c/
Commission des Communautés européennes
ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
24 octobre 2002 (1)
"Pourvoi - Concurrence - Transports aériens - Gestion des aéroports - Abus de position dominante - Redevances discriminatoires"
Dans l'affaire C-82/01 P,
Aéroports de Paris, établi à Paris (France), représenté par Me H. Calvet, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T-128/98, Rec. p. II-3929), et tendant à l'annulation de cet arrêt,
les autres parties à la procédure étant:
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme L. Pignataro, en qualité d'agent, assistée de Me B. Geneste, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
et
Alpha Flight Services SAS, établie à Paris, représentée par Mes L. Marville et A. Denantes, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. C. Gulmann, faisant fonction de président de la sixième chambre, V. Skouris, Mmes F. Macken, N. Colneric et M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), juges,
avocat général: M. J. Mischo,
greffier: M. R. Grass,
vu le rapport du juge rapporteur,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 février 2002,
rend le présent
Arrêt
1.
Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 février 2001, Aéroports de Paris (ci-après "ADP") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T-128/98, Rec. p. II-3929, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 98/513/CE de la Commission, du 11 juin 1998, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité (IV/35.613 - Alpha Flight Services/Aéroports de Paris) (JO L 230, p. 10, ci-après la "décision litigieuse").
Les faits à l'origine du litige
2.
Il ressort de l'arrêt attaqué que:
"1 Le requérant, [ADP], est un établissement public de droit français doté de l'autonomie financière, qui, en vertu de l'article L. 251-2 du code de l'aviation civile français, est 'chargé d'aménager, d'exploiter et de développer l'ensemble des installations de transport civil aérien ayant leur centre dans la régionparisienne et qui ont pour objet de faciliter l'arrivée et le départ des aéronefs, de guider la navigation, d'assurer l'embarquement, le débarquement et l'acheminement à terre des voyageurs, des marchandises et du courrier transportés par air, ainsi que toutes installations annexes'.
2 ADP assure l'exploitation des aéroports d'Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle (ci-après 'Roissy-CDG').
3 Dans les années 60, les services de commissariat aérien ('catering') étaient fournis à l'aéroport d'Orly par quatre sociétés: Pan Am, TWA, Air France et la Compagnie internationale des wagons-lits (ci-après la 'CIWL'). Les trois premières assuraient en réalité, et ce de manière presque exclusive s'agissant d'Air France, l'auto-assistance, c'est-à-dire le ravitaillement de leurs propres vols. À la suite de la création de l'aéroport de Roissy-CDG dans les années 70, TWA et Pan Am y ont transféré leurs activités.
4 C'est à cette époque qu'ACS, filiale de Trust House Forte, devenue THF, aux droits de laquelle se trouve la société Alpha Flight Services (ci-après 'AFS') a commencé son activité de prestataire de services de commissariat aérien à l'aéroport d'Orly.
5 À la suite d'un appel d'offres lancé par ADP en 1988, AFS a été sélectionnée en tant que seul prestataire de services de commissariat aérien à l'aéroport d'Orly, en plus d'Air France qui n'y assurait que l'auto-assistance.
6 Les conditions financières demandées par ADP ne prévoyaient que le versement périodique d'une redevance calculée sur la base du chiffre d'affaires du prestataire. Dans son offre, AFS proposait une redevance moyenne sur son chiffre d'affaires de [...] % (variant de [...] %) ainsi que la construction d'un nouveau bâtiment et le rachat, pour [...] de francs français (FRF), des bâtiments de la CIWL.
7 Le 21 mai 1992, ADP et AFS ont signé une convention de concession d'une durée de 25 ans, prenant effet rétroactivement le 1er février 1990, par laquelle AFS était autorisée à assurer des services de commissariat aérien à l'aéroport d'Orly et à occuper un ensemble de bâtiments situés dans le périmètre de celui-ci ainsi qu'un terrain de [...], et à y bâtir à ses frais les installations nécessaires à son activité.
