvent être interprétées comme réservant la violence, cause de nullité, à celle de la nonconclusion du contrat et l'excluant dans tous les cas où l'abus n'a eu d'incidence que sur les conditions du contrat, peu important que celles-ci soient ou non substantiellement différentes de celles que la partie dépendante aurait acceptées sans lui. Une telle interprétation aurait cependant pour effet de réduire à l'excès le domaine de la sanction, dès lors que l'abus est très souvent commis au préjudice d'une partie que sa situation de dépendance obligeait à contracter26. L'exigence d'une violence déterminante du consentement implique notamment que seuls puissent être pris en considération des faits de violence antérieurs ou concomitants à l'expression du consentement, mais il n'est pas nécessaire que les menaces aient été exercées à la date de l'acte et il suffit que le consentement ait été déterminé par des violences antérieures27. L'appréciation in concreto est aujourd'hui consacrée par l'article 1130, alinéa 2, du code civil🏛, selon lequel le caractère déterminant des différents vices du consentement "s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ". Il convient donc de rechercher non si la menace était de nature à déterminer le consentement d'un contractant moyen, mais si elle a effectivement déterminé le consentement du contractant considéré. Il faut pour cela se référer non seulement à la nature et à l'intensité de la menace mais aussi, le cas échéant, aux particularités individuelles du contractant, aux différentes circonstances le rendant plus ou moins sensible aux contraintes28, y compris des circonstances externes, de temps et de lieu29. La présence d'un tiers digne de confiance est certes de nature à exclure la violence.

25

Cass. com., 28 mai 1991, n° 89-17.672 : JurisData n° 1991-001414⚖️ ; Bull. civ. IV, n° 180 ; D. 1991, somm. p. 385, obs. L. Aynès. 26

J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil , Les obligations, 1. L'acte juridique : Dalloz-Sirey, 17e éd., 2022, n° 367.

27

Cass. 1re civ., 17 nov. 2011, n° 10-25.369 : JurisData n° 2011-026975⚖️ ; RTD com. 2012, p. 171 , obs. D. Legeais. 28

J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil , La formation du contrat, t. 1, Le contrat, Le consentement : LGDJ, 4e éd., 2013, n° 1497.

29

RTD Civ. 2023 p.356, « Pour être source de nullité du contrat, la violence économique suppose la preuve d'acte(s) de pression », (Com. 25 janv. 2023, n° 21-19.351), Hugo Barbier, Professeur à

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Il en est spécialement ainsi s'agissant d'un acte notarié, la présence du notaire apparaissant en principe comme " la garantie de la sincérité de l'acte et, spécialement, de la réalité et de la liberté du consentement des parties "30 ou l'assistance d'un avocat31. Mais elle peut cependant apparaître, à l'opposé, comme une circonstance intimidante favorable à l'admission de la violence32. La charge de la preuve incombe naturellement au demandeur, c'est-à-dire à celui qui se prétend victime de la violence. La chambre commerciale considère à cet égard que « le demandeur qui ne produit aucun élément de nature à établir la réalité des menaces et des pressions qu'il invoque est " défaillant dans l'administration de la preuve d'un vice du consentement "33. L'existence du vice est ainsi établie par des présomptions ou indices tirés des circonstances et du contenu du contrat. Ainsi, la chambre commerciale approuve une cour d'appel d'avoir pris en compte l'évolution des comptes de la société dans les semaines ayant suivi le cautionnement litigieux de son dirigeant pour apprécier la réalité de la situation de dépendance économique à la date où le cautionnement avait été donné34. Les éléments et les caractères de la violence sont souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, mais la Cour de cassation contrôle cependant la qualification juridique des faits et spécialement la pertinence des éléments retenus au titre de la contrainte35 et effectue un contrôle de motivation36. En l'espèce, la cour d'appel de Rennes, pour écarter les demandes des époux [X] a retenu qu'ils ne justifiaient pas « d'actes de pression ou à tout le moins d'une forme d'intransigeance de la part du cocontractant » et que, s'ils ont indiqué par la suite s'opposer à l'application de la clause, il n'est pas justifié qu'ils aient tenté, avant la signature, de s'opposer aux nouvelles exigences de la société Equip'jardin. L'arrêt ajoute qu'ils avaient pu pourtant s'opposer avec succès le 23 mai 2017 lors des négociations, à l'insertion d'une telle clause, qu'il n'est pas justifié qu'ils aient tenté de s'opposer à l'insertion de cette clause dans le projet qui leur a été adressé le 4 octobre 2017, ni qu'ils aient manifesté leur opposition à cette insertion et qu'il apparaît au contraire que par avenant du 6 octobre 2017, ils ont convenu de préciser l'Université d'Aix-Marseille. Recueil Dalloz, « L'abus de dépendance (C. civ., art. 1143) : premiers enseignements des juridictions du fond – Mathias Latina – D. 2020. 2180 ». 30

Cass. 1re civ., 13 avr. 1956 : Bull. civ. I, n° 153.

