Jurisprudence : CE 9/10 SSR , 11-04-2001 , n° 175082

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON

N° 175082

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU PLAN
c/ M. Sévilla

Mme Guilhemsans, Rapporteur
M. Goulard, Commissaire du Gouvernement

Séance du 4 avril 2001
Lecture du 11 avril 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9e et 10e sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 9e sous-section de la Section du contentieux

Vu le recours, enregistré le 16 novembre 1995, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU PLAN ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 septembre 1995, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement du 16 mars 1993 du tribunal administratif de Paris accordant à M. Léon Sévilla la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes auxquels il a été assujetti au titre de la période du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1986 et, à ce que ces impositions soient remises à la charge de l'intéressé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme Guilhemsans, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lesourd, avocat de M. Sévilla,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : « L'avis de mise en recouvrement individuel prévu à l'article L. 256 comporte : 1° les indications nécessaires à la connaissance des droits, taxes, redevances ou autres sommes qui font l'objet de cet avis ; 2° les éléments du calcul et le montant des droits et des pénalités, indemnités ou intérêts de retard, qui constituent la créance. Toutefois, les éléments du calcul peuvent être remplacés par le renvoi au document sur lequel ils figurent lorsque ce document a été établi ou signé par le contribuable ou son mandataire ou lui a été notifié antérieurement... » ;

Considérant que si l'avis de mise en recouvrement individuel de taxe sur la valeur ajoutée doit préciser, lorsqu'un contribuable exerce des activités distinctes dont les régimes d'imposition présentent des différences sensibles, les fractions de la taxe réclamée qui se rapportent à chacune de ces activités, les dispositions précitées du 1° de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales n'exigent pas, en revanche, lorsque le contribuable exerce une seule activité ou plusieurs activités dont les régimes d'imposition ne présentent pas de différences sensibles entre eux, que l'avis de mise en recouvrement précise la base légale spécifiquement applicable à chaque chef de redressement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité qui s'est déroulée dans les deux magasins de tissus de M. Sévilla, du 7 novembre au 9 décembre 1986, celui-ci a été assujetti au titre de la période du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1985, à des impositions supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, fondées sur l'article 256-1 du code général des impôts et calculées sur les recettes qu'il tirait de la vente de tissus, reconstituées par le vérificateur, et d'autre part, fondées sur l'article 1786 du même code et calculées sur le montant d'achats sans facture de tissus pour lesquels il a été déclaré redevable ; que les droits ainsi rappelés relèvent du même régime d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, dès lors, le ministre de l'économie et des finances est fondé à soutenir que la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit en jugeant que l'avis de mise en recouvrement de ces impositions, qui mentionnait « TVA articles 256 et suivants du code général des impôts », sans préciser pour quel montant il était fait application de l'article 1786 du même code, était irrégulier ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, l'avis de mise en recouvrement des impositions supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée auxquelles M. Sévilla a été assujetti, qui renvoyait par ailleurs, ainsi que l'autorise le 2° de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, aux éléments de calcul de ces impositions figurant dans la notification de redressements adressée au contribuable le 22 décembre 1986, n'était pas irrégulier du seul fait qu'il ne mentionnait pas qu'une partie de ces impositions qui procédaient de la même activité, lui était réclamée en application de l'article 1786 du code général des impôts ; que le ministre de l'économie et des finances est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce motif pour décharger M. Sévilla des impositions ainsi mises en recouvrement ;

Considérant qu'il convient toutefois d'examiner les autres moyens présentés par M. Sévilla devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ;

