Jurisprudence : Ass. plén., Conclusions, 16-12-2022, n° 21-23.685

Ass. plén., Conclusions, 16-12-2022, n° 21-23.685

A84432R7

Référence

Ass. plén., Conclusions, 16-12-2022, n° 21-23.685. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409016-ass-plen-conclusions-16122022-n-2123685
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AVIS DE M. LECAROZ, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 660 du 16 décembre 2022 – Assemblée plénière Pourvoi n° 21-23.685 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 20 octobre 2021

M. [G] [H] C/ Autorité des marchés financiers _________________

1. Rappel des faits et de la procédure Vous êtes saisis d'un pourvoi formé par M. [G] [H], membre du conseil d'administration de la société Marie Brizard Wine & Spirits (la société MBWS), qui a été désigné le 9 mai 2016 en remplacement de [A] [P], décédé en mars 2016. M. [H] siège dans ce conseil d'administration aux côtés notamment de Mme [I] [Q], présidente et directrice générale de la société Diana Holding, société de droit marocain, actionnaire de la société MBWS. La société Diana Holding disposait en outre d'un invité permanent à ce conseil d'administration en la personne de M. [J] [R], qui participait aux réunions du conseil, sans voix délibérative, et avait accès aux mêmes informations que les administrateurs. Le 27 août 2015, le secrétaire général de l'Autorité des Marchés Financiers (l'AMF) a décidé de l'ouverture d'une enquête portant sur l'information financière et le marché du titre de la société MBWS à compter du 1er janvier 2015. Le 17 juin 2016, le secrétaire général de l'AMF a étendu cette enquête à l'information financière et au marché du titre de la société MBWS et de tout autre

instrument financier qui lui serait lié à compter du 1er juillet 2014. A l'occasion de la réunion du conseil d'administration prévue le 25 avril 2017 au siège de la société MBWS, l'AMF, prise en la personne de son secrétaire général, a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil (le JLD) afin de procéder à des opérations de visite domiciliaire et de saisie de documents. Par ordonnance du 19 avril 2017, le JLD a fait droit à la requête de l'AMF en retenant principalement qu'étaient susceptibles d'être constitués les faits suivants, pouvant être qualifiés de délits au sens de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier : - depuis le 16 septembre 2014, date de nomination de Mme [Q] en qualité d'administratrice de la société MBWS, Diana Holding devait être considérée comme une personne morale liée à Mme [Q] et était tenue de déclarer toutes les opérations réalisées sur les titres MBWS en application des articles L. 621-18-2 et R. 621-43-1 du code monétaire et financier et de l'article 223-22 du règlement général de l'AMF, ce que cette société n'a pas fait ; - le 14 mars 2015, les administrateurs de la société MBWS ont reçu du directeur général l'information du dépassement par cette société de ses objectifs de résultats pour 2014 ; cette annonce, faite au marché le 12 mai 2015 après clôture, a été suivie, le 13 mai après clôture, d'une hausse du cours du titre MBWS de 10,17 % par rapport au cours de clôture de la veille ; malgré son interdiction d'intervenir sur les titres sur les titres MBWS du 14 mars au 12 mai 2015, en application des articles 662-1 et 622-2 du règlement général de l'AMF, la société Diana Holding aurait accéléré son rythme d'acquisition de ces titres en achetant 1 409 295 actions MBWS, dépassé le seuil de 15 % du capital et des droits de vote de la société MBWS le 26 mars 2015, sans déclaration de franchissement, et réalisé une économie estimée à plus de 3 millions d'euros en acquérant les titres avant l'annonce faite au marché du 13 mai 2015 ; - le 8 avril 2015, les sociétés Diana Holding et DF Holding1 ont conclu un « Protocole d'accord préparatoire à une potentielle action de concert », conditionné au franchissement par la société DF Holding, à la hausse, du seuil de 5 % du capital de la société MBWS ; DF Holding a choisi le même mandataire que Diana Holding, soit la société Alterfi, dont le président est M. [S], pour réaliser des opérations sur les titres MBWS en son nom et pour son compte ; le 13 mai 2015, à l'ouverture de la séance de bourse, la société DF Holding a acquis un bloc de 1 400 000 actions MBWS ; que dans ce contexte, il ne pouvait être exclu que la société DF Holding ait eu l'information relative au dépassement par MBWS de ses objectifs financiers avant le 12 mai 2015, soit par son partenaire, la société Diana Holding, soit par leur mandataire commun, M. [S], président de la société Alterfi ; - lors du conseil d'administration de la société MBWS du 3 novembre 2015, le directeur général de cette société a présenté la mise à jour du plan stratégique Back In the Game (BIG 2018 version 2.0), lequel revoyait à la hausse les prévisions financières de la société MBWS pour 2018 ; cette mise à jour du plan stratégique devait être annoncée au marché le 23 novembre 2015 ; malgré l'indication faite aux La lecture du dossier ne fait pas apparaître d'autres éléments d'information sur cette société 1

administrateurs de s'abstenir d'intervenir sur les titres de la société MBWS entre le 3 novembre et le 23 novembre 2015, la société Diana Holding a acquis 27 758 actions MBWS et vendu 67 756 actions (soit un solde négatif de vente de 40 000 actions MBWS) et a acquis 1 million BSA OS, titres liés aux titres de la société MBWS.2 Le JLD a donc autorisé les enquêteurs de l'AMF, le cas échéant assistés d'un expert, à : 1. 2.

3.

4.

5.

effectuer la visite domiciliaire des lieux suivants : au siège social de la société MBWS, situé [...] à Ivry-sur-Seine, à l'occasion d'un prochain conseil d'administration de la société annoncé comme devant se tenir le 25 avril 2017, en tant que de besoin, au lieu de résidence temporaire en France des représentants de la société Diana Holding au conseil d'administration de la société MBWS, tel qu'il sera indiqué par ceux-ci lors de la visite domiciliaire au siège social de MBWS, et, en tant que de besoin, de tous les locaux sis dans le ressort du tribunal judiciaire de Créteil occupés par la société MBWS et dont l'existence serait révélée au cours des opérations et dans lesquels seraient susceptibles d'être présents des pièces ou documents ayant un lien avec la présente enquête ; à procéder à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité dans le cadre de l'enquête n° 2015.36, et susceptible de caractériser la communication et/ou l'utilisation d'une information privilégiée, et ce, quels qu'en soient la nature et le support, y compris, mais sans y être limité, les ordinateurs ou autre appareils (notamment les téléphones portables et tablettes) permettant la conservation et le traitement des données électroniques, et notamment des ordinateurs portables et des téléphones mobiles des représentants de Diana Holding au conseil d'administration de MBWS (Mme [I] [Q], M. [J] [R] et M. [G] [H]) et de DF Holding (Mme [B] [O]).