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Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, n° 15-26.647⚖️.

32

CA Paris, 24 mai 2002, n° 2000/14472 : JurisData n° 2002-189408⚖️ ; RTD civ. 2002, p. 503 , obs. J. Mestre et B. Fages. 33

Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10-24.625.

34

Cass. com., 21 sept. 2022, n° 21-12.218 : JurisData n° 2022-015190 ; RTD civ. 2022, p. 884 , obs. H. Barbier.

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Cass. com., 3 oct. 2006, n° 04-13.987 : JurisData n° 2006-035470⚖️.

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Cass. 1ère civ., 4 févr. 2015, n° 14-10.920 : Comm. com. électr. 2015, comm. 33 , note G. Loiseau ; D. 2016, p. 566, obs. M. Mekki ; RDC 2015, p. 445 , obs. E. Savaux.

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la notion de capitaux propres retraités et d'une clause de complément de prix au titre d'une éventuelle indemnité perçue de la part de la société Honda, démontrant ainsi que des négociations sur le prix définitif avaient eu lieu jusqu'au jour de la signature du contrat de cession. Pourtant, la cour d'appel a relevé en premier lieu que par lettre d'intention du 18 mai 2017, la société EQUIP'JARDIN avait confirmé sa volonté de procéder à l'acquisition de la totalité des parts de la société TAMO MOTOCULTURE pour le prix de 250.000 €, mais avait alors tenté d'imposer aux consorts [X] une clause de réduction du prix en fonction du montant des capitaux propres de cette société au 30 septembre 2017, ce que les consorts [X] ont refusé le 23 mai 2017, refus accepté par la société EQUIP'JARDIN dans sa lettre d'intention du 24 mai 2017. En deuxième lieu, la cour constate que la société EQUIP'JARDIN a accepté par engagement «irrévocable » le 29 septembre 2017 de «procéder à l'acquisition de la société TAMO moyennant le prix de 250.000 €». Qu'à la suite de cet engagement, la cour a constaté, outre l'accomplissement par les époux [X] des actes de restructuration préalable de la société exigés par la société EQUIP'JARDIN pour parvenir à la cession, comprenant notamment la fermeture d'un établissement secondaire et le licenciement de plusieurs salariés, et l'acquisition par Monsieur [X] auprès des héritiers de son frère des parts qu'ils détenaient dans ladite société afin de pouvoir réaliser la cession de la totalité des titres « quelques jours plus tard ». En troisième lieu, la cour constate que le projet envoyé aux consorts [X] par le conseil de la société EQUIP'JARDIN le 4 octobre 2017 à 20h15 pour une signature le 6 octobre 2017 au matin avait réintroduit la clause de réduction du prix de cession selon le montant des capitaux propres au 30 septembre 2017, « alors que tous les actes préparatoires à la cession, et notamment les acquisitions, modification des baux commerciaux et de la composition du personnel, avaient été réalisés par les vendeurs, moins de 48 heures avant la date de signature de l'acte de cession définitif et que la société EQUIP'JARDIN savait que les époux [X] avaient auparavant manifesté leur opposition sur ce point » et qu'elle avait ce faisant «pour le moins manqué de loyauté ». Qu'à cette date, la cour constate encore qu'EQUIP'JARDIN avait alors «exigé l'insertion de cette clause à une date à laquelle les époux [X] ne pouvaient plus revenir en arrière quant aux opérations de réorganisation de leur personnel, de fermeture d'un établissement, de modification d'un bail commercial et de rachat de parts sociales », de sorte qu'ils « n'étaient plus en situation de refuser la cession aux conditions exigées par la société EQUIP'JARDIN en contradiction avec l'ensemble des négociations antérieures » et qu'ils « se trouvaient en état de dépendance ». La cour considère néanmoins pour exclure tout vice du consentement, que « les époux [X] ne justifient pas « d'actes de pression ou à tout le moins une forme d'intransigeance de la part du cocontractant». Or réintroduire au dernier moment une clause auparavant, exclue expressément par les époux [X] et dont le retrait a été accepté par la société EQUIP'JARDIN, manifestement lourde de conséquences financières, sans avoir sollicité d'autres éléments comptables de nature à éclairer sa décision d'achat, l'avant-veille de la signature d'un acte de vente ayant donné lieu à des actes préparatoires de restructuration complexes et irrévocables pour les époux [X], ne saurait être considéré autrement que comme un acte de pression de la part de la société 8

