COUR D'APPEL DE ROUEN DOSSIER 9304425
Des minutes du Secrétariat-Greffe de la Cour d'Appel de ROUEN a été extrait ce qui suit
COUR D'APPEL DE ROUEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 1995
APPELANT
SOCIÉTÉ NORMANDE DES ENTREPRISES TESNIERE (SNET) ayant son siège social FECAMP
Représenté par la SCP GALLIERE-LEJEUNE, avoués.
Assisté de Maître HENQUEZ SUBSTITUANT LA STE LBBM, Avocat
INTIMÉ
Y Geneviève Y
demeurant ROUEN
Représenté par la SCP GREFF-CURAT, avoués Assisté de Maître BESTAUX, Avocat
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 910 du NCPC L'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 24 OCTOBRE 1995 sans opposition des avoués et avocats devant Monsieur le Conseiller CHARBONNIER, rapporteur, en présence de Monsieur le Conseiller GRANDPIERRE
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Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de
- Monsieur le Président FALCONE
- Monsieur le Conseiller CHARBONNIER
- Monsieur le Conseiller GRANDPIERRE
GREFFIER
Mme CHARMOLUE
DÉBATS
A l'audience publique du 24/10/1995 La Cour a mis l'affaire en délibéré et Monsieur le Président a informé les parties présentes que l'arrêt serait rendu le 22/11/1995
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé à l'audience publique du 22/11/1995
Signé par Monsieur le Président FALCONE et par Mme CHARMOLUE Greffier Divisionnaire.
Sur l'appel interjeté par la SOCIÉTÉ NORMANDE DES ENTREPRISES TESNIERE (S.N.E.T) d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de ROUEN du 30 juillet 1993 qui l'a déboutée de sa demande formée contre Geneviève Y à fin d'avoir paiement par celle-ci du montant des condamnations en principal, frais et intérêts prononcées par un précédent arrêt de cette Cour du 7 février 1990 à l'encontre de la Société Civile Geneviève RUQUIER, débitrice vis-à-vis de la S.N.E.T. du solde du prix de travaux de voirie et d'assainissement réalisés pour la création d'un lotissement sis à FECAMP rue Queue de Renard ;
Attendu qu'à l'appui de son recours, la S.N.E.T. expose que la Société Civile d'Aménagement (SCA) Geneviève Y, en ce qu'elle s'est employée à des opérations de lotissement constitutives d'actes de commerce au sens de l'article 632 du Code de Commerce, doit être considérée comme une société créée de fait à caractère commercial dont les associés, aux termes de l'article 1871-1 du Code Civil, sont soumis aux dispositions applicables aux sociétés en nom collectif ; que par suite Geneviève Y, comme associée gérante de la Société Civile CADORE-RUQUIER qui figure au nombre des associés de la SCA Geneviève RUQUIER, doit répondre indéfiniment et solidairement des dettes de ladite. SCA, laquelle a été vainement mise en demeure à travers la Sté CADORE-RUQUIER de satisfaire à ses obligations de paiement ; qu'elle observe à titre subsidiaire qu'au cas où la SCA Geneviève RUQUIER apparaîtrait néanmoins comme une société à caractère civil, Geneviève Y n'en serait pas moins tenue du passif social en sa qualité de dirigeant de la Sté CADORE-RUQUIER elle-même associée de la SCA dès lors que, conformément à la condition posée par l'article 1858 du Code Civil, les poursuites préalablement intentées contre l'une et l'autre de ces deux sociétés sont demeurées infructueuses ; qu'elle demande en conséquence la condamnation de Geneviève Y à lui verser une somme de 266.102,09 Frs avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 1990, outre une indemnité de 5.000 Frs pour résistance abusive et 30.000 Frs en vertu de l'article 700 du NCPC ;
Attendu que Geneviève Y fait valoir en réponse que les actes et procédures auxquels la S.N.E.T. a recouru pour tenter de recouvrer sa créance, ont tous été dirigés contre une "Société Civile Immobilière" d'Aménagement Geneviève Y "Opération l'Orée de la Ville", qui n'a pas d'existence juridique, au lieu de viser la Société Civile d'Aménagement
Geneviève Y "Opération l'Orée de la Ville", seule personne morale à avoir été partie au marché de gré à gré dont le paiement est aujourd'hui recherché ; que la S.N.E.T. ne prouve nullement dans ces conditions qu'elle ait mis la société débitrice en demeure de s'exécuter et, moins encore, que celle-ci soit insolvable ; qu'elle ne fait pas davantage cette démonstration en ce qui concerne la Société Civile CADORE-RUQUIER, laquelle s'est vu opposer des actes dont le destinataire était une "Société Civile Immobilière" qui n'existe pas ; que Geneviève Y conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la S.N.E.T. à lui régler une somme de 5.000 Frs de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que 10.000 Frs du chef de l'article 700 du NCPC ;