Présent à la réunion du conseil d'administration de la société MBWS du 25 avril 2017 à Ivry-sur-Seine, M. [H] a remis aux enquêteurs de l'AMF son téléphone portable duquel ont été extraites les données qui s'y trouvaient sur une clé USB dont copie lui a été remise. Par acte du 10 mai 2017, M. [H] a saisi le premier président de la cour d'appel de Paris : 6. d'un appel dirigé contre l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017 tendant à obtenir l'annulation de cette ordonnance et la restitution de l'intégralité des pièces et documents saisis au cours de la visite domiciliaire autorisée par ladite ordonnance, 7. d'un recours contre les opérations de visite et de saisies diligentées le 25 avril 2017, visant à obtenir l'annulation des saisies réalisées auprès d'elle et Selon MM. V. Germain et V. Magnier, les Bons de Souscription d'Actions (BSA), aussi appelés bons autonomes ou bons secs, donnent à leur porteur la possibilité d'acquérir une certaine quotité d'actions pendant une période et à un prix définis, cf. Les sociétés commerciales, juil. 2022, Lextenso, n° 912 ; le bénéficiaire du BSA n'a aucune obligation de souscrire l'action à laquelle le bon donne droit. Les bons de souscription d'actions BSA peuvent être exercés ou non, ou cédés, Cf. Avis de M. Gaillardot sur le pourvoi n° Z 17-24.470 2

au siège de la société MBWS, la restitution et la destruction de l'intégralité des pièces et documents saisis auprès d'elle ainsi que l'annulation par l'AMF de tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation de ces pièces et documents. Par ordonnance du 4 avril 2018 (RG n° 17/0465 statuant sur l'appel et RG n° 17/10470 statuant sur le recours), le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris, après avoir ordonné la jonction de ces instances a notamment confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017, a déclaré régulières les opérations de visite et de saisies effectuées le 25 avril 2017 et rejeté toutes autres demandes, fins ou conclusions. Sur le pourvoi n° Q 18-17.174 formé par M. [H], la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a par arrêt du 14 octobre 2020 cassé et annulé en toutes ses dispositions cette ordonnance. Par ordonnance du 20 octobre 2021, statuant sur renvoi après cassation, le délégué du premier président de la cour de Paris a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017, déclaré régulières les opérations de visite et de saisies effectuées le 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS et rejeté toutes autres demandes. Par déclaration du 27 octobre 2021, M. [H] a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance. Par arrêt rendu le 24 mai 2022, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a ordonné le renvoi du pourvoi devant l'assemblée plénière de la Cour.

2. - Le premier moyen 2.1. - Les enjeux du premier moyen 2.1.1. - Les pouvoirs d'enquête de l'AMF... Le premier moyen, dans sa branche unique, invoque la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la CSDH) et de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier en affirmant que M. [H] n'étant pas occupant des lieux dans lesquels la visite a été autorisée, mais simple personne de passage, la saisie des documents détenus par lui ne pouvait ni être autorisée, ni être effectuée. Le moyen recherche donc à limiter les pouvoirs d'enquête dont dispose l'AMF lors des visites domiciliaires et des saisies, lorsque ces dernières mesures sont effectuées à l'encontre de personnes de passage dans les lieux visités. L'AMF communiquant peu sur le nombre de visites domiciliaires et de saisies pratiquées lors des enquêtes, les seules informations dont nous disposons

proviennent d'un « Point presse » du 8 juin 2015 intitulé « De la surveillance à l'enquête : méthodes et évaluations ».3 Il ressort de ce document qu'en moyenne, sur les 90 enquêtes ouvertes par l'AMF chaque année, dont 40 % sur l'initiative de l'AMF et 60 % à la demande de ses homologues étrangers (principalement l'autorité b[I]nnique), 10 dossiers par an ont donné lieu à des visites domiciliaires sur la période 2013-2015. L'AMF, qui dispose d'autres moyens d'enquête, fait donc un usage mesuré des visites domiciliaires, d'autant que son dernier rapport d'activité pour l'année 2021, publié le 18 mai 2022, fait apparaître une baisse importante du nombre d'enquêtes ouvertes depuis ces dates. Ainsi, le nombre d'enquêtes ouvertes par l'AMF s'élevait à 68 en 2017, 49 en 2018, 46 en 2019, 57 en 2020 et 44 en 2021.4 Pour autant, les décisions intervenues récemment, qui limitent fortement les pouvoirs d'enquête de l'AMF en matière de conservation et d'exploitation des données de trafic et de connexion (en dernier lieu, CJUE, grande chambre, 20 septembre 2022, VD et SR, n° C-339/20 et C-397-20), vont certainement modifier la méthodologie des enquêteurs de l'AMF, qui seront contraints de reporter leurs interventions sur les méthodes d'enquête subsistantes ou moins contraignantes, et de redonner ainsi un nouvel intérêt à la recherche et à l'exploitation des données personnelles, accessibles notamment grâce aux visites domiciliaires et aux saisies. C'est ce que souligne le même rapport d'activité 2021 qui indique que « En 2021, plusieurs évolutions ont affecté les modalités d'enquête. C'est le cas de l'accès aux données de trafic et de connexion (en particulier, les fadettes) [...] et des visites domiciliaires [...] Malgré des efforts pour la sécurisation juridique de ses procédures, l'AMF risque un affaiblissement de ses pouvoirs, notamment en phase d'investigation ». Il est d'ailleurs fait référence dans ce document au présent litige. 5