8 Selon l'article 23 de la convention, la redevance due par AFS était déterminée comme suit:
i) aucune redevance domaniale n'est perçue;
ii) une redevance commerciale est calculée proportionnellement au chiffre d'affaires [total annuel réalisé par AFS, en excluant le chiffre d'affairescorrespondant à la fourniture de plats kascher à partir de Rungis (extérieur au périmètre de l'aéroport) aux sociétés assurant des services de commissariat aérien sur les plates-formes d'ADP. Le chiffre d'affaires généré par les prestations effectuées dans les installations de Rungis et fournies directement à tout autre client installé sur les plates-formes d'ADP, qu'il s'agisse de compagnies aériennes ou non, reste soumis à redevance];
iii) enfin, l'exploitant doit verser à ADP une somme de [...] de FRF en sus de la redevance prévue ci-dessus.
9 [...], un nouveau prestataire de services, Orly Air traiteur (ci-après 'OAT') a commencé une activité de commissariat aérien à l'aéroport d'Orly. OAT est une filiale détenue majoritairement par le groupe Air France à travers sa filiale Servair qui fournit également des services d'assistance en escale à l'aéroport de Roissy-CDG. OAT a progressivement repris les activités de commissariat aérien jusqu'alors assurées par Air France à l'aéroport d'Orly.
10 [...], ADP a octroyé à OAT une concession d'une durée de 25 ans, [...] et portant sur les autorisations d'exploitation de services de commissariat aérien à l'aéroport d'Orly et d'occupation de biens immobiliers situés dans le périmètre de celui-ci. OAT était ainsi autorisée à occuper un terrain de [...] et à y bâtir à ses frais les installations nécessaires. L'article 26 de la convention de concession, relatif aux conditions financières, prévoyait une rémunération distincte pour chacune des deux autorisations dans les termes suivants:
- d'une part, en contrepartie de l'autorisation d'occupation de terrain, le bénéficiaire s'engage à verser à ADP une redevance domaniale annuelle proportionnelle à la surface occupée [...],
- d'autre part, en contrepartie de l'autorisation d'exercice d'activité accordée, le bénéficiaire s'engage à verser à ADP une redevance commerciale composée de:
i) un taux de [...] % sur le chiffre d'affaires total réalisé avec la compagnie nationale Air France et les compagnies filiales du groupe Air France, Air Charter, Air Inter (les prestations réalisées par OAT avec les filiales ou sous-filiales de Servair, titulaires d'une autorisation d'exploitation commerciale avec ADP sont exclues de l'assiette du chiffre d'affaires);
ii) un taux de [...] % sur le chiffre d'affaires total réalisé avec toute autre compagnie aérienne.
11 À la fin de 1992, à la suite de l'arrivée d'OAT sur le marché et d'un différend entre ADP et AFS concernant la rémunération due par celle-ci, le taux de la redevance d'AFS a été revu à la baisse et est passé de [...] %.
12 Le 29 décembre 1993, AFS a informé ADP qu'elle considérait que son taux de redevance et ceux appliqués au chiffre d'affaires de ses concurrents à l'aéroport d'Orly n'étaient pas équivalents, même après la prise en compte d'éventuelles différences de charges domaniales, et que cette disparité introduisait un déséquilibre entre les prestataires. En conséquence, AFS a demandé un alignement des taux de redevance.
13 ADP a refusé au motif que la diminution de taux obtenue par AFS précédemment mettait les redevances des différents concessionnaires, compte tenu des charges foncières, à des niveaux équivalents.
14 Le 22 juin 1995, AFS a déposé une plainte auprès de la Commission à l'encontre d'ADP au motif que celui-ci imposerait des redevances discriminatoires aux prestataires de services de commissariat aérien en violation des dispositions de l'article 86 du traité CE (devenu article 82 CE).
15 Le 1er février 1996, la Commission a adressé à ADP une demande de renseignements au titre des dispositions de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), afin d'obtenir des précisions sur l'identité des prestataires de services d'assistance en escale autorisés par ADP à exercer leur activité à l'aéroport d'Orly et à celui de Roissy-CDG et les redevances demandées à ces prestataires. Il ressort notamment de la réponse d'ADP que les catégories d'assistance soumises à une redevance sur le chiffre d'affaires incluent les services de commissariat, les services de nettoyage des avions et les services relatifs au fret.
16 La Commission a adressé à ADP une communication des griefs en date du 4 décembre 1996 au titre de l'article 86 du traité, dans laquelle elle estimait que les redevances commerciales appliquées par celui-ci reposent sur des règles d'assiette différentes selon l'identité des entreprises autorisées sans que ces différences soient objectivement justifiées. Conformément à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268), ADP a eu l'occasion de développer verbalement son point de vue lors d'une audition tenue le 16 avril 1997.
