Cass. soc., Conclusions, 19-10-2022, n° 21-12.370
A85562RC
Référence
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AVIS DE Mme LAULOM , AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 1119 du 19 octobre 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-12.370 Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 18 décembre 2020 Association Mission locale du pays salonais C/ M. [D] [Z]
En 2015, M. [Z], conseiller en insertion sociale et professionnelle, salarié de l'association Mission Locale du Pays Salonais, dans le cadre du dispositif d'accompagnement individuel “Parcours 2ème chance”, a été mis à la disposition de la ville de Salon-de-Provence selon une convention de partenariat établie entre cette municipalité et la Mission Locale du Pays Salonais. “Parcours seconde chance” constitue un dispositif d'accompagnement individuel, se déroulant au sein des quartiers prioritaires de Salon-de-Provence, en vue d'une réinsertion socioprofessionnelle de 80 jeunes par an sans solution professionelle, au parcours scolaire chaotique et en grande fragilité sociale. En décembre 2015, suite à une alerte par le directeur général des services de Salon-de Provence relative à l'activité du salarié sur Facebook, celui-ci est licencié pour faute grave, par lettre du 15 décembre 2015, pour avoir publié sur son compte public facebook “des propos incompatibles avec l'exercice de vos missions, et notamment, une critique importante et tendancieuse du parti politique Les Républicains et le Front National, ainsi que des appels à la diffusion du Coran,
accompagnés de citations de sourates appelant à la violence”. Ces publications interviennent entre la fin du mois de novembre 2015 et décembre 2015 alors que la France est en état d'urgence suite aux attentats traumatiques du 13 novembre. Il est plus particulièrement reproché au salarié d'avoir incité ses contacts ainsi que toute personne pouvant avoir accès à son “mur” : “- A ne pas voter, lors des élections régionales, pour M. [B] (Les Républicains) ou Mme [P] (Front National), notamment: Jeudi 03/12/2015 à 07h16 : “ Il n'est pas compatible avec Salon, notre jeunesse et nos quartiers ni lui ni [P] : NI NI ” avec vidéo : “ [X] [B] : ‘L'Islam n'est pas compatible avec la démocratie ” » Dimanche 29/11/2015 à 18h41 : “ ... je ne peux voter pour les islamophobes c'est impossible alors j'invite tous les frères et soeurs à faire de même si au 2e tour ils ont deux fascistes, racistes, islamophobes ! ” - A diffuser massivement le Coran : notamment : Lundi 23/11/2015 à 20h55 : “ Je demande à tous mes contacts musulmans ou pas de diffuser le Coran en masse ...” Lundi 23/11/2015 à 20h29, ...dans la continuité de votre appel à diffusion du Coran : “ [121] Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat ... ” - Jeudi 26/11/2015 à 19h07 : “ En signe de solidarité avec mes frères et soeurs musulmans, qui subissent l'Etat d'urgence de plein fouet. Je refuse de mettre le drapeau, je ne reconnais pas ce gouvernement qui a failli, qui n'a pas été capable d'éviter ces attentats et au lieu de se remettre en question et de nous remettre sa démission lui et les RG il est en guerre contre une communauté contre une religion, etc ...Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu'il soit. C'est ma liberté à prendre ou à laisser ” [...] ». La lettre de licenciement indique également que “tous ces agissements, surtout en période d'état d'urgence, ne peuvent être tolérés au sein d'un organisme délégataire d'une mission de service, tel que la mission locale du Pays Salonais”. Le conseil de prud'hommes a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur appel du salarié, par arrêt du 18 décembre 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a notamment dit que la mission locale a discriminé le salarié en raison de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement et a reconnu la nullité du licenciement. Le moyen unique, divisé en sept branches, fait grief à la cour d'appel d'avoir dit que l'association avait discriminé M. [Z] en raison de l'expression de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement et d'avoir en conséquence conclu à la nullité du licenciement. Une question initiale est soulevée par le pourvoi (4 premières branches): le salarié de droit privé d'une mission locale pour l'orientation et l'insertion professionnelle des jeunes, mis à disposition d'une commune pour exercer ses fonctions de conseiller en insertion professionnelle, est-il tenu de respecter les obligations de neutralité et de laïcité applicables aux services publics ainsi que le devoir de réserve qui en découle?