2.1.2. - ... et des autres autorités administratives L'enjeu du premier moyen est d'autant plus considérable que la solution à intervenir est susceptible d'avoir des répercussions sur les pouvoirs d'enquête des autres autorités administratives qu'elles soient indépendantes ou non. En effet, pour les contentieux qui lui ont été confiés, l'ordre juridictionnel judiciaire et, à son sommet, la Cour de cassation, a cherché à unifier autant que possible le régime des pouvoirs d'enquête de l'administration malgré la variété des textes. L'article L. 621-12 du code monétaire et financier, qui prévoit les visites domiciliaires et les saisies effectuées par l'AMF, est inspiré, comme d'autres textes, par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales mis en oeuvre par 3 Consultable à l'adresse suivante :

https://www.amf-france.org/fr/espace-presse/conferences-de-presse/de-la-surveillancelenquete-methodes-et-evolutions 4 Rapport d'activité 2021 de l'AMF, p. 91, consultable à l'adresse suivante : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-annuels-etdocuments-institutionnels/rapport-annuel-de-lamf-2021 Les enquêtes de l'AMF étant menées à charge et à décharge, le nombre de dossiers comportant notifications de griefs s'élève à 11 en 2017, 10 en 2018, 8 en 2019, 8 en 2020 et 6 en 2021 5 Idem, pp. 44 et 92

l'administration fiscale. Puisant à la même source, on peut citer l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du code de commerce en matière de pratiques anticoncurrentielles de la compétence de l'Autorité de la concurrence, mais aussi l'article L. 232-18-7 du code du sport en matière de dopage des sportifs, les articles L. 512-51 et suivants du code de la consommation en matière de fraudes à la consommation, et les pouvoirs d'enquête en matière de travail clandestin, de télécommunications et de marchés publics.6 Ces contentieux sont distribués par l'ordonnance relative aux attributions des chambres de M. le Premier président entre, d'un côté, la chambre commerciale, financière et économique, pour les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et L. 621-12 du code monétaire et financier et, de l'autre, la chambre criminelle, pour l'article L. 450-4 du code de commerce. Cependant, les solutions dégagées pour l'un de ces textes sont généralement reprises pour les autres, quelle que soit la chambre saisie du pourvoi. C'est dans cette perspective que doit être lu le présent avis, qui ne se démarque en rien de l'ensemble des rapports et des avis relatifs aux pourvois concernant la matière des pouvoirs d'enquête de l'administration.

2.2. - Analyse du premier moyen 2.2.1. - L'arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la chambre commerciale L'arrêt et les développements de la présente affaire La chambre commerciale a jugé, au visa des articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la CESDH, que « 10. [...] seuls sont saisissables les documents et supports d'information qui appartiennent ou sont à la disposition de l'occupant des lieux, soit la personne qui occupe, à quelque titre que ce soit, les locaux dans lesquels la visite est autorisée, à l'exclusion des personnes de passage au moment de la visite domiciliaire, ce passage serait-il attendu. » Cet arrêt a été rendu sur avis contraire de M. Debacq, avocat général qui soutenait au contraire que : « Cependant, le grief manque en droit, dans la mesure où les dispositions de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne cantonnent nullement la possibilité de saisir des documents à ceux se trouvant en possession des personnes "occupant" le lieu visité, mais, plus généralement, en possession "des personnes sollicitées sur place", auprès desquelles il est également loisible aux enquêteurs autorisés de procéder au recueil d'explications (alinéa 1 er de cet article, in fine). La notion d' "occupant" n'a donc, dans le texte de cet article, aucun lien avec les documents susceptibles d'être saisis. Et il serait d'ailleurs douteux, en considération 6

Pierre Arhel, « Concurrence : règles de procédure », n°54, Répertoire de droit commercial, Dalloz ; pour une liste de ces procédures, Serge Rayne, « Perquisition - Saisie - Visite domiciliaire », n° 125 et suivants, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, ainsi que l'étude adoptée par l'assemblée générale du Conseil d'Etat du 15 avril 2021, pp. 145 à 150, consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/les-pouvoirs-d-enquete-de-ladministration

de l'importance et de la complexité des enquêtes dans le champ infractionnel spécial concerné, que le législateur ait cru devoir limiter les documents saisis ou les explications recueillies, sur place, à cette catégorie, celle de "l'occupant", ... ou son représentant. » La chambre commerciale n'ayant pas jugé en ce sens, M. [H] vous demande non seulement de consacrer la notion de personne de passage, à l'encontre de laquelle aucune saisie de documents ne serait possible lors des opérations de visite domiciliaire, mais aussi d'en étendre l'application au-delà de ce qu'a jugé l'arrêt du 14 octobre 2020. En effet, ce dernier arrêt se contente de considérer que, pour la qualification de « personne de passage », la circonstance que le « passage serait [-il] attendu » est inopérante. Le grief vous propose d'aller plus loin en ajoutant à ce critère inopérant déjà dégagé par la chambre commerciale, ceux du caractère professionnel (le critère du mandat social aurait été plus exact), de la fréquence et de la durée de ce passage. L'ajout de ces critères par le moyen présenté devant vous résulte des développements de l'affaire et, plus particulièrement, de l'ordonnance qui vous est déférée, laquelle a refusé non seulement la solution de la chambre commerciale, mais a, de plus, motivé de manière détaillée les raisons pour lesquelles M. [H] n'était pas une personne de passage, à supposer que cette notion soit consacrée. Analyse de l'arrêt de l'arrêt du 14 octobre 2020 La solution, issue de l'article 8 de la CESDH, rappelle que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance que constitue la saisie de données électroniques n'est tolérée que si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but, Le raisonnement suivi par l'arrêt a consisté à énumérer les droits qui s'attachent à la qualité d'occupant des lieux selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, à savoir : - la prise de connaissance des pièces avant leur saisie, - la signature du procès-verbal et de l'inventaire, - la restitution des pièces et documents qui ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité. L'énumération des droits réalisée par la chambre commerciale n'est que partielle. En effet, l'article L. 621-12 du code monétaire et financier fait référence à neuf reprises à la notion d' « occupant des lieux » et sont omis les autres droits de l'occupant des lieux qui dispose aussi des droits : - de faire appel à un conseil de son choix, ce qui doit être mentionné dans l'ordonnance d'autorisation de visite, - de se voir notifier l'ordonnance, - d'être présent lors du déroulement de la visite, - d'être avisé qu'elle peut assister à l'ouverture des scellés, en présence de l'OPJ, - de recevoir une copie des originaux du procès-verbal et de l'inventaire. Ces omissions ne relèvent évidemment pas d'une erreur. Elles font la part entre les droits qui sont utiles à l'appréciation des atteintes portées au droit au respect de la vie privée et de la correspondance et ceux, non cités dans l'arrêt, qui sont soit utiles pour l'examen de la conventionnalité au regard des exigences du procès équitable

