Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 23-11-2022, n° 21-10.220

Cass. civ. 1, Conclusions, 23-11-2022, n° 21-10.220

A84012RL

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 23-11-2022, n° 21-10.220. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408974-cass-civ-1-conclusions-23112022-n-2110220
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AVIS DE Mme MALLET-BRICOUT, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 829 du 23 novembre 2022 – Première chambre civile Pourvoi n° 21-10.220 Décision attaquée : 13 octobre 2020 de la cour d'appel de Versailles Société OVH C/ Association Juristes pour l'Enfance _________________

Il convient de se référer à l'énoncé des faits et de la procédure tel qu'il résulte du rapport de madame la conseillère rapporteur, de l'arrêt attaqué et des écritures des parties. Le pourvoi formé par la société OVH, initialement dirigé contre la société espagnole Subrogalia S.L., éditeur du site litigieux, et contre l'association Juristes pour l'Enfance (ci-après l'Association), est désormais dirigé uniquement contre cette dernière, en vertu d'un désistement partiel de la société OVH au profit de la société Subrogalia S.L. le 7 mai 2021.

Cet avis se concentrera sur le premier moyen.

Le second moyen pourra faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé, pour les raisons suivantes : Ce moyen vise la violation de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors que 1

l'application de ce texte n'a pas été discutée en appel et qu'il s'agit d'un moyen nouveau, mélangé de fait et de droit. En outre, la prestation de l'hébergeur est uniquement technique : il s'agit, ainsi que le souligne le rapport, d'accueillir des sites internet, de mettre à la disposition des clients un espace afin que ceux-ci puissent y stocker leurs pages web. L'hébergeur n'exerce donc aucune action sur le contenu même des sites hébergés, il ne fait que fournir un accès. Sa propre liberté d'expression n'est ainsi aucunement atteinte dans l'hypothèse d'une demande ou d'une injonction de retrait du site hébergé litigieux. La société OVH n'est pas davantage habilitée à défendre la liberté d'expression de la société Subrogalia S.L., éditrice du site litigieux.

Sur le premier moyen, en ses trois branches : Contexte législatif Responsabilité des acteurs de l'Internet Alors qu'Internet est devenu le lieu privilégié de l'information, de la communication et du commerce, la vigilance quant aux contenus diffusés constitue une préoccupation essentielle du législateur. Depuis une vingtaine d'années, réfutant « une conception utopiste de l'Internet »1, la législation européenne et celle française sont venues (notamment) encadrer la responsabilité des acteurs du Net, dans l'objectif de protéger l'internaute du visionnage de contenus illicites 2 ou encore de l'achat de produits dangereux ou contrefaisants. Tous les acteurs de l'Internet sont ciblés par cette réglementation, et notamment les sociétés d'hébergement de sites web, dont l'activité consiste à héberger des sites créés (ou 'édités') dans différents Etats. Internet ne connaît pas de frontières, du moins dans une certaine mesure, ce qu'illustre cette espèce. La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite « loi pour la confiance dans l'économie du numérique » (ci-après LCEN) a eu pour objet de transposer en droit interne la 1

Sur laquelle voir notamment A. Lepage, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », Comm. Comm.électr. n° 2, Févr. 2002, chron. 5 : « Internet et responsabilité : l'alliance des termes, que semble venir naturellement sceller le droit, a cependant pu sembler dissonante à certains. Des raisons idéologiques expliquent notamment ce rejet. De cette propension qui a parfois été constatée chez les tenants d'une conception utopiste de l'internet à vouloir soustraire celui-ci à l'emprise du droit, il faut sans doute chercher en partie les raisons dans les origines scientifiques du réseau où l'information avait vocation à circuler librement. La conception utopiste de l'internet a pu donner parfois l'impression à certains internautes que celui-ci était, devait être un espace de liberté totale, dans lequel le droit ne pourrait que faire figure d'intrus. C'est l'esprit libertaire de l'internet que l'on tuerait en y imposant, comme dans le "monde réel", certaines restrictions à la liberté d'expression, à la circulation des informations, et en y reconnaissant des responsabilités. Mais il semble aujourd'hui incontestable - pour nombre de sociologues, philosophes, sans même parler des juristes - que le droit a vocation à s'appliquer à l'internet, tantôt au prix de quelques aménagements, tantôt même exactement comme dans le "monde réel". Bref, l'internet, contrairement à ce qui a été parfois soutenu ou souhaité, n'a aucunement vocation à se soustraire au droit, en vertu de ce qui serait alors un privilège totalement injustifiable. »

2 V. encore très récemment, l'action formée en août 2022 auprès de l'Arcom (ex-CSA) par

plusieurs associations de protection de l'enfance pour dénoncer des contenus illicites sur Twitter et demander la suspension du réseau.

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Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (ci-après "Directive sur le commerce électronique"). La LCEN définit largement le « commerce électronique »3, le service d'hébergement de sites internet étant inclus dans son champ. Elle vient notamment préciser le régime de responsabilité des acteurs de l'Internet en cas de publications illicites sur un site web. L'article 6-I-2 de la LCEN définit la notion d'hébergeur ; celle-ci est inspirée de la Directive sur le commerce électronique4. Il s'agit de toutes « personnes physiques ou morales qui assurent même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». L'article 6 encadre par ailleurs le régime de responsabilité des hébergeurs. Ces derniers n'ont aucune obligation générale de surveillance des contenus qu'ils hébergent, ainsi que cela est expressément posé dans la loi5. Plus généralement, la loi pose un principe d'irresponsabilité civile et pénale des hébergeurs (art. 6-I-2), sous réserve de certaines hypothèses : les hébergeurs « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ». 3 Art. 14 LCEN :

Le commerce électronique est l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services. Entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent. 4 V. art. 14 de la directive sur le commerce électronique : l'hébergeur réalise la « fourniture d'un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service ». 5 Art. 6-I-7 LCEN : Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Le précédent alinéa est sans préjudice de toute activité de surveillance ciblée et temporaire demandée par l'autorité judiciaire. V. aussi l'article 15 de la directive : Absence d'obligation générale en matière de surveillance 1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. 2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l'information, l'obligation d'informer promptement les autorités publiques compétentes d'activités illicites alléguées qu'exerceraient les destinataires de leurs services ou d'informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d'identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d'hébergement.

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L'article 6-I-5 pose par ailleurs une présomption de « connaissance des faits litigieux » lorsqu'un formalisme strict est respecté par la personne qui notifie les faits à l'hébergeur. La loi répertorie en outre des activités fondamentalement illicites (apologie de crimes contre l'humanité, provocation à la commission d'actes de terrorisme et leur apologie, incitation à la haine raciale et envers le handicap, l'orientation et l'identité sexuelle, la pornographie infantile, incitation à la violence, atteintes à la dignité humaine). L'hébergement de telles activités est soumis à des règles spéciales de responsabilité, qui ont été récemment renforcées par le législateur6.