Si tel est le cas, les propos du salarié diffusés sur sa page Facebook violent-ils ce devoir de réserve et justifient-ils son licenciement? 1. L'application des obligations de neutralité et de laïcité à un salarié d'une mission locale pour l'orientation et l'insertion professionnelle Dans son arrêt APREI de 2007, le Conseil d'Etat a redéfini les critères à prendre en compte pour identifier un service public géré par des personnes de droit privé. Selon le Conseil d'Etat, “indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public”; “même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée,dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission”1. Nul doute ici que ces critères sont remplis comme le démontrent largement les dispositions législatives et réglementaires relatives aux missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Inséré dans un Titre 1, intitulé, “Le service public de l'emploi”, l'article L. 5314-1 du code du travail dispose: “des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes peuvent être constituées entre l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organisations professionnelles et syndicales et des associations. Elles prennent la forme d'une association ou d'un groupement d'intérêt public. Dans ce dernier cas, elles peuvent recruter des personnels qui leur sont propres, régis par le présent code”. Selon l'article L. 5314-2, “les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, dans le cadre de leur mission de service public pour l'emploi, ont pour objet d'aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement à l'accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi. Elles favorisent la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion professionnelle et sociale. Elles contribuent à l'élaboration et à la mise en oeuvre, dans leur zone de compétence, d'une politique locale concertée d'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Les résultats obtenus par les missions locales en termes d'insertion professionnelle et sociale, ainsi que la qualité de l'accueil, de l'information, de l'orientation et de l'accompagnement qu'elles procurent aux jeunes sont évalués dans des conditions qui 1
CE 22 févr. 2007, n° 264541, Assoc. Du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI). Voir O. Didriche et M. Salmon, “L'identification d'une activité de service public assurée par une personne privée”, AJ Collectivités territoriales 2021, p. 135.
sont fixées par convention avec l'Etat, la région et les autres collectivités territoriales qui les financent. Les financements accordés tiennent compte de ces résultats ». Ainsi que l'indique Mme la conseillère rapporteure, “ces dispositions visent donc explicitement la mission de service public pour l'emploi des missions locales” et il ressort également très largement des conditions de leur création, de leur organisation, de leur financement, des obligations qui leur sont imposées et des mesures prises pour vérifier que les objectifs qui leur ont été assignés sont atteints, que l'administration a bien entendu leur confier une mission de service public2. Les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes assurent donc bien une activité de service public et, à ce titre, leur personnel, bien que soumis au code du travail, sont tenus de respecter les principes de neutralité et laïcité. Ainsi que l'a indiqué la Cour de cassation, “les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Si les dispositions du code du travail ont vocation à s'appliquer aux agents des caisses primaires d'assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu'ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires”3. L'application des principes de neutralité et de laïcité au salarié est d'autant moins contestable que le salarié exerçait sa mission dans le cadre d'une mise à disposition au sein d'une collectivité territoriale et que l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable issue de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007, dispose que “les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs peuvent, lorsque des fonctions exercées en leur sein nécessitent une qualification technique spécialisée, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé, dans les cas et conditions définis par décret en Conseil d'Etat. [...] Les personnels ainsi mis à disposition sont soumis aux règles d'organisation et de fonctionnement du service où ils servent et aux obligations s'imposant aux fonctionnaires”. C'est donc à un double titre que l'on peut conclure que le salarié devait respecter les obligations de neutralité et de laïcité ainsi que l'obligation de réserve. 2. L'obligation de réserve Les propos qui sont reprochés au salarié ont été tenus en dehors de son travail et de l'exercice de ses fonctions. Or, les principes de neutralité et de laïcité n'ont vocation à s'appliquer que dans le cadre du service. “Le manquement à la neutralité n'est Sur le détail des règles qui définissent l'organisation et le mode de fonctionnement des missions locales pour l'emploi, voir le rapport détaillé de Mme la conseillère rapporteure, p. 14 à 16. 2
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Soc., 19 mars 2013, pourvoi no 12-11.690, Bull. V, n° 76.