de l'article 6 de la CESDH, soit nécessairement respectés (présence lors du déroulement de la visite). On notera qu'en tout état de cause, M. [H] a bénéficié de l'ensemble de ces droits ainsi qu'il ressort des productions du mémoire ampliatif. Le service des enquêtes de l'AMF a en effet dressé plusieurs procès-verbaux.7 Le premier intitulé « Procès-verbal de transport, notification et remise de l'ordonnance », dont nous connaissons l'existence par la rédaction du second, établit que M. [H] a bien reçu cette notification, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté bien que ce document ne soit pas versé aux débats par les parties. Le second intitulé « Procès-verbal de visite domiciliaire et de saisie de documents » (et ses annexes relatives aux saisies) est rédigé « En présence de M. [H], administrateur de MBWS », et signé par lui. Ils établissent que l'intéressé a bénéficié de la totalité des droits reconnus à l'occupant des lieux selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, du moins pour ce qui concerne les saisies opérées lors de la visite domiciliaire. Ce n'est donc pas une impossibilité matérielle de remplir les conditions de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier qu'a voulu condamner la chambre commerciale, mais bien une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et de la correspondance, dont les personnes de passage lors de la visite domiciliaire seraient victimes. Une seconde observation portera sur la composante de la vie privée à laquelle s'attache cet arrêt. Ce n'est pas la protection du domicile qui est ici visée, mais bien uniquement celle du droit au respect de la correspondance. Pour la chambre commerciale, il semble que les atteintes portées à ce principe paraissent plus graves lorsque la personne dont les documents ou données sont saisis entretient des relations distendues avec les lieux visités. Enfin, et c'est peut-être l'élément le plus frappant, l'arrêt ne donne aucune définition de la personne de passage. Définir, c'est tracer les contours d'un concept, ce que manifestement la chambre commerciale s'est refusée de faire. La démarche est parfaitement compréhensible. Le but est de retenir une formulation, qui soit à la fois compréhensible, expressive et suffisamment large pour recouvrir une variété de situations, sans devoir a priori en donner une définition synthétique ou en lister toutes les déclinaisons. La notion de « personne de passage », comme celle d' « occupant des lieux », pour laquelle il existe toutefois une définition synthétique mais tautologie (la personne qui occupe les lieux à quelque titre que ce soit), sont des expressions à texture ouverte, selon H.L.A. Hart.8 Il convient maintenant de replacer cet arrêt dans le contexte de l'article 8 de la CESDH et la jurisprudence des chambres commerciale et criminelle de la Cour.

Le premier procès-verbal n'est pas versé aux débats par les parties H.L.A. Hart, Le concept de droit, traduit de l'anglais par M. Michel van de Kerchove, Facultés Universitaires de Saint-Louis, 2006 7 8

2.2.2. - L'article 8 de la CESDH tel que garanti par la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de cassation Propos liminaires sur l'article 6 de la CEDSH J'écarterai brièvement la question de l'article 6 de la CESDH, qui ne concerne qu'indirectement le dossier. On sait que dans l'arrêt Ravon et autres et les arrêts subséquents (Ravon et autres c. France, n° 18497/03, §§ 28-35, Société IFB c. France, n° 2058/04, § 26, Maschino c. France, no 10447/03, § 22, 16 octobre 2008, et Kandler et autres c. France, no 18659/05, § 26, 18 septembre 2008), la CEDH a jugé qu'en matière de visite domiciliaire, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement. Selon elle, le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit de prévenir la survenance de l'opération, soit, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié. Or, dans ces affaires, les requérants n'avaient disposé que d'un recours devant la Cour de cassation pour contester la régularité de la décision prescrivant la visite, ce qui ne leur avait pas permis d'obtenir un examen des éléments de fait fondant les autorisations de visite. La Cour en a conclu que le pourvoi en cassation contre l'ordonnance du juge autorisant les opérations de visite et saisie ne garantit pas un contrôle juridictionnel effectif au sens de l'article 6 § 1 de la Convention (Ravon et autres, précité, §§ 28-35). Il en a résulté une modification de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et des autres textes relatifs notamment aux pouvoirs de visite domiciliaire et de saisies de l'Autorité de la Concurrence et de l'AMF qui reposent toutes sur la même architecture à savoir, une requête présentée par l'autorité administrative devant le JLD, une ordonnance détaillée du JLD, des opérations effectuées en présence d'un officier de police judiciaire, aux côtés des enquêteurs, cet OPJ jouant le rôle « d'interface » entre les parties et le JLD chargé de contrôler les opérations, et enfin un recours a posteriori qui porte aussi bien sur l'autorisation que sur le déroulement des opérations porté devant le même JLD. Cette architecture, qui fait du JLD à la fois le juge de l'autorisation, du contrôle et de la régularité, est d'ailleurs contestée aujourd'hui devant vous, soit au fond par l'invocation d'une violation de l'article 6 CESDH, soit par la voie de questions prio[I]ires de constitutionnalité invoquant une violation du principe d'impartialité des juridictions. On notera d'ailleurs que par décision du 25 octobre 2022 la chambre criminelle a renvoyé l'une de ces QPC au Conseil constitutionnel.9 Mais ces questions n'étant pas en cause dans le présent pourvoi, je m'attacherai uniquement à examiner l'application de l'article 8 de la CESDH par la CEDH et par la Cour de cassation et les références au respect de la vie privée figurant dans les documents de l'AMF.