Il convient de souligner à cet égard et plus largement, le vif intérêt porté par le législateur européen et français à la responsabilité des acteurs de l'Internet et notamment des hébergeurs. Un règlement européen « Digital Services Act » a été définitivement adopté par le Parlement européen le 5 juillet 20227, qui a pour objectif d'édicter de nouvelles mesures pour combattre les contenus illicites en ligne. Les plateformes en ligne sont les premières visées par le texte, mais les autres acteurs de l'Internet sont aussi concernés par ce règlement, et notamment les hébergeurs. Le texte ne revient pas sur l'absence d'obligation de surveillance des contenus mis en ligne, mais tous les intermédiaires devront renforcer leur transparence en fournissant des informations relatives à leurs procédures de modération des contenus et de gestion des plaintes. Quant aux hébergeurs plus spécialement, ils devront mettre en place un mécanisme de notification des contenus illicites et d'explication de toute décision de retrait d'un contenu8. Le législateur français, quant à lui, a légiféré à plusieurs reprises ces dernières années pour modifier la LCEN et notamment son article 6. Lois et ordonnance se sont ainsi succédé (loi du 24 juin 2020, ordonnance du 15 septembre 2021, loi du 25 octobre 2021, deux lois du 2 mars 2022), outre d'autres textes qui ont eu pour objet de transposer la directive du 17 avril 2019 qui est venue harmoniser les règles de droit d'auteur et de droits voisins dans le marché numérique, certaines dispositions présentant des liens avec la responsabilité des grandes plateformes sur les contenus publiés par leurs utilisateurs. La préoccupation du législateur est ainsi de mobiliser l'ensemble des acteurs d'Internet, y compris les hébergeurs et les plateformes, qui ne réalisent qu'une prestation technique sans pouvoir exercer d'influence sur le contenu même des sites ou messages diffusés. Leur seul pouvoir, dès lors réglementé par le législateur, est le cas échéant de retirer un contenu problématique, ou d'en empêcher l'accès. Une telle réglementation, et son application concrète, doivent alors ménager divers intérêts et principes. Les hébergeurs exercent une activité économique fondée sur l'hébergement de sites 6 V. notamment la loi n° 2022-1159 du 16 août 2022. 7 V. O. de Mattos, Cah. dr. de l'entreprise, juillet-août 2022, Focus page 7 ;

JCP.G. 2022, 761. 8 Le réglement entrera en vigueur le 1er janvier 2024 pour ces acteurs.

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J. Crouzet,

web ; par leurs prestations techniques indispensables, ils participent donc au développement de la société de l'information et du commerce électronique, qui reposent sur un principe fondamental de liberté. Le législateur leur confère toutefois une mission tendant à une forme de régulation du marché du numérique, non pas en leur imposant une obligation de surveillance des contenus des sites hébergés (qui serait sans doute excessive pour des sociétés proposant uniquement une prestation technique), mais en accordant aux tiers la possibilité d'engager leur responsabilité dans l'hypothèse où, dûment informés d'une dérive, ils ne réagiraient pas promptement pour en éviter les conséquences. Une telle responsabilité se justifie par le fonctionnement même d'Internet, notamment sa transversalité géographique, qui rend souvent très difficiles ou vaines les actions menées contre les éditeurs de sites étrangers au contenu illicite. Et ce d'autant plus que les personnes susceptibles d'agir sont très souvent des personnes physiques ou des associations, dont les moyens financiers sont limités. Un tel mécanisme de responsabilité repose néanmoins sur l'existence d'un contenu (activités, informations) « manifestement illicite », au sens de l'article 6-I-2 LCEN. Or, l'articulation des articles 6-I-2 et 6-I-5 n'est pas évidente : la prompte réaction de l'hébergeur est attendue dès lors qu'il a eu connaissance du caractère manifestement illicite des activités ou informations stockées par l'éditeur du site hébergé, et la « connaissance des faits litigieux » est présumée dès lors que le tiers qui a saisi l'hébergeur a respecté un formalisme très strict pour l'informer du contenu du site. Le tiers doit notamment préciser « la description du contenu litigieux, sa localisation précise », et il doit également indiquer « les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible ; cette condition est réputée satisfaite dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au même 2 permet de procéder à la notification par un dispositif technique proposant d'indiquer la catégorie d'infraction à laquelle peut être rattaché ce contenu litigieux » (art. 6-I-5). La question qui peut se poser à la lecture des textes est celle de la portée exacte de cette présomption : dès lors que la notification a respecté les formes requises, la connaissance des faits litigieux est présumée, l'hébergeur doit-il alors retirer le site ou en empêcher l'accès promptement et sans autre appréciation de la situation ? Ou bien doit-il apprécier les arguments juridiques soumis par le tiers avant de réagir ? La première alternative constituerait sans aucun doute un danger pour la liberté de l'information et la liberté du commerce, en laissant à tout tiers et quelles que soient ses motivations, la possibilité d'obtenir le retrait d'un site ou l'empêchement d'y accéder. En outre, l'hébergeur saisi de telles demandes ne peut raisonnablement réagir immédiatement, en effectuant une action contraire à ses intérêts économiques et susceptible de créer un conflit avec ses clients, visés par ce type de demandes. L'hébergeur conserve donc un pouvoir d'appréciation, ce que le Conseil constitutionnel a admis dans une décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, dans le cadre d'une réserve d'interprétation : « 9. Considérant que les 2 et 3 du I de l'article 6 de la loi déférée ont pour seule portée d'écarter la responsabilité civile et pénale des hébergeurs dans les deux hypothèses qu'ils envisagent ; que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information 5

dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge » L'hébergeur a ainsi la responsabilité d'apprécier, lorsqu'il reçoit une notification, le caractère manifestement illicite de l'information diffusée sur le site litigieux9. La tendance législative actuelle est donc clairement orientée vers la responsabilisation des acteurs de l'Internet, et notamment des hébergeurs de sites web, sur le contenu des informations diffusées et stockées. Interdiction de la gestation pour autrui par le droit français La conclusion de contrats de gestation pour autrui (ci-après GPA) a toujours été interdite en France, en dépit des débats qui se poursuivent sur ce sujet et du choix de plusieurs Etats étrangers, y compris européens, de l'autoriser. La stricte législation française est cependant fréquemment contournée par des couples désireux de recourir à ce procédé, le cas échéant à titre onéreux, en se tournant vers des intermédiaires et des mères porteuses à l'étranger, dans des pays où la GPA est autorisée. De ces démarches réalisées à l'étranger naissent plusieurs dizaines d'enfants chaque année, dont le retour en France avec leurs parents (biologiques et d'intention) suscite de grandes difficultés juridiques et administratives (transcription des actes d'état civil étrangers en France), dont le gouvernement, la jurisprudence et le législateur français ont dû se saisir pour parvenir à des solutions respectueuses des droits des enfants nés dans ces circonstances, en dépit de la fraude à la loi française réalisée par leur(s) parent(s) français. Il ressort au final des évolutions de la jurisprudence européenne et de celle française que la priorité est l'intérêt de l'enfant de voir reconnaître une filiation légale conforme à la réalité du lien affectif tissé avec ses parents. La récente loi Bioéthique (2 août 2021) a également légiféré sur le sujet, imposant désormais le recours à l'adoption pour le parent d'intention10, afin d'assurer une correspondance entre le traitement juridique de la situation et la réalité concrète. La GPA reste donc une pratique illégale selon le droit français : un tel contrat est nul (art. 16-7 du code civil), la provocation à l'abandon d'un enfant né ou à naître, ainsi que l'entremise dans le but de conclure un contrat de GPA constituent des délits pénaux (art. 227-12 du code pénal). L'interdiction de la GPA par le droit français fait régulièrement l'objet d'articles de presse en France et est donc connue de tous. Des personnes morales étrangères (agences, cabinets d'avocats ...) assurent néanmoins des prestations d'entremise entre des couples désireux de recourir à une GPA et des mères porteuses, proposant une assistance complète, des premières démarches jusqu'à la remise de l'enfant au couple, voire jusqu'à la transcription de l'acte de naissance dans le pays où résident les parents11. 9 Le Conseil constitutionnel n'évoque dans sa décision que les informations, et non les

activités, pourtant elles aussi visées à l'article 6-I-2. Les requérants avaient fondé leur requête sur une « atteinte à la liberté de communication proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 », comme le précise le Conseil constitutionnel (pt. 6). 10 V. art. 47 c.civ., tel que modifié par la loi Bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021. 11 Outre la société Subrogalia S.L., voir notamment World Center of Baby, qui propose sur

Internet un « programme bébé garanti » et se prévaut d'être « l'agence leader dans le domaine de

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La société Subrogalia S.L. est un cabinet d'avocats espagnol spécialisé dans le domaine de la GPA, dont le siège est situé à Barcelone. Fin 2016, elle se prévalait de 668 demandes de couples français, en produisant des statistiques par département pour la période janvier à septembre 201612. Il convient de préciser que la GPA n'est pas autorisée par le droit espagnol, un récent arrêt rendu par l'assemblée plénière de la cour suprême espagnole est venu rappeler l'état du droit positif, lequel est très proche du droit français en ce domaine 13. Mais l'activité d'agences ou de cabinets espagnols proposant des prestations de GPA avec des mères porteuses en dehors de l'Espagne a pu se développer cette dernière décennie, telle la société Subrogalia S.L. Cette dernière a néanmoins décidé de cesser cette activité, au motif de fortes pressions notamment juridiques et médiatiques, se consacrant uniquement à la réalisation des processus de maternité de substitution en cours, depuis début 201714. C'est dans un tel contexte que doit être envisagé le pourvoi, et notamment la question du caractère 'manifestement illicite' du contenu du site Subrogalia.com hébergé par la société OVH. En l'espèce, le premier moyen du pourvoi est développé en trois branches, portant respectivement sur la loi applicable au litige (I), la caractérisation du contenu manifestement illicite du site hébergé (II), et enfin le caractère personnel du préjudice moral que l'Association allègue avoir subi (III).

I. Première branche - Loi applicable au litige - application de l'article 4 du Règlement « Rome II » La première branche du premier moyen est exprimée dans les termes suivants : « La société OVH fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à l'association Juristes pour l'enfance la somme de 3000 € de dommages et intérêts ;

la GPA en Ukraine » (outre des GPA également réalisées en Colombie ou au Mexique), ou encore GestLife, une société espagnole dont le site est référencé sur internet sous l'intitulé « Gestation pour autrui en France - GPA pour citoyens français », également rédigé en français, soulignant l'assistance fournie et évoquant même la possibilité de mères porteuses en France : « Le processus d'adoption de l'enfant né par gestation pour autrui (GPA) peut être effectué par un avocat de votre pays ou de notre réseau de 11 avocats collaborateurs en France, ou un avocat de votre confiance, et le processus dure entre 9 et 12 mois selon la charge de travail du tribunal de famille de la ville où vous résidez. », « C'est pourquoi nous vous recommandons de contacter un conseiller familial GestLife si vous souhaitez devenir parent par le biais d'une mère porteuse en France. » 12 Subrogalia Statistics - Oct. 2016, voir notamment www.prnewswire.com. 13 V. El Mundo, 5 mars 2022, et https://www.genethique.org/espagne-la-cour-supreme-condamne-la-gpa/, publication 7 avril 2022. 14 V. le message diffusé sur son site internet, notamment en langue française : Subrogalia De vida a otras vidas (https://subrogalia.com/fr/)

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ALORS D'UNE PART QUE la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ; qu'en déduisant l'application de la loi française du fait que le site de la société espagnole Subrogalia, en ce qu'il contrevient explicitement aux dispositions de droit français prohibant la gestation pour autrui, est susceptible de causer un dommage sur le territoire français parce qu'il viole la loi française, et juger en conséquence manifestement illicite le contenu de ce site pour retenir la responsabilité de la société OVH, la cour d'appel qui a statué par un motif inopérant a violé l'article 4 du Règlement Rome II n° 864/2007 du 11 juillet 2007, ensemble l'article 6.I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et l'article 227-12 du code pénal ». Le moyen critique le raisonnement de la cour d'appel de Versailles sur la question de l'application de la loi française au litige. Il se fonde plus spécialement sur le premier paragraphe de l'article 4 du Règlement dit « Rome II » (du 11 juillet 2007) relatif à la loi applicable aux obligations non contractuelles. En l'espèce, la situation juridique globalement envisagée présente de toute évidence un caractère international : l'éditeur du site litigieux a son siège social en Espagne, l'hébergeur du site est une société française ayant son siège social en France, et l'Association qui estime avoir subi un préjudice moral en lien direct avec la faute selon elle commise par l'hébergeur est elle aussi française. La question de la compétence du juge français dans ce litige ne pose pas difficulté et la question des conflits de lois est résolue de manière simple par les textes relatifs au commerce électronique - et notamment à l'hébergement de sites internet. En effet, la Directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000, pose dans son considérant 23 le principe selon lequel elle « n'a pas pour objet d'établir des règles supplémentaires de droit international privé relatives aux conflits de loi ni de traiter de la compétence des tribunaux »15. Quant à la LCEN, elle précise à son article 17 alinéa 1er que « L'activité définie à l'article 14 [commerce électronique] est soumise à la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel la personne qui l'exerce est établie, sous réserve de la commune intention de cette personne et de celle à qui sont destinés les biens ou services ». S'agissant d'une situation internationale et aucune règle spéciale de conflit de lois n'étant posée par le législateur, le règlement dit « Rome II » n° 864/2007 du 11 juillet 2007 est dès lors applicable, plus spécialement son article 4 : « 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. 15 (23) La présente directive n'a pas pour objet d'établir des règles supplémentaires de droit

international privé relatives aux conflits de loi ni de traiter de la compétence des tribunaux. Les dispositions du droit applicable désigné par les règles du droit international privé ne doivent pas restreindre la libre prestation des services de la société de l'information telle que prévue par la présente directive.

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2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique. 3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »

Le raisonnement juridique tenu par la cour d'appel de Versailles quant à la loi applicable au litige est le suivant : après avoir discuté l'illicéité du contenu du site internet édité par la société Subrogalia (p. 9-10), la cour d'appel conclut que le site est destiné à un public situé en France, puis que « violant la loi française, il est susceptible de causer un dommage sur le territoire français », et que « conformément à l'article 4 du " règlement Rome II n° 864/2007 ", la loi française s'applique, peu important le lieu du siège social de la société Subrogalia », pour en déduire enfin que « le contenu du site est donc illicite en France ». Cette analyse achoppe en ce qu'elle repose sur un raisonnement en trois étapes qui ne respecte pas celui imposé par le règlement Rome II. L'arrêt attaqué relève en effet en premier lieu que le site, « violant la loi française », est « susceptible de causer un dommage sur le territoire français » ; il en déduit, en second lieu, que la loi française est applicable, sur le fondement de l'article 4 du règlement, quel que soit le lieu du siège social de l'éditeur ; pour ensuite en conclure, en troisième lieu, que le contenu du site est illicite en France. Or, les règles posées par l'article 4 du règlement imposent un tout autre raisonnement. Selon le premier paragraphe, plus spécialement invoqué par le pourvoi, « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit ». Afin de déterminer la loi applicable, il convient donc, d'abord, d'établir un dommage, puis de constater le lieu de survenance du dommage, ainsi que le souligne justement le mémoire ampliatif (p. 6). Au lieu de cela, la cour d'appel de Versailles évoque maladroitement un dommage susceptible d'être causé sur le territoire français, résultant de la violation de la loi française par le site internet litigieux, puis termine singulièrement son raisonnement par le constat que le contenu du site est illicite en France (alors que c'est bien en raison de cette illicéité, résultant de la violation de la loi, qu'un dommage peut être constitué). En outre, le litige dont il est ici question repose sur la mise en cause, par l'Association, de la responsabilité extra-contractuelle de l'hébergeur à son égard. Le dommage dont il est question en l'espèce est donc celui subi par l'association. Or l'arrêt attaqué envisage, page 10, le dommage de manière abstraite, comme résultant de la violation de la loi et susceptible d'entraîner des conséquences sur le territoire français. Plus loin dans l'arrêt, toutefois, la cour d'appel précise le dommage effectivement subi par

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l'Association, qui résulte de l'atteinte aux intérêts qu'elle défend (voir arrêt attaqué p. 14, et infra, III). Enfin, s'agissant d'un litige portant sur la responsabilité extra-contractuelle de l'hébergeur à l'égard de l'association, les parties étant donc des personnes morales ayant leur siège en France, il ne fait pas de doute que la loi française est applicable au litige. Le caractère international de la situation juridique d'ensemble (en raison de l'édition du site internet dans un Etat étranger) influe en l'occurrence faiblement sur la détermination de la loi applicable. En outre, les textes évoqués plus haut convergent tous vers cette solution. Ainsi, la loi française est bien applicable au litige, sur le fondement de l'article 4 du règlement Rome II, mais plus spécialement en son paragraphe 2, même si le premier paragraphe pourrait aussi servir de fondement le cas échéant. - pour l'application du §116 (qui semble être le fondement sur lequel la cour d'appel de Versailles s'est appuyé, et qui est discuté par le pourvoi) : la décision attaquée a effectivement caractérisé (p. 14) le dommage subi par l'Association, qui résulte de l'atteinte portée à son objet par l'hébergement du site litigieux étranger assuré par la société française OVH ; le dommage est survenu sur le territoire français en raison de l'accès, en langue française et sans aucune difficulté, du public français au contenu litigieux du site, ainsi que l'a souligné la cour d'appel (v. sur ce point, infra, II). - pour l'application du §217, qui est le plus adapté à l'espèce : l'hébergeur, dont la responsabilité est invoquée, et l'Association, personne morale lésée, ont leur résidence habituelle dans le même pays (la France)18, la loi française s'applique donc sans aucun doute sur le fondement de cette disposition. En conséquence, et bien que la rédaction de l'arrêt attaqué soit critiquable sur ce point, la première branche du moyen peut être rejetée, le cas échéant par substitution de motifs afin de rectifier le raisonnement qui permet d'aboutir à l'application de la loi française en l'espèce. II. Deuxième branche - Caractère manifestement illicite du contenu du site La deuxième branche du pourvoi critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu la responsabilité extra-contractuelle de l'hébergeur à l'égard de l'Association, sans avoir 16 « 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à une obligation

non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. » 17 « 2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique. » 18 V. art. 14 alinéa 3 LCEN, qui pose un critère souple de l'établissement géographique des

acteurs du commerce électronique : « Une personne est regardée comme étant établie en France au sens du présent chapitre lorsqu'elle s'y est installée d'une manière stable et durable pour exercer effectivement son activité, quel que soit, s'agissant d'une personne morale, le lieu d'implantation de son siège social. »

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suffisamment caractérisé l'illicéité manifeste du site internet hébergé. Rappelant que « la responsabilité d'un hébergeur de site internet pour n'avoir pas retiré promptement une information dénoncée comme illicite ne peut être retenue que si l'information présente manifestement ce caractère », le pourvoi poursuit en considérant que « la gestation pour autrui fait l'objet de débats et d'options juridiques très différentes selon les pays, [elle] n'est pas unanimement réprouvée par une norme de droit international ; n'est donc pas manifestement illicite un site internet créé et développé en Espagne où la gestation pour autrui est licite, par une société de droit espagnol qui ne propose des prestations d'accompagnement à la gestation pour autrui que dans les pays où la maternité de substitution est légale, de sorte que quand bien même le contenu de ce site serait accessible au public français, aucune activité interdite par le droit français n'est effectivement exercée en France ». Le pourvoi conclut à la violation de l'article 6-I-2 de la LCEN par l'arrêt attaqué, qui a jugé « le contraire, pour retenir la responsabilité de la société OVH au seul motif inopérant que ce site, destiné notamment à un public situé en France, serait susceptible de causer un dommage sur le territoire français où de telles prestations sont interdites ». L'article 6-I-2 de la LCEN dispose : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible. L'alinéa précédent ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa. »

