TA Rennes, du 06-02-2024, n° 2203146
A92892KA
Référence
Par une requête, enregistrée le 20 juin 2022, Mme B A demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 8 février 2022 par laquelle le proviseur du lycée de la Fontaine des Eaux à Dinan a rejeté sa demande tendant à lui permettre d'exercer en télétravail deux jours par semaine, ainsi que la décision du 8 avril 2022 par laquelle le recteur de l'académie de Rennes a rejeté son recours hiérarchique.
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- 80 % de ses tâches et activités sont " télétravaillables " ; ces activités sont d'ailleurs, déjà réalisées à distance pour les établissements rattachés à l'agence comptable ;
- aucune disposition des textes n'exclut les établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) de la possibilité pour des agents de télétravailler ;
- elle n'assure nullement la fonction de caissier une secrétaire est chargée de cette fonction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, le recteur de l'académie de Rennes conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2016-151 du 11 février 2016🏛 ;
- l'arrêté du 6 avril 2018 portant application dans les services centraux relevant des ministres chargés de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, les services déconcentrés et les établissements relevant du ministre de l'éducation nationale du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature ;
- le code du travail ;
- le code général de la fonction publique
- le code de justice administrative.
Les parties, régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Le Roux,
- et les conclusions de M. Moulinier, rapporteur public.
1. Mme A est attachée principale de l'Etat et exerce les fonctions de fondée de pouvoir au lycée de la Fontaine des Eaux à Dinan (Côtes-d'Armor). Le 23 janvier 2022, elle a formé auprès du proviseur de cet établissement une demande tendant à télétravailler deux jours par semaine à compter du 21 février 2022. Par décision du 8 février 2022, le proviseur a rejeté cette demande. Le 8 avril 2022 le recteur de l'académie de Rennes a rejeté le recours hiérarchique de Mme A dirigé contre la décision du 8 février 2022. Mme A demande l'annulation de ces deux décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 1222-9 du code du travail🏛, le télétravail désigne " toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication () ". Aux termes de l'article L. 430-1 du code général de la fonction publique : " L'agent public peut exercer ses fonctions dans le cadre du télétravail tel qu'il est défini au premier alinéa de l'article L. 1222-9 du code du travail. L'exercice des fonctions en télétravail lui est accordé à sa demande et après accord de son chef de service. Il peut y être mis fin à tout moment, sous réserve d'un délai de préavis. L'agent télétravailleur bénéficie des droits prévus par la législation et la réglementation applicables aux agents exerçant leurs fonctions dans les locaux de leur employeur public (). ". Aux termes de l'article 1er du décret du n° 2016-151 du 11 février 2016🏛 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature, dans sa version applicable en l'espèce : " Les dispositions du présent décret s'appliquent aux fonctionnaires et aux agents publics non fonctionnaires régis par la loi du 13 juillet 1983🏛 () ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle les fonctions qui auraient pu être exercées par un agent dans les locaux où il est affecté sont réalisées hors de ces locaux en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Le télétravail peut être organisé au domicile de l'agent, dans un autre lieu privé ou dans tout lieu à usage professionnel. () ". Aux termes de l'article 2-1 de ce même décret : " L'autorisation de télétravail est délivrée pour un recours régulier ou ponctuel au télétravail. Elle peut prévoir l'attribution de jours de télétravail fixes au cours de la semaine ou du mois ainsi que l'attribution d'un volume de jours flottants de télétravail par semaine, par mois ou par an dont l'agent peut demander l'utilisation à l'autorité responsable de la gestion de ses congés () ". Aux termes de l'article 5 du même texte : " L'exercice des fonctions en télétravail est accordé sur demande écrite de l'agent. Celle-ci précise les modalités d'organisation souhaitées. Lorsque le télétravail est organisé au domicile de l'agent ou dans un autre lieu privé, une attestation de conformité des installations aux spécifications techniques, établie conformément aux dispositions prises en application du 9° du I de l'article 7, est jointe à la demande. / Le chef de service, l'autorité territoriale ou l'autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées et l'intérêt du service () ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les agents exerçant leurs fonctions en télétravail bénéficient des mêmes droits et obligations que les agents exerçant sur leur lieu d'affectation. L'employeur prend en charge les coûts découlant directement de l'exercice des fonctions en télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci. L'employeur n'est pas tenu de prendre en charge le coût de la location d'un espace destiné au télétravail () ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 avril 2018🏛 visé ci-dessus : " Sont considérées comme éligibles au télétravail les activités autres que celles qui répondent à au moins l'un des critères suivants : - la nécessité d'assurer un accueil ou une présence physique dans les locaux de l'administration auprès de tiers (agents, usagers, élèves, étudiants, apprentis, stagiaires) ou en raison des équipements matériels spécifiques nécessaires à l'exercice de l'activité ; - les activités se déroulant par nature en dehors des locaux de l'administration ; - l'accomplissement de travaux nécessitant l'utilisation de logiciels ou applications dont la sécurité ne peut être garantie en dehors des locaux de l'administration ; - le traitement de données confidentielles ou à caractère sensible, dès lors que le respect de la confidentialité de ces données ne peut être assuré en dehors des locaux de travail. / L'inéligibilité de certaines activités au télétravail, si celles-ci ne constituent pas la totalité des activités exercées par l'agent, ne s'oppose pas à la possibilité pour l'agent d'accéder au télétravail dès lors qu'un volume suffisant d'activités en télétravail peut être identifié et regroupé. "
Sur la légalité des décisions attaquées :
3. En premier lieu, il ne résulte pas de la combinaison des dispositions rappelées au point 2 que, par principe, les personnels des EPLE ne pourraient pas recourir à une forme d'organisation du travail par le télétravail alors que cette faculté leur a été ouverte par ces mêmes dispositions ministérielles qui définissent les activités éventuellement éligibles, pouvant être autorisés à recourir par le chef de service pour l'exercice de leurs fonctions à la suite d'une demande individuelle appréciée au regard de l'intérêt du service et au vu de l'emploi exercé par l'agent demandeur.
4. En deuxième lieu, Mme A soutient que l'établissement dispose des capacités financières et techniques pour permettre l'organisation en télétravail. Si l'administration fait valoir en défense que l'essentiel des tâches effectuées par la requérante nécessitent l'utilisation du logiciel " GFC " qui est installé et accessible à partir des postes informatiques connectés aux serveurs locaux de l'établissement et non depuis une simple connexion internet, toutefois, la requérante fait valoir sans être contredite que l'accès à ce logiciel avait été mise en place lors de la crise sanitaire liée à la covid-19.
5. En dernier lieu, Mme A soutient, également sans être contredite, qu'elle n'assure nullement les fonctions de caissier qui sont dévolues à une secrétaire qui accueille les usagers qui paient en numéraires.
6. Il résulte des points 3 à 5 que les décisions attaquées sont entachées d'illégalités. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme A est fondée à demander l'annulation des décisions du 8 février 2022 du proviseur du lycée de la Fontaine des Eaux à Dinan et du 8 avril 2022 du recteur de l'académie de Rennes.
Sur les frais liés au litige :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge l'Etat, la somme de 1 200 euros que Mme A demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La décision du 8 février 2022 par laquelle le proviseur du lycée de la Fontaine des Eaux à Dinan a rejeté la demande de Mme A tendant à lui permettre d'exercer en télétravail deux jours par semaine, ainsi que la décision du 8 avril 2022 par laquelle le recteur de l'académie de Rennes a rejeté son recours hiérarchique sont annulées.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Copie du présent jugement sera adressée au recteur de l'académie de Rennes.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Descombes, président,
M. Le Roux, premier conseiller,
Mme Tourre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.
Le rapporteur,
Signé
P. Le Roux Le président,
Signé
G. Descombes
La greffière,
Signé
E. Le Magoariec
La République mande et ordonne à la ministre l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.