Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 29-06-2022, n° 21-11.437

Cass. soc., Conclusions, 29-06-2022, n° 21-11.437

A85342RI

Référence

Cass. soc., Conclusions, 29-06-2022, n° 21-11.437. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409107-cass-soc-conclusions-29062022-n-2111437
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AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 802 du 29 juin 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-11.437 Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes du 11 décembre 2020 Société Crédit mutuel Arkéa C/ M. [E] [D] _________________

Audience FS2 du 18 mai 2022 Faits et procédure En 1990, M. [E] [D], a été embauché en qualité de conseiller clientèle par le Crédit mutuel Arkéa (la société ). En avril 2010, il a été nommé au poste de directeur de caisse. En cette qualité, fin 2014 et début 2015, il supervisait deux agences et encadrait onze employés. A cette époque, deux de ses collaboratrices ont signalé au directeur du secteur son comportement inapproprié à leur égard ce qui a provoqué une enquête interne. Le 21 janvier 2015 il a été mis à pied à titre conservatoire. Convoqué à un entretien préalable au licenciement qui s'est tenu le 12 février 2015, il a sollicité la

réunion du conseil de discipline qui a eu lieu le 10 mars 2015.Le 11mars 2015, il a été licencié pour faute grave. La lettre de licenciement énonce les éléments suivants : « Les conclusions du conseil ont été transmises au Directeur Général qui m'a fait part de sa décision de maintenir la sanction envisagée. En application de cette décision, je vous notifie par la présente votre licenciement sans indemnité ni préavis. Cette mesure est motivée par les raisons suivantes : - Votre comportement inapproprié, basé sur une alternance d'attitude d'exigence agressive et d'attitude d'empathie est incompatible avec l'exercice de vos fonctions et ne permet pas aux collaborateurs d'exercer leur activité dans des conditions de sérénité et de sécurité psychologique normales. -Certaines collaboratrices ont exprimé un malaise profond et une réelle souffrance de devoir subir soit une remise en cause injustifiée de leurs capacités professionnelles, soit des propos relatifs à leur physique, leur vie privée ou à caractère ouvertement sexuel. - Une collaboratrice a eu à souffrir gravement de vos propos grossiers et dégradants, d'avances et d'insinuations à caractère explicitement sexuel. Votre comportement est d'autant plus inacceptable que vous êtes le responsable hiérarchique de ces collaborateurs et que ces faits se sont répétés dans le temps. Par voie de conséquence, les conditions de travail s'en sont trouvées lourdement altérées et vous avez fait peser un risque grave sur la santé des collaborateurs. Cette situation impose une rupture immédiate de votre contrat de travail ». ( cf prod. N° 5 du

mémoire ampliatif )

Le 26 octobre 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de contester son licenciement. Par jugement du 6 juillet 2017, le conseil des prud'hommes de Lorient a dit que le licenciement du salarié reposait sur une faute grave et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes. Par arrêt du 11 décembre 2020, la cour d'appel de Rennes a qualifié les investigations réalisées par l'inspection générale d' « enquête à charge » au « caractère déloyal », a déploré l'absence d'audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits dénoncés par les victimes et l'absence d'information ou de saisine du CHSCT. Elle en déduit que « la faute grave énoncée dans la lettre de licenciement n'est pas constituée, ni même le motif réel et sérieux du licenciement, le comportement fautif de M [D] n'étant nullement caractérisé » et, en conséquence, a infirmé le jugement puis statuant à nouveau, a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement de diverses sommes d'argent.