Evoquant « des activités ou des informations stockées », il découle raisonnablement de cette disposition que la responsabilité de l'hébergeur ne peut être engagée que dans l'hypothèse où ce dernier a eu effectivement connaissance du caractère manifestement illicite du contenu du site hébergé (ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère) et qu'il n'a pas agi promptement après en avoir eu connaissance, pour retirer les données en cause ou en rendre l'accès impossible. L'adverbe « manifestement » a été ajouté à l'article 6-I-2 par la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020, dans la suite de la décision déjà citée n° 2004-496 du Conseil constitutionnel en date du 10 juin 2004, qui avait consacré le principe d'irresponsabilité de l'hébergeur sauf si celui-ci avait connaissance du caractère 'manifestement illicite' de l'information (réserve d'interprétation) ou si son retrait avait été ordonné par le juge. Il revient donc à l'hébergeur d'apprécier le caractère manifeste de l'illicéité du contenu du site dénoncé par le tiers qui l'a saisi aux fins de retrait ou d'interdiction d'y accéder, 11

étant souligné que ce caractère peut résulter des hypothèses particulières visées à l'article 6-I-7, ou de toute autre hypothèse sans restriction. Selon le Vocabulaire juridique de l'association H. Capitant, l'illicéité se définit par le caractère de ce qui est « contraire à un texte ordonnant ou prohibant », ou encore de ce qui est « contraire à l'ordre public, aux exigences fondamentales, même non formulées, d'un système juridique », et « plus généralement encore au caractère de ce qui est contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs ». Il apparaît essentiel, afin d'apprécier cette illicéité, de bien distinguer l'activité menée par l'éditeur d'un site dans le cadre de prestations de service (ou de prestations de vente) réalisées dans son propre pays (soumises à la réglementation de ce pays et sur lesquelles l'hébergeur n'a matériellement aucune prise), du contenu d'un site web accueilli par une société d'hébergement et dirigé vers un public en particulier, en l'occurrence le public français (que l'hébergeur peut le cas échéant retirer ou dont il peut empêcher l'accès). C'est bien le contenu du site qui doit (et peut seul) être apprécié par l'hébergeur, au regard de la loi française. En effet, ce qui vaut au sein de nos frontières ne vaut pas forcément au-delà, et la circulation d'informations transfrontières relève de l'essence même d'Internet. L'enjeu de la réglementation européenne et de la LCEN est de trouver le juste équilibre entre le respect de la libre circulation de l'information sur le Net et la sanction des acteurs de l'Internet lorsqu'un contenu viole de toute évidence des droits et libertés fondamentaux, ou la législation à laquelle sont soumis les internautes destinataires/usagers du site, ou encore l'ordre public, les exigences fondamentales, même non formulées, d'un système juridique. La société Subrogalia S.L. se prévaut du fait qu'elle n'exerce aucune activité effective en France, les contrats de GPA étant conclus dans des pays qui l'autorisent et la prestation d'entremise réalisée en Espagne. Le mémoire ampliatif soutient ainsi qu'il n'existe aucun élément de rattachement avec la France, que l'article 227-12 du code pénal n'est pas applicable, que le site internet en question ne fait que fournir des informations aux internautes et enfin, que son contenu même fait débat au niveau international, ce qui exclurait alors toute possibilité de caractériser en l'espèce un contenu « manifestement illicite ». En résumé, pour la société OVH, la seule circulation d'une information sur Internet n'en ferait pas pour autant un contenu manifestement illicite, même si cette information ne correspond pas à la philosophie législative de certains Etats, dont la France (s'agissant de proposer une prestation illégale sur le territoire français). L'activité elle-même d'entremise n'est en effet aucunement proposée sur le territoire français ; si tel avait été le cas19, violant alors ouvertement la loi française, il ne fait aucun doute que le contenu du site aurait été manifestement illicite.

19 V. supra note 11 pour comparaison, les fortes ambiguïtés d'un autre site internet espagnol,

GestLife.

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L'argument fait mouche, car l'on comprend que l'enjeu sous-jacent du retrait intempestif de l'accès au site peut mener à la censure d'informations qui ne correspondraient pas à une ligne étatique définie. Il est certain que l'article 6-I-2 LCEN n'a pas pour objet de pousser les hébergeurs à censurer largement des informations circulant sur le Net. De ce point de vue, il apparaît possible de considérer qu'un site web étranger qui proposerait des prestations illégales au regard du droit français, telles que la cession à titre onéreux de gamètes, le choix d'un donneur sur catalogue, ou encore la gestation pour autrui, ne doit pas faire l'objet d'un retrait ou d'une impossibilité d'accès à l'initiative de l'hébergeur français, si ce site ne fait qu'apparaître sur la Toile du Net, laquelle, par essence, ne connaît pas de frontières. Il en va de la liberté de circulation et d'accès à l'information, y compris en provenance d'éditeurs étrangers, par toute personne intéressée de s'informer sur ce type de prestations, par exemple dans le cadre de recherches académiques, d'enseignements comparatifs, d'une étude journalistique, ou encore pour des motifs personnels liés à l'activité développée par la société éditrice du site web. Sous cette perspective, c'est moins l'article 16-7 du code civil ou encore l'article 227-12 du code pénal, que le principe fraus omnia corrumpit incarné dans l'incitation à frauder le droit français, qui me semble déterminant en l'espèce pour fonder l'illicéité manifeste du contenu du site Subrogalia.com. En effet, les contrats de GPA passés grâce à l'intermédiation de la société Subrogalia S.L. sont conclus à l'étranger et probablement soumis à la loi du pays concerné (même si ce point ne peut être vérifié, aucun modèle de contrat n'étant produit par les parties). En tout état de cause, le site web ne propose aucune activité d'entremise ni la conclusion d'un contrat de GPA qui seraient juridiquement réalisées en France 20, ce qui exclut la violation de l'article 227-12 du code pénal français. Le site litigieux ne comprend en effet aucun contenu qui permettrait de supposer l'exercice d'une telle activité prohibée en France. En revanche, le site Subrogalia.com rend compte de manière très claire de l'intention de la société Subrogalia S.L. d'assister des ressortissants français dans la conclusion de tels contrats (entremise et GPA), en contradiction totale et assumée avec l'ordre public français, qui n'autorise pas la gestation pour autrui, ni l'entremise en ce domaine, et peine à gérer les conséquences juridiques de la conclusion à l'étranger de ces contrats par ses nationaux.21 Ainsi que le relève l'arrêt attaqué (p. 10), le site est directement accessible en langue française depuis la France, son contenu s'adresse clairement aux ressortissants français, il promet un accompagnement complet pour gérer les suites juridiques de la 20 Et pour la même raison, il apparaît également impossible de voir dans ce site une tentative

