Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 24-05-2023, n° 22-10.517

Cass. soc., Conclusions, 24-05-2023, n° 22-10.517

A84692R4

Référence

Cass. soc., Conclusions, 24-05-2023, n° 22-10.517. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409042-cass-soc-conclusions-24052023-n-2210517
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AVIS DE Mme WURTZ, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n°509 du 24 mai 2023 – Chambre sociale Pourvoi n°22-10.517 Décision attaquée: 20 avril 2021 de la cour d'appel de Metz M. [H] [F] C/ société Axima concept ________________

1- FAITS ET PROCÉDURE Monsieur [H] [F] a été recruté par la société Sprink'r en qualité de soudeur selon contrat à durée indéterminée du 2 mai 1997. Son contrat de travail a été transféré à la société Axima concept le 3 octobre 2017. Placé en arrêt maladie à compter du 2 novembre 2017, il a sollicité un examen médical auprès du médecin du travail qui est intervenu le 13 novembre 2017 et a donné lieu à un avis d'inaptitude en date du 14 novembre, avec mention que son maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Par lettre du 19 décembre 2017, son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement lui a été notifié. M. [F] a saisi la juridiction prud'homale pour voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat. Par jugement du 10 avril 2019, le conseil de prud'hommes a fait droit aux demandes du salarié.

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Par arrêt du 21 avril 2021, la cour d'appel a infirmé le jugement et a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes. C'est l'arrêt attaqué par le pourvoi formé par Monsieur [F] fondé sur un moyen unique en une branche comme suit : « Alors que le médecin du travail ne peut pas constater l'inaptitude du salarié à son poste de travail à l'issue d'une visite médicale, demandée par ce salarié pendant la suspension de son contrat de travail en raison d'un arrêt de travail pour maladie ; que pour juger que le licenciement de monsieur [H] [F] pour inaptitude à son poste de travail, dispensant de recherche de reclassement, reposait sur une cause réelle et sérieuse (arrêt, p. 6, § 7), la cour d'appel a considéré que l'examen demandé par le salarié visé à l'article R. 4624-34 du code du travail pouvait constituer l'examen médical à l'issue duquel le médecin du travail pouvait constater l'inaptitude tel que visé à l'article R. 4624-42 du code du travail, peu important que cet examen soit réalisé durant un arrêt de travail du salarié (arrêt, p. 6, § 2) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4624-1, alinéa 6 et R. 4624-34, L. 1226-2-1 et R. 4624-29 à R. 4624-32 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige issue du décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016. »

2- DISCUSSION Un salarié peut-il être déclaré inapte pendant son arrêt de travail ? 2-1 Constat d'inaptitude et arrêt de travail Le pourvoi part du postulat qu'admettre la possibilité de constater l'inaptitude d'un salarié pendant son arrêt de travail aurait pour effet de faire disparaître la notion de visite de pré-reprise et d'amoindrir les effets de la suspension du contrat de travail liée à l'arrêt maladie. Je ne partage pas cet avis qui n'est ni conforme à la lettre des textes, ni à leur esprit Et ce n'est pas davantage cohérent avec les principes dégagés par votre jurisprudence. 2-1-1 S'agissant des textes : Le régime juridique de l'inaptitude a fait l'objet d'une modification profonde avec la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 qui a réformé non seulement le suivi médical des salariés mais aussi le régime procédural du constat de l'inaptitude. L'article L. 4624-4 du code du travail issu de la loi de 2016 a en effet supprimé, pour le constat d'inaptitude, le double examen qui était exigé par l'ancien article R. 4624-31 et prévoit désormais que : « Après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l'employeur, le médecin du travail qui constate qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur. »

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Nulle mention ne précise qu'un tel constat se fait nécessairement à l'occasion de la visite de reprise qui marque la fin de la suspension du contrat de travail en application de votre jurisprudence constante 1. L'article R. 4624-30 du code du travail sur la visite de pré-reprise ne fait pas davantage l'interdiction formelle de constater l'inaptitude du salarié dès le stade de la pré-reprise. La finalité des visites de pré-reprise et reprise n'a en effet pas été modifiée par la loi de 2016 et ses décrets d'application. Ainsi, lors de la visite de pré-reprise, qui se déroule pendant l'arrêt de travail, le médecin du travail peut recommander des aménagements et adaptations de poste, mais aussi un reclassement ou une formation professionnelle en vue de faciliter le reclassement du travailleur ou sa réorientation professionnelle 2. L'objet de cette visite est donc très large et a pour finalité d'anticiper le retour du salarié dans l'entreprise dans les conditions les plus adaptées à son état de santé dans une logique de maintien en emploi3, qu'il réintègre son poste ou qu'il soit reclassé ou réorienté professionnellement. Lors de la visite de reprise, le salarié est en principe en fin d'arrêt de travail pour cause de maternité, maladie ou accident et sur le point de retourner en entreprise si ce n'est déjà fait, puisque l'employeur dispose d'un délai de 8 jours à compter de la reprise pour organiser cette visite. Cet examen médical a donc lieu au plus près de la reprise réelle du travail et a pour finalité de vérifier si le poste contractuel est compatible avec l'état de santé de l'intéressé, de préconiser, le cas échéant des aménagements de poste ou d'émettre un avis d'inaptitude lorsqu'aucune transformation de poste n'est possible 4. Si une visite de pré-reprise a précédé la visite de reprise, le médecin du travail vérifie que les préconisations faites à cette occasion sont toujours pertinentes et que la reprise du travail telle qu'elle s'organise par l'employeur les respecte. Dans une double logique de protection de la santé, la sécurité du salarié et de maintien en emploi, tout le dispositif de surveillance médicale du salarié est au contraire construit afin de permettre un accès le plus large possible et à tout moment au médecin du travail pour faire les préconisations et constat qui s'imposent en temps utile. Ainsi, les dispositions réglementaires prévoient la possibilité d'effectuer des examens médicaux « à la demande » comme suit : « Indépendamment des examens d'aptitude à l'embauche et périodiques ainsi que des visites d'information et de prévention, le travailleur bénéficie, à sa demande ou à celle de l'employeur, d'un examen par le médecin du travail. Le travailleur peut solliciter notamment une visite médicale, lorsqu'il anticipe un risque d'inaptitude dans l'objectif d'engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d'un accompagnement

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Soc.12 novembre 1997, n°95-40.632

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Article R.4624-30 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.

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Article R.4624-29 du code du travail.

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Article R.4624-32 du code du travail.

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personnalisé [...] Le médecin du travail peut également organiser une visite médicale pour tout travailleur le nécessitant. »5. 2-1-2 S'agissant de la jurisprudence : La chambre sociale a adopté une telle lecture des textes, dès 2010, en précisant que « l'article R. 4624-31 (alors applicable) n'impose pas que la constatation de l'inaptitude soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail, le médecin du travail pouvant la constater après tout examen médical qu'il pratique au cours de l'exécution du contrat de travail » 6. L'exécution du contrat de travail était certes mentionnée dans cet arrêt dès lors qu'en l'espèce, la visite en cause ayant donné lieu au constat d'inaptitude était une visite périodique. Comme le relève M. Silhol, conseiller-rapporteur dans le pourvoi ayant donné lieu à votre arrêt du 20 février 2019 « la visite de reprise et l'inaptitude sont soumises à des régimes de qualification distincts. La qualification de visite de reprise a pour conséquence de mettre fin à la période de suspension du contrat de travail et de faire courir le délai d'un mois visé aux articles L. 1226-4 et L. 1226-11 du code du travail. En revanche, la constatation de l'inaptitude répond à ses conditions propres indépendantes de la qualification de visite de reprise. Et cette seule constatation a pour conséquence de placer le salarié sous le régime juridique applicable à l'inaptitude, peu important la délivrance de nouveaux arrêts de travail »7 . La chambre a confirmé cette jurisprudence à plusieurs reprises 8 et l'a donc élargie à un salarié en situation de prolongation d'arrêt de travail 9. La seule limite rappelée par la chambre est que ce constat soit effectué à l'issue de deux examens médicaux ou un seul en présence d'une mention de danger immédiat, conditions textuelles alors applicables pour rendre définitif l'avis d'inaptitude. La jurisprudence s'attache donc à titre principal au libellé et au fond de l'avis plus qu'au contexte dans lequel il est rendu. Dès lors que l'inaptitude est régulièrement constatée par le médecin du travail, son régime juridique s'applique. Par ailleurs, le droit positif fait bien la distinction entre les règles qui régissent les rapports entre le travailleur/assuré social et les organismes de sécurité sociale d'une part et les règles régissant les rapports entre le salarié et l'employeur en application du contrat de travail. Les deux blocs de règles restent donc indépendants dans leur application et leurs effets. Au médecin traitant, le soin de prescrire un arrêt de travail et d'en fixer la durée, au regard de l'état de santé général du salarié et qui donnera lieu à une prise en charge 5

Article R.4624-34 du code du travail.

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Soc.8 avril 2010, n° 09-40.975, Bull.V n°95

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Rapport sous pourvoi n°15-18.431.

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Soc.3 février 2021, n° 19-24.933 ;Soc. 21 septembre 2017, n° 16-16.549, Bull.V n° ;

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Soc. 20 février 2019, n° 15-18.431 ;Soc.11 décembre 2013, n°12-16.536

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par la sécurité sociale. Au médecin du travail la mission de vérifier la compatibilité de l'état de santé du salarié au regard du poste contractuel qu'il occupe. S'il considère dès la visite de pré-reprise que l'inaptitude au poste du salarié est évidente ou acquise alors qu'il est encore en arrêt de travail, rien ne lui interdit de le constater afin d'éviter une reprise du travail qui pourrait mettre sa santé en danger. En tout état de cause, si vous n'entendiez pas prononcer un arrêt de principe sur ce point, vous pourrez juger que le moyen est inopérant dès lors que l'avis d'inaptitude qui n'a pas été contesté dans son principe dans les conditions fixées aux articles L.4624-7 et R.4624-45 du code du travail, s'imposent aux parties, comme au juge. Vous avez rappelé cette règle dans un récent arrêt publié comme suit : « La cour d'appel, après avoir constaté que l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 11 avril 2017 mentionnait les voies et délais de recours et n'avait fait l'objet d'aucune contestation dans le délai de 15 jours, en a exactement déduit que la régularité de l'avis ne pouvait plus être contestée et que cet avis s'imposait aux parties comme au juge, que la contestation concerne les éléments purement médicaux ou l'étude de poste. »10 Il s'agit en effet de sécuriser les avis du médecin du travail dont la portée sur les relations contractuelles est majeure puisqu'ils nécessitent des décisions de l'employeur en termes d'aménagement de poste, voire de reclassement ou de rupture du contrat sauf à manquer à son obligation de sécurité telle que prévue à l'article L.4121-1 du code du travail.

2-2 Réponse au moyen En l'espèce, la cour d'appel a retenu qu‘« Il résulte de la combinaison de l'ensemble des textes cités que l'examen demandé par le salarié, dont l'article R 4624-34 permet, dans le silence de ce texte, qu'il se tienne à tout moment, donc y compris durant un arrêt de travail du salarié, et prévoit, par l'emploi de l'adverbe «notamment» que son objet n'est pas limité à l'anticipation d'un risque d'inaptitude, dans l'objectif d'engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d'un accompagnement personnalisé, peut constituer l'«examen médical», sans précision sur sa nature, donc sans limitation aux examens de pré-reprise ou de reprise, visé à l'article R. 4624-42, à condition que cet examen réponde aux exigences de cet article et à la définition de l'avis d'inaptitude de l'article L.4624-4. » Ces motifs sont parfaitement conformes à la loi et à votre jurisprudence et, après avoir examiné l'avis d'inaptitude litigieux et relevé qu'il n'avait fait l'objet d'aucun recours sur le fondement de l'article L.4624-7 du code du travail, la cour d'appel qui a jugé que cet avis s'imposait aux parties, a tiré les conséquences légales de ses constatations.

AVIS DE REJET.

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Soc.7 décembre 2022, n°21-23.662

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