DLP/CH
[F] [R]
C/
S.A.S. SATT SAYENS, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 20 JUILLET 2023
MINUTE N°
N° RG 22/00005 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F3DE
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section Encadrement, décision attaquée en date du 06 Décembre 2021, enregistrée sous le n° 20/00348
APPELANTE :
[F] [R]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Pierrick BECHE de la SARL PIERRICK BECHE - CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.S. SATT SAYENS, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Félipe LLAMAS de la SELARL LLAMAS ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Juin 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [R] a été engagée par la société Bourgogne Technologie (devenue successivement Ub-filiale, Satt Grand Est puis société Satt Sayens), le 1er septembre 1989, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.
Elle a évolué vers un temps complet à partir du 1er janvier 2015, puis est repassée à temps partiel à la mi-mai 2019.
Elle occupait, en dernier lieu, les fonctions d'ingénieur d'études au sein du pôle agroalimentaire et bio-industriel (dit hall agroalimentaire) du département recherche et développement et partenariats (R&D partenariats), statut cadre, niveau 2.2, coefficient 130 de la convention collective applicable.
Au cours du second semestre 2018, un plan de licenciement économique de moins de 10 salariés a été mis en place.
A la suite du constat par l'employeur de la dégradation de la situation économique du département R&D Partenariats, la société Satt Sayens a, par lettre recommandée du 16 mai 2019, proposé à Mme [R], une modification de son contrat de travail que la salariée a refusé par courrier du 14 juin 2019.
Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique puis s'est vue remettre, à cette occasion, la documentation relative au contrat de sécurisation professionnelle.
Le 22 juillet 2019, elle a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
Le 29 juillet 2019, la société Satt Sayens lui a notifié son licenciement pour motif économique.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes le 13 juillet 2020 aux fins de voir juger, à titre principal, son licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir le paiement des indemnités afférentes et, subsidiairement, de voir juger que la société Satt Sayens n'avait pas respecté les critères d'ordre. Elle a également sollicité des dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement en date du 6 décembre 2021, le tribunal a rejeté l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration enregistrée le 4 janvier 2022, Mme [R] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2023, elle demande à la cour de :
- la juger recevable et bien fondée en son appel,
En conséquence,
- réformer le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la SAS Satt Sayens à lui verser les sommes suivantes :
* 69 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 10 305 euros bruts, au titre du préavis,
* 1 030,50 euros bruts au titre des congés payés afférents,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la SAS Satt Sayens n'a pas respecté les règles relatives à l'ordre des licenciements impliquant pour elle la perte injustifiée de son emploi,
En conséquence,
- condamner la SAS Satt Sayens à lui verser les sommes suivantes :
* 69 000 euros nets à titre de dommages et intérêts,
Dans tous les cas,
- constater le manquement à l'obligation de sécurité et l'exécution déloyale de son contrat de travail,
En conséquence,
- condamner la SAS Satt Sayens à lui verser la somme de 5 000 euros nets,
- condamner la SAS Satt Sayens à lui verser la somme de 2 000 euros nets au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- condamner la SAS Satt Sayens aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 1er juillet 2022, la société Satt Sayens demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré,
En conséquence,
- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [R] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
En application de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LE BIEN-FONDÉ DU LICENCIEMENT
Mme [R] conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement aux motifs suivants, contestés par l'employeur :
- absence de motif économique avéré,
- non-respect de l'obligation de reclassement.
Au titre du manquement à l'obligation de reclassement, Mme [R] expose qu'en janvier 2020, Mme [V] a été réembauchée sur un poste de coordination qui ne lui a pas été proposé. Elle ajoute que l'employeur ne justifie pas de son périmètre de reclassement, ni des réponses qu'il a reçues.
La société Satt Sayens réplique que les recherches de reclassement ont été effectuées en interne, au sein de tous les départements de la société ainsi que, alors qu'elle n'appartient à aucun groupe, en externe auprès de ses actionnaires et partenaires (pièce 25), sans réponse favorable de leur part. Elle produit aux débats son RUP (pièce 24) et souligne que Mme [R] n'a pas fait valoir sa priorité de réembauche. Elle indique encore qu'aucun poste disponible relevant de la même catégorie que celui précédemment occupé par l'intéressée ou un emploi équivalent n'était disponible au moment du licenciement.
Il résulte de l'
article L. 1233-4 du code du travail🏛 que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'
article L. 233-16 du code de commerce🏛.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement, obligation de moyen, incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
Il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur justifie de l'absence de poste disponible, à l'époque du licenciement, dans l'entreprise, ou s'il y a lieu dans le groupe auquel elle appartient.
Ici, il n'est pas établi que la société Satt Sayens appartienne à un groupe et Mme [R] ne rapporte pas la preuve contraire. Le périmètre de reclassement est justifié et c'est à bon droit que l'employeur a adressé, le 15 juillet 2019, une lettre circulaire en interne dans le cadre de sa recherche de reclassement (pièce 25), étant observé qu'elle a poussé ses recherches en externe auprès de ses actionnaires et partenaires, sans aucune obligation légale.
La société Satt Sayens verse aux débats la liste des destinataires de ses recherches de reclassement (pièce 27) et la salariée n'établit pas que d'autres services devaient être consultés.
En revanche, la société prétend n'avoir reçu que des réponses négatives mais ne produit que deux réponses sur l'ensemble des départements concernés et consultés (pièces 28 et 29). Il s'ensuit qu'elle ne justifie pas avoir procédé à une recherche loyale de reclassement de sa salariée.