d'entremise au sens de l'article 227-12 al. 4 c.pén. 21 Au demeurant, le message d'arrêt de ses activités posté (en français) par la société Subrogalia S.L. sur Internet, continue d'encourager ses lecteurs à poursuivre leurs démarches : « Nous animons (sic) à tous les futurs parents à ne pas renoncer dans leur effort, malgré les informations négatives qui secouent la gestation pour autrui jour à jour. (...) tôt ou tard les gouvernements devront obliger à céder devant la réalité. Ne faiblissez pas devant ses informations supposées négatives ou partielles, qui ont le seul objectif de vous inquiéter et d'abandonner avant de commencer. » (Subrogalia De vida a otras vidas : https://subrogalia.com/fr/)

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GPA et revendique d'être davantage qu'un simple intermédiaire. La société Subrogalia S.L. se prévaut ouvertement d'une clientèle française (« nous travaillons avec les clients de 4 pays (l'Espagne, le Royaume Uni, la France et l'Italie) »), pour des prestations d'entremise au sens de l'article 227-12 alinéa 3 du code pénal sans aucun doute possible, et ce de manière habituelle (« 864 clients heureux ») et à titre onéreux (proposant des « packs qui ont un prix fixe »). Même si aucun contrat d'entremise ni contrat de GPA n'est effectivement conclu en France, le contenu du site constitue une incitation à frauder la loi française, en proposant explicitement, spécialement à un public français et en langue française, la conclusion de contrats nuls et illégaux au regard du droit français, ainsi qu'une assistance matérielle et juridique dans ce but, à titre onéreux. Or le législateur français n'est pas du tout indifférent au comportement qui consiste à inciter ou provoquer autrui à commettre une action prohibée. Le droit pénal s'intéresse de près à la question22, ainsi que plusieurs autres codes23. L'article 6 LCEN vise lui-même plusieurs infractions par incitation parmi les hypothèses de contenu manifestement illicite (incitation à la haine et à la violence, provocation à la commission d'actes terroristes). Et la loi de 1881 sur la liberté de la presse (art. 23 et 24) sanctionne également la provocation aux crimes et délits commise notamment « par tout moyen de communication par voie électronique ». Conclure un contrat de gestation pour autrui constitue un délit pénal en application de l'article 227-12 al. 1er du code pénal ; néanmoins, la loi pénale française n'est applicable qu'aux infractions commises sur le territoire de la République (soit, si un fait constitutif a eu lieu sur ce territoire), selon l'article 113-2 du code pénal. La loi de 1881 ne peut donc être applicable à l'espèce. Il reste que plus généralement, l'incitation, en l'occurrence par voie de communication électronique destinée à un public français, de contourner la loi française, constitue une incitation à la fraude, laquelle s'inscrit sans difficulté dans le principe selon lequel « la fraude corrompt tout » (fraus omnia corrumpit). Ainsi que le soulignent les professeurs Roland et Boyer24, cet « adage de la plus haute volée sert parfois de visa unique à des arrêts de cassation » ; il a pour objet de « garantir la loyauté des rapports juridiques », la fraude étant « la mère de toutes les tromperies qui peuvent infecter les rapports de droit ». La fraude est ainsi présentée comme étant « fondamentalement une soustraction, une frustration imposée à autrui ou 22 V. l'article 121-7 al. 2 qui définit la provocation à commettre une infraction (« Est également

complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre »), et parmi d'autres, l'article 22313 sur la provocation au suicide, l'article 412-8 sur la provocation à s'armer illégalement, l'article 227-21 sur la provocation faite à un mineur de commettre un crime ou un délit, l'article 227-18-1 sur la provocation de mineurs au trafic de stupéfiants, l'article 433-10 sur la provocation à la rébellion, ainsi que les dispositions relatives à l'incitation à la haine et à la violence, ou encore à l'incitation à commettre un acte terroriste. 23 Code des transports, code de la justice militaire, code de la sécurité intérieure, code du

sport... V. aussi la question écrite au Premier ministre, n° 09864, JO Sénat 17 mai 1990, relative à la publication d'ouvrages incitant à enfreindre les lois de la République ; et le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion fiscale, qui juge nécessaire de « créer un délit spécifique d'incitation à la fraude fiscale comportant notamment la répression du démarchage et de la publicité pour des dispositifs d'évasion fiscale » (oct. 2013). 24 Adages du droit français, éd. Litec, n° 141 V° Fraus omnia corrumpit.

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à la loi », elle peut « tout entacher ». Les auteurs poursuivent en observant que « toute fraude à la loi se répercute sur l'homme, si l'on veut bien considérer que la loi incarne l'intérêt de la société toute entière ». Techniquement, la fraude à la loi ne peut s'entendre que d'une loi impérative, le droit international privé demeurant « un terrain favorable à la fraus legis ». MM. Roland et Boyer terminent leur long exposé sur cet adage en relevant la « super-légalité de la maxime », qui peut jouer lorsque le législateur n'a pas prévu expressément la fraude25. Dans un autre ouvrage26, ils définissent le fraudator (fraudeur) comme toute personne dont le « comportement antijuridique » consiste « à tourner la loi sans la violer ouvertement ». L'ensemble des éléments incitant à la fraude à la législation française sur la GPA a été suffisamment caractérisé par l'arrêt attaqué, et c'est bien ce contenu précis, non l'activité au sens de la prestation elle-même proposée sur le site Subrogalia.com, qui constitue le fondement de la responsabilité de l'hébergeur en l'espèce. En considération de la diversité des législations applicables en ce domaine, il n'appartient pas à l'hébergeur français de retirer ou d'empêcher l'accès à un site qui ne ferait que contenir des informations ou proposer une prestation légale à l'extérieur de nos frontières, à moins de s'ériger alors en censeur de la liberté de circulation des informations27 et de la liberté du commerce. Dans un tel cas, l'illicéité manifeste du contenu du site en question ne me paraîtrait pas caractérisée. En revanche, la responsabilité de l'hébergeur peut être engagée en application de l'article 6-I-2 LCEN, s'il n'a pas réagi promptement et efficacement au signalement d'un contenu encourageant sans ambiguïté les internautes à frauder la loi française. Sous cette perspective, l'arrêt attaqué présente une motivation ambigüe. En effet, page 10, la cour d'appel de Versailles relève succinctement et à propos de la caractérisation du dommage, que « violant la loi française, il [le site] est susceptible de causer un dommage sur le territoire français ». Mais plus loin, pages 12-13, elle fonde la caractérisation du contenu manifestement illicite sur l'activité menée par la société Subrogalia S.L. : « Considérant que ce caractère manifestement illicite ne peut être que la conséquence d'un manquement délibéré à une disposition de droit positif explicite et dénuée d'ambiguïté ; (...) Considérant que, au regard des captures d'écran précitées, le contenu du site était, à l'évidence, " manifestement illicite " en ce qu'il contrevenait explicitement aux dispositions de droit français- dépourvues d'ambiguïté- prohibant la gestation pour autrui ; que l'éditeur a, ainsi, manqué délibérément à une disposition de droit positif explicite et dénuée d'ambiguïté ; Considérant que la société OVH en était informée par la notification adressée le 13 juin 2016 comprenant toutes les pièces utiles ; Considérant qu'il incombait donc à la société OVH d'agir promptement »