concevable que dans l'exercice des fonctions, ce qui implique qu'en quittant son service, le fonctionnaire cesse d'être soumis à une telle obligation, contrairement aux devoirs de réserve, de discrétion ou de dignité”4. La spécificité de l'obligation de neutralité est que son bénéficiaire est l'usager, avant même le service. Selon la formule du rapporteur public R. Schwartz, “la neutralité est conçue avant tout pour les usagers”5. Ainsi, si le fonctionnaire est astreint à un strict devoir de neutralité (politique, religieuse, philosophique) dans l'exercice de ses fonctions, il jouit en dehors de celles-ci de la liberté d'exprimer ses opinions. Concernant les faits en cause, le principe de neutralité, qui interdit la propagande politique et le prosélytisme dans l'exercice des fonctions, ne peut donc être opposé au salarié. Ainsi que le rappelle F.-X. Bréchot, “le fonctionnaire, comme tout citoyen, dispose d'une totale liberté de conscience, ou liberté d'opinion (...). Il dispose également, en dehors du service, de la liberté d'expression. Celle-ci inclut le droit d'exercer une activité politique, d'adhérer au mouvement politique de son choix et d'y militer, ainsi que le droit de participer aux élections et d'y faire campagne (v., not., CE 10 mars 1971, n° 78156, Sieur Jannès, Lebon 202). Elle implique également la possibilité d'intervenir dans le débat public en y prenant position, ainsi que, plus généralement, le droit d'y manifester ses positions par son action, dans les limites fixées par la loi pour préserver l'ordre public”6. Il est néanmoins admis qu'en dehors du service et des fonctions, le fonctionnaire, est soumis à une obligation de réserve, qui pose une limite au principe de la liberté d'expression. C'est donc le respect de ce devoir de réserve, par le salarié, qu'il convient d'analyser au regard tant des principes définis par le Conseil d'Etat, que de ceux définis par la Cour européenne des droits de l'homme, dans le cadre de sa jurisprudence sur l'application de l'article 10 de la convention, consacrant le droit à la liberté d'expression. Les propos du salarié exprimant également ses convictions religieuses et la lettre de licenciement s'y référant explicitement, il convient de tenir compte de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. 2.1. La jurisprudence administrative relative au devoir de réserve Le devoir de réserve, reconnu par le Conseil d'Etat depuis 19357, est resté jurisprudentiel et, ni la loi Le Pors du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, ni la loi du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, n'ont souhaité l'introduire dans les statuts de la fonction 4
L. Moreau, “Le fonctionnaire et le fait religieux”, AJCT 2012.295.
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CE, avis 3 mai 2000, Melle Marteaux, 217017, Lebon 169. Conclusions du rapporteur public, R. Schwartz, “L'expression des opinions religieuses des agents publics en service”, RFDA, 2001, p. 146. 6
Conclusions de F.-X. Bréchot, CAA de Nantes, 13/02/2017, n° 15NT03204, AJDA 2017, 1008. 7
CE 11 janv.1935, n° 40842, Sieur Bouzanquet, Lebon 44.
publique. Seuls les statuts des magistrats et des militaires et les textes régissant la police nationale, la police municipale, les personnels civils exerçant des missions de coopération à l'étranger, les membres de la Cour des comptes et des juridictions financières, les membres du Conseil d'Etat et les magistrats des TA et des cours administratives d‘appel en font mention. Si l'obligation de réserve est consacrée par une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, il est très généralement admis qu'elle n'est pas définie avec précision et qu'un flou certain la caractèrise8. “Le devoir de réserve traduit le fait qu'eu égard à leurs fonctions, les fonctionnaires ne peuvent faire le même usage de la liberté d'expression que les autres citoyens. Afin de ne pas porter atteinte au crédit de la collectivité qui les emploie, et de ne pas gêner le bon fonctionnement du service, ils ne peuvent exprimer aussi librement que les autres citoyens les critiques éventuelles que la politique ou le fonctionnement de cette collectivité leur inspire. Ce n'est pas un devoir de mutisme: ils peuvent exprimer leurs pensées, et c'est même souhaitable pour éviter la sclérose administrative; mais ils sont soumis à une obligation de retenue dans l'expression”9. Le devoir de réserve “impose à tous les agents publics de faire preuve d'une certaine retenue dans les propos qu'ils tiennent publiquement afin de préserver le crédit et l'autorité de l'institution à laquelle ils appartiennent. Il s'agit de protéger l'institution des propos publics de l'un de ses membres qui, en raison de la place qu'il y tient, sont susceptibles de rejaillir négativement sur elle”10. L'obligation de réserve viserait ainsi “fondamentalement à ne pas dégrader l'image de l'administration, à préserver la réputation d'un service public dont le discrédit risquerait d'altérer la confiance des citoyens dans la puissance publique”11. Selon R. Schwartz, “L'interdit est si fort qu'il impose des contraintes aux intéressés même hors service. Cette contrainte revêt l'appellation de devoir de réserve. Ainsi, même hors service, l'agent doit veiller à ce que son comportement ne retentisse pas sur son service. L'agent a une liberté d'expression, comme nous l'avons vu; mais il se doit de la maîtriser afin qu'elle ne puisse pas affecter le service dont il est membre”12.