Attendu qu'il ressort des pièces versées aux ébats que la SCA Geneviève RUQUIER "Opération l'Orée de la Ville", immatriculée au registre du commerce et des sociétés de ROUEN le 10 août 1982, avait pour objet, aux termes de ses statuts établis à la date du 5 juillet précédent "l'achat d'un terrain de 28.651 m2 cadastré section. AI, numéros 154, 155, 185 chemin départemental numéro 78 (rue Queue de Renard) ainsi qu'un autre terrain de 20.441 m2 cadastré section AI numéros 141,150, 151 également sur le C.D. n° 73 rue Queue de Renard, ainsi que les travaux de mise en état de viabilité afin de procéder à la division et à la vente dudit terrain en parcelles, le tout conformément à l'arrêté préfectoral de lotissement qui a été demandé" ; qu'étaient associées dans cette société notamment la Société à Responsabilité Limitée (SARL) Germaine Y et la Société Civile CADORE-RUQUIER ; que cette dernière personne morale, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de ROUEN le 20 juillet 1982, réunissait en son sein divers membres de la famille Y, parmi lesquels Geneviève Y ;
Attendu que les opérations de lotissement qui consistent comme en l'espèce à acquérir un terrain, à le diviser en parcelles et à vendre celles-ci après avoir réalisé les équipements nécessaires dans le respect de la réglementation d'urbanisme applicable, constituent une activité de nature commerciale ; que l'article 632 du Code de Commerce répute en effet actes de commerce "tout achat de biens immeubles aux fins de les revendre, à moins que flacquéreur n'ait agi en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en bloc ou par locaux" ; qu'il en résulte que le lotissement, à défaut de répondre aux conditions d'application du régime des sociétés de construction-vente, ne peut être poursuivi dans le cadre d'une société civile ;
Attendu que l'exercice d'une activité commerciale par une société civile entraîne, pour cette activité, l'apparition d'une société commerciale créée de fait, les dirigeants de la société civile étant réputés aux yeux des tiers avoir agi comme mandataires de l'ensemble de leurs associés ;
Attendu que l'article 1873 du Code Civil édicte que les dispositions du titre neuvième, chapitre III, dudit code, traitant de la société en participation, sont applicables aux sociétés créées de fait ; que selon l'article 1871-1 placé dans ce même chapitre "à moins qu'une organisation différente n'ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, soit par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil, soit, si elle a un caractère commercial, par celles applicables aux sociétés en nom collectif" ;
Attendu que l'article 10 de la loi du 24 juillet 1966 dispose que "les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales" ;
Attendu qu'il suit de là que la Société Civile CADORE-RUQUIER, membre de la société commerciale créée de fait entre les associés de la SCA Germaine RUQUIER "Opération l'Orée de la Ville", avait au même titre que ses coassociés la qualité de commerçant ; que Germaine Y, comme associée et cogérante de la Société CADORE-RUQUIER constituée de fait en société commerciale en raison de sa participation à la SCA, est donc tenue des dettes de cette dernière société dont la Société CADORE-RUQUIER doit elle-même solidairement et indéfiniment répondre ;
Attendu que l'article 10 de la loi du 24 juillet 1966 précise dans son deuxième alinéa que "les créanciers de la société [en nom collectif] ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire" ;
Attendu qu'il appert des éléments du dossier que la S.N.E.T. a, le 3 mai 1990, fait commandement à la "SCI Y Geneviève, SCI d'aménagement" d'avoir à lui payer, outre les frais de procédure et d'acte, le reliquat-en principal et intérêts du prix des travaux de viabilité liquidé par l'arrêt de la Cour de céans du 7 février 1990 ; que le 30 octobre 1990 la S.N.E.T. réitérait cette sommation en faisait signifier un deuxième commandement dont les causes inchangées étaient seulement actualisées, cette fois à la "SARL Geneviève RUQUIER prise en sa qualité de gérant de la SCI Y Geneviève, SCI d'aménagement" ; qu'à la requête de la S.N.E.T. un troisième commandement aux fins de saisie immobilière était délivré le 6 avril 1992 à la "SCI CADORE-RUQUIER, associée de la SCA Geneviève RUQUIER représentée par Madame Geneviève Y, gérante" ; que cet acte était suivi d'un procès-verbal de carence du 21 mai 1992, dans lequel l'huissier instrumentaire, venu au siège social de la Sté CADORE-RUQUIER pour y procéder à la saisie-exécution de son actif mobilier, constatait que les locaux formant le domicile de cette société étaient tenus à bail par la SARL Geneviève RUQUIER, propriétaire des matériels entreposés dans les lieux ;