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'avis de vérification est parvenu à M. Sévilla le 29 octobre 1986 et que la première intervention du vérificateur sur place a eu lieu le 7 novembre 1986 ; que, dès lors, celui-ci a bénéficié d'un délai suffisant pour lui permettre de se faire assister d'un conseil ; qu'il n'est pas fondé à se prévaloir, sur le fondement de l'article 1er du décret du 28 novembre 1983, susvisé, de la note du 30 décembre 1977, publiée au bulletin officiel de la direction générale des impôts 13 L-10-77 et de l'instruction 13 L-3-84 du 25/06/84, qui prévoient que, « dans la mesure du possible », il doit s'écouler un délai de quinze jours entre l'envoi de l'avis de vérification et le début de celle-ci, ces documents constituant de simples recommandations à l'administration ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. Sévilla soutient avoir été privé d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, celui-ci ayant procédé, le dernier jour de la vérification à un inventaire dans ses deux magasins, dont il n'a reçu le procès-verbal que le 23 décembre 1986, en même temps que la notification de redressements, alors que cet inventaire avait été utilisé par le vérificateur pour reconstituer son chiffre d'affaires, sans que ses données aient été préalablement discutées ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que cet inventaire a été établi en présence et avec le concours de M. Sévilla dans l'un des magasins et de son fils gérant salarié, dans l'autre ; que, dès lors, le requérant n'a pas été privé de la possibilité d'un débat contradictoire ; que le vérificateur n'était pas tenu de discuter avec le contribuable des conséquences qu'il entendait tirer des constatations ainsi effectuées pour la reconstitution de son chiffre d'affaires ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, que le contribuable qui n'a pas souscrit dans le délai légal la déclaration de chiffre d'affaires à laquelle il est tenu est taxé d'office ; qu'il est constant que M. Sévilla, qui était imposé selon les règles alors applicables au régime simplifié d'imposition, n'a déposé dans le délai prévu aucune des déclarations annuelles concernant la taxe sur la valeur ajoutée due par lui au titre des années 1983 à 1985 ; qu'ainsi l'intéressé, qui ne saurait utilement se prévaloir de la négligence de son comptable, ni de la circonstance qu'il aurait déposé dans les délais légaux les déclarations mensuelles abrégées prévues à l'article 242 quater de l'annexe II au code général des impôts et relatives à la période d'imposition, a été régulièrement imposé par voie de taxation d'office ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la notification des bases imposées d'office, adressée à M. Sévilla le 23 décembre 1986, énumère, au titre des motifs de la reconstitution de ses recettes, les diverses carences de sa comptabilité, constatées dans un procès-verbal du 12 novembre 1986, dressé par le vérificateur, auquel la notification fait par ailleurs référence ; que si M. Sévilla soutient que cette notification serait irrégulière faute d'avoir indiqué les motifs du rejet de sa comptabilité avant de procéder à la reconstitution de ses recettes et qu'elle serait insuffisamment motivée faute qu'y soit joint le procès-verbal susmentionné, il résulte de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales que l'administration n'était pas tenue, en tout état de cause, de faire figurer ces indications dans la notification des bases taxées d'office ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la mention, dans l'avis de mise en recouvrement, de la date du 31 décembre 1986 comme étant celle de la fin de la période concernée par les redressements, alors que seule la période du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1985 avait fait l'objet de la vérification, ce qui ressortait clairement de la notification de redressements à laquelle renvoyait cet avis, procède d'une simple erreur matérielle, sans incidence sur la validité de celui-ci ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que la motivation des pénalités de taxation d'office, prévues à l'article 1733-1 alors applicable du code général des impôts et mentionnées dans cet avis de mise en recouvrement, n'avait pas été communiquée à M. Sévilla avant l'envoi de cet avis alors qu'il s'agit d'une décision infligeant une sanction au sens de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, que celui-ci est, dès lors, fondé à demander la décharge des pénalités auxquelles il a été assujetti ; qu'il y a lieu cependant de remplacer celles-ci par les indemnités de retard prévues à l'article 1727, alors en vigueur, dans la limite des pénalités initialement assignées à M. Sévilla ;

En ce qui concerne le bien-fondé des dispositions :