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QPC incidentes aux pourvois n° 22-83.701, n° 22-83.757, déposées les 22 septembre et 3 octobre 2022 critiquant l'article 16 B du livre des procédures fiscales, confiés à la chambre criminelle car les arrêts attaqués ont été rendus par des chambres de l'instruction

Les documents de l'AMF Si le Règlement général de l'AMF10 ne mentionne pas le respect de la vie privée, la charte des enquêtes11 fait une référence explicite à ce principe à deux reprises. D'abord (page 15), le dossier d'enquête doit répondre à quatre objectifs principaux, le respect de « la confidentialité des données collectées, lors de leur exploitation dans le cadre de l'enquête : en tenant compte, sans toutefois que cela nuise aux investigations, des contraintes liées au secret des affaires ainsi que du respect de la vie privée... » Ensuite (page 18), parmi les principes applicables aux enquêteurs, « Le principe de proportionnalité implique de tenir compte, sans nuire aux investigations, des contraintes opérationnelles, techniques et professionnelles comme de la protection de la vie privée. Les enquêteurs s'efforcent ainsi, dans la mesure du possible, de limiter l'effet des actes réalisés sur la vie des personnes morales et physiques concernées ».12 La Cour européenne des droits de l'homme Sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la CEDH retient que si l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui organise le droit de visite domiciliaire et de saisies de l'administration fiscale, peut constituer une ingérence dans l'exercice du droit du requérant au respect de sa vie privée et de son domicile du fait de la visite domiciliaire et des saisies litigieuses, cette ingérence est prévue par la loi et vise les buts légitimes, au sens de l'article 8 § 2, du bien-être économique du pays et de la prévention des infractions pénales, et peut être nécessaire dans une société démocratique (CEDH, 16 octobre 2008, n° 10447/03, Affaire Maschino c/ France, § 29). La pratique des visites domiciliaires et saisies pour collecter des éléments de preuve de délits et en poursuivre leurs auteurs n'échappe pas à cette exigence, celles-ci devant être circonscrites dans leur étendue, la législation et la pratique internes devant offrir des garanties adéquates et suffisantes contre les abus. Ces exigences sont encore renforcées en cas de visites domiciliaires et de saisies pratiquées dans le cas des visites et saisies domiciliaires opérées dans des cabinets d'avocats (CEDH 24 juillet 2008, André c. France, n° 18603/03 § 46). Le « Guide sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance » Le Règlement général de l'AMF dans sa dernière version est consultable à l'adresse suivante : https://www.amf-france.org/fr/eli/fr/aai/amf/rg 11 La Charte de l'enquête (mise à jour le 17 octobre 2017) est consultable à l'adresse suivante : https://www.amf-france.org/sites/default/files/2020-02/charte-de-lenquete.pdf 12 Ce principe a de nouveau été rappelé dans le discours de clôture de Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'AMF - 15e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mercredi 5 octobre 2022, consultable à l'adresse : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/prises-de-parole/discours-de-cloturede-benoit-de-juvigny-secretaire-general-de-lamf-15e-colloque-de-la-commission 10

consacre plusieurs paragraphes sur les visites et saisies domiciliaires sans les distinguer des perquisitions.13 Selon ce document, « La Cour peut examiner les perquisitions non seulement sous l'angle du droit au respect du domicile ou du droit au respect de la vie familiale, mais aussi sous l'angle du droit au respect de la vie privée (Vinks et Ribicka c. Lettonie, 2020, § 92 ; Yunusov c. Azerbaïdjan (n° 2), 2020, concernant la fouille des sacs et bagages des requérants, § 148). L'ingérence doit être justifiée conformément au second paragraphe de l'article 8 - en d'autres termes, elle doit être prévue par la loi, viser un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ledit paragraphe et être nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce ou ces buts (Vinks et Ribicka c. Lettonie, 2020, §§ 93-104, et les référence qui y sont citées) [...] ».14 S'agissant de la condition de prévision par la loi, le Guide indique que « La loi en question doit être compatible avec la prééminence du droit. Dans le contexte de perquisitions et de saisies, elle doit offrir une certaine protection à l'individu contre des ingérences arbitraires dans l'exercice par lui de ses droits tels que garantis par l'article 8. Ainsi, le droit interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à prendre pareilles mesures. Par ailleurs, les perquisitions et saisies représentent une atteinte grave au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance. Partant, elles doivent se fonder sur une loi d'une précision particulière. L'existence de règles claires et détaillées en la matière apparaît indispensable (Petri Sallinen et autres c. Finlande, §§ 82 et 90) ».15 Le même document ajoute :16 « 472. Les mesures intrusives du domicile doivent être prévues par la loi, ce qui inclut le respect de la procédure légale (L.M. c. Italie, 2005, §§ 29 et 31) et des garanties existantes (Panteleyenko c. Ukraine, 2006, §§ 50-51 ; Kilyen c. Roumanie, 2014, § 34), poursuivre l'un des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l'article 8 (Smirnov c. Russie, 2007, § 40) et être nécessaire dans une société démocratique à la poursuite de ce but (Camenzind c. Suisse, 1997, § 47). 473. Poursuivent un but légitime, par exemple, des mesures prises aux fins de la protection de la concurrence économique par l'Autorité en matière de concurrence (DELTA PEKARNI a.s. c. République thèque, 2014, § 81) ; de la répression des fraudes fiscales (Keslassy c. France, (déc.), 2002 ; K.S. et M.S. c. Allemagne, 2016, § 48 [...] 474. La Cour contrôle ensuite le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués pour justifier de telles mesures, le respect du principe de proportionnalité dans les circonstances de l'affaire (Buck c. Allemagne, 2005, § 45), et si la législation et la pratique pertinente fournissent des garanties adéquates et suffisantes pour empêcher les autorités de prendre des mesures arbitraires (Gutsanovi c. Bulgarie,

« Guide sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme - Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance », préparé au sein du greffe de la Cour européenne des droits de l'homme, mis à jour au 31 août 2022, voir notamment les §§ 237 et 468 14 Idem, p. 66, § 237 15 Ibidem, p. 121, § 469 16 Ibidem, pp. 122 et suiv., §§ 472 et suiv. 13

2013, § 220 ; pour les critères applicables, voir Ilya Stefanov c. Bulgarie, 2008, §§ 38-39 ; Smirnov c. Russie, 2007, § 44) ». Cette dernière décision Ilya Stefanov c. Bulgarie indique ainsi que « Pour déterminer si ces mesures étaient nécessaires dans une société démocratique, la Cour doit rechercher l'existence de garanties effectives contre l'abus ou l'arbitraire en droit interne et vérifier la manière dont ces garanties jouaient dans le cas d'espèce examiné. A cet égard, les éléments pris en considération sont la gravité de l'infraction au regard de la mesure de recherche et de saisie, si ces mesures ont été poursuivies sur le fondement d'une autorisation délivrée par un juge [judge] ou un magistrat [judicial officer] - ou soumise postérieurement à un contrôle juridictionnel -, si l'autorisation est fondée sur des soupçons raisonnables et si son champ d'application a été raisonnement limité. La Cour doit aussi vérifier la manière selon laquelle la mesure a été exécutée, et - lorsque le bureau d'un avocat est concerné - si cette mesure a été menée en présence d'un observateur indépendant chargé de s'assurer que la saisie ne porte pas sur des documents protégés par le secret professionnel. La Cour doit enfin prendre en considération l'étendue des possibles répercussions sur le travail et la réputation des personnes affectées par la recherche (Camenzind c. Suisse, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, pp. 2893-94, § 45 ; Buck c. Allemagne, no 41604/98, § 45, CEDH 2005-IV ; Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 44, CEDH 2007-... ; et Wieser and Bicos Beteiligungen GmbH, précité, § 57) »17 Par ailleurs, il convient de préciser que, s'agissant des saisies des correspondances électroniques qui sont discutées dans le présent pourvoi, la CEDH a condamné la France pour violation de l'article 8 à la suite d'une saisie massive et indifférenciée par l'Autorité de la concurrence de messageries électroniques professionnelles de certains employés d'une société requérante, qui comprenaient certains échanges entre un avocat et son client. La CEDH relève que les requérants n'ont pu ni prendre connaissance du contenu des documents saisis, ni discuter de l'opportunité de leur saisie et qu'il appartenait au juge, dès lors que le secret entre l'avocat et son client était en cause d'effectuer un contrôle de proportionnalité (CEDH, Vinci construction et GTM Génie civil et services c. France, n° 63629/10 et 60567/10, du 2 avril 2015, §§ 77-81). On ajoutera que la CEDH ne fait pas de distinction selon le texte appliqué en considérant, comme vous le faites, que les pouvoirs de visites domiciliaires et de saisies obéissent, de manière générale, aux mêmes règles qu'elles soient menées par l'administration fiscale ou l'Autorité de la concurrence. Elle a ainsi jugé, sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention dans l'affaire Canal Plus et autres c. France (21 décembre 2010, n° 29408/08, §§ 56 et 57), que les garanties présentées par la législation et la pratique des visites et saisies domiciliaires en matière de pratiques anti-concurrentielles étaient suffisantes selon la motivation suivante : « 56. Par ailleurs, comme l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'article L. 450-4 du code de commerce énonce un certain nombre de garanties : d'une part, il prévoit une autorisation judiciaire préalable du juge qui vérifie si la demande d'autorisation est fondée ; d'autre part, les opérations de visite et saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle de ce même juge, qui désigne un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et de le tenir informé, qui 17

Traduction libre, la décision n'étant disponible qu'en langues anglaise et bulgare

peut à tout moment décider de la suspension ou l'arrêt de la visite, et qui peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. En outre, il prévoit un recours en contestation du déroulement des opérations de visite et saisie auprès du juge les ayant autorisées dans un délai de deux mois. 57. Il ne ressort pas du dossier que la procédure n'ait pas été respectée en l'espèce. La Cour relève que, dans son ordonnance, le juge a circonscrit la visite et désigné nommément neuf officiers de police judiciaire chargés de le tenir informé du déroulement des opérations. Il a également précisé les conditions de désignation des enquêteurs habilités à procéder aux visites. L'ordonnance du juge informait également les personnes concernées des voies des recours pour contester la régularité des opérations. Enfin, la Cour relève que les requérantes ont pu soumettre les opérations de visite et saisie au contrôle des autorités judiciaires qui ont vérifié leur régularité par des décisions dûment motivées ». S'il n'existe pas d'arrêt de la CEDH faisant application de l'article 8 de la Convention à l'occasion des pouvoirs d'enquête de l'AMF, il y a lieu de penser que les solutions seront les mêmes pour l'AMF. Cette autorité n'est pas moins chargée que l'Autorité de la Concurrence ou l'administration fiscale des mêmes objectifs de bien-être économique du pays, de défense de l'ordre et de prévention des infractions pénales, tels que visés à l'article 8 § 2 de la CESDH. On rappellera à cet égard que l'AMF a notamment pour mission « de veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers ».18

La Cour de cassation Dans le domaine voisin des visites domiciliaires et des saisies de l'administration fiscale, dont on a dit qu'elles inspiraient les pouvoirs d'enquête de l'AMF, vous jugez que « les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui organisent le droit de visite des agents de l'administration des impôts et le recours devant le premier président de la cour d'appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle ainsi que du droit d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale, de sorte que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et du domicile est proportionnée au but légitime poursuivi ; qu'ainsi elles ne contreviennent pas à celles des articles 8 et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme » (Com. 8 décembre 2009, n° 08-21.017, Bull. N° 162). Vous jugez de même quant à la conformité de l'article L. 450-4 du code de commerce au regard notamment de l'article 8 de la CESDH (Crim., 8 nov. 2017, n° 16-84.525 ; Crim., 26 janv. 2022, n° 17-87.359). Si le principe de la conventionnalité des dispositions relatives aux visites domiciliaires et aux saisies en matière fiscale et de concurrence a été affirmé, ce dont on peut penser que la solution serait identique pour les visites domiciliaires de l'Autorité de la concurrence et de l'AMF, vous avez tout de même apporter des précisions sur des situations pouvant donner lieu à discussion.

18

Rapport annuel 2021 de l'AMF, précité, p. 10

Tout d'abord, il est de jurisprudence constante que le juge peut autoriser des visites et saisies destinées à rechercher la preuve des agissements visés par la loi en tous lieux même privés où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus même si ces lieux ne constituent pas le domicile ou les locaux professionnels du contribuable dont la fraude est présumée (Com., 8 janv. 1991, n° 89-18.264, Bull. N° 19). Les lieux visités étaient en l'espèce les locaux commerciaux de la société de transport des marchandises exportées par la société soupçonnée. La solution est constante (Com., 16 déc. 1997, n° 95-30.237, Bull. IV). Rapporté au présent pourvoi, il est possible de dire que des saisies régulières peuvent intervenir dans le lieu visité, serait-il de passage, en l'espèce des marchandises, dès lors que sont susceptibles de s'y trouver des éléments de preuve intéressant l'enquête. Concernant la chambre commerciale, il me semble qu'il est possible de distinguer trois catégories de personnes : l'occupant des lieux et/ou le contribuable soupçonné pour l'article L. 16 B, la personne en relation d'affaires avec elle et, enfin, le tiers à la procédure. Ainsi, en retenant que l'administration fiscale, auteur de la saisie, n'établit pas le lien entre le destinataire de la correspondance litigieuse et la société dans les locaux de laquelle elle a été saisie, et que cette pièce concerne un tiers à la procédure dirigée contre la société, le juge de l'autorisation a légalement justifié sa décision [d'ordonner la restitution de ce document] (Com., 15 oct. 1996, n° 94-12.383, Bull. N° 240). En revanche, dès lors que les objets saisis peuvent servir à l'enquête et rentrent dans le champ de l'autorisation de visite et de saisies, la personne en relation d'affaire avec la personne soupçonnée ne peut en contester la validité. La chambre commerciale a ainsi décidé, pour l'application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qu'ayant relevé que les autorisations de visite et saisie domiciliaire ont été sollicitées pour établir d'éventuelles ventes sans facture de la part d'une société, le président du tribunal, qui retient qu'il était "légitime" de saisir les éléments comptables de personnes pouvant être en relations d'affaires avec cette société et qui n'a pas constaté qu'avaient été saisies des pièces n'entrant pas dans le champ de l'autorisation accordée, n'a pas méconnu l'étendue de ses pouvoirs (Com., 21 janv. 1997, n° 94-18.855, Bull. N° 19). La solution est constamment réaffirmée : « Mais attendu, d'une part, que l'ordonnance constate qu'au cours de la visite, l'examen des données accessibles à partir de l'ordinateur de M. [T] avait révélé la présence de documents en rapport avec la fraude présumée et que les agents de l'administration avaient alors procédé à une analyse directe approfondie des données accessibles puis opéré une extraction sélective de fichiers pour les copier en quatre exemplaires dont trois destinés aux trois occupants ; que, répondant aux conclusions, l'ordonnance retient que cette extraction de fichiers avait été faite à partir de répertoires dont l'intitulé était en lien avec l'autorisation de recherche et que l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ne limite pas l'autorisation de saisie aux documents appartenant aux personnes visées par des présomptions de fraude, ou émanant d'elles,19 mais permet d'appréhender des documents comptables de personnes pouvant être en relation d'affaires avec elles, y compris 19 Souligné par nous

des pièces pour partie utiles à la preuve des agissements présumés ; que le premier président a pu déduire de ces constatations et appréciations que l'autorisation de saisie n'avait pas été dépassée et qu'il n'était pas démontré que les saisies opérées avaient un caractère massif et indifférencié prohibé par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » (Com., 4 nov. 2014, n° 13-20.322). « Mais attendu, d'une part, qu'après avoir énoncé que l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ne limite pas l'autorisation de saisie aux documents appartenant ou émanant des personnes visées par les présomptions de fraude mais permet la saisie de toutes les pièces se rapportant aux agissements frauduleux et ainsi de tous les documents des personnes physiques ou morales en relations d'affaires avec la société suspectée de fraude, pourvu qu'ils soient utiles, ne serait-ce que pour partie, à la preuve de la fraude, l'ordonnance constate que les documents saisis sous les numéros 15171 à 15 172 et 15 013 à 15 014 concernent la société Ordem Certa Trabalho Temporario, et que les autres sont adressés tant à la société Ordem Certa qu'à la société EGB et que cette dernière était en relation d'affaires avec la société Ordem Certa Trabalho Temporario de sorte que leur saisie était régulière ; qu'en l'état de ces motifs, le premier président a légalement justifié sa décision ; » (Com., 7 mai 2019, n° 17-27.851). La chambre criminelle semble moins s'intéresser à la personne à l'encontre de laquelle la saisie est effectuée et bien plus à la constitution des preuves pouvant servir à l'enquête. Pour l'application de l'article 450-4 du code de commerce, la saisie est valable si elle porte sur des documents au moins en partie utile à l'enquête et rentrent dans le champ d'application de l'autorisation délivrée par le juge. Ainsi, la chambre criminelle juge que, si l'Autorité de la concurrence ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie, il ne lui est pas interdit de saisir des pièces pour partie utiles à la preuve de ces agissements ; que le juge, au vu des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a souverainement apprécié que les écrits, supports et données saisis n'étaient ni divisibles ni étrangers au but de l'autorisation accordée (Crim., 14 déc. 2011, n° 10-85.293, Bull. N° 259).

2.2.3. - Critique de la notion de « personne de passage » Nous ne reviendrons pas sur l'accueil des auteurs sur l'arrêt de la chambre commerciale. La variété des réactions ne permet pas de dégager une opinion nette des auteurs, certains approuvant l'arrêt, d'autres le critiquant. Il sera d'abord observé que la notion de personne de passage n'était, jusqu'à présent, jamais utilisée par la chambre criminelle ou la chambre commerciale. Les arrêts font seulement état de « tiers à la procédure » ou de « personne entretenant des relations d'affaires avec la personne suspectée » de ces opérations. La CEDH ne s'est pas non plus prononcée en considération de la notion de personne de passage. Ensuite, le critère de tiers à la procédure ne constitue pas l'élément d'appréciation de la régularité des saisies. Ce n'est que lorsque les documents ne « se rapportent pas » aux agissements soupçonnés, pour reprendre la formulation synthétique du Conseil constitutionnel (Cons. Cons., 11 mars 2022, n° 2022-980 QPC), que les

personnes présentes lors des opérations peuvent invoquer l'irrégularité de la saisie des documents. Quant à l'irrégularité supposée de l'ordonnance d'autorisation du JLD qui ordonnerait la saisie de documents appartenant à un tiers, il n'y a tout simplement aucun précédent puisqu'il est de jurisprudence constante que tous les documents se trouvant sur place ou accessibles depuis les lieux visités, quand bien même ils appartiendraient à un tiers à la procédure, peuvent être saisis.20 Aussi, dès lors que les documents intéressent l'enquête, ils peuvent faire l'objet d'une saisie, même si la personne présente dans les lieux visités n'est pas soupçonnée, ni même visée par l'ordonnance d'autorisation, laquelle doit cependant être suffisamment précise. Je pense donc que sous l'empire de votre jurisprudence classique, la personne de passage n'échapperait pas à ces règles. A cet égard, il me semble qu'il importe peu que l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne désigne que l'occupant des lieux à la différence de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales qui désigne à la fois l'occupant des lieux et la personne soupçonnée de se soustraire à l'établissement ou au paiement de l'impôt, et de l'article L. 450-4 du code de commerce qui désigne à la fois l'occupant des lieux, la personne mise en cause ou encore la personne à l'encontre de laquelle a été ordonnée cette mesure. Comme je l'ai dit plus haut, au-delà des différences textuelles de ces textes, vous avez toujours cherché à unifier le régime des visites domiciliaires et des saisies, ce qui m'apparaît d'ailleurs conforme à l'exigence de prévisibilité du droit. Je pense donc, à titre principal, que tant l'autorisation du JLD que la saisie des documents et de la correspondance électronique de M. [H] intéressaient l'enquête et qu'à ce seul titre, dès lors que les enquêteurs y étaient autorisés par le JLD, ils pouvaient procéder comme ils l'ont fait. Vous pourrez, à défaut, constater que M. [H], en son nom personnel et en qualité de représentant de la société Diana Holding, était présent dans les lieux visités, ce qui suffit aussi à le qualifier d'occupant des lieux. Enfin, si ces éléments ne convainquent pas, vous pourrez constater qu'il n'est pas tiers à la procédure. Il est cité par l'ordonnance d'autorisation du JLD du 19 avril 2017, en qualité de personne soupçonnée. Pour reprendre la terminologie de la chambre commerciale, il entretient l'équivalent d'une « relation d'affaires » avec la société MBWS, puisqu'il exerce les fonctions de mandataire social de cette dernière société. Sur ce premier moyen, je terminerai en soulignant que la notion de personne de passage, ou plus généralement le critère d'un lien (de fait) à établir entre les lieux visités et la personne à l'encontre de laquelle la saisie est effectuée, ne me paraît pas convaincante pour plusieurs raisons.

20

motivé

Cf. La partie de cet avis consacrée à la proposition de rejet non spécialement

D'abord, si vous deviez retenir ce critère, l'autorisation et la saisie de correspondances pourraient être valides si la visite a lieu au domicile même de la personne suspectée et irrégulières si la visite est effectuée dans un « lieu de passage ». On peut s'interroger à la fois sur la protection conférée au domicile qui devrait être renforcée au regard de celle du lieu de passage et les éventuels transports à ce domicile par les enquêteurs pour pratiquer valablement une saisie de correspondances. De plus, la situation des personnes résidant à l'étranger, comme M. [H], qui est résidant marocain, peut aboutir à l'impossibilité de déterminer un domicile. Ensuite, la définition même de la personne de passage risque de poser des difficultés à la Cour de cassation, dans l'exercice de son office, que vous considériez cette notion comme une simple question de fait relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond ou comme une question de droit relevant d'un travail de qualification. Dans la première hypothèse, vous vous retrouveriez, ainsi que les justiciables et les autorités administratives, confrontés à la variété des décisions des JLD et des délégués des premiers présidents territorialement compétents. Dans la seconde hypothèse, il vous faudrait procéder à une unification des solutions qui, compte tenu de la variété des situations, m'apparaît difficile à établir. Enfin, il me semble que la protection conférée aux personnes de passage est de nature à paralyser dangereusement nombre d'enquêtes relatives aux abus de marché, pratiques anticoncurrentielles et soustractions à l'établissement ou au paiement de certains impôts, lesquels reposent souvent sur des subterfuges et des dissimulations. Ainsi, pour établir les preuves de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité de la concurrence n'a pas hésité pas à se rendre dans des lieux publics ou privés qui n'entretiennent pas de liens avec les personnes suspectées. Par les pourvois dont vous êtes saisis, vous avez pu constater que les cartels s'organisent souvent au cours de repas d'affaires et de réunions secrètes organisées dans des hôtels ou des restaurants. Ainsi, la visite domiciliaire et les saisies opérées en février 2006, lors d'un déjeuner dans une brasserie parisienne où des directeurs commerciaux et les responsables de vente d'entreprises industrielles se rencontraient régulièrement pour s'échanger les futurs tarifs, la date des hausses et les rétrocessions accordées aux distributeurs.21 Pour l'application de l'article L. 16 B des procédures fiscales, nous connaissons des cas de sociétés de gestion de fortunes, qui déclarent résider et exercer leur activité à l'étranger et qui sont soupçonnées par l'administration fiscale d'échapper à l'impôt en France. Il arrive ainsi que l'ordonnance du JLD les visant nommément autorise la visite domiciliaire au siège d'une autre société située en France (cf. par exemple, l'ordonnance du délégué du premier président de Paris, 2 décembre 2020, n° 19/11542, ayant donné lieu à un rejet non spécialement motivé dans le pourvoi n° 20-23.117 ou encore l'ordonnance du délégué du premier président d'Aix-enProvence, 28 mai 2020, n° 19/10170 dont le pourvoi a été rejeté de manière non spécialement motivée - n° 20-17.094 et 20-17.095). Je ne doute pas que si l'occasion leur en était donnée, les représentants de ces sociétés étrangères 21 « Concurrence : Dentifrices, shampoings, détachants : l'amende qui fait

mal », Les Echos, N° 21839, vendredi 19 décembre 2014, p. 16 ; « 951 millions d'euros d'amende pour le cartel des produits d'entretien et d'hygiène », La Tribune (France), n° 5611, vendredi 19 décembre 2014, p. 61

surpris dans les locaux visités invoqueraient leur qualité de personnes de passage pour s'opposer à la saisie de leur correspondance et des leurs messageries électroniques.

Je conclus donc au rejet du pourvoi.

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