Le moyen du pourvoi

La société Crédit Mutuel Arkéa reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. [D] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR condamnée au paiement de diverses indemnités et d'AVOIR ordonné le remboursement par la société à tout organisme financier intéressé des indemnités chômage versées à M. [D] dans la limite de six mois. 1°) ALORS QU'en matière prud'homale, la preuve est libre ; que l'enquête interne réalisée par l'employeur pour établir l'existence des faits de harcèlement sexuel et moral reprochés à un salarié n'est soumise à aucun formalisme et ne peut être écartée des débats comme déloyale au prétexte de prétendus dysfonctionnements dans son déroulement ; qu'en l'espèce, il était constant entre les parties qu'à la suite de la dénonciation par deux salariées du Crédit Mutuel de faits de harcèlement moral et sexuel de la part de leur supérieur hiérarchique, la société exposante a mené une enquête interne et interrogé les salariés en relation directe avec ces faits, en l'occurrence, M. [D] et Mmes [W] et [K] et que, dans le cadre de cette enquête, le salarié licencié a admis la matérialité des faits fautifs ; que pour juger que le comportement fautif de M. [D] n'était pas caractérisé et écarter l'existence d'une faute grave de sa part, la cour d'appel a néanmoins estimé que l'enquête interne menée par l'exposante aurait été déloyale dès lors qu'elle s'était déroulée sans audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits litigieux, que les salariées ayant dénoncé les faits ont été entendues ensemble, que le compte-rendu n'était pas signé et que la durée de « l'interrogatoire » de M. [D] n'était pas précisée, pas plus que les temps de repos ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter cet élément de preuve pour déloyauté, la cour d'appel, qui a subordonné l'enquête interne à un formalisme que la loi n'exige pas, a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-4, L. 11525, L. 1153-1, L. 1153-5, L. 1153-6, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail ; 2°) ALORS QU'en matière prud'homale, la preuve est libre ; qu'en cas de dénonciation de faits de harcèlement sexuel ou moral par un ou plusieurs salariés, l'employeur n'est pas tenu de saisir ou d'informer les instances représentatives du personnel ; que pour juger que le comportement fautif de M. [D] n'était pas caractérisé et écarter l'existence d'une faute grave de sa part, la cour d'appel a estimé que l'enquête interne menée par l'exposante aurait été déloyale en l'absence d'information ou de saisine du CHSCT ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a là encore subordonné la preuve de l'existence du harcèlement moral et sexuel à une condition que la loi ne prévoit pas, a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-4, L. 11525, L. 1153-1, L. 1153-5, L. 1153-6, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail ; 3°) ALORS QU'en matière prud'homale, la preuve est libre; que les faits de harcèlement moral et sexuel peuvent en conséquence être démontrés par l'employeur par tous moyens ; que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les moyens dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties; qu'en l'espèce, afin d'établir la matérialité des faits de harcèlement reprochés à M. [D], la société Crédit Mutuel faisait valoir qu'à la suite de la révélation des faits litigieux, et parallèlement à l'enquête interne

menée auprès des salariées ayant dénoncé les faits, des entretiens avaient été réalisés avec les autres collaborateurs de M. [D]; qu'étaient ainsi versés aux débats les comptes rendus de ces entretiens, au cours desquels de nombreux salariés de l'entreprise avaient fait état des propos déplacés et des méthodes de management agressives de M. [D]; que pour juger que le comportement fautif de M. [D] n'était pas caractérisé, la cour d'appel s'est bornée à considérer que l'enquête interne menée par l'exposante était déloyale en l'absence d'audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits dénoncés et d'information ou de saisine du CHSCT; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les autres pièces versées aux débats par la société Crédit Mutuel, dont il ressortait que d'autres salariés de l'entreprise avaient été entendus et témoignaient des faits de harcèlement moral et sexuel reprochés à M. [D] dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 1152-4, L. 1152-5, L. 1153-1, L. 1153-5, L. 1153-6, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail. Points de droit soulevés La loyauté dans l'administration de la preuve en matière prud'homale . L'obtention des preuves dans le cadre d'une enquête interne et la liberté de la preuve. Discussion - A - Rappels 1- En application de l'article L1232-6 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, la Cour juge de façon constante que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ( Soc., 16 septembre 2020, pourvoi no 18-25.943 ) et que les juges sont tenus d'examiner l'ensemble des griefs énoncés dans la lettre de licenciement ( Soc., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-10.266). En l'espèce la lettre de licenciement pour faute grave reprochait au salarié deux griefs : des faits de harcèlement sexuel et des faits de harcèlement moral. 2- La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Comme l'indique le rapport exhaustif de Madame le conseiller rapporteur, dès lors que le comportement d'un salarié est constitutif d'harcèlement moral, votre chambre admet qu'il puisse être qualifié de faute grave. S'agissant du harcèlement sexuel, votre chambre se montre encore plus stricte; lorsque les faits reprochés sont qualifiés, ils constituent nécessairement une faute grave. 3- Cette jurisprudence a pour corollaire les obligations que la loi impose à l'employeur en matière de harcèlement : - article L1152-4 du code du travail : « L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. » ;

- article L1153-5, dans sa version antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, en vigueur du 06 août 2014 au 01 janvier 2019: « L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner. » Parmi les mesures de nature à lui permettre de remplir ses obligations votre jurisprudence approuve la décision de l'employeur d'ordonner une enquête interne lorsque des faits de harcèlement lui sont signalés. ( Soc., 7 avril 2016, pourvoi n° 1423.705 ). L'Accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail retient également que, si des plaintes sont formulées dans ces domaines, elles « doivent être suivies d'enquêtes et traitées sans retard ». Enfin, pour aider les entreprises à gérer les signalements de faits de harcèlement, un guide élaboré par le ministère du Travail (Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner, Ministère du Travail, 2019) recommande lui aussi de réaliser une enquête interne et donne de nombreux conseils pratiques pour y procéder. 4- Lorsque le licenciement a été prononcé pour faute grave, la charge de la preuve incombe toujours à l'employeur ( Soc.09 octobre 2001, n°99-42.204 ). La charge de la preuve des faits de harcèlement moral ou sexuel subis par un salarié fait l'objet d'un aménagement prévu à l'article L.1154-1 du code du travail ( Version en vigueur du 01 mai 2008 au 10 août 2016 ) : « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. » Appelée à se prononcer sur le champ d'application de ces dispositions du code du travail, la chambre sociale a précisé qu'elles ne sont pas applicables dans le cadre d'un litige entre l'employeur et le salarié à qui sont reprochés des agissements de harcèlement moral. Pour prendre une sanction contre le salarié accusé de harcèlement l'employeur ne peut se fonder sur de simples présomptions de l'existence d'un harcèlement ( Soc. 07 février 2012, n°10-17.393 ). 5- Il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement « la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » ( Soc. 10 juin 1965, n° 444 ) à condition d'avoir examiné « tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions »( Soc. 16 octobre 2019, n°18-18.187 ). Afin d'apprécier s'il existe des éléments de fait laissant supposer l'existence de fait de harcèlement moral, les juges doivent examiner tous les faits présentés par le salarié et

les apprécier « pris dans leur ensemble », et non séparément ( Soc.04 novembre 2021, n°19-25.676 ).

- B - La preuve dans les contentieux du travail 1- L'objet de la preuve L'objet de la preuve peut être un fait matériel mais ce peut être également un élément qui laisse supposer l'existence d'un fait. Par ailleurs, le débat probatoire peut porter sur l'évaluation réalisée à partir des faits. « Parfois, l'application de la norme appelle la preuve de faits comportant un jugement de valeur. La preuve ne vise alors pas seulement à établir des circonstances matérielles mais aussi à nourrir un jugement évaluatif portant sur ces circonstances : la faute est grave , les motifs du licenciement sont réels et sérieux … Or, seules les circonstances matérielles fautives peuvent être prouvées. La détermination de leur caractère grave ou réel et sérieux est le fruit d'un jugement évaluatif, et non d'un jugement de vérité. Les circonstances de fait constituent la base empirique d'un jugement évaluatif que l'application de la norme commande. » (Olivier LECLERC. Répertoire de droit du travail, La preuve dans les contentieux du travail). 2- Le principe de la liberté de la preuve En droit du travail, comme dans l'essentiel des matières du droit français, la preuve est libre (cf.art 1358 C civ). La liberté de la preuve signifie, en principe, que tous les modes de preuve licites sont recevables. La loi ne dicte pas au juge les modes de preuve qui doivent être présentés par les parties. Dans le prolongement d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ.1ère, 5 avril 2012, n° 11-14.177 ), la chambre sociale a admis que « le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Soc. 9 novembre 2016, n° 15-10.203 ). 3- Les moyens de preuve. En matière civile, il incombe aux parties de réunir, voire de recueillir, les éléments de preuve. Pour réunir des preuves, l'employeur dispose de différents moyens qui relèvent de son pouvoir d'organisation. La mise en place d'un service interne de contrôle ne constitue pas un système de surveillance et « le simple contrôle de l'activité d'un salarié par l'employeur ou par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, même en l'absence d'information et de consultation préalable du comité d'entreprise, un mode de preuve illicite ; » ( Soc. 04 juillet 2012, n° 11-14.241 ).Le travail de ce service de contrôle ne saurait être assimilé à une filature.

Le témoignage sous forme orale ou écrite constitue un mode de preuve particulièrement important dans les litiges du travail. En la matière, si « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Soc. 4 juillet 2018, n° 17-18.241) ; en revanche le fait qu'un salarié soit en litige avec l'employeur ne rend pas irrecevable son témoignage au bénéfice d'un autre salarié dans le procès qui oppose ce dernier à l'employeur (Soc. 30 octobre 2007, n° 06-44.259 ) de même le fait que les attestations produites par un salarié aient été établies postérieurement au licenciement ne rend pas ces dernières irrecevables (Soc. 31 mai 2006, n° 05-43.197). Cependant si l'ensemble de ces circonstances est sans incidence sur la recevabilité du témoignage ; il appartient au juge d'en apprécier la valeur. Enfin, les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile n'étant pas prévues à peine de nullité, les attestations non conformes aux prescriptions qu'il édicte sont recevables, « il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement si les attestations non conforme aux prescriptions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile présentent des garanties suffisantes pour emporter leur conviction », ( Soc. 4 avril 1995, n° 93-45.051 ). L'employeur peut également faire procéder à une enquête pour établir des faits fautifs (harcèlement, discrimination, violations de la loi, risques…). En droit du travail, ces enquêtes ne suivent pas un régime juridique unifié, les enquêtes portant sur des faits de harcèlement coexistent avec celles consécutives à l'exercice du droit d'alerte par des salariés ou des représentants du personnel. L'enquête peut être réalisée par les services de l'entreprise mais également être confiée à un tiers (prestataire, avocat…) choisi et rémunéré par l'employeur. Le rapport d'enquête pourra aussi être présenté comme élément de preuve dans un éventuel litige consécutif à la découverte de faits fautifs. S'agissant des enquêtes diligentées par l'employeur suite à la dénonciation de faits de harcèlement, le code du travail ne fixe pas de cadre procédural. Sous réserve que les investigations soient justifiées et proportionnées par rapport aux faits à l'origine de l'enquête et conciliable avec le respect de la vie privée des salariés ( Soc. 21 mai 2014, n° 13-12.666 ), la chambre sociale admet la recevabilité du compte rendu d'une enquête interne, dont le salarié mis en cause n'avait pas été informé et dans le cadre de laquelle il n'avait pas été entendu. En effet, estime la Cour, « une enquête effectuée au sein d'une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n'est pas soumise aux dispositions de l'article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d'un procédé clandestin de surveillance de l'activité du salarié » (Soc. 17 mars 2021, n°18-25.597). Le caractère contradictoire de l'enquête interne n'est donc pas une condition de sa validité.

S'il paraît souhaitable de procéder à l'audition des personnes ayant signalé les faits ainsi qu'à celle de la personne accusée et de recueillir le témoignage de certains salariés se trouvant dans leur entourage professionnel, l'employeur n'est pas tenu d'auditionner la totalité des collaborateurs du salarié licencié même s'il se prévalait dans la lettre de licenciement d'agissements de harcèlement moral envers tous les collaborateurs (Soc. 8 janvier 2020, n° 18-20.151). 4- Le principe de loyauté dans l'administration de la preuve Cependant, dans le contentieux du travail, le droit à la preuve ne fait pas disparaître tout obstacle à la recevabilité des preuves. L'illicéité de la preuve pouvant provenir de divers motifs comme l'obtention déloyale des preuves, l'atteinte qu'elle porte à certains droits etc... et la chambre sociale vise régulièrement le principe de loyauté dans l'administration de la preuve. Très souvent la question de la loyauté de la preuve renvoie à la façon dont la preuve a été obtenue. De façon générale la chambre sociale juge illicite la preuve obtenue par le recours à une méthode qui a pour objet de vicier la recherche de la preuve. Ainsi en est il de la preuve obtenue au moyen d'un stratagème (Soc 30 septembre 2020, n°19-12.058 ) ou à l'aide d'un procédé clandestin. Les preuves obtenues par un procédé technologique de surveillance ne sont valables que si les salariés ont été informés préalablement à son déploiement et si ce dispositif est proportionné au but poursuivi. De même, elle juge illicite la preuve obtenue au moyen d'un rapport rédigé par un enquêteur privé sollicité par l'employeur dès lors que ce dispositif de contrôle n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés (Soc. 15 mai 2002, n° 0042.885 ) ou de rapports rédigés par une société de surveillance extérieure à l'entreprise, sollicitée par l'employeur à l'insu du personnel, pour procéder au contrôle de l'utilisation des distributeurs de boissons et sandwichs (Soc. 15 mai 2001, n° 9942.219 ). Enfin, elle affirme qu'en raison de l'atteinte qu'elle « implique nécessairement à la vie privée du salarié », la filature organisée pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié ne peut être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur (Soc.26 nov. 2002, n° 00-42.401 ).

