Cour de justice des Communautés européennes12 novembre 1996
Affaire n°C-201/94
The Queen
c/
The Medicines Control Agency, ex parte Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd et Primecrown Ltd contre The Medicine Control Agency
61994J0201
Arrêt de la Cour
du 12 novembre 1996.
The Queen contre The Medicines Control Agency, ex parte Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd et Primecrown Ltd contre The Medicine Control Agency.
Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen' s Bench Division - Royaume-Uni.
Spécialités pharmaceutiques - Importation parallèle - Effet direct de la directive 65/65/CEE - Autorisation de mise sur le marché.
Affaire C-201/94.
Recueil de Jurisprudence 1996 page I-5819
1. Rapprochement des législations ° Spécialités pharmaceutiques ° Autorisation de mise sur le marché ° Similarité de spécialités produites par des sociétés indépendantes en vertu d'accords conclus avec le même donneur de licence bénéficiant dans des États membres différents d'une autorisation de mise sur le marché ° Importation parallèle ° Obligation d'accorder l'autorisation ° Absence de similarité ° Nécessité d'une nouvelle autorisation de mise sur le marché délivrée conformément aux conditions de la directive 65/65 ° Donneur de licences établi en dehors de la Communauté ° Absence d'incidence
(Directive du Conseil 65/65, telle que modifiée par la directive 87/21, art. 3 et 4)
2. Rapprochement des législations ° Spécialités pharmaceutiques ° Directive 65/65 ° Autorisation de mise sur le marché ° Possibilité pour le titulaire d'une autorisation délivrée selon la procédure de la directive d'invoquer l'article 5 en vue de contester la validité de celle délivrée à un concurrent pour une spécialité brevetée ayant la même appellation
(Directive du Conseil 65/65, telle que modifiée par la directive 87/21, art. 5)
1. Lorsque l'autorité compétente d'un État membre conclut qu'une spécialité pharmaceutique bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché dans un autre État membre et une spécialité pharmaceutique pour laquelle elle a déjà délivré une autorisation de mise sur le marché sont fabriquées par des sociétés indépendantes à la suite d'accords conclus avec un même donneur de licence et que ces deux spécialités pharmaceutiques, sans être en tous points identiques, ont à tout le moins été fabriquées suivant la même formule et en utilisant le même ingrédient actif et qu'elles ont, en outre, les mêmes effets thérapeutiques, elle doit, à moins que des considérations tirées de la protection efficace de la vie et de la santé des personnes ne s'y opposent, faire bénéficier la spécialité pharmaceutique importée de cette autorisation de mise sur le marché. En effet, si les autorités sanitaires de l'État membre d'importation disposent déjà, suite à la demande d'une autorisation de mise sur le marché pour la spécialité pharmaceutique en question, de toutes les indications pharmaceutiques relatives à cette spécialité pharmaceutique et jugées indispensables aux fins du contrôle de son efficacité et de son innocuité, il n'est manifestement pas nécessaire, pour protéger la santé et la vie des personnes, que lesdites autorités exigent d'un second opérateur, ayant importé une spécialité pharmaceutique répondant aux critères précités, qu'il leur soumette à nouveau les indications susvisées.
A cet égard, le fait que le donneur de licences pour les deux spécialités pharmaceutiques en cause soit situé en dehors de la Communauté européenne n'a aucune incidence.
Cependant, dans l'hypothèse où l'autorité compétente aboutirait à la conclusion que la spécialité pharmaceutique à importer ne remplit pas les critères précités, une nouvelle autorisation de mise sur le marché est nécessaire. Celle-ci ne peut être délivrée que dans le respect des conditions énoncées aux articles 3 et 4 de la directive 65/65, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques, telle que modifiée notamment par la directive 87/21. Serait en particulier contraire à ces dispositions, qui excluent la possibilité de délivrer une autorisation de mise sur le marché lorsque tous les renseignements mentionnés à l'article 4 n'ont pas été fournis et les essais effectués, le fait pour l'autorité compétente d'utiliser, dans le cadre d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, des informations fournies par une société indépendante, sans son accord, à l'appui d'une demande d'autorisation de mise sur le marché concernant une autre spécialité pharmaceutique.
