Jurisprudence : CE 5/7 SSR, 15-01-2001, n° 195774

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON

N° 195774

ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS

M. Aladjidi, Rapporteur

M. Chauvaux, Commissaire du Gouvernement

Séance du 13 décembre 2000

Lecture du 15 janvier 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5e et 7e sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5e sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 avril 1998 et 23 avril 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARTS, dont le siège est 3, avenue Victoria à Paris (75004). représentée par son directeur général ; l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demande au Conseil d’État :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 février 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du 25 juin 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de Mlle Figen Bayram tendant à ce que l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS soit condamnée à réparer le préjudice que lui a causé l'opération qu'elle a subie le 16 janvier 1992 dans le service de neurochirurgie du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière a Paris, l'a condamnée à verser à Mlle Bayram la somme de 540 000 F et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 179 430 F, sommes assorties des intérêts légaux ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mlle Bayram et par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne devant la cour ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale,

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,

- les observations de Me Foussard, avocat de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et de la SCP Coutard, Mayer, avocat de Mlle Bayram,

- les conclusions de M. Chauvaux,, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant que la faute commise par les praticiens qui n'informent pas le patient des risques que comporte l'intervention envisagée n'entraîne pour l'intéressé que la perte d'une chance de se soustraire ainsi au risque qui s'est réalisé ; que, par suite, l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est fondée à soutenir que c'est à tort que la cour, se fondant sur la faute résultant de l'absence d'information, l'a condamnée, sans rechercher si cela était justifié par une perte complète de chance, à réparer intégralement les conséquences dommageables de l'accident survenu à Mlle Bayram au cours de l'intervention neurochirurgicale qu'elle a subie le 16 janvier 1992 à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière ; que cette erreur de droit justifie l'annulation de l'arrêt ;

Considérant qu'il y a lieu, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur la responsabilité sans faute :

Considérant qu'à la suite de l'intervention, qui avait pour but de mettre fin aux crises d'épilepsie dont elle souffrait depuis plusieurs années. Mlle Bayram a été victime d’un accident ischémique entraînant une hémiplégie complète du côté gauche ;

Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé. la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause direct de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état. et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque d'hémiplégie lié a l'opération pratiquée doit être évalué à 2 % ; que sa réalisation ne peut donc être regardée comme    exceptionnelle ; que, par suite, la responsabilité sans faute de l'ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS ne saurait être engagée,

Sur la faute :

Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'opération subie par Mlle Bayram. même effectuée dans les règles de l'art, présente des risques d'hémiplégie ; qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'elle n'avait pas été informée de tels risques ; qu'ainsi, l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de Mlle Bayram ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant que la réparation du dommage résultant pour Mlle Bayram de la perte de chance de se soustraire au risque dont elle n'a pas été informée et qui s'est réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre les risques connus d'hémiplégie inhérents à l'intervention et les crises d'épilepsie que cette intervention avait pour objet de faire disparaître, cette fraction doit être fixée à deux tiers ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les frais médicaux résultant directement des conséquences dommageables de l'intervention s'élèvent à 179 430 F ; qu'à la suite de l'opération qui a fait disparaître les manifestations épileptiques dont elle souffrait, Mlle Bayram a été atteinte d'une hémiplégie sévère et invalidante ; que, par suite, il sera fait, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice résultant de cette intervention, et qui concerne l'atteinte à l'intégrité physique de Mlle Bayram en l'évaluant à 400 000 F ; qu'ainsi, le montant total du préjudice corporel subi s'élève à 579 430 F ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant de la part non-physiologique des troubles dans les conditions de l'existence à caractère personnel, du préjudice résultant des souffrances physiques endurées à la suite de l'intervention ainsi que du préjudice esthétique, en les fixant, au total, à 360 000 F ;

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne :

Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : « Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément » ; qu'il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s'exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte d'une chance d'éviter un préjudice corporel, la part d'indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ; que, par suite, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a droit au remboursement de la somme de 179 430 F qu'elle justifie avoir versé au titre des débours résultant des suites dommageables pour son assurée de l'opération ; que, dès lors. il y a lieu de condamner l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à verser à ladite caisse la somme de 179 430 F qui s'imputera sur la réparation du préjudice relatif à l'atteinte à l'intégrité physique ;

Sur les droits de Mlle Bayram :

Considérant que, compte tenu de ce qui vient d'être dit, le montant de l'indemnité due à Mlle Bayram par l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS doit être fixé, compte tenu de la perte de chance, aux deux tiers de la somme de 579 430 F et 360 000 F, le tout diminué de 179 430 F dus à la caisse, soit 446 860 F ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle Bayram est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 25 juin 1996, a rejeté sa demande de réparation des préjudices résultant de l'intervention qu'elle a subie le 16 janvier 1992 ;

Sur les intérêts :

Article 1er : l’arrêt du 26 février 19998 de la cour administrative d’appel de Paris et le jugement du 25 juin du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera à Melle Bayram la somme de 446 860 F assortie des intérêts légaux à compter du 29 juin 1994.

Article 3 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera à la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 179 430 F assortie des intérêts légaux à compter du 17 avril 1996. 

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mlle Bayram devant la cour administrative d'appel de Paris et de sa demande devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, à Mlle Figen Bayram, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et au ministre de l'emploi et de la solidarité.

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