Cour de justice des Communautés européennes7 décembre 2000
Affaire n°C-374/98
Commission des Communautés européennes
c/
République française
61998J0374
Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 7 décembre 2000.
Commission des Communautés européennes contre République française.
Manquement d'Etat - Directives 79/409/CEE et 92/43/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Zones de protection spéciale.
Affaire C-374/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page 0000
1 Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Classement de zones de protection spéciale - Obligation des États membres - Appréciation - Portée
(Directive du Conseil 79/409, art. 4)
2 Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Défaut de classement en zone de protection spéciale - Conséquences - Dualité des régimes de protection applicables
(Directives du Conseil 79/409, art. 4, § 1, 2 et 4, et 92/43, art. 6, § 2 à 4, et 7)
1 L'inventaire des zones de grand intérêt pour la conservation des oiseaux sauvages, plus communément connu sous le sigle IBA (Inventory of Important Bird Areas in the European Community), bien que n'étant pas juridiquement contraignant pour les États membres concernés, contient des éléments de preuve scientifique permettant d'apprécier le respect par un État membre de son obligation de classer en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces protégées. Dès lors qu'une zone déterminée remplit les critères pour être classée en zone de protection spéciale, elle doit faire l'objet, ainsi qu'il découle de l'économie de l'article 4 de la directive 79/409 concernant la conservation des oiseaux sauvages, de mesures de conservation spéciale susceptibles d'assurer, notamment, la survie et la reproduction des espèces d'oiseaux mentionnées à l'annexe I de cette directive.
(voir points 25-26)
2 Le texte de l'article 7 de la directive 92/43 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages indique expressément que son article 6, paragraphes 2 à 4, s'applique, en remplacement de l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409 concernant la conservation des oiseaux sauvages, aux zones classées en vertu de l'article 4, paragraphes 1 ou 2, de cette dernière directive. Il s'ensuit que, selon une interprétation littérale de l'article 7 de la directive 92/43, seules les zones classées en zones de protection spéciale tombent sous l'emprise de l'article 6, paragraphes 2 à 4, de cette même directive. Le fait que le régime de protection de l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409 s'applique aux zones non classées en zones de protection spéciale alors qu'elles auraient dû l'être n'implique pas en soi que le régime de protection visé à l'article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive 92/43 se substitue au premier régime cité s'agissant desdites zones.
(voir points 44-45, 49)
Dans l'affaire C-374/98,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. Stancanelli, membre du service juridique, et O. Couvert-Castéra, fonctionnaire national mis à la disposition dudit service, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. R. Nadal, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater, d'une part, que, en ne classant pas le site des Basses Corbières (France) en zone de protection spéciale de certaines espèces d'oiseaux relevant de l'annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1), ainsi que de certaines espèces migratrices non visées à cette annexe, et en ne prenant pas non plus de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, en violation de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de ladite directive, et, d'autre part, que, en ne prenant pas les mesures appropriées dans le site des Basses Corbières pour éviter les perturbations touchant les espèces abritées dans ce site ainsi que les détériorations de leur habitat susceptibles d'avoir un effet significatif, à la suite de l'ouverture et de l'exploitation de carrières de calcaire sur le territoire des communes de Tautavel et de Vingrau (France), en violation de l'article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE,
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. C. Gulmann (rapporteur), président de chambre, V. Skouris et R. Schintgen, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 16 décembre 1999, au cours de laquelle la Commission a été représentée par M. O. Couvert-Castéra et la République française par Mme A. Maitrepierre, chargé de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 février 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 octobre 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater, d'une part, que, en ne classant pas le site des Basses Corbières (France) en zone de protection spéciale (ci-après "ZPS") de certaines espèces d'oiseaux relevant de l'annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après la "directive oiseaux"), ainsi que de certaines espèces migratrices non visées à cette annexe, et en ne prenant pas non plus de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, en violation de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de ladite directive, et, d'autre part, que, en ne prenant pas les mesures appropriées à l'égard du site des Basses Corbières pour éviter les perturbations touchant les espèces abritées dans ce site ainsi que les détériorations de leur habitat susceptibles d'avoir un effet significatif, à la suite de l'ouverture et de l'exploitation de carrières de calcaire sur le territoire des communes de Tautavel et de Vingrau (France), en violation de l'article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7, ci-après la "directive habitats"), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.
Le cadre réglementaire
2 L'article 4 de la directive oiseaux dispose:
"1. Les espèces mentionnées à l'annexe I font l'objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d'assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.
À cet égard, il est tenu compte:
a) des espèces menacées de disparition;
b) des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats;
c) des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte;
d) d'autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.
Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.
Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces dernières dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive.
2. Les États membres prennent des mesures similaires à l'égard des espèces migratrices non visées à l'annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d'hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. À cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d'importance internationale.
3. [...]
4. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2 la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu'elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s'efforcent également d'éviter la pollution ou la détérioration des habitats."
3 La directive habitats prévoit, en son article 7, que les obligations découlant de son article 6, paragraphes 2, 3 et 4, "se substituent aux obligations découlant de l'article 4 paragraphe 4 première phrase de la directive 79/409/CEE en ce qui concerne les zones classées en vertu de l'article 4 paragraphe 1 ou reconnues d'une manière similaire en vertu de l'article 4 paragraphe 2 de ladite directive à partir de la date de mise en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive 79/409/CEE si cette dernière date est postérieure".
4 L'article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive habitats dispose:
"2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.
3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d'autres plans et projets, fait l'objet d'une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l'évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu'après s'être assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l'avis du public.
4. Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée. L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.
Lorsque le site concerné est un site abritant un type d'habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ou, après avis de la Commission, à d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur."
5 Selon l'article 23, paragraphe 1, de la directive habitats, les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive dans un délai de deux ans à compter de sa notification. Cette directive ayant été notifiée en juin 1992, ledit délai a expiré en juin 1994.
La procédure précontentieuse
6 Le 2 juillet 1996, la Commission a adressé au gouvernement français une lettre de mise en demeure pour inobservation de l'article 4 de la directive oiseaux, tel que modifié par la directive habitats, relativement au site des Basses Corbières qui se trouve à cheval sur les départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Dans cette lettre, il était soutenu, d'une part, que, compte tenu de son importance pour la conservation des oiseaux sauvages, notamment de l'aigle de Bonelli, le site des Basses Corbières aurait dû être classé comme ZPS et, d'autre part, que l'ouverture et l'exploitation de carrières de calcaire sur ce site avaient entraîné sa détérioration sans que les conditions le permettant aient été réunies.
7 Dans sa réponse du 28 novembre 1996, le gouvernement français a rappelé que les autorités françaises avaient reconnu l'intérêt du site concerné en prenant une mesure de conservation spéciale destinée à la protection de l'aigle de Bonelli, à savoir un arrêté préfectoral relatif à la conservation du biotope de cette espèce sur les territoires des communes de Vingrau et de Tautavel. Ce gouvernement a, par ailleurs, fait état de ce qu'un classement desdits territoires en tant que ZPS était envisagé. En outre, il a indiqué que la société OMYA exploitait depuis de nombreuses années un gisement de calcaire sur le territoire de la commune de Tautavel. L'épuisement du gisement dans cette commune aurait conduit ladite société à déposer une demande d'autorisation d'extension de l'exploitation du gisement à la commune voisine, Vingrau. À cet égard, le gouvernement français a soutenu que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux (France), qui avait annulé l'arrêté préfectoral accordant à la société OMYA le permis de construire, sur le territoire de la commune de Vingrau, l'installation destinée à exploiter la carrière, était de nature à répondre aux exigences de la directive oiseaux.
8 Par lettre du 19 décembre 1997, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle considérait, d'une part, que, en ne classant pas le site des Basses Corbières en tant que ZPS de certaines espèces d'oiseaux relevant de l'annexe I de la directive oiseaux, ainsi que de certaines espèces migratrices non visées à cette annexe, et en ne prenant pas non plus des mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, contrairement à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de ladite directive, et, d'autre part, que, en ne prenant pas les mesures appropriées à l'égard du site des Basses Corbières pour éviter les perturbations touchant les espèces qui y sont abritées ainsi que les détériorations de leur habitat, susceptibles d'avoir un effet significatif, du fait de l'ouverture et de l'exploitation de carrières de calcaire sur le territoire des communes de Tautavel et de Vingrau, contrairement à l'article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive habitats, la République française avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE. La Commission invitait la République française à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa notification.