Le Conseil d'Etat a indiqué que la définition jurisprudentielle de l'obligation de réserve est suffisamment claire pour ne pas enfreindre l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CE 24 septembre 2010, n° 333708, Girot de Langlade). Le Conseil d'Etat, dans cet arrêt, circonscrit ce principe à une catégorie de fonctionnaire, les préfets, en cause dans cette affaire, mais il n'y a aucune raison de penser que cette affirmation ne concerne pas tous les fonctionnaires. 8
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L. Derepas, rapporteur public, conclusions sous CE, 24 septembre 2009, n° 333708.
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G. Pellissier, Rapporteur public, conclusions sous CE, 27 juin 2018, n° 412541.
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A Zarca, “Toute vertu est fondée sur la mesure”, AJFP, 2022. 13.
Conclusions du rapporteur public, R. Schwartz, “L'expression des opinions religieuses des agents publics en service”, RFDA, 2001, p. 146, conclusions sous CE, avis 3 mai 2000, Melle Marteaux, 217017, Lebon 169. 12
L'obligation de réserve pourrait être rapprochée de l'obligation de loyauté des salariés envers leur employeur. Selon A. Zarca,“la réserve n'est pas sans lien avec ces deux autres obligations de l'agent public que sont la dignité - irréductiblement attachée à la fonction - et plus encore peut-être, la loyauté - dans ses deux dimensions administratives et politiques. Et si, de ce point de vue, elle présente quelques similitudes avec le devoir de réserve des salariés (rarement ainsi nommé - son manquement étant le plus souvent qualifié par le juge de simple abus de la liberté d'expression), la loyauté - contractuelle - à l'égard de l'employeur privé (qui proscrit par exemple le dénigrement et l'injure) n'a que peu à avoir avec celle - statutaire - que génère un engagement de service public : discréditer celui-ci, c'est risquer d'altérer la confiance de ses usagers et, par là même, celle des citoyens dans la puissance publique”13. L'une des difficultés pour appréhender la jurisprudence administrative est que la systématisation des décisions est difficile14. Un ensemble de critères est pris en compte pour apprécier l'existence d'une violation de l'obligation de réserve, d'où l'existence d'une casuistique certaine et d'un patchwork de décisions, générant ce “flou” entourant l'obligation de réserve. Ce flou semble cependant inhérent à l'obligation de réserve et tient moins “à la signification même de l'obligation, quoique celle-ci soit parfois confondue avec d'autres, qu'à la grande plasticité qui caractérise sa mise en oeuvre, la qualification d'un manquement dépendant très largement d'un ensemble de circonstances dont l'appréciation in concreto diffuse inéluctablement en la matière un léger parfum d'insécurité juridique”15. Pour déterminer si l'obligation de réserve a été respectée, l'expression d'une opinion doit donc être appréciée au vu des circonstances propres à chaque espèce. La jurisprudence administrative prend en compte une série d'éléments: le contenu et la forme du propos, notamment leur éventuel caractère injurieux, outrancier ou vivement polémique, ainsi que leur lien avec le service; la portée de ce qui est dit, c'est-à-dire l'impact du propos compte tenu de la qualité de ses destinataires ainsi que la nature des fonctions exercées par l'agent et son rang dans la hiérarchie. La violation de l'obligation de réserve est plus facilement retenue lorsque ce sont des hauts fonctionnaires qui ont tenu les propos litigieux et “plus encore lorsque ces derniers sont censés représenter l'État aux yeux du public”16. La gravité de la sanction infligée et sa proportionnalité aux faits reprochés sont également au coeur du contrôle administratif. C'est un élément dont il faut tenir compte car ce n'est pas nécessairement la sanction A. Zarca, “La réserve n'est pas le silence. Thème et variations sur le devoir de réserve”, La Découverte, 2021/1 n°12, p. 78. 13
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L. Pech, H. Flavier, S. Platon, Jurisclasseur Collectivités territoriales, Fasc. 762, Liberté d'expression des agents publics, 2017, mise à jour novembre 2020, §§ 31-35. A. Zarca, “La réserve n'est pas le silence. Thème et variations sur le devoir de réserve”, La Découverte, 2021/1 n°12, p. 78. 15
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L. Pech, H. Flavier, S. Platon, Jurisclasseur Collectivités territoriales, Fasc. 762, Liberté d'expression des agents publics, 2017, mise à jour novembre 2020, §§ 31-35.