En réalité, le site ne contrevient pas délibérément à une disposition de droit positif explicite du droit français puisqu'il ne propose pas d'entremise ou de contrat de GPA sur le territoire français ; en revanche, son contenu reste manifestement illicite en ce 25 Les auteurs évoquent par ailleurs de nombreux exemples de fraudes sanctionnées par la loi. 26 Locutions latines du droit français, éd. Litec, p. 145, V° Fraudator. 27 Sous réserve bien sûr d'informations, images, vidéos.. attentatoires à la dignité humaine ou

aux droits et libertés fondamentaux.

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qu'il s'inscrit sans ambiguïté dans la maxime fraus omnia corrumpit, par l'incitation du public français à frauder l'ordre public français. Il convient de souligner, enfin, que les dispositions de la LCEN sont strictes sur la teneur de la réaction attendue de l'hébergeur en cas de contenu illicite : signaler le contenu sur la plateforme dédiée28 et/ou tenter de joindre l'éditeur du site pour lui indiquer le signalement reçu ne suffit pas, la loi requérant de l'hébergeur qu'il agisse « promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ». L'objectif de la LCEN est bien de contraindre les hébergeurs à réagir rapidement et efficacement en cas de contenu illicite, afin de pallier l'inertie d'un signalement ou d'une action judiciaire dirigée vers l'éditeur du site litigieux, notamment lorsqu'il est établi à l'étranger. L'arrêt attaqué, pour consacrer la responsabilité de la société OVH, relève divers éléments démontrant que le site est clairement orienté vers un public français tout en proposant une prestation de services interdite par la loi française. La cour d'appel souligne que la prestation proposée constitue « un manquement délibéré à une disposition de droit positif explicite et dénuée d'ambiguïté »29, ce dont la société OVH a été dûment informée par le courrier de l'Association. La cour d'appel précise ensuite (p. 12-13) que la société OVH a certes réagi, mais de manière trop mesurée, alors même que le contenu du site apparaissait manifestement illicite au regard de la loi française, et qu'elle a ainsi manqué aux obligations imposées par l'article 6-I-2 de la LCEN. Les juges concluent (p. 13) que la société OVH aurait dû rendre l'accès au site impossible sur le territoire français, en prenant « toutes mesures techniques à cet effet, qu'elles qu'en soient les conséquences ». Sur ce dernier point, qui est critiqué par le mémoire ampliatif 30, il peut être relevé un arrêt récent de la CJUE relatif à la portée spatiale du retrait d'informations illicites mis à la charge d'un hébergeur. Une députée autrichienne avait en effet obtenu, sur le fondement de la directive sur le commerce électronique, qu'un contenu la concernant soit retiré par Facebook Ireland Limited, hébergeur du message jugé injurieux et diffamatoire par une juridiction autrichienne. L'accès à ce contenu avait toutefois été rendu impossible uniquement depuis l'Autriche et la Cour suprême autrichienne souhaitait savoir si l'article 15 de la directive (exemptant les hébergeurs de toute 28

En l'occurrence, la plateforme PHAROS (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements), un site web créé en 2009 par le Gouvernement français pour signaler des contenus et comportements en ligne illicites. Cette plateforme est ouverte à tout type de signalement par toute personne physique ou morale. Le signalement est ensuite orienté vers un service d'enquête (Police nationale, Gendarmerie nationale, Douanes, GGCCRF), ou vers Interpol si le contenu a été édité à l'étranger. Les délais de traitement peuvent donc être longs, notamment dans la dernière hypothèse car Interpol saisira alors les autorités judiciaires du pays concerné.

29 V. page 13 : « au regard des captures d'écran précitées, le contenu du site était, à l'évidence,

" manifestement illicite " en ce qu'il contrevenait explicitement aux dispositions de droit françaisdépourvues d'ambiguïté- prohibant la gestation pour autrui ». L'éditeur a « manqué délibérément à une disposition de droit positif explicite et dénuée d'ambiguïté ».

30 au motif de l'inadaptation d'une injonction de rendre le site inaccessible sur le sol français, car

l'hébergeur ne pourrait que débrancher le serveur sur lequel l'hébergement est assuré, ce qui impliquerait des conséquences à l'égard de tous les publics, non ceux seulement français (v. MA p. 11).

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obligation générale de surveillance du contenu stocké) pouvait empêcher les tribunaux nationaux de prononcer des injonctions ayant des « effets s'étendant à l'échelle mondiale » (pt 48). La CJUE répond dans une décision en date du 3 octobre 2019 (aff. C-18/18, Eva Glawischnig-Piesczek)31, que la directive ne prévoit à cet égard « aucune limitation, notamment territoriale, à la portée des mesures que les États membres sont en droit d'adopter conformément à [la directive « commerce électronique »] » (pt 49). Elle renvoie toutefois aux Etats membres la responsabilité de prononcer des mesures à effet mondial, car ceux-ci doivent veiller à ce que les mesures qu'ils adoptent respectent les « règles applicables au niveau international », sans toutefois préciser quelles sont ces règles (pt 51). En tout état de cause, cette affaire atteste qu'il est techniquement possible d'empêcher l'accès à certains contenus sur un territoire donné32, et qu'un éventuel effet mondial de la mesure d'injonction n'est pas, en lui-même, contraire à la directive du 8 juin 2000. En l'espèce, le site Subrogalia.com n'est plus accessible à partir du territoire français, le mémoire en défense indique que l'accès en a été rendu impossible par la société OVH à l'issue du jugement de première instance (MD, p. 18).