17 Le 11 juin 1998, la Commission a adopté la [décision litigieuse] qui énonce:
'Article premier
[ADP] a enfreint les dispositions de l'article 86 du traité en utilisant sa position dominante d'exploitant des aéroports parisiens pour imposer aux prestataires ou aux usagers fournissant des services d'assistance ou d'auto-assistance en escale relatifs au commissariat aérien (incluant les activités de chargement dans l'avion et de déchargement de l'avion de la nourriture et des boissons), au nettoyage des avions et à l'assistance fret, des redevances commerciales discriminatoires dans les aéroports parisiens d'Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle.
Article 2
[ADP] est tenu de mettre fin à l'infraction mentionnée à l'article 1er en proposant aux prestataires de services d'assistance en escale concernés un régime de redevances commerciales non discriminatoire avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.'"
L'arrêt attaqué
3.
Le 7 août 1998, ADP a introduit devant le Tribunal un recours visant à l'annulation de la décision litigieuse.
4.
Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les différents moyens invoqués par ADP et tirés, le premier, d'un vice de procédure, le deuxième, d'une violation des droits de la défense, le troisième, d'une méconnaissance de l'obligation de motivation, le quatrième, d'une violation de l'article 86 du traité, le cinquième, du non-respect de l'article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE), le sixième, d'une méconnaissance de l'article 222 du traité CE (devenu article 295 CE) et, le septième, d'un détournement de pouvoir.
Le pourvoi
5.
Par son pourvoi, ADP conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
- à titre principal:
- annuler l'arrêt attaqué;
- faire droit aux conclusions présentées par ADP en première instance, à savoir annuler la décision litigieuse;
- condamner la Commission à payer l'intégralité des dépens supportés par le requérant dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ainsi que du présent pourvoi;
- condamner AFS à supporter ses propres dépens dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ainsi que, pour le cas où elle produirait un mémoire dans le cadre du présent pourvoi, à supporter ses propres dépens à ce titre ainsi que ceux d'ADP afférents à cette intervention;
- à titre subsidiaire:
- annuler l'arrêt attaqué et renvoyer l'affaire devant une chambre du Tribunal composée de juges différents de ceux dont était constituée la chambre qui a rendu cet arrêt;
- réserver les dépens et renvoyer la question de leur fixation à la chambre du Tribunal qui se prononcera sur l'affaire.
6.
La Commission demande à ce qu'il plaise à la Cour:
- déclarer irrecevable le pourvoi pour violation de l'article 112 du règlement de procédure;
- subsidiairement, déclarer irrecevables et, en tout état de cause, non fondés les deuxième, troisième, cinquième à neuvième moyens et déclarer non fondés les premier, quatrième et dixième moyens;
- dès lors, rejeter le pourvoi;
- condamner le requérant aux dépens.
7.
AFS conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
- rejeter la demande en annulation de la décision litigieuse présentée par ADP;
- condamner ADP à supporter les entiers dépens de la présente procédure.
Sur la recevabilité
8.
La Commission soutient que le pourvoi est irrecevable dans son ensemble au motif qu'ADP se référerait à plusieurs reprises à des pièces qui, tout en ayant été annexées à la requête déposée devant le Tribunal, ne l'auraient pas été au pourvoi. Ce faisant, ADP aurait méconnu les articles 112 et 37 du règlement de procédure de la Cour.
9.
À cet égard, il convient de rappeler que l'article 112, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure définit les conditions auxquelles doit répondre le pourvoi. Le paragraphe 1, second alinéa, de cet article prévoit, notamment, l'application de l'article 37 du même règlement, lequel énonce, en son paragraphe 1, second alinéa, que tout acte de procédure doit être "accompagné de toutes les annexes qui y sont mentionnées" et, en son paragraphe 4, qu'"[à] tout acte de procédure est annexé un dossier, contenant les pièces et documents invoqués à l'appui et accompagné d'un bordereau de ces pièces et documents".
10.
Néanmoins, aucune disposition du règlement de procédure n'impose l'irrecevabilité du pourvoi comme sanction de l'inobservation des conditions prévues à l'article 37, paragraphes 1 et 4, de ce règlement.