- C - Les données de l'espèce 1- Sur les deux premières branches réunies. D'une part, la recevabilité des preuves recueillies dans le cadre d'une enquête interne n'est pas subordonnée au respect d'un formalisme particulier, exigé par la loi et la jurisprudence, dans la conduite de cette enquête.

En soumettant les auditions des différents protagonistes à des règles de forme et de durée, en subordonnant la validité de l'enquête interne, réalisée en cas de harcèlement, à l'information ou la saisine du CHSCT ; la cour d'appel ajoute à la loi et à la jurisprudence des conditions inexistantes qui au surplus ne sont pas de nature à garantir la sincérité des déclarations effectuées. Les exigences de la cour d'appel qui sont de nature à entraver les investigations nécessaires pour permettre à l'employeur de respecter ses obligations pour prévenir, mettre un terme et sanctionner les faits de harcèlement sont de surcroît contraire à l'esprit de la loi qui vise à combattre les faits de harcèlement moral et sexuel dans le monde du travail. D ‘autre part, l'obtention des déclarations recueillies dans le cadre de l'enquête interne consécutive aux signalements effectués, n'a pas donné lieu à l'utilisation de procédés clandestins, de stratagèmes ou de subterfuges ou autres méthodes de nature à vicier la recherche de la preuve et à caractériser la déloyauté dans l ‘administration de la preuve. En conséquence, la cour d'appel n'a pas caractérisé le caractère partial et déloyal de l'enquête interne et ne pouvait pas sur ce fondement écarter les moyens de preuve tirés des investigations réalisées à ce titre. La cassation s'impose. 2- sur la troisième branche Dans ses conclusions d'appel, l'employeur s'appuyait aussi sur des comptes rendus d'entretiens de salariés qui avaient travaillé dans les deux agences dirigées par M. [D] réalisés au cours de l'enquête et également sur des attestations rédigées dans les formes prévues aux articles 200 à 203 du Code de Procédure Civile, produites par certaines collaboratrices (p.21 des conclusions d'appel). Si l'arrêt de la cour d'appel mentionne expressément les comptes rendus d'entretien et leur dénie toute force probante faute de pouvoir en identifier l'auteur, en revanche il ne vise, ni ne mentionne l'existence même des attestations de telle sorte qu'il ne peut être déduit de la décision que la cour d'appel les ait implicitement écartées. Or la Cour de cassation fait obligation aux juges du fond de se prononcer sur l'ensemble des pièces versées aux débats ( Soc., 6 juillet 2017, pourvoi n° 16-19.153 ), de sorte qu'ils ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner et analyser tous les éléments de preuve fournis par les parties au soutien de leurs prétentions, (Soc. 31 mai 2017, pourvoi n° 16-10.372 ; Soc 16 octobre 2019 cf.supra A -5 ) et de les apprécier « pris dans leur ensemble » ( Soc.04 novembre 2021, n°19-25.676 ). En l'espèce, le défaut de réponse à conclusions doit également vous conduire à censurer la décision de la cour d'appel.

Avis : Cassation sur l'ensemble des branches du moyen

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