la plus grave, la radiation ou la révocation, qui est en jeu dans les affaires mais parfois des sanctions plus légères telles un déplacement d'office ou une exclusion temporaire. 2.2. La jurisprudence européenne relative au devoir de réserve Saisie, la CourEDH examine si la condamnation - et donc l'ingérence - est nécessaire et proportionnée à la préservation de l'un des buts légitimes énumérés au paragraphe 217, cette appréciation se faisant in concreto, en recherchant si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils ont été tenus, les propos litigieux excédaient les limites de la liberté d'expression. A cet égard, la méthode du Conseil d'Etat est conforme au contrôle exigé par la CEDH des restrictions à la liberté d'expression et le “flou” parfois critiqué de sa jurisprudence découle avant tout de l'appréciation in concreto de chaque affaire. Selon la formule itérative de la Cour européenne, “la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique». Comme le précise l'article 10, cette liberté est soumise à des exceptions qui doivent cependant s'interpréter strictement, et la nécessité de restrictions quelconques doit être établie de manière convaincante”. La restriction que constitue le devoir de réserve à la liberté d'expression a été admise par la CEDH, dans un arrêt du 14 mars 2002, De Diego Nafria c/Espagne 18. Ainsi que l'indique la CEDH dans cette décision, “la Cour ne perdra pas de vue le fait que, s'il est indéniable que les membres de la fonction publique bénéficient de la protection de l'article 10 de la Convention, il apparaît légitime pour l'Etat de soumettre ces derniers, en raison de leur statut, à une obligation de réserve. En particulier, la Cour doit tenir compte du fait que, quand la liberté d'expression des fonctionnaires se trouve en jeu, les “devoirs et responsabilités” visés à l'article 10 § 2 revêtent une importance particulière (Arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A n° 323, p. 26 § 53)19. La Cour accorde également une protection particulière à des propos s'inscrivant Article 10 § 2 de la convention : “L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire”. 17
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CEDH, 14 mars 2002, n° 46833/99, De Diego Nafria c/ Espagne. La Cour européenne devait juger la conformité à l'article 10 d'une mesure de licenciement prise à l'encontre d'un employé de la Banque nationale d'Espagne suite à l'envoi et à la distribution sur le lieu de travail d'une lettre au vice-directeur de celle-ci dans laquelle il proférait des accusations graves. Voir le § 37. La Cour précise également “qu'un tel comportement se prêtait d'autant plus à la censure qu'en sa qualité de haut fonctionnaire de la plus haute institution financière du pays, le 19
dans un débat d'intérêt général, ce qui n'était pas le cas des propos en cause dans la décision de Deigo Nafria20. La Cour européenne précise également dans l'arrêt Melike du 15 juin 2021 qu'il convient de prendre en compte, au-delà du caractère public, l'impact des propos21. Tout en étant publics, des propos peuvent recevoir une diffusion plus ou moins importante selon le support qui les véhicule. A propos d'une enseignante contractuelle en Turquie, licenciée pour avoir “liké” des contenus sur Facebook, la Cour européenne note que “les juridictions nationales n'ont aucunement examiné la question de l'impact potentiel de l'acte litigieux de la requérante (...). Cela étant, il est clair qu'une déclaration publiée en ligne pour un petit nombre de lecteurs ne peut certainement pas avoir la même portée et le même impact que ceux d'une déclaration publiée sur des sites internet ouverts au grand public ou très visitées. Il est donc essentiel pour l'évaluation de l'influence potentielle d'une publication en ligne de déterminer son étendue et sa portée auprès du public”22. La Cour européenne a relevé qu'il n'était pas allégué par les autorités que les contenus en question avaient atteint un public très large sur le réseau social en cause. L'arrêt Melike apporte également des précisions quant à l'étendue du devoir de réserve. En tant que contractuelle, la salariée était soumise non pas à la législation spécifique relative aux fonctionnaires, mais au régime commun du droit du travail. La Cour européenne souligne que “la requérante n'était pas une fonctionnaire de l'Etat portant un lien particulier de confiance et de loyauté envers son administration, mais une employée contractuelle soumise au droit de travail”. Or, “le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion des salariés travaillant sous le régime du droit privé envers leur employeur ne peut être aussi accentué que celui des membres de la fonction publique”23. Sans remettre en cause l'existence de l'obligation de réserve à laquelle sont tenus les salariés travaillant dans une structure assurant une mission de service public, cet élément devrait être pris en compte pour apprécier son étendue. Rappelons le, l'obligation de réserve tend davantage à protéger l'administration que les usagers. 