Jurisprudence : CE 9/10 ch.-r., 20-06-2023, n° 463599, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 9/10 ch.-r., 20-06-2023, n° 463599, mentionné aux tables du recueil Lebon

A094994W

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CE 9/10 ch.-r., 20-06-2023, n° 463599, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/96983122-ce-910-chr-20062023-n-463599-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

15-05-01-03 Un Etat étranger et l’Etat français ne sont pas, à raison de l’application de la loi fiscale française, placés dans une situation comparable. ...Par suite, un Etat étranger qui conteste la charge fiscale qu’il supporte à raison d’opérations qu’il effectue en France, ne peut se prévaloir d’une restriction à la libre circulation des capitaux au seul motif qu’il serait traité de manière moins favorable que l’Etat français qui effectuerait la même opération.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 463599⚖️


Séance du 24 mai 2023

Lecture du 20 juin 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Faucon a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer, à titre principal, la restitution partielle du prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts🏛 qu'elle a acquitté à l'occasion de la cession, le 30 septembre 2011, d'un immeuble de rapport lui appartenant situé à Nice (Alpes-Maritimes) et, à titre subsidiaire, la restitution totale du prélèvement demeurant en litige, soit 4 043 325 euros. Par un jugement n° 1302475 du 26 juin 2015, le tribunal administratif de Nice⚖️ a prononcé la restitution totale de ce prélèvement.

Par un arrêt n° 15MA04148 du 27 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.

Par une décision n° 423160 du 22 janvier 2020, le Conseil d'Etat⚖️, statuant au contentieux sur le pourvoi du ministre, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille.

Par un second arrêt n° 20MA00392 du 17 mars 2022, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a annulé le jugement du tribunal administratif de Nice et prononcé la restitution à la SCI Faucon du prélèvement demeurant en litige.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique enregistrés les 29 avril et 25 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la SCI Faucon ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Faucon, dont l'État du Koweït détient 99,99'% des parts par l'intermédiaire de l'agence Kuwaït Investment Office et qui n'a pas opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, a vendu le 30 septembre 2011 un ensemble immobilier de rapport qu'elle détenait à Nice depuis 1991. A la suite de cette cession, son représentant fiscal a déclaré la plus-value réalisée à cette occasion, qui a été soumise au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts. Par un arrêt du 27 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel du ministre des finances et des comptes publics contre le jugement du 26 juin 2015 du tribunal administratif de Nice prononçant la restitution du montant du prélèvement en litige. Par une décision n° 423160 du 22 janvier 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par le ministre, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille. Le ministre se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mars 2022 par lequel cette cour a annulé le jugement du 26 juin 2015 du tribunal administratif de Nice et, après évocation, accordé à la SCI Faucon la restitution sollicitée.

2. Eu égard aux moyens qu'il invoque et à la formulation de ses conclusions, le ministre doit être regardé comme demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Nice comme irrégulier, la cour, statuant par la voie de l'évocation, a accordé à la SCI Faucon la restitution du prélèvement en litige.

3. D'une part, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " () toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ".

4. Lorsqu'un contribuable non résident conteste, au regard de la libre circulation des capitaux, l'imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, il convient de comparer la charge fiscale supportée respectivement par ce contribuable et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable. Lorsqu'il apparaît que le contribuable non résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l'administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l'impôt, de dégrever l'imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d'une équivalence de traitement.

5. D'autre part, aux termes de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - 1. Sous réserve des conventions internationales, les plus-values, telles que définies aux e bis et e ter du I de l'article 164 B, réalisées par les personnes et organismes mentionnés au 2 du I lors de la cession des biens ou droits mentionnés au 3 sont soumises à un prélèvement selon le taux fixé au deuxième alinéa du I de l'article 219. / () Les organisations internationales, les Etats étrangers, les banques centrales et les institutions financières publiques de ces Etats sont exonérés de ce prélèvement dans les conditions prévues à l'article 131 sexies. / (). / 2. Sont soumis au prélèvement mentionné au 1 : () c) Les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter dont le siège social est situé en France, au prorata des droits sociaux détenus par des associés qui ne sont pas domiciliés en France ou dont le siège social est situé hors de France'; () / 3. Le prélèvement mentionné au 1 s'applique aux plus-values résultant de la cession : a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens'; (). / II.- Lorsque le prélèvement mentionné au I est dû par des contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu, les plus-values sont déterminées selon les modalités définies :/1° Au I et aux 2° à 8° du II de l'article 150 U, aux II et III de l'article

150 UB et aux articles 150 V à 150 VD. (). /III.- Lorsque le prélèvement mentionné au I est dû par une personne morale assujettie à l'impôt sur les sociétés, les plus-values sont déterminées par différence entre, d'une part, le prix de cession du bien et, d'autre part, son prix d'acquisition, diminué pour les immeubles bâtis d'une somme égale à 2 % de son montant par année entière de détention. () / V.- Le prélèvement mentionné au I est libératoire de l'impôt sur le revenu dû en raison des sommes qui ont supporté celui-ci. / Il s'impute, le cas échéant, sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû par le contribuable à raison de cette plus-value au titre de l'année de sa réalisation. ()".

