Jurisprudence : CA Montpellier, 28-06-2023, n° 18/00351, Confirmation


Grosse + copie

délivrée le

à


COUR D'APPEL DE MONTPELLIER


3e chambre sociale


ARRET DU 28 JUIN 2023


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00351 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NQDS


ARRET n°


Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 DECEMBRE 2017

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE HERAULT

N° RG21600550



APPELANTE :


[6]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentant : Me Franck BUREL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON


INTIMEE :


CPAM DE L'HERAULT

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Mme [R] [H] (Représentante de la CPAM) en vertu d'un pouvoir du 11/05/23


En application de l'article 937 du code de procédure civile🏛, les parties ont été convoquées à l'audience.



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 11 MAI 2023,en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet , chargé du rapport.


Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet

Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller


Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON


ARRET :


- Contradictoire.


- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour ;


- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet , et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, greffier.


*

* *



FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES


Le 14 août 2015 M. [U] [K] , salarié de la société [7] (ci-après l'employeur ou la société , a été victime d'un accident pris en charge au titre de la législation professionnelle le 12 octobre 2015 par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault (ci-après la caisse).


Le 12 décembre 2017 le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault, sur audience du 14 novembre 2017, décide que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault de l'accident survenu le 14 août 2015 est opposable à l'employeur.



Le 12 janvier 2018 l'employeur interjette appel et demande à la Cour de :


- infirmer le jugement ;

- décider que l`instance ne se trouve pas frappée de péremption ;

- lui déclarer la décision de prise charge, au titre de la législation professionnelle, du décès du salarié survenu le 14 août 2015, inopposable ;

- à titre subsidiaire ordonner une expertise judiciaire du dossier médical du salarié afin, notamment, de déterminer les causes médicales à l'origine du décès et dire s'il résultait d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec le travail ;

- débouter la caisse de toutes ses demandes ;

- condamner la caisse aux dépens.


La Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault demande à la Cour de :


- constater la préemption de l'instance ;

- à défaut confirmer le jugement.


Les débats se déroulent le 11 mai 2023.



MOTIFS DE LA DÉCISION


1) sur la péremption d'instance


Concernant le contentieux de la sécurité sociale et de l'admission à l'aide sociale, le code de la sécurité sociale a comporté un article R. 142-22 qui en son dernier alinéa, depuis un décret du 18 mars 1986, limitait la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstenaient d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile🏛, les diligences qui avaient été expressément mises à leur charge par la juridiction. Cette disposition avait été rendue applicable à la procédure d'appel par l'ancien article R. 142-30 du même code.

Cette limitation de la péremption d'instance que l'on retrouvait aussi en matière de contentieux prud'homal en vertu d'une autre exception textuelle ne tenait pas au seul caractère oral de la procédure dès lors qu'une jurisprudence constante faisait application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux des baux ruraux en l'absence d'exception textuelle.

Le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018🏛 a abrogé au 1er janvier 2019 l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale🏛, l'article 17 III du même décret précisant que ses dispositions relatives à la procédure étaient applicables aux instances en cours.

Concernant uniquement la première instance, le pouvoir réglementaire est rapidement revenu sur cette réforme par un décret n° 2019-1506 du 30 décembre 2019🏛, applicable au 1er janvier 2020, qui introduit dans le code de la sécurité sociale un article R. 142-10-10, lequel limite à nouveau la péremption à l'abstention, durant deux ans, par les parties, d'accomplir les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. Conformément à son article 9-III, cette nouvelle réforme a été rendue applicable à compter du 1er janvier 2020, y compris aux péremptions non constatées à cette date.

La caisse primaire d'assurance maladie demande à la cour de constater la péremption d'instance en application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile en faisant valoir qu'il n'existe aucune diligence entre l'appel du 12 janvier 2018 et les conclusions de l'appelante le 11 avril 2023.


La société répond que la péremption n'est pas encourue dès lors qu'il n'avait pas les moyens d'accélérer le déroulement de l'instance, laquelle ne s'est trouvée ralentie que par l'engorgement du rôle de la cour. Il critique la réforme de la péremption en faisant valoir qu'elle bafoue le principe de sécurité juridique ainsi que les dispositions de l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


En application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à l'accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d'accomplir les charges procédurales leur incombant. L'effectivité de ce droit impose, en particulier, d'avoir égard à l'obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter. L'ensemble des dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel instaure un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel.


L'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme doit être lue à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme laquelle rappelle en un arrêt du 30 mars 2021, OORZHAK c. RUSSIE, n° 001-208885, que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ; que toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; qu'enfin, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.


Ces principes ont conduit la Cour européenne des droits de l'homme à reprocher au gouvernement en cause de ne pas indiquer quel serait le but légitime poursuivi par la norme et de ne pas préciser par exemple s'il s'agit d'assurer une bonne administration de la justice, de désengorger la juridiction de cassation en simplifiant l'attribution des pourvois, ou encore de raccourcir la durée d'examen des dossiers. Retenant que les explications du gouvernement défendeur ne permettent pas de déceler un but légitime visé par la mesure contestée et que cette dernière avait porté atteinte au droit du requérant à accéder à un tribunal, compte tenu de l'absence de but légitime déclaré, la Cour européenne des droits de l'homme a dit qu'il n'y avait pas lieu d'examiner la proportionnalité de la mesure.