En conclusion, mon avis est dans le sens du rejet de la seconde branche du premier moyen, mais en précisant le fondement précis de la caractérisation de l'illicéité manifeste du contenu du site, afin d'éviter toute 'surinterprétation' de l'arrêt à venir, le cas échéant. La décision à venir pourrait ainsi marquer son attachement à la liberté de circulation des informations sur l'Internet, puis souligner la circonstance, relevée justement par l'arrêt attaqué, que le site litigieux, rédigé en français, visait spécialement à inciter un public français à violer l'ordre public français, en proposant explicitement un accompagnement complet des couples concernés, matériel et juridique, caractérisant l'infraction d'entremise au sens de l'article 227-12 al. 3 du code pénal, et encourageant à la conclusion, par des couples français, d'un contrat de gestation pour autrui à l'étranger, pourtant prohibé par le droit français. C'est donc une exigence fondamentale de notre droit, formulée dans divers textes de notre législation (v. supra, p.16), en l'occurrence l'incitation ou la provocation à frauder la loi française, rattachée à l'adage fraus omnia corrumpit, qui me paraît devoir fonder explicitement ce rejet et permettre d'aboutir à une décision équilibrée sur la responsabilité des hébergeurs de sites internet au sens de l'article 6-I-2 LCEN. III. Troisième branche - Préjudice moral personnel de l'Association Le mémoire ampliatif considère que l'Association n'a pas établi un préjudice moral personnel, qui résulterait directement de la faute reprochée à la société OVH, à savoir l'absence de prompt retrait du site internet Subrogalia.com. La cour d'appel aurait ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 6-I.2 de la loi n° 2004-575 31 Voir M-E. Ancel, Chr. « Un an de droit international privé du commerce électronique »,

Communic.comm.élec. janv. 2020, 1, spéc. n° 12. 32 Chacun sait par ailleurs que certains Etats étrangers utilisent ce procédé pour limiter

le droit à l'information de leurs citoyens.

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du 21 juin 2004,ensemble l'article 1240 du code civil. La cour d'appel de Versailles a jugé dans l'arrêt attaqué (p. 13-14) : « Considérant qu'il appartient à l'association de rapporter la preuve du préjudice que lui a causé la faute de la société ; Considérant que, compte tenu de la nature des informations présentes sur le site, le maintien de celles-ci malgré la mise en demeure adressée par l'association a créé à l'association - dont l'objet est la défense de l'intérêt des enfants et la protection de l'enfance - un préjudice moral que le tribunal a exactement apprécié ».

L'arrêt attaqué a en outre relevé plus haut (p. 8-9), que l'Association a, dans ses écritures d'appel, insisté sur son objet, la défense des droits des enfants, et soutenu « que la société hébergeant le site internet litigieux en France viole le droit positif français et porte atteinte à l'intérêt collectif et supérieur des enfants protégé par la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) du 20 novembre 1989 ». La reconnaissance d'un préjudice moral est-elle légitime et la justification de son caractère personnel suffisante dans l'arrêt attaqué ? La Cour de cassation reconnaît de longue date la possibilité pour une personne morale de se prévaloir d'un préjudice moral. Le pourvoi tend à mettre en question la caractérisation d'un préjudice personnel dans cette hypothèse, alors même qu'un tel préjudice constitue à la fois une condition substantielle de l'action en responsabilité et une condition processuelle (v. art. 31 du code de procédure civile). Le caractère personnel du préjudice moral subi par une personne morale, notamment une association, a pu être discuté sur le principe, dans la mesure où ce caractère relève en principe d'une appréciation subjective alors que les associations défendent des intérêts généraux abstraits33. Reconnaître l'existence d'un préjudice moral personnel subi par une association en raison de l'atteinte portée aux intérêts qu'elle défend suppose ainsi de relativiser l'existence du caractère personnel du préjudice dans le droit positif actuel et d'admettre la possibilité d'un préjudice collectif, qui « n'atteint pas l'universalité de l'intérêt général, sans se réduire pour autant à une somme d'intérêts individuels »34. La jurisprudence a évolué sur cette question, ouvrant largement aux associations l'action en défense de l'intérêt général envisagé sous tel ou tel aspect particulier, ainsi que le relève la doctrine35. Elle admet désormais que « même hors habilitation législative et en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social » (Civ.1. 18 septembre 2008, n° 0633

Sur ce débat, voir M. Bacache-Gibeili, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, Tome 5, 4e éd. Economica, 2021, n° 420 ; P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd. Lexisnexis, 2018, n° 200. 34 P. Brun, op.loc.cit. 35 P. Malaurie, L. Aynès, P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e

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éd. LGDJ, 2020, n° 143.

22038, publié)36. La Cour de cassation a par ailleurs reconnu la possibilité pour une personne morale de demander réparation pour le préjudice moral qu'elle a subi en raison de l'atteinte portée aux intérêts qu'elle défend. Voir notamment, Crim. 7 avril 1999, n° 98-80067 : «

Vu les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ; Attendu que les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ouvrent l'action civile à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral, découlant des faits, objet de la poursuite, sans en exclure les personnes morales de droit public ; (...) Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile du parc national des Ecrins, les juges du second degré retiennent que l'infraction n'a pas causé de dommage matériel au parc, qui n'est pas propriétaire de la flore et de la faune sauvage mais doit seulement en assurer la protection, et que le préjudice moral, en admettant qu'il puisse exister pour une personne morale autrement que par une fiction de la loi, ne se distingue pas de l'atteinte à l'intérêt général, dont la réparation est assurée par l'exercice de l'action

publique; (...) Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'atteinte portée, par la contravention retenue, aux intérêts que le parc national a pour mission légale de préserver en application de l'article L. 241-1 du Code rural, caractérise, pour celui-ci, un préjudice personnel découlant directement des faits poursuivis, distinct du trouble social, l'arrêt a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ».

Certes, la question de l'évaluation du préjudice moral peut alors se poser, mais son appréciation relève des juges du fond. En l'espèce, le tribunal de grande instance de Versailles a condamné la société OVH à verser la somme de 3000 euros de dommages et intérêts à l'Association au titre de son préjudice moral. La cour d'appel de Versailles, dans l'arrêt attaqué, a dûment rappelé la règle selon laquelle l'Association doit rapporter la preuve du préjudice dont elle se prévaut, puis a suffisamment justifié sa décision de confirmer le jugement sur ce point, en se référant à l'objet de l'Association ainsi qu'à d'autres éléments d'appréciation. La troisième branche du moyen peut dès lors être rejetée.

En conclusion de ces développements, mon avis est dans le sens du rejet du premier moyen en ses trois branches, pour l'ensemble des motifs qui viennent d'être exposés.

36 L'action de l'association est recevable, qu'elle agisse devant le juge civil dans le cadre d'une

infraction pénale ou en l'absence de faits constitutifs d'une telle infraction.

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