6. Il résulte des dispositions citées au point 5 qu'une société relevant de l'article 8 du code général des impôts🏛 est soumise, sur les plus-values de cession d'immeubles situés en France, à un prélèvement au prorata des droits sociaux détenus par ses associés qui ne sont pas domiciliés en France ou dont le siège social est situé hors de France. Dès lors que ces dispositions font dépendre le taux du prélèvement sur les plus-values de cession d'immeubles détenus par une telle société du lieu de résidence de ses associés, il y a lieu, pour apprécier si leur application est susceptible de constituer une restriction à la libre circulation des capitaux, de comparer la charge fiscale supportée selon le lieu de résidence des associés. Ainsi, dans le cas où le prélèvement est supérieur à l'imposition due lorsque l'associé est domicilié ou établi en France, l'application des dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts est de nature à dissuader les investisseurs non-résidents d'investir en France et, par suite, constitue une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination de ces pays, en principe interdite par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

7. Un Etat étranger et l'Etat français ne sont pas, à raison de l'application de la loi fiscale française, placés dans une situation comparable. Par suite, un Etat étranger qui conteste la charge fiscale qu'il supporte à raison d'opérations qu'il effectue en France, ne peut se prévaloir d'une restriction à la libre circulation des capitaux au seul motif qu'il serait traité de manière moins favorable que l'Etat français qui effectuerait la même opération.

8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que la plus-value de cession d'un bien immobilier réalisée par une société relevant de l'article 8 du code général des impôts dont le siège social est situé en France ne serait pas imposée au prorata des parts détenues par l'Etat français alors que le prélèvement prévu par l'article 244 bis A du code général des impôts serait dû à proportion des parts détenues par un Etat étranger, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé que l'application de ce prélèvement constituait une restriction directe non justifiée à la liberté de circulation des capitaux et que, par suite, la SCI Faucon était fondée à demander la restitution du prélèvement en litige.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 qu'en comparant la situation d'une société civile immobilière établie en France selon qu'elle est détenue par un Etat étranger ou par l'Etat français, pour en déduire que l'application du prélèvement prévu par l'article

244 bis A du code général des impôts, au prorata des droits sociaux détenus par l'Etat étranger, constituait une restriction directe à la liberté de circulation des capitaux, la cour administrative d'appel de Marseille a donné aux faits soumis à son appréciation une qualification juridique inexacte.

10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, en tant que, statuant après évocation, la cour administrative d'appel de Marseille s'est prononcée sur le prélèvement prévu par l'article 244 bis A du code général des impôts.

11. En application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛, il incombe au Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.

12. En premier lieu, il résulte de la lettre même des dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts citées au point 5 que l'exonération du prélèvement qu'elles prévoient au bénéfice des Etats étrangers ne s'étend pas aux sociétés de personnes dont ils sont les associés. Par suite, le moyen tiré de ce que la SCI Faucon était exonérée du prélèvement en litige en application de la disposition prévue au 1 du I de l'article précité en faveur des Etats étrangers ne peut qu'être écarté.

13. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que, contrairement à ce que soutient la SCI Faucon, l'application à son égard des dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts n'est pas susceptible de constituer une restriction à la libre circulation des capitaux au seul motif que la charge fiscale supportée à raison de la cession en litige n'est pas identique à celle qui aurait résulté de la même opération si elle avait été réalisée par une SCI détenue dans les mêmes proportions par l'Etat français. Par suite, le moyen tiré de ce que l'imposition de la société sur le fondement de ces impositions porte atteinte au principe de libre circulation des capitaux ne peut qu'être écarté.

14. En troisième lieu, si la SCI Faucon soutient que l'immeuble en cause a été constamment réévalué de sorte qu'à la date de la cession en 2011, la plus-value aurait dû être déterminée en retenant comme prix d'acquisition la valeur réévaluée, elle n'établit pas, en tout état de cause, cette réévaluation par la seule production d'un rapport d'audit, au demeurant non traduit en français, portant sur l'année 2007-2008.

15. En quatrième lieu, la SCI Faucon ne justifie pas les dépenses dont elle demande la prise en compte pour la détermination du prix d'acquisition de l'immeuble.

16. En cinquième lieu, pour l'application des dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts à une société relevant du régime des sociétés de personnes non assujettie à l'impôt sur les sociétés, l'assiette de la plus-value imposable est déterminée selon les règles mentionnées au II de cet article lorsque les associés non-résidents de la société sont assujettis à l'impôt sur revenu. Dans les autres cas, l'assiette est déterminée selon les règles mentionnées au III de ce même article.

17. Il est constant que l'Etat du Koweït n'est pas assujetti à l'impôt sur le revenu et qu'il a été assujetti en France à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011. Par suite, compte tenu de ce qui a été dit au point 16, la SCI Faucon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le prix d'acquisition de l'immeuble en litige a été minoré de l'amortissement de 2 % prévu au III de l'article 244 bis A du code général des impôts.

18. Il résulte de ce qui précède que les conclusions, tant principales que subsidiaires, de la demande présentée par la SCI Faucon doivent être rejetées.

19. Le ministre n'ayant demandé, dans son mémoire enregistré le 8 juin 2018 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, le rétablissement du prélèvement en litige qu'à hauteur du montant de 2 304 487 euros, il y a lieu de remettre à la charge de la société l'imposition à hauteur de ce montant.

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 mars 2022 est annulé en tant qu'après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Nice du 26 juin 2015, il prononce la restitution du prélèvement acquitté par la SCI Faucon en application de l'article

244 bis A du code général des impôts.

Article 2 : La demande présentée par la SCI Faucon devant le tribunal administratif de Nice ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La somme de 2 304 487 euros est remise à la charge de la SCI Faucon en application de l'article 244 bis A du code général des impôts.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SCI Faucon.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 mai 2023 où siégeaient :

M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 20 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mazauric

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

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