Considérant, en premier lieu, que les impositions supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée auxquelles M. Sévilla a été assujetti ayant été établies selon la procédure de taxation d'office, il appartient, par suite, à celui-ci, qui a la charge de prouver l'exagération des bases d'imposition reconstituées d'office par l'administration, de démontrer l'inexistence des achats qu'il avait comptabilisés sans pouvoir produire les factures correspondantes ; que si l'intéressé soutient qu'une grande partie des achats sans facture ont été comptabilisés à l'initiative de son comptable et à son insu, en vue de minorer les bénéfices de l'entreprise et ne correspondraient pas à des achats réels, il ne l'établit pas ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des années vérifiées la comptabilité de M. Sévilla, ne comportait aucun journal de trésorerie, que les livres comptables n'étaient ni cotés, ni paraphés, que le montant des charges était communiqué globalement par M. Sévilla à son comptable en fin d'année et qu'aucun inventaire physique n'était établi ; que, compte tenu des carences de la comptabilité, le vérificateur pouvait, pour reconstituer les recettes de M. Sévilla au cours des années 1983 à 1985, utiliser les coefficients calculés à partir des données recueillies au cours de l'inventaire des tissus en vente dans ses magasins, auquel il a procédé le 9 décembre 1986 ; que M. Sévilla n'apporte aucun élément susceptible de démontrer que l'évolution de ses conditions d'exploitation au cours de cette période interdisait une telle extrapolation ; qu'il n'apporte pas, par de simples affirmations, la preuve qui lui incombe de l'inexactitude des informations recueillies au cours de cet inventaire, effectué contradictoirement ainsi qu'il a été dit ci-dessus ; qu'il ne démontre pas non plus que la méthode de reconstitution des recettes serait viciée par la prise en compte de la répartition des ventes entre les différentes catégories de tissus en fonction de leur métrage plutôt que de leur valeur ; que les attestations de clients qu'il produit, selon lesquelles des réductions de 20 à 30 % sur les prix affichés leur étaient régulièrement accordées, ne suffisent pas, en l'absence de toute indication sur les montants et quantités concernés, à établir la réalité et l'importance de tels rabais ;

Considérant, cependant, que M. Sévilla critique utilement la méthode de reconstitution en soulignant que le vérificateur n'a pas tenu compte, pour déterminer les coefficients appliqués aux achats pour reconstituer ses recettes, des prix moins élevés pratiqués sur les ventes de coupons, dont certains s'avèrent invendables ; que si l'administration soutient que les coupons n'ont pas été inventoriés et n'ont donc pas été pris en compte pour la reconstitution des recettes, il résulte de l'instruction que les achats de coupons n'ont pas été déduits du montant des achats auxquels ont été appliqués les coefficients calculés sur les marchandises inventoriées ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'incidence de cette erreur en la fixant à 5 % des recettes reconstituées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Sévilla est seulement fondé à demander la décharge d'une part d'une partie des impositions supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée auxquelles il a été assujetti en conséquence d'une réduction d'assiette fixée à 5 % de ses recettes reconstituées, et d'autre part de la différence entre les pénalités de taxation d'office auxquelles il a été assujetti au titre de la période du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1985 et les indemnités de retard qui leur sont substituées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 26 septembre 1995 et le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 16 mars 1993 sont annulés.

Article 2 : L'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle M. Sévilla a été assujetti pour la période allant du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1985 est réduite d'un montant égal à 5% des recettes reconstituées par l'administration.

Article 3 : M. Sévilla est déchargé des suppléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a été assujetti, à hauteur de la réduction d'assiette prononcée à l'article 2.

Article 4 : M. Sévilla est déchargé de la totalité des pénalités auxquelles il a été assujetti.

Article 5 : Des indemnités de retard sont substituées aux pénalités dont la décharge est prononcée à l'article 4, dans la limite du montant de celles-ci.

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. Sévilla devant le tribunal administratif de Paris et du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES devant la cour administrative d'appel de Paris, est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à M. Léon Sévilla.


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