2. Le titulaire d'une autorisation de mise sur le marché originale délivrée selon la procédure visée à la directive 65/65 peut se prévaloir des dispositions de cette directive, telle que modifiée notamment par la directive 87/21, et notamment de son article 5, dans une procédure devant une juridiction nationale en vue de contester la validité d'une autorisation qui a été délivrée par l'autorité compétente, sur le fondement de ladite directive, à l'un de ses concurrents pour une spécialité brevetée ayant la même appellation. Il en est de même lorsqu'il s'agit d'une autorisation qui, bien que délivrée dans le cadre d'une autre procédure prescrite au niveau national, aurait dû l'être sur le fondement de la directive. Lesdites dispositions présentent en effet les caractères d'inconditionnalité et de clarté nécessaires à cette fin.
Dans l'affaires C-201/94,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la High Court of Justice, Queen' s Bench Division (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
The Queen
The Medicines Control Agency,
ex parte: Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd,
et entre
Primecrown Ltd
The Medicines Control Agency,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée notamment par la directive 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986 (JO 1987, L 15, p. 36), ainsi que sur les obligations liées à l'autorisation des spécialités pharmaceutiques,
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida, J. L. Murray (rapporteur) et L. Sevón, présidents de chambre, C. N. Kakouris, P. J. G. Kapteyn, D. A. O. Edward, P. Jann et H. Ragnemalm, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
° pour Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd, par MM. Patrick Elias, QC, et Christopher Vajda, barrister, mandatés par Ashurst Morris Crisp, solicitors,
° pour Primecrown Ltd, par MM. Michael J. Beloff, QC, et Andrew Nicol, barrister, mandatés par R. R. Sanghvi & Co., solicitors,
° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. Richard Drabble, barrister,
° pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Regierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,
° pour le gouvernement français, par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Philippe Martinet, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,
° pour le gouvernement italien, par M. Ivo M. Braguglia, avvocato dello Stato, en qualité d'agent,
° pour la Commission des Communautés européennes, par M. Richard Wainwright, conseiller juridique principal, et Mme Angela Bardenhewer, membre du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd, représentée par MM. Patrick Elias et Christopher Vajda, de Primecrown Ltd, représentée par MM. Martin Howe et Nicholas Shea, barristers, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. John E. Collins et Richard Drabble, et de la Commission, représentée par M. Richard Wainwright, à l'audience du 12 décembre 1995,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 30 janvier 1996,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 4 mai 1994, parvenue à la Cour le 11 juillet suivant, la High Court of Justice, Queen' s Bench Division (Royaume-Uni), a saisi la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE, de quatre questions relatives à l'interprétation de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée notamment par la directive 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986 (JO 1987, L 15, p. 36), ainsi qu'aux obligations liées à l'autorisation des spécialités pharmaceutiques.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd (ci-après "Smith & Nephew") à la Medicines Control Agency (ci-après la "MCA") et à Primecrown Ltd (ci-après "Primecrown") et, d'autre part, Primecrown à la MCA, à propos de la délivrance à Primecrown d'une autorisation d'importer une spécialité pharmaceutique d'origine belge ayant la même appellation et fabriquée à la suite d'un accord passé avec le même donneur de licence qu'un produit pour lequel Smith & Nephew est titulaire d'une autorisation de mise sur le marché (ci-après l'"AMM") au Royaume-Uni.
3 Le premier considérant de la directive 65/65 énonce que "toute réglementation en matière de production et de distribution de spécialités pharmaceutiques doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique". Le deuxième considérant prévoit que "ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l'industrie pharmaceutique et les échanges de produits pharmaceutiques au sein de la Communauté".
4 L'article 3 de la directive 65/65, applicable au moment des faits, dispose qu'aucune spécialité pharmaceutique ne peut être mise sur le marché dans un État membre sans qu'une autorisation ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État membre. La spécialité pharmaceutique est définie à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 65/65 comme "tout médicament préparé à l'avance, mis sur le marché sous une dénomination spéciale et sous un conditionnement particulier". L'article 4 de cette directive énonce la liste des renseignements et des documents qui doivent être joints à la demande d'AMM.
5 L'article 5 de la directive 65/65 dispose que l'AMM "sera refusée lorsque, après vérification des renseignements et des documents énumérés à l'article 4, il apparaît que la spécialité est nocive dans les conditions normales d'emploi ou que l'effet thérapeutique de la spécialité fait défaut ou est insuffisamment justifié par le demandeur ou que la spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée. L'autorisation sera également refusée si la documentation et les renseignements présentés à l'appui de la demande ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 4".
6 Un nouveau système communautaire en matière d'AMM est entré en vigueur le 1er janvier 1995 à la suite de l'adoption de la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, modifiant les directives 65/65/CEE, 75/318/CEE et 75/319/CEE concernant les médicaments (JO L 214, p. 22), et du règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1). Cependant, en raison de la date de présentation de la demande d'AMM litigieuse, ces dispositions ne sont pas applicables dans l'affaire au principal.
7 La MCA est l'autorité compétente pour délivrer des AMM au Royaume-Uni, conformément aux dispositions nationales transposant la directive 65/65 en droit national.
8 La MCA a publié des brochures sur la manière de présenter les demandes d'autorisation d'un médicament importé par voie parallèle. Ces brochures portent la référence MAL 2 (PI) et sont intitulées "Notes on Application for Product Licences (Parallel Importing) (Medicines for Human Use)" [Notice relative aux demandes d'autorisation d'un produit (importation parallèle) (médicament destiné à l'usage humain)]. S'agissant des spécialités pharmaceutiques, le document MAL 2 (PI) définit une "importation parallèle" comme répondant à deux exigences: le produit est soumis à une AMM au Royaume-Uni et un demandeur souhaite importer d'un autre État membre une version de ce produit déjà pourvu d'une AMM délivrée par un autre État membre. Dans un tel cas, la MCA a recours à une forme simplifiée de demande désignée sous le terme de "procédure PL (PI)". Dans le cadre de cette procédure, qui est généralement plus rapide que la procédure prévue par la directive 65/65, le demandeur d'une AMM doit fournir moins de renseignements que ceux exigés pour une demande faite au titre de la directive 65/65. Pour bénéficier de cette procédure, la spécialité pharmaceutique concernée doit remplir plusieurs conditions, dont notamment celle d'avoir été élaborée par ou sous licence du fabricant du produit couvert par l'autorisation obtenue au Royaume-Uni ou d'un membre du même groupe de sociétés que le fabricant du produit couvert par l'autorisation obtenue au Royaume-Uni.
9 Smith & Nephew commercialise la spécialité pharmaceutique "Ditropan" au Royaume-Uni à la suite d'un accord passé en 1982 avec la firme américaine Marion Merrell Dow (ci-après "MMD"), dont la fabrication au Royaume-Uni est confiée par la première à Boots Pharmaceuticals Ltd. Le Ditropan incorpore un élément actif dénommé oxybutynine hydrochloride, utilisé dans le traitement de certaines formes d'incontinence urinaire. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la demande d'autorisation d'essais cliniques concernant le Ditropan suivie d'une demande d'AMM se fondait sur des données et sur d'autres renseignements fournis par MMD. Cette demande a été déposée par Smith & Nephew devant la MCA en 1982. Cette dernière ayant considéré que ces renseignements étaient insuffisants, au regard notamment de la nécessité de démontrer l'absence de caractère potentiellement cancérogène du produit, Smith & Nephew a donc été contrainte d'effectuer des études cliniques supplémentaires et, selon la juridiction de renvoi, de modifier la formule de la spécialité pharmaceutique par rapport à celle produite par MMD aux États-Unis. Dans ces conditions, l'AMM ne lui a été délivrée qu'au mois de janvier 1991.