Jurisprudence : CAA Lyon, 5e, 16-05-2024, n° 23LY00071


Références

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON

N° 23LY00071

5ème chambre
lecture du 16 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C B a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 11 janvier 2016 par laquelle le président de la communauté de communes du Pays du Grésivaudan a prononcé son licenciement.

Par un jugement n° 1601481 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble⚖️ a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 18LY02117 du 17 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Lyon⚖️, sur appel de la communauté de communes Le Grésivaudan, a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble et rejeté la demande présentée par M. B devant ce tribunal.

Par décision n° 449405 du 6 janvier 2023, le Conseil d'État⚖️ statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 23LY00071.

Procédure devant la cour avant cassation

Par une requête enregistrée le 8 juin 2018 et deux mémoires, enregistrés le 20 juin 2018 et le 4 octobre 2019, la communauté de communes du pays du Grésivaudan, représentée par Me Fessler (SCP Fessler-Jorquera-Cavailles), avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 mai 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B ;

3°) de mettre à la charge de M. B une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient qu'aucune méconnaissance de son obligation de reclassement ne saurait lui être reprochée, à défaut d'un emploi de catégorie A disponible et en l'absence de demande de l'intéressé d'un reclassement sur tout autre poste disponible.

Par des mémoires en défense enregistrés le 22 août 2018, le 30 septembre 2019, le 3 juin 2020 et le 17 novembre 2020, M. C B, représenté par Me Bracq (SELARL LLC et associés) puis par Me Renouard, avocats, conclut au rejet de la requête et demande, dans le dernier état de ses écritures, que soit mise à la charge de la communauté de communes du pays du Grésivaudan la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il expose que :

- la requête est irrecevable, le président de la communauté de communes n'ayant pas été habilité à intenter cette action ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- la décision en litige se fonde en outre sur une décision de nomination elle-même entachée d'illégalité, dès lors qu'elle a été signée par une autorité incompétente et qu'elle n'a pas été précédée d'une délibération créant ce poste et de la consultation du comité technique ;

- la décision en litige se fonde sur un motif inexact, l'emploi qu'il occupait précédemment ayant depuis été supprimé et ne pouvant dès lors être regardé comme ayant été pourvu par un agent titulaire ;

- la communauté de communes a en outre méconnu son obligation de reclassement en s'abstenant de lui proposer de réintégrer son poste ou les trois postes de catégorie A alors vacants.

Par courrier du 23 novembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de l'illégalité, soulevée par la voie de l'exception, de la décision du 27 août 2015 nommant Mme A aux fonctions précédemment occupées par M. B, cette décision étant devenue définitive à la date à laquelle ce moyen a été soulevé.

Un mémoire a été produit le 24 novembre 2020 pour la communauté de communes du pays du Grésivaudan.

Un mémoire a été produit le 26 novembre 2020 pour M. B.

Procédure devant la cour après cassation

Par des mémoires enregistrés le 30 janvier 2023, le 14 novembre 2023 et le 19 avril 2024 (non communiqué), la communauté de communes du pays du Grésivaudan conclut aux mêmes fins.

Par des mémoires enregistrés le 8 février 2023, le 14 novembre 2023 et le 11 avril 2024, M. B conclut aux mêmes fins.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984🏛 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure,

- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,

- les observations de Me Touvier, substituant Me Fessler, représentant la communauté de communes Le Grésivaudan et de Me Renouard, représentant M. B ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C B a été recruté par un syndicat intercommunal repris à compter du 1er janvier 2010 par la communauté de communes du Pays du Grésivaudan, devenue la communauté de communes Le Grésivaudan, comme responsable de la gestion des ordures ménagères en qualité d'agent non titulaire. Le président de la communauté de communes a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle par une décision du 27 janvier 2014, laquelle a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 octobre 2015, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 4 avril 2017. La communauté de communes du Pays du Grésivaudan a procédé à la réintégration juridique de M. B sans procéder à sa réintégration effective dans son ancien emploi, en relevant que celui-ci avait été pourvu par un agent titulaire, et a, à nouveau, prononcé son licenciement par une décision du 11 janvier 2016. Par un jugement du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision. Par un arrêt n° 18LY02117 du 17 décembre 2020, la cour, sur appel de la communauté de communes Le Grésivaudan, a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble et rejeté la demande présentée par M. B devant ce tribunal. Par décision n° 449405 du 6 janvier 2023, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 23LY00071.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales🏛 : " Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale. () Il représente en justice l'établissement public de coopération intercommunale () ". L'article L. 5211-2 du même code dispose : " A l'exception de celles des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 2122-4, les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie relatives au maire et aux adjoints sont applicables au président et aux membres du bureau des établissements publics de coopération intercommunale, en tant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du présent titre ". Aux termes de l'article L. 2122-21 de ce code🏛 : " Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, le maire est chargé, d'une manière générale, d'exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier : () 8° De représenter la commune soit en demandant, soit en défendant () ". Enfin, l'article L. 2122-22 du même code dispose : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal () ".

3. Il résulte des dispositions précitées que le président d'un établissement public de coopération intercommunale tel qu'une communauté de communes n'a qualité pour engager une action en justice au nom de la collectivité qu'à condition de bénéficier, par délibération de l'organe délibérant, soit d'une délégation générale pour ester en justice ou représenter en justice la collectivité, soit, aux mêmes fins, d'une habilitation pour une instance donnée.

4. En l'espèce, par une délibération n° 81 du 25 avril 2014, l'organe délibérant de la communauté de communes du pays du Grésivaudan a donné délégation à son président pour " intenter toutes les actions en justice et à défendre les intérêts de la communauté dans l'ensemble des cas susceptibles de se présenter, tant en première instance qu'en appel et cassation ". Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'habilitation du président de la communauté de communes pour représenter cette dernière dans l'instance doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l'emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l'emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu'il incombe à l'administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l'emploi correspondant, de chercher à reclasser l'intéressé. Ce principe s'applique aux agents non titulaires qui doivent être réintégrés à l'issue de l'annulation contentieuse de la mesure d'éviction. La mise en œuvre de ce principe implique que l'administration propose à cet agent un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi. L'agent contractuel ne peut être licencié, que si le reclassement s'avère impossible, faute d'emploi vacant, ou si l'intéressé refuse la proposition qui lui est faite.

6. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 21 octobre 2015, le président de la communauté de communes du pays du Grésivaudan, après avoir indiqué à M. B qu'elle ne disposait pas d'emploi vacant d'un niveau équivalent à celui qu'il occupait antérieurement, l'a informé qu'il avait la possibilité d'être reclassé sur un emploi d'un niveau inférieur, à condition d'en faire la demande. Lors de l'entretien préalable au licenciement de l'intéressé, qui s'est tenu le 17 décembre 2015, l'autorité territoriale, après lui avoir confirmé l'impossibilité de le reclasser sur un emploi d'un niveau équivalent à celui qu'il occupait antérieurement, l'a invité à nouveau, à formuler une demande afin de pouvoir lui proposer un reclassement sur un poste de niveau inférieur. Si M. B soutient avoir indiqué à son employeur qu'il était prêt à examiner les propositions de poste qui lui seraient faites, que ce soit dans son courrier du 23 novembre 2015, expliquant qu'il restait dans l'attente de l'arrêté de réintégration et qu'il se tenait à disposition de la communauté pour accomplir son service, ou lors de l'entretien du 17 décembre 2015, ces éléments ne permettent pas d'établir qu'il aurait présenté une demande suffisamment claire et précise, de reclassement sur un poste de niveau inférieur à celui qu'il occupait antérieurement, pour que l'autorité territoriale soit tenue de lui proposer un tel reclassement. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'intéressé, il ne ressort pas des pièces du dossier que lors de l'entretien du 17 décembre 2015, l'administration se serait engagée à lui présenter des propositions de reclassement, sur tout emploi quel qu'en soit le niveau, sans qu'il soit besoin qu'il lui en fasse la demande. Par suite, la communauté de communes du pays du Grésivaudan est fondée à soutenir qu'elle n'était pas tenue, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, de lui proposer des emplois d'un niveau inférieur à celui qu'il occupait antérieurement, notamment celui de chef d'équipe collecte, pour satisfaire à l'obligation de reclassement lui incombant. Il suit de là que la communauté de communes du pays du Grésivaudan est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision du 11 janvier 2016.

7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

8. Aux termes de l'article 34 de la loi du 26 janvier 1984🏛 portant droits et obligations relatives à la fonction publique territoriale : " Les emplois de chaque collectivité ou établissement sont créés par l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement. / La délibération précise le grade ou, le cas échéant, les grades correspondant à l'emploi créé. Elle indique, le cas échéant, si l'emploi peut également être pourvu par un agent contractuel sur le fondement de l'article 3-3. Dans ce cas, le motif invoqué, la nature des fonctions, les niveaux de recrutement et de rémunération de l'emploi créé sont précisés. / Aucune création d'emploi ne peut intervenir si les crédits disponibles au chapitre budgétaire correspondant ne le permettent. ".

9. Aux termes l'article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales🏛 : " Le bureau de l'établissement public de coopération intercommunale est composé du président, d'un ou plusieurs vice-présidents et, éventuellement, d'un ou de plusieurs autres membres. () Le président, les vice-présidents ayant reçu délégation ou le bureau dans son ensemble peuvent recevoir délégation d'une partie des attributions de l'organe délibérant à l'exception : 1° Du vote du budget, de l'institution et de la fixation des taux ou tarifs des taxes ou redevances ; 2° De l'approbation du compte administratif (). ".

10. La décision en litige informe M. B de l'impossibilité de le réintégrer sur les fonctions qu'il occupait auparavant en raison de la nomination d'un agent titulaire, Mme A sur ces fonctions par un arrêté du 27 août 2015. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette nomination d'un fonctionnaire pour exercer les fonctions occupées précédemment par l'intéressé repose sur la création d'un emploi ainsi que sur la suppression concomitante du poste de M. B ainsi que le précise l'arrêté du 27 août 2015 nommant Mme A sur ce poste, qui vise un arrêté n°15.1018 du 27 juillet 2015 portant création et suppression de postes. Ainsi, M. B peut utilement exciper de l'illégalité de cet arrêté du 27 juillet 2015, acte à caractère réglementaire, sur la base duquel a nécessairement été prise la décision en litige, compte tenu de la suppression de l'emploi qu'il occupait antérieurement.

11. Les créations et les suppressions d'emplois dans une collectivité territoriale impliquent une décision en matière budgétaire. Il résulte donc des dispositions précitées que l'organe délibérant de la communauté de communes est seul compétent pour créer les emplois nécessaires au bon fonctionnement des services de la collectivité, en définir les caractères essentiels et procéder, le cas échéant, à leur suppression, sans pouvoir déléguer cette compétence au bureau.

12. Il ressort de l'arrêté n°15.1018 du 27 juillet 2015 qu'il a été pris par le président de la communauté de communes du pays du Grésivaudan qui bénéficiait d'une délégation du conseil communautaire par délibération du 25 avril 2014, lui déléguant " le pouvoir de créer et de transformer des postes par arrêté ". Il résulte des dispositions précitées que la délibération du 25 avril 2014 par laquelle le conseil communautaire a délégué à son président une de ses attributions ne pouvant être déléguées en application des dispositions précitées de l'article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales ne saurait légalement avoir pour effet d'autoriser le président de la communauté de communes à procéder à des suppressions d'emplois. M. B est donc fondé à soutenir que l'arrêté du 27 juillet 2015 supprimant son emploi est entaché d'incompétence. Il est également fondé à soutenir, que la décision du 11 janvier 2016 est illégale pour avoir été prise sur la base d'un acte lui-même entaché d'illégalité et à demander, pour ce motif son annulation, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur ses autres moyens.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, la communauté de communes du pays du Grésivaudan n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé sa décision du 11 janvier 2016.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la communauté de communes du pays du Grésivaudan au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes du pays du Grésivaudan la somme de 2 000 euros au profit de M. B sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la communauté de communes du pays du Grésivaudan est rejetée.

Article 2 : La communauté de communes du pays du Grésivaudan versera à M. B une somme de 2 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes du pays du Grésivaudan et à M. C B.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Dèche, présidente,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

La rapporteure,

P. DècheL'assesseur le plus ancien,

H. Stillmunkes

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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