L'ancienne limitation de la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction participait d'un formalisme allégé retenu en considération des spécificités du contentieux alors dévolu au tribunal des affaires de sécurité sociale.

Il convient donc de rechercher si, en excluant la limitation de la péremption d'instance applicable au contentieux de la sécurité sociale au seul stade de l'appel, le pouvoir réglementaire n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit à l'accès au juge au regard de la légitimité des buts qu'il poursuit.

Il sera tout d'abord relevé que le contentieux prud'homal a connu un semblable retour au droit commun de l'article 386 du code de procédure civile. Mais cette évolution n'éclaire pas le présent débat dès lors qu'elle s'est accompagnée à hauteur d'appel d'un passage en procédure écrite et d'une assistance obligatoire par avocat ou par défenseur syndical, toutes réformes guidées explicitement par le constat de la complexité de plus en plus grande du droit du travail et de la nécessité corrélative d'offrir au contentieux prud'homal un traitement de droit commun adapté, toutes considérations qui ont permis de retenir que le retour au droit commun de la péremption d'instance poursuivait en cette matière un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique et ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable.

Concernant cette fois spécifiquement le contentieux de la sécurité sociale, le pouvoir réglementaire peut légitimement chercher à accélérer le traitement des procédures d'appel. Il y va en effet d'une obtention plus rapide par les parties d'une décision définitive et de la réduction du stock des affaires que doivent gérer les cours d'appel, laquelle gestion spécifique du retard ampute d'autant les moyens disponibles pour instruire et juger ces mêmes affaires.

Mais l'accélération du traitement des procédures peut être obtenu par deux types de moyens, directs ou indirects. Les premiers accélèrent les procédures qu'ils concernent directement, il en va ainsi des délais de procédure qui enserrent l'accomplissement d'un acte dans une durée précise ou de la standardisation des actes qui permet de les traiter plus aisément et donc plus rapidement. Les seconds visent au contraire à soulager les juridictions de certaines affaires dans l'espoir qu'elles puissent traiter dès lors plus rapidement les affaires restantes. Il en va ainsi de toutes les formalités qui ne facilitent pas le traitement des affaires auxquelles elles s'appliquent. Même si les moyens directs sont susceptibles d'effets indirects, ils ne sauraient se confondre au regard de leur légitimité.

L'alourdissement du formalisme procédural, dans le seul but de priver d'accès au juge les parties qui ne parviendraient pas à le maîtriser, en espérant que celles qui s'en seront accommodé avec succès puissent voir leur affaire traitée plus rapidement, ne saurait constituer en soi un but parfaitement légitime. Dans ce cas, le contrôle de rapport raisonnable de proportionnalité à l'atteinte au droit à l'accès au juge doit être particulièrement strict.

En l'espèce, compte tenu de l'engorgement de certaines cours d'appel, le retour au droit commun de la péremption d'instance, sous l'apparence de la réforme d'un délai de procédure, constitue effectivement l'imposition aux parties d'une formalité de vigilance les forçant à interrompre un délai, même dans l'hypothèse où elles n'ont aucune prétention à un traitement particulier de leur contentieux, uniquement pour éviter de perdre leur droit d'accès au juge.

Ce retour au droit commun ne se justifie pas par la cohérence d'une réforme globale de la procédure, celle-ci restant orale et sans représentation obligatoire, et il n'a même plus vocation à s'appliquer à la procédure de première instance depuis le 1er janvier 2020. Dès lors, il n'apparaît pas chercher à accélérer directement le traitement des procédures, mais uniquement à décharger les juridictions des affaires dans lesquelles il n'aura pas été respecté. Sa faible légitimité, seulement indirecte, n'est pas raisonnablement proportionnée à l'atteinte qu'il porte au droit à l'accès au juge concernant un contentieux mettant en oeuvre une législation d'ordre public qui assure la sanction de fautes inexcusables ainsi que la réparation de préjudices importants, notamment par des majorations significatives de rentes.

En conséquence, il convient de retenir que la péremption d'instance, qui résulte de l'application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux de la sécurité sociale seulement à hauteur d'appel, doit être écartée en l'espèce afin d'assurer l'effectivité du droit d'accès au juge.


2) sur le respect du principe du contradictoire lors de l'instruction


Les moyens soutenus par l'appelant ne font que réitérer ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la Cour adopte, précision devant également être faite qu'à réception des pièces qui lui sont transmis par la caisse, la société, qui disposait de la possibilité, soit de signaler le manque dont elle se plaint aujourd'hui, soit de venir consulter le dossier, n'a rien fait.


3) sur le fond


Les moyens soutenus par l'appelant ne font que réitérer ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la Cour adopte, et ce sans qu'il soit utile de diligenter expertise judiciaire pour caractériser l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec le travail, aucun élément du dossier ne permettant d'envisager une telle situation, une mesure d'instruction ne pouvant suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.



PAR CES MOTIFS


LA COUR


Décide que l'instance d'appel n'est pas périmée ;


Confirme le jugement du 12 décembre 2017 du Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault ;


Y ajoutant ;


Laisse les dépens du présent recours à la charge de l'appelant.


LE GREFFIER LE PRESIDENT

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