2.3. Une possible discrimination fondée sur l'expression de convictions religieuses requérant aurait dû faire preuve d'une plus grande retenue dans les termes utilisés " (§ 40). En de telles circonstances, pour bénéficier encore de la protection de l'article 10, le requérant aurait dû démontrer qu'il défendait, au-delà de son intérêt particulier, l'intérêt général. Mais la cour constate que les accusations du requérant ne s'inséraient pas dans le cadre d'un quelconque débat public concernant des questions d'intérêt général relatives à la gestion de la banque nationale, domaine dans lequel, ainsi que la cour le souligne, les restrictions à la liberté d'expression appellent une interprétation étroite (§ 38). 20
CEDH, gr. ch., 8 juill. 1999, Sürek c/ Turquie, n° 26682/95, § 61 ; CEDH 22 oct. 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c/ France, nos 21279/02 et 36448/02, § 46 ; CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c/ Allemagne, n° 39954/08, § 90. 21
CEDH, 15 juin 2021, n°35786/19, Melike c/ Turquie.
22
Ibid (§ 50).
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CEDH, 15 juin 2021, n°35786/19, Melike c/ Turquie.
La jurisprudence administrative, de même que les décisions de la CEDH, concernent essentiellement la dimension politique de la liberté d'expression. En l'espèce, la question de la liberté de conscience est également en cause, la lettre de licenciement se référant explicitement “aux incitations religieuses”, qui seraient incompatibles avec le “devoir de laïcité”. Le licenciement est donc susceptible de constituer une discrimination fondée sur les convictions religieuses, interdite par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Le licenciement étant expressément fondé sur l'expression publique des convictions religieuses du salarié, la seule exception admise est celle qui ressort de l'article 4 § 1 de la directive, transposé à l'article L. 1133-1 du code du travail, selon lequel l'interdiction des discriminations “ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée”. 3. Discussion Si l'on rapporte ces différents éléments au pourvoi ici en cause il résulte de la décision de la cour d'appel que: - Les propos du salarié sont indépendants de ses fonctions et rien ne permet de les rattacher à la fonction qu'il exerce ou à son employeur. Il critique la politique du gouvernement en général, mais non le service pour lequel il travaille et la mission de service public qu'il remplit. Ses propos, ou tout du moins certains, s'inscrivent dans le cadre des élections régionales à venir. - Parmi les propos reprochés au salarié dans la lettre de licenciement, certains ont une nature essentiellement politique, d'autres religieuse. La plus problématique des publications est certainement l'extrait du Coran et d'une sourate qui pourrait être comprise comme un appel à la violence. Il ne s'agit pas ici de se prononcer bien sûr sur le sens et l'interprétation possibles de cette sourate, mais simplement d'indiquer qu'elle peut être comprise comme incitant à la violence. - Ces propos sont publics puisqu'ils ont été publiés sur la page facebook publique du salarié24. Aucun autre élément n'est indiqué par la décision de la cour d'appel. Aucune indication n'est donnée sur l'impact qu'a pu avoir cette diffusion. Ainsi, la simple publication sur une page non privée de Facebook ne permet pas d'exclure une diffusion limitée. Néanmoins, ainsi que l'a indiqué la Cour européenne, l'impact peut être potentiel. On sait qu'une publication peut très vite devenir virale et se propager très rapidement. - Le salarié n'est pas haut fonctionnaire et il n'est pas non plus fonctionnaire. Sur ce point, on peut s'interroger sur les conséquences que pourrait avoir son non rattachement statutaire ou contractuel à la fonction publique.
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Soc., 12 septembre 2018, pourvoi n° 16-11.690, Bull. V, n° 150.
- Il a été licencié pour faute grave, ce qui constitue la sanction la plus importante (après la faute lourde) qu'un employeur puisse infliger à un salarié. - La diffusion des propos a lieu dans les jours et les semaines qui suivent les attentats du 13 novembre, alors que la France est en état d'urgence. La cour d'appel a tout d'abord précisé qu'un “contrat de travail peut lier un salarié à une personne morale chargée d'une mission de service public, laquelle personne morale se trouve tenue à une obligation de neutralité et de laïcité”. Au regard de la lettre de licenciement, elle constate que l'employeur reproche “explicitement au salarié de se livrer, en dehors de son travail et dans l'espace public, à une activité de propagande politique, de critiquer l'Etat et encore de se livrer au prosélytisme religieux, tous comportements qu'il estime incompatibles avec sa mission de service public”. Elle motive ainsi sa décision: “Mais à supposer que le salarié participe bien à une mission de service public, ce que ce dernier conteste, une telle mission ne lui interdit nullement l'engagement politique ainsi que des activités de propagande politique. Ainsi, même les fonctionnaires, à l'exception des hauts fonctionnaires nommés à la discrétion du gouvernement, jouissent pleinement de leur liberté d'engagement et d'action politique en dehors de l'exercice de leurs fonctions, jusqu'à pouvoir se présenter aux élections politiques sauf exceptions légales. En conséquence, un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perd nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et il peut librement critiquer l'Etat en dehors de son travail. Il apparaît en conséquence que l'employeur, qui n'est en l'espèce nullement un parti politique et qui n'a pas mis son salarié à disposition d'une organisation politique mais d'une municipalité, a violé les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail en tentant de brider, sans motif valable, la liberté politique du salarié en dehors de la relation de travail. En reprochant à ce salarié, au soutien d'une mesure de licenciement, de n'avoir pas obtempéré à une telle injonction illégitime, l'employeur a commis une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail, laquelle discrimination commande la nullité du licenciement aux termes de l'article L. 1132-4". Il sera relevé surabondamment que l'employeur prétend encore imposer au salarié le respect de la laïcité en dehors de son activité professionnelle lui interdisant tout prosélytisme religieux dans l'espace public hors le cadre de son service. Mais l'employeur ne constitue nullement une organisation confessionnelle et la laïcité ne s'impose pas aux citoyens dans l'espace public en dehors du service public. Bien au contraire, la laïcité garantit à chacun l'exercice public de sa foi même si cet exercice est tourné vers le témoignage comme c'est parfois le cas dans plusieurs religions du Livre. [...]. Ainsi, l'employeur ne pouvait, sans violer les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail, faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, le devoir de réserve qui s'impose à lui en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux, indépendamment d'éventuels rapports entre foi et activité professionnelles, lesquels rapports ne sont nullement caractérisés en l'espèce. Ainsi, en refusant l'exercice de sa liberté religieuse au salarié et en le licenciant pour être passé outre une telle injonction illégitime, l'employeur a commis un acte de discrimination qui entache le licenciement de nullité”.
La cour d'appel a tout d'abord admis l'existence d'un devoir de réserve qui s'impose au salarié en dehors de ses fonctions. Dès lors je rejoins la proposition de rejet non spécialement motivé de la 3ème branche du moyen. Comme nous l'avons indiqué, le devoir de réserve n'exclut nullement une activité de propagande politique ou de prosélytisme religieux à l'extérieur de l'entreprise, ce que la cour d'appel a bien caractérisé (rejet de la 1ère, 4ème et de la 5ème branche). Selon la 2ème branche du moyen, le salarié qui participe à une mission de service public est tenu, même en dehors du service, d'un devoir de réserve qui lui impose de s'abstenir de toute manifestation d'opinion de nature à jeter le discrédit sur l'autorité chargée de la mission de service public à laquelle il participe. Si le salarié pouvait librement critiquer l'Etat en dehors de son travail et exprimer ses convictions religieuses, on peut effectivement se demander si la teneur d'une de ses publications, pouvant être interprétée comme une incitation à la violence, diffusée sur la page publique du compte Facebook du salarié, et ainsi susceptible d'être reproduite, n'était pas de nature à compromettre la réalisation de sa fonction auprès de jeunes, et plus généralement de porter atteinte à la réalisation de la mission de service public de son employeur, alors même que la France était en état d'urgence. Comme nous l'avons indiqué, l'obligation de réserve implique que le comportement de l'agent “ne retentisse pas sur son service”, il doit maîtriser sa liberté d'expression “afin ne pas affecter le service dont il est membre”25. Conseiller en insertion sociale et professionnelle, appelé à oeuvrer à la réinsertion socioprofessionnelle de jeunes en grande difficulté professionnelle et sociale, cette publication n'était-elle pas de nature à compromettre le travail réalisé auprès des jeunes par la Mission Locale du pays salonais dans le contexte très particulier de la fin de l'année 2015? Il faut alors admettre que l'obligation de réserve puisse constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 4 § 1 de la directive 2000/78 et de l'article L. 1133-1 du code du travail. Elle répond effectivement à un objectif légitime et c'est par un même raisonnement que l'on pourrait conclure à sa proportionnalité. Il me semble cependant que l'analyse in concreto que la Cour d'appel a opéré ne permet pas de conclure à une violation de l'obligation de réserve. Comme nous l'avons indiqué, rien ne fait référence à sa mission, à son emploi et à son employeur. La plupart des publications du salarié sont de nature politique et s'inscrivent dans un débat public et politique, ce qu'indique d'ailleurs explicitement la lettre de licenciement. Seule une publication est en cause et aucune indication n'est donnée quant à son impact. Le fait que la lettre de licenciement mette sur un même plan l'expression des opinions politiques du salarié, ses critiques à l'encontre de la municipalité et la diffusion de cette sourate ne permet pas d'exclure l'existence d'une discrimination fondée sur l'expression des opinions politiques et religieuses du salarié. Enfin quand bien même on admettrait que le salarié a violé son obligation de réserve, la sanction d'un licenciement pour faute grave paraît disproportionnée par rapport au manquement qui lui est reproché. Pour l'ensemble de ces raisons, je propose également le rejet de la 2ème branche du moyen.
Conclusions du rapporteur public, R. Schwartz, “L'expression des opinions religieuses des agents publics en service”, RFDA, 2001, p. 146, conclusions sous CE, avis 3 mai 2000, Melle Marteaux, 217017, Lebon 169. 25
Enfin, concernant les 6, 7 et 8ème branches, il ressort d'une jurisprudence constante que l'abus de la liberté d'expression, dans les relations entre un salarié et un employeur, n'est caractérisé que par l'excès, l'injure ou la diffamation ou en cas de trouble objectif à la vie de l'entreprise, auquel cas le licenciement n'est pas disciplinaire. Mais ainsi que l'indique le rapport, ni les écritures d'appel, ni les énonciations de l'arrêt ne comportent de développement subsidiaire sur le caractère injurieux, diffamatoire ou excessif des propos du salarié, tenus en dehors de l'exercice de ses fonctions, susceptibles de caractériser un abus dans la liberté d'expression. Et aucun trouble objectif à la vie de l'entreprise n'est également invoqué. Je suis donc d'avis de rejeter ces trois dernières branches, mais il me semblerait pertinent au regard de la sensibilité sociale de la question, de motiver également la décision sur ce point. 4. Droit du salarié aux congés payés afférents à l'indemnité d'éviction comprise entre la date de son licenciement nul et celle de sa réintégration Le mémoire complémentaire en défense demande à la Cour de relever d'office un moyen de pur droit afin d'appliquer la nouvelle jurisprudence de la chambre sociale relative à l'indemnité d'éviction. Il ressort, en effet, d'un arrêt du 1 déc. 2021, que “sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail”26. Cette demande dépasse les termes du litige de cassation. Le défendeur n'a pas formé de pourvoi incident et si la Cour peut relever d'office un ou plusieurs moyens, les moyens dont elle était saisie ne portaient pas sur le chef du dispositif relatif à sa demande de congés payés. Selon l'article 614 du code de procédure civile, “la recevabilité du pourvoi incident, même provoqué, obéit aux règles qui gouvernent celle de l'appel incident, sous réserve des dispositions de l'article 1010”. Il est de jurisprudence constante que si l'appel incident peut être formé contre les dispositions du jugement qui n'ont pas l'objet d'un appel principal, les juges d'appel ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son seul appel en l'absence précisément d'appel incident. La Cour de cassation n'est saisie que des dispositifs critiqués par le pourvoi principal et elle n'a pas à se prononcer sur un dispositif non critiqué en l'absence de pourvoi incident. AVIS DE REJET
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Soc. 1er décembre 2021, n° 19- 25812, P+B+R