EQUIP'JARDIN, et déterminant dans la signature de l'acte par les époux [X], qui n'avaient plus d'autre choix que de ne plus contracter ou d'accepter la clause, initialement refusée et désormais imposée. En effet, les époux [X] n'ont lancé les opérations exigées par EQUIP'JARDIN qu'après l'acception par cette dernière de leur refus de cette clause et leur engagement irrévocable à acquérir leur société. Si EQUIP'JARDIN n'avait pas accepté ce refus, les époux [X] n'auraient pas lancé ces opérations, ni a fortiori envisagé la vente de leur société. Ces circonstances de temps (réintroduction d'une clause refusée, acception de ce refus pour obtenir la poursuite des négociations sur la vente et réintroduction au dernier moment au contrat) et de complexité (fermeture d'établissement secondaire, licenciement de salariés, rachat de parts) ne résultent que des seules exigences et du seul comportement de la société EQUIP'JARDIN. Le reproche fait par la cour d'appel aux époux [X] de ne pas avoir justifié d'avoir tenté, avant la signature, de s'opposer aux nouvelles exigences de la société EQUIP'JARDIN », semble plutôt caractériser un peu plus leur situation de faiblesse que dédouaner la société EQUIP'JARDIN du caractère abusif de ses agissements. Si les époux [X] avaient été libres de se retirer, sans pertes excessives pour leur patrimoine au regard des opérations de restructurations déjà faites pour satisfaire les exigences de la société EQUIP'JARDIN, c'est à dire, dans la situation où ils se trouvaient au moment où ils avaient refusé la clause réintroduite, nul doute qu'ils l'auraient fait. Quant à l'avantage obtenu grâce à la signature ce cette clause in extremis, qui aboutit à réduire le prix de la transaction de plus de moitié (250.000 € - 135.795 € = 114.205 €, soit 55% du prix de vente), il peut être considéré comme manifestement excessif. Comme votre chambre le décide, la légitimité de la négociation contractuelle peut cesser, et la violence apparaître, si le créancier fait preuve d'exigences excessives ou disproportionnées ou si, par son attitude, il aggrave les contraintes pesant sur le débiteur37. Les appréciations et constatations souveraines et déterminantes de la cour d'appel semblent avoir plus porté sur ce que n'avaient pas fait les époux [X] pour tenter de contrer les agissements de la société EQUIP'JARDIN sans s'interroger sur les moyens qu'ils avaient de le faire, que sur ces agissements eux-mêmes, qu'elle a pourtant caractérisé. Or, l'appréciation in concreto est aujourd'hui consacrée par l'article 1130, alinéa 2, du code civil, selon lequel le caractère déterminant des différents vices du consentement "s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ". En ne recherchant pas si la menace était de nature à effectivement déterminer le consentement du contractant considéré, en se référant non seulement à la nature et à l'intensité de la menace mais aussi, le cas échéant, aux particularités individuelles du contractant, aux différentes circonstances le rendant plus ou moins sensible aux

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Cass. com., 28 mai 1991, n° 89-17.672 : JurisData n° 1991-001414 ; Bull. civ. IV, n° 180 ; D. 1991, somm. p. 385, obs. L. Aynès.

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contraintes38, y compris des circonstances externes, de temps et de lieu, en l'occurrence la réintroduction de cette clause initialement écartée et réintroduite la veille de la signature du contrat, alors que les lourdes conditions préparatoires préalables avaient été exécutées par le cocontractant rendant le retour en arrière lourd de conséquences financières pour lui, créant ainsi in extremis un déséquilibre significatif entre les parties par l'obtention d'avantages injustifiés et disproportionnés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. Cette branche du moyen doit être accueillie. Très subsidiairement sur la seconde branche du moyen, compte tenu des éléments exposés précédemment, les époux [X] font valoir que le vice du consentement s'apprécie au jour de la conclusion du contrat et que la cour d'appel ne pouvait, sans violer les article 1130 et 1143 du code civil, exclure le vice du consentement, dès lors que postérieurement à la conclusion de la cession comprenant la clause de réduction du prix litigieuse, un avenant a été conclu pour préciser la notion de capitaux propres retraités et le partage éventuelle d'une indemnité perçue la part d'un fournisseur de la société, bien que ledit avenant n'ait pas supprimé la clause de réduction du prix imposé par abus de dépendance. Il est de jurisprudence constante que l'appréciation de la réalité de l'état de dépendance économique peut s'appuyer sur des éléments postérieurs à la formation du contrat39. Cette branche ne peut être accueille. Je conclus donc à la cassation sur la première branche du moyen.

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J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil , La formation du contrat, t. 1, Le contrat, Le consentement : LGDJ, 4e éd., 2013, n° 1497. 39

Com. 13 janvier 2021, n° 19-10763⚖️.

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