En conséquence, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.
Le licenciement étant injustifié, Mme [R] peut, par conséquent, prétendre non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. En effet, si le salarié qui adhère à un contrat de sécurisation professionnelle ne bénéficie pas, en principe, de l'indemnité compensatrice de préavis et est seulement rémunéré jusqu'au dernier jour travaillé, ce principe connaît des exceptions parmi lesquelles l'hypothèse d'un licenciement économique privé de cause réelle et sérieuse qui a pour effet de priver le contrat de sécurisation professionnelle de cause.
En l'absence de contestation valable de la société Satt Sayens sur le montant des sommes réclamées par Mme [R] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, il sera fait droit à la demande en paiement de la salariée de la somme de 10 305 euros à ce titre, outre 1 030,50 euros de congés payés afférents.
Compte tenu de son ancienneté (29 années complètes) dans une entreprise employant plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération (3 450 euros bruts), de son âge (59 ans au moment du licenciement), de l'adhésion au CSP, des conséquences du licenciement, tel qu'il résulte des pièces et des explications fournies, il y a lieu d'allouer à Mme [R], en application de l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛, la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de son licenciement abusif.
SUR LE MANQUEMENT À L'OBLIGATION DE SÉCURITÉ ET L'EXÉCUTION DÉLOYALE DU CONTRAT DE TRAVAIL
Mme [R] invoque des conditions de travail dégradées depuis le 3 juillet 2017 en raison du comportement odieux du directeur, M. [Aa], et ce jusque début mars 2019. Elle prétend qu'il en est résulté pour elle une angoisse et une souffrance psychologique constatées lors de la visite à la médecine du travail le 30 août 2017. Elle ajoute que la direction en a été informée mais qu'elle est restée totalement inactive.
L'employeur est tenu d'une obligation générale de sécurité de moyen renforcée dont il doit assurer en toutes circonstances l'effectivité. Il doit ainsi mettre en œuvre toutes mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale de ses salariés et il lui appartient de justifier avoir pris toutes les mesures utiles.
En l'espèce, Mme [R] verse aux débats un mail du 3 juillet 2017 qu'elle a adressé au CHSCT pour dénoncer sa situation de mal-être en raison de propos tenus à son encontre, lors d'une réunion du 30 juin 2017, par sa collègue [G] en présence de M. [B] et d'autres salariés.
Le 7 juillet suivant, M. [Aa] a reçu Mme [Ab] puis l'a convoquée à un entretien annuel intermédiaire.
La direction a entre-temps été informée de la situation par le CHSCT.
En suite de l'entretien intermédiaire du 10 juillet avec M. [Aa], Mme [R] a contesté les termes du compte-rendu établi le 4 août 2017, considérant qu'il était totalement à charge et partial.
Le 11 août 2017, elle a adressé un nouveau mail au CHSCT l'informant de l'aggravation de sa situation en ce qu'elle considérait être accablée de reproches et faire l'objet d'un véritable acharnement.
La responsable des ressources humaines est intervenue, le 11 août 2017, pour que Mme [R] rencontre le médecin du travail mais ne lui a proposé aucun entretien personnel.
Mme [U], collègue directe de Mme [R], atteste le 9 mai 2023 des dénigrements subis par cette dernière de la part de M. [B] lors des réunions hebdomadaires de l'équipe R&D puis vis-à-vis des clients, et de sa mise à l'écart, notamment lors d'un séminaire de deux jours organisé le 21 novembre 2018. Elle cite deux autres exemples concrets à ce titre.
Mme [Ac], assistante administrative, témoigne également, le 24 avril 2023, du « harcèlement moral dont Mme [R] a fait l'objet » depuis l'arrivée du nouveau directeur, M. [Aa], en 2017, « à base d'humiliations (dénigrement de la qualité de son travail devant témoins...), menaces (« j'espère que tu vas réussir ce projet »), placardisation (choix de personne moins expérimentée ou quasi-débutante pour reprendre des activité de coordination du hall) ».
Il est constant que manque à son obligation de prévention des risques professionnels, l'employeur qui ne diligente pas une enquête interne en cas de dénonciation de faits s'apparentant, notamment, à du harcèlement moral par un de ses employés.
Ici, la société Satt Sayens se contente de contester les éléments rapportés par la salariée sans en apporter la preuve, ni sans avoir diligenté une enquête interne.
Malgré les alertes adressées par Mme [R] au CHSCT et à sa direction, cette dernière n'a pris aucune mesure concrète pour remédier aux difficultés évoquées, augmentant ainsi l'angoisse de la salariée et son insécurité psychique. Mme [R] produit des certificats médicaux faisant état de son mal-être et venant corroborer ses dires.
Il s'ensuit que le manquement à l'obligation de sécurité est démontré et, par suite, l'exécution déloyale du contrat de travail par la société Satt Sayens. Compte tenu du préjudice subi par la salariée, il lui sera alloué de ce chef la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société Satt Sayens, qui succombe, doit prendre en charge les dépens de première instance et d'appel et supporter, à hauteur de cour, une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'avocat engagés tant en première instance qu'à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Mme [R] est privé de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Satt Sayens à verser à Mme [R] les sommes suivantes :
* 10 305 euros au titre du préavis, outre 1 030,50 euros de congés payés afférents,
* 12 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Satt Sayens et la condamne à payer à Mme [R] la somme de 2 000 euros,
Condamne la société Satt Sayens aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION