Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 11-05-2022, n° 21-11.240

Cass. soc., Conclusions, 11-05-2022, n° 21-11.240

A85072RI

Référence

Cass. soc., Conclusions, 11-05-2022, n° 21-11.240. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409080-cass-soc-conclusions-11052022-n-2111240
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AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 569 du 11 mai 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-11.240 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 25 novembre 2020 Société La Romainville, et autres C/ Mme [W] [S], et autres

Faits et procédure Mme [W] [S] a été engagée le 15 février 1988 par contrat à durée indéterminée par la société La Romainville. Par lettre circulaire du 12 février 1992, l'employeur a informé les salariés de la mise en oeuvre d'une nouvelle méthode de calcul des salaires introduisant la notion, d'une part, de “prime de production” et, d'autre part, de “gratification annuelle”, remplaçant l'ancien système basé sur la prime d'ancienneté et la prime annuelle. Cette prime de production a été supprimée par l'employeur par courrier du 8 décembre 1999, informant les salariés que les versements cesseraient à compter du 1er janvier 2000.

L'employeur a été placé en redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Bobigny du 26 juillet 2006. Le 5 juin 2007, l'employeur a fait l'objet d'un plan de redressement par voie de continuation, avec désignation d'un commissaire au plan. A compter du mois de juillet 2010 et avec effet rétroactif au mois de mars 2010, une “prime d'assiduité” a été mise en place. La salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny aux fins d'obtenir le paiement d'un rappel de la prime de production depuis janvier 2011 et des congés payés afférents ainsi que des dommages et intérêts pour résistance abusive et discrimination salariale. Par jugement du 23 mars 2017, le conseil de prud'hommes a notamment condamné l'employeur, pris en la personne du commissaire au plan, au paiement d'une somme au titre de rappel de salaire, congés payés inclus et condamné la salariée à payer à l'employeur une somme au titre du remboursement d'un indu consécutif au trop perçu de primes en doublon. Par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 25 janvier 2018, les opérations de redressement judiciaire ont été déclarées closes et il a été mis fin à la mission du commissaire au plan. La salariée a interjeté appel de la décision de la juridiction prud'homale et par arrêt du 25 novembre 2020, la cour d'appel de Paris a notamment infirmé la décision déférée en ce qu'il a fixé à une certaine somme le quantum du rappel de salaire au titre de la prime de production, prononcé la condamnation de la salariée à rembourser la prime d'assiduité, prononcé la condamnation de l'employeur à payer à la salariée une somme à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ; statuant des chefs infirmés, a condamné l'employeur à payer à la salariée une somme d'un nouveau montant à titre de rappel de salaire concernant la prime de production, une somme à titre de congés payés y afférents ; débouté l'employeur de sa demande de remboursement de la prime d'assiduité ; débouté l'employeur de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ; a confirmé le jugement pour le surplus. L'employeur s'est pourvu en cassation. La salariée n'a pas constitué avocat. Questions juridiques Nature de l'avantage : résulte-t-il du contrat de travail ou d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur ? Règle de cumul entre un avantage contractuel et un avantage issu d'un accord collectif.

Discussion Sur le premier moyen : La rémunération, contrepartie de la prestation de travail, est un élément essentiel de la relation de travail. Elle constitue également un élément déterminant motivant l'accord des parties pour la conclusion du contrat de travail. A ce titre, toute modification contractuelle la concernant, nécessite donc l'accord du salarié. Toutefois, a contrario, il doit être considéré que toute rémunération prévue notamment par un usage, un engagement unilatéral de l'employeur ou un statut collectif, n'est pas un

élément du contrat de travail et peut donc être modifiée sans que le salarié ne puisse s'y opposer. Par conséquent, la source de la rémunération revêt toute son importance puisqu'elle en détermine sa nature, contractuelle ou non, seul le contrat de travail protégeant le salarié de toute modification de la rémunération dans l'ensemble de ses composantes, sans son accord. S'agissant de la structure de la rémunération, la chambre a déjà retenu qu'une prime d'ancienneté de nature conventionnelle, ne peut pas être intégrée, sans l'accord du salarié, dans sa rémunération contractuelle, dont la structure serait alors modifiée (Soc., 23 octobre 2001, pourvoi n° 99-43.153). En l'espèce, la cour d'appel a relevé que par courrier du 12 février 1992, l'employeur a informé chacun des salariés de la mise en place de la prime de production dont il décrivait le mécanisme en sollicitant leur accord, en précisant que l'absence de réponse valait accord tacite. Il n'a pas été contesté l'absence de réponse de la part de la salariée, ce dont il se déduit son accord. Dès lors, contrairement à ce que soutient le moyen dans ses trois premières branches, la cour d'appel a valablement retenu que la prime de production était intégrée au contrat de travail. La quatrième branche, pour reprocher à la cour d'appel d'avoir jugé que la prime de production mise en place par l'employeur était incorporée au contrat de travail, soutient qu'elle a affirmé que “[l'employeur] qui revendiquait l'instauration d'une nouvelle méthode de calcul de salaires, ne pouvait ignorer la nature salariale de cet avantage” et que “la prime de production formait avec le salaire de base un des éléments composant le salaire brut”. Or, ce faisant, le mémoire ne reprend qu'une partie de la motivation de la cour d'appel qui a par ailleurs retenu que la prime, dès son origine, était entrée dans le champ contractuel puisqu'en présentant la prime de production à ses salariés, l'employeur avait sollicité leur accord, précisant que l'absence de réponse valait accord tacite. Le mémoire reproche enfin à la cour d'appel, dans une cinquième branche, un défaut de motivation pour avoir jugé que l'employeur aurait remplacé “par la prime de production deux primes antérieures, elles-mêmes intégrées à la rémunération du salarié”, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait pour affirmer que ces primes antérieures, intitulées prime d'ancienneté et prime annuelle, auraient été intégrées à la rémunération du salarié. Toutefois, dans l'exposé du litige (page 2 de l'arrêt) la cour d'appel a rappelé que “par lettre circulaire du 12 février 1992, l'employeur a informé les salariés de la mise en œuvre d'une nouvelle méthode de calcul des salaires introduisant la notion, d'une part, de “prime de production” et, d'autre part, de “gratification annuelle”, remplaçant l'ancien système basé sur la prime d'ancienneté et la prime annuelle.” Ainsi, la cour d'appel qui avait présenté le contenu de la circulaire du 12 février 1992 pouvait s'appuyer sur celui-ci dans sa motivation. ▸ Je m'associe donc à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée par Madame le conseiller rapporteur.

Sur le second moyen : Dès lors que la prime de production est un élément contractuel du salaire que l'employeur ne peut supprimer sans l'accord de la salariée, elle constitue un avantage contractuel qui vient se confronter à la prime d'assiduité, avantage mis en place par l'accord collectif.

Ces deux avantages peuvent-ils se cumuler pour être tous les deux perçus par la salariée ainsi que l'a jugé la cour d'appel ? Pour déterminer l'avantage applicable, en cas de conflit de normes, la Cour juge que la situation des salariés doit être régie par celle qui leur est la plus favorable. A cette fin, il est procédé à une comparaison des avantages d'une part “globalement pour l'ensemble du personnel” (Soc., 18 janvier 2000, pourvoi n° 96-44.578) et non eu égard à l'un d'eux en particulier, et d'autre part se rapportant au même objet ou à la même cause. Le principe de la comparaison par avantages ayant le même objet ou la même cause a été posé par un arrêt de l'Assemblée plénière du 18 mars 1988 : “En cas de concours de conventions collectives, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent sauf stipulations contraires, se cumuler, seul pouvant être accordé le plus favorable d'entre eux.” (Ass. plén., 18 mars 1988, pourvoi n° 84-40.083). Par la suite, dans un arrêt du 24 octobre 2008, si l'assemblée plénière a énoncé dans un premier attendu “qu'en cas de concours d'instruments conventionnels collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé ;”, il convient toutefois de relever que le sommaire de la décision indiquait “Les jours de récupération, qui sont acquis par le salarié au titre d'un accord d'aménagement et de réduction de temps de travail et représentent la contrepartie des heures de travail qu'il a exécutées en sus de l'horaire légal ou de l'horaire convenu, n'ont ni la même cause ni le même objet que les congés payés d'ancienneté auquel il a droit, en sus de ses congés légaux annuels.” (Ass. plén., 24 octobre 2008, pourvoi n° 07-42.799). Or, la mention “ni [...]ni” n'est pas le contraire de la conjonction de coordination “ou” mais de “et”, ce qui signifie que l'assemblée plénière s'était attachée à examiner la cause et l'objet pour juger que le salarié avait droit au cumul des avantages. Par ailleurs, l'examen de divers arrêts, publiés ou simplement diffusés, de la chambre conduit à constater que deux attendus de principe différents sont énoncés lors de la comparaison des avantages, mentionnant pour l'un la conjonction de coordination “et” et pour l'autre “ou” : - “Si en cas de concours de dispositions légales et conventionnelles, les avantages qu'elles instituent ne peuvent se cumuler, c'est à la condition qu'ils aient le même objet et la même cause.” (Soc., 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-42.769 ; Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 10-27.395) ; “Mais attendu qu'en cas de concours de dispositions légales et conventionnelles, les avantages qu'elles instituent ne peuvent se cumuler lorsqu'elles ont la même cause et le même objet, seul le plus favorable d'entre eux pouvant alors être accordé” (Soc., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.124, 16-23.128) ; “Mais attendu que si en cas de concours de dispositions conventionnelles, les avantages qu'elles instituent ne peuvent se cumuler, c'est à la condition qu'ils aient le même objet et la même cause ;” () ; “Si en cas de concours de stipulations contractuelles et de dispositions conventionnelles, les avantages qu'elles instituent ne peuvent se cumuler, c'est à la condition qu'ils aient le même objet et la même cause.” (Soc., 1 décembre 2021, pourvoi n° 20-12.700) ; - “Mais attendu qu'en cas de concours de conventions collectives, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé ;” (Soc., 27 janvier 2016, pourvoi n° 13-24.567 ; Soc., 28 mars 2018, pourvoi n° 16-27.631) ; “en cas de concours d'instruments conventionnels collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé,” (Soc., 22 mai 2019, pourvoi n° 17-26.914, 17-26.915 ; Soc., 2 juin 2021, pourvoi n° 19-23.080).

La formule alternative est plus restrictive pour les salariés puisque dès que le seul objet ou la seule cause sera identique dans les deux avantages, le cumul sera écarté tandis que la formule cumulative nécessite une identité d'objet et de cause pour écarter le cumul. En tout état de cause, comment identifier l'avantage le plus favorable sans examiner à la fois son objet et sa cause ? Voici un exemple pour mettre en lumière cette difficulté : si j'envisage qu'un accord d'entreprise accorde une semaine de congés payés supplémentaire à tout salarié ayant 3 enfants ou plus à charge alors que la convention collective de branche accorde une semaine de plus à tout salarié ayant plus de 10 ans d'ancienneté. L'objet -le contenu- des deux avantages est le même, accorder des congés supplémentaires, tandis que la cause -la finalitéest différente, l'une se référant à la parentalité et l'autre à l'ancienneté. Si la seule identité d'objet est retenue dans ce cas, comment déterminer l'avantage le plus favorable puisqu'il s'agit d'accorder dans les deux cas une semaine de congés supplémentaires ? Or, s'il est considéré que les avantages ne peuvent pas se cumuler qu'à la condition qu'ils aient le même objet et la même cause, la cause étant différente dans cet exemple, un salarié ayant 3 enfants et 11 ans d'ancienneté pourra cumuler les deux catégories de congés. Il ressort par ailleurs de l'examen des décisions précitées que si, à de rares reprises, il est évoqué une différence d'objet et de cause pour retenir le cumul des avantages (Ass. plén., 24 octobre 2008, pourvoi n° 07-42.799 ; Soc., 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-42.769 ; Soc., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-11.261), dans la plupart des décisions, l'examen du seul objet ou de la seule cause des avantages confrontés permet, en cas de différence, de retenir le cumul. Si le cumul est possible en cas de différence entre les seuls objets ou les seules causes, cela démontre que si les avantages ne peuvent se cumuler c'est “à la condition qu'ils aient le même objet et la même cause.” Seul le constat d'un objet et d'une cause identiques dans les deux avantages confrontés conduira à rechercher dans un second temps le plus avantageux. Qu'en est-il dans le dossier qui nous est soumis ? La cour d'appel a relevé que la prime de production est une prime forfaitaire journalière basée sur la présence du salarié à son poste de travail, concernant tous les salariés ayant plus d'un an d'ancienneté et dont le montant dépend du niveau et de l'échelon ainsi que de la gratification annuelle pouvant varier en fonction de la valeur du salarié, appréciée par le responsable d'exploitation selon certains critères tandis que la prime d'assiduité est fondée sur la présence du salarié à son poste. Ce faisant, elle a valablement comparé chacun des avantages pour en déduire qu'ils n'étaient pas identiques. En effet, la prime d'assiduité n'a pour seule finalité que de récompenser la présence du salarié à son poste de travail et le critère pour la détermination de son montant ne prend en considération que cette présence (accord collectif - production MA 6). Or, s'agissant de la prime de production, si la lettre circulaire du 12 février 1992 mentionnait qu'elle était basée sur la présence du salarié à son poste de travail, la cour d'appel a constaté qu'elle se substituait à une prime d'ancienneté, laquelle était sans rapport avec la présence du salarié. En outre, la prime de production connaît des règles propres de détermination de son montant, dépendant de plusieurs critères allant au-delà de la seule présence du salarié dont l'un d'eux, la valeur du salarié, est lui-même apprécié en fonction de différents éléments (lettre circulaire - production MA 4). Ainsi, les critères des deux avantages sont distincts. ▸ Je conclus au rejet avec l'adoption claire de la formule de l'assemblée plénière de 2008 selon laquelle, en cas de concours, des avantages peuvent se cumuler s'ils n'ont ni le même objet, ni la même cause, l'examen des avantages ne pouvant être limité au constat de la seule identité d'objet ou de la seule identité de cause pour écarter le cumul. C'est d'ailleurs cette solution que vous aviez retenue dans arrêt du 23 septembre 2020

dans un dossier concernant le même employeur (Soc., 23 septembre 2020, pourvoi n° 1819.684).

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