Attendu que vainement Germaine Y s'efforce de tirer avantage de l'erreur matérielle entachant l'arrêt précité de la Cour de céans du 7 février 1990 qui, à l'instar du jugement de première instance sur lequel il intervenait, désignait la SCA comme la "Société Civile Immobilière" d'Aménagement Geneviève Y ; que cette dénomination reprise sur les commandements des 3 mai et 30 octobre 1990, dès lors qu'y était inclus le mot "aménagement", suffisait à ôter de l'esprit du destinataire de l'acte tout risque de confusion sur l'identité de la personne morale poursuivie en paiement des travaux commandés par la SCA Geneviève RUQUIER pour la réalisation du lotissement "L'Orée de la Ville" ; qu'au surplus la désignation approximative de la société revêt dans le cas présent d'autant moins d'importance formelle que la société commerciale créée de fait, recherchée en paiement par la S.N.E.T, n'avait pour accomplir ses actes de commerce aucune dénomination sociale que lui fût propre, mais exerçait son activité sous le couvert d'une société civile dont la personnalité juridique, à laquelle s'attachait son nom, était étrangère à la sienne ;
Attendu qu'il en va de même de l'erreur qui affecte la désignation de la Société Civile CADORE-RUQUIER, dénommée à tort "SCI" CADORE-RUQUIER sur le commandement de payer et le procès-verbal de carence des 6 avril et 21 mai 1992 ; que l'ajout de la lettre initiale du mot "immobilière" dans le sigle qui ouvre le nom de cette société, n'était en effet pas de nature à créer une quelconque incertitude sur l'identité de la personne morale visée sous cette appellation ;
Attendu qu'il suit de là que tant la société créée de fait dite SCA que la Société CADORE-RUQUIER membre de cette première société ont été l'objet de la mise en demeure exigée par l'article 10 précité de la loi du 24 juillet 1966 ; que Geneviève Y doit donc répondre en application de ce texte de la dette de la SCA envers la S.N.E.T ;
Attendu que la créance de la S.N.E.T, quant à ses modalités de calcul, n'est pas discutée par Geneviève Y ; qu'il doit être fait droit dans son intégralité au principal des prétentions formée par cette société suivant le décompte ci-après
- principal de la condamnation prononcée par cette Cour le 7 février 1990 156.506,97 F
- intérêts échus entre le 4 janvier 1985 et le 7 février 1990 41.890,02 F
- frais afférents au jugement du Tribunal de Grande Instance de ROUEN du 11 janvier 1990 12.450,20 F
- frais afférents à l'arrêt de cette Cour du 7 février 1990 4.877,06 F
- somme allouée en vertu de l'article 700 du NCPC 3.000,00 F
- frais de signification du compte 6,23 F
TOTAL... 266.102,09 F
outre les intérêts au taux légal courus depuis le 7 février 1990 ;
Attendu que la S.N.E.T. ne démontre pas que son adversaire lui ait, par sa mauvaise foi, occasionné un dommage indépendant du retard pris par elle dans le règlement de sa dette, de nature à justifier l'octroi de dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance ; qu'il convient, partant, d'écarter sa demande d'indemnité ;
4.
Attendu que Geneviève Y succombant en sa défense, il n'y a davantage lieu d'accueillir sa demande en dommages-intérêts ;
Attendu qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, il apparaît équitable de mettre à la charge de Geneviève Y, du chef des frais exposés par son adversaire en première instance comme en appel, et non compris dans les dépens, la somme de 8.000 Frs ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme le jugement déféré ;
Condamne Geneviève Y à payer à la SOCIÉTÉ NORMANDE DES ENTREPRISES TESNIERE (S.N.E.T)
1°) la somme de DEUX CENT SOIXANTE SIX MILLE CENT DEUX FRANCS NEUF CENTIMES (266.102,09 Frs) avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 1990 ;
2°) la somme de HUIT MILLE FRANCS (8.000 Frs) en application de l'article 700 du NCPC ;
Déboute la S.N.E.T et Geneviève Y comme non fondées de leurs demandes réciproques en dommages-intérêts ;
Condamne Geneviève Y aux dépens de première instance et d'appel.
fion confore, en Chef de la Cou e ROUEN