Jurisprudence : TA Paris, du 05-02-2024, n° 2213342


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2213342

2e Section
lecture du 05 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 20 juin 2022, M. A, représenté par Me Diani, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a refusé de régulariser sa situation en le plaçant à titre rétroactif en autorisation spéciale d'absence depuis le 27 février 2020 et de réexaminer sa demande de reprise d'activité ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'AP-HP de régulariser sa situation en le plaçant à titre rétroactif en autorisation spéciale d'absence depuis le 27 février 2020 et de l'autoriser à reprendre son activité professionnelle, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- la décision est entachée de vices de procédure, l'administration ayant méconnu les articles L. 4621-1 et suivants du code du travail🏛 et les articles 7 et 17 du décret n°88-386 relatif aux conditions d'aptitudes physiques et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière ;

- elle révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation administrative et un refus de l'administration d'exercer sa compétence ;

- elle méconnaît les dispositions du régime juridique relatif aux congés maladie et à la protection des agents vulnérables à l'égard du COVID-19 ;

- elle méconnaît le principe d'égalité de traitement des fonctionnaires ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à son état de santé.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 février 2023, le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à la sagesse du tribunal en ce qui concerne le moyen de légalité externe et soutient que les moyens de légalité interne soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020🏛 ;

- le décret n°88-386 du 19 avril 1988🏛 ;

- le décret n° 2020-521 du 5 mai 2020🏛 ;

- le décret n° 2020-1098 du 29 août 2020🏛 ;

- le décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020🏛 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Abdat,

- et les conclusions de M. Lahary, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, ouvrier principal affecté au service des archives de l'hôpital Saint-Antoine, établissement relevant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), a été considéré comme personne vulnérable dans le cadre de l'épidémie de COVID-19. Le 27 février 2020, il a été déclaré temporairement inapte à l'exercice de ses fonctions. Il a ensuite été placé en congé de maladie ordinaire du 3 au 14 mars 2020, puis en éviction covid du 15 mars au 29 août 2020. Le 6 mai, le 3 juin et le 31 août 2020, son inaptitude temporaire a été confirmée. Le 10 septembre 2020, le comité médical a refusé de le placer en congé de longue maladie et l'a placé en congé de maladie ordinaire à compter du 30 août 2020. Le 2 novembre 2020, il a été déclaré inapte à tout poste et maintenu en congé de maladie ordinaire jusqu'en janvier 2022. Par un courrier en date du 18 février 2022, il a sollicité la régularisation de sa situation administrative, son placement rétroactif en autorisation spéciale d'absence et l'examen de sa demande de reprise d'activité. Par une décision implicite née le 18 avril 2022, l'administration a rejeté sa demande. Par la présente requête, M. A demande l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée en tant qu'elle refuse un placement rétroactif en autorisation spéciale d'absence :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020🏛 de finances rectificative pour 2020, dans sa version applicable au litige : " I. - Sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants : / - le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2, selon des critères définis par voie réglementaire ; () Les modalités d'application du présent article sont définies par voie réglementaire ".

3. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 5 mai 2020🏛 a défini les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2. Puis, par un décret du 29 août 2020, le Premier ministre a modifié ces critères à compter du 1er septembre 2020, fixé au 31 août 2020 la date jusqu'à laquelle le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 s'applique aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable et abrogé en conséquence le décret du 5 mai 2020 à compter du 1er septembre 2020, sous réserve de son application dans les départements de Guyane et de Mayotte tant que l'état d'urgence sanitaire y est en vigueur. L'exécution de ce décret a été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 15 octobre 2020, à l'exception des dispositions de son article 1er relatives aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable. Enfin, le décret du 10 novembre 2020🏛, abrogeant le décret du 5 mai 2020 et les articles 2 à 4 du décret du 29 août 2020🏛🏛, fixe de nouveaux critères pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020. Sont désormais placés à leur demande en position d'activité partielle au titre de ces dispositions, sur présentation d'un certificat établi par un médecin, les salariés répondant à deux critères cumulatifs. Le premier critère se rapporte, soit à leur âge, d'au moins soixante-cinq ans, soit à leur état de grossesse, à partir du troisième trimestre, soit à la pathologie dont ils sont atteints, dont une liste est dressée. Le second critère tient à leur impossibilité à la fois de recourir au télétravail et de bénéficier de mesures de protections renforcées, que le décret énumère, s'agissant de leur poste de travail et de leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, notamment pour prendre en compte l'utilisation des moyens de transports collectifs. En cas de désaccord du salarié sur la mise en œuvre par l'employeur de ces mesures de protection renforcées, le salarié est placé en activité partielle dans l'attente de l'avis du médecin du travail.

4. Par une note d'information du 12 novembre 2020 relative à la prise en compte dans la fonction publique de l'Etat de l'évolution de l'épidémie de covid-19, le Premier ministre a donné pour instruction aux membres du Gouvernement, notamment, de veiller attentivement aux agents les plus vulnérables présentant un risque élevé de développer une forme grave d'infection au virus, en plaçant en autorisation spéciale d'absence les agents publics présentant l'une des pathologies mentionnées à l'article 2 du décret du 29 août 2020🏛, mentionné au point précédent, lorsque le télétravail n'est pas possible. Le ministre de la transformation et de la fonction publique a précisé, par une circulaire du 29 octobre 2020, que les conditions de travail des agents ne pouvant pas travailler totalement ou partiellement à distance devaient être aménagées afin de protéger leur santé et celle des usagers et que l'organisation du travail devait être aménagée afin de réduire les interactions sociales et la présence dans les transports. Par une circulaire du 10 novembre 2020, le directeur général de l'administration et de la fonction publique a recommandé d'adapter à la fonction publique les dispositions du décret du 10 novembre 2020🏛, mentionnées au point précédent. Cette circulaire retient ainsi le premier critère d'identification des personnes vulnérables, se rapportant à la situation d'âge, de grossesse ou d'état de santé de la personne, fixé par le décret. Elle prévoit qu'à leur demande et sur présentation d'un certificat de leur médecin traitant ou justification de leur âge, les agents publics remplissant ce premier critère sont placés en télétravail. Si le recours au télétravail est impossible, l'employeur détermine les aménagements à apporter au poste de travail de l'intéressé, dans le respect des mesures de protection préconisées par le Haut Conseil de santé publique, correspondant à celles énumérées par le second critère fixé par le décret du 10 novembre 2020, que la circulaire rappelle. Enfin, l'agent est placé en autorisation spéciale d'absence si l'employeur estime être dans l'impossibilité d'aménager le poste de façon à protéger suffisamment l'agent ou en cas de désaccord avec l'agent sur les mesures de protection mises en œuvre, dans l'attente de l'avis du médecin du travail alors saisi par l'employeur.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A, qui souffre d'une pathologie respiratoire chronique le rendant particulièrement vulnérable au Covid-19 et dont les fonctions ne permettent pas un placement en télétravail, a été placé en inaptitude temporaire à tout poste dès le 27 février 2020 puis en congé de maladie ordinaire à compter du 3 mars 2020. Il établit, par la production de fiches d'aptitude des 6 mai 2020, 3 juin 2020, 31 août 2020, de l'avis du comité médical du 10 septembre 2020, de l'avis d'aptitude du 2 novembre 2020 et de la fiche de liaison du 3 décembre 2021, qu'il satisfaisait aux conditions du régime de placement en autorisation spéciale d'absence (ASA) institué temporairement au bénéfice des agents particulièrement vulnérables au Covid-19 par la circulaire du Premier ministre du 1er septembre 2020 selon laquelle " les agents publics présentant l'une des pathologies mentionnées à l'article 2 du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 seront, lorsque le télétravail n'est pas possible, placés en autorisation spéciale d'absence, sur la base d'un certificat d'isolement délivré par un médecin ". Dans ces conditions, et alors, ainsi qu'il vient d'être dit, qu'il aurait dû bénéficier de ce placement en ASA dès le 1er septembre 2020, il est fondé à demander le bénéfice de ce placement à compter de cette date et jusqu'au 18 février 2022, date à compter de laquelle il a sollicité l'examen de sa demande de reprise d'activité dont l'AP-HP ne soutient pas qu'elle aurait pu intervenir antérieurement, et ce nonobstant l'intervention de la circulaire du 9 septembre 2021 de la directrice générale de l'administration et de la fonction publique conditionnant le bénéfice du régime de l'ASA à une demande expresse formulée par l'intéressé accompagnée d'un certificat médical.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le requérant, que la décision attaquée doit être annulée en tant qu'elle porte refus de le placer en ASA du 1er septembre 2020 au 18 février 2022.

En ce qui concerne la légalité de la décision en tant qu'elle rejette sa demande de reprise d'activité :

7. En s'abstenant de répondre à la demande de M. A formulée le 18 février 2022 relative à sa reprise d'activité, alors que l'AP-HP n'apporte aucun élément sur la position statutaire dans laquelle M. A était placé à cette date, l'AP-HP a méconnu le principe selon lequel l'administration a l'obligation de placer ses agents dans une position régulière. Par suite, cette décision implicite doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à l'AP-HP de placer rétroactivement M. A en autorisation spéciale d'absence pour la période du 1er septembre 2020 au 18 février 2022, de procéder à la reconstitution de sa carrière entre ces dates et notamment au rappel des traitements et indemnités auxquels il avait droit et qu'il n'aurait pas perçus, et de se prononcer à nouveau sur sa demande de reprise d'activité à compter du 18 février 2022, et ce dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite par laquelle le directeur de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a refusé, d'une part, de régulariser la situation de M. A en le plaçant à titre rétroactif en autorisation spéciale d'absence jusqu'au 18 février 2022 et, d'autre part, de réexaminer sa demande de reprise d'activité à compter de cette date, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de placer rétroactivement M. A en autorisation spéciale d'absence pour la période du 1er septembre 2020 au 18 février 2022, de procéder à la reconstitution de sa carrière entre ces dates et notamment au rappel des traitements et indemnités auxquels il avait droit et qu'il n'aurait pas perçus, et de se prononcer à nouveau sur sa demande de reprise d'activité à compter du 18 février 2022, et ce dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris versera à M. A une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Sorin, président,

Mme de Saint Chamas, conseillère,

Mme Abdat, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2024.

La rapporteure,

G. ABDATLe président,

J. SORINLa greffière,

B. CHAHINE

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2213342/2-

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