Jurisprudence : CE 2/7 ch.-r., 19-06-2023, n° 469722, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 2/7 ch.-r., 19-06-2023, n° 469722, mentionné aux tables du recueil Lebon

A094394P

Référence

CE 2/7 ch.-r., 19-06-2023, n° 469722, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/96983116-ce-27-chr-19062023-n-469722-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

335-04-03-02 La circonstance que l’exécution d’un décret d’extradition exposerait un étranger à des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur sa santé ainsi qu’au risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH) en raison d’une grave pathologie survenue après l’intervention du décret, qui est sans influence sur la légalité de ce décret, laquelle s’apprécie à la date de son édiction, est de nature à faire obstacle à l’exécution du décret d’extradition.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 469722⚖️


Séance du 24 mai 2023

Lecture du 19 juin 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 15 décembre 2022, 24 janvier et 10 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 octobre 2022🏛 accordant son extradition aux autorités turques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la SCP Bénabent, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Benabent, avocat de M. A ;

Considérant ce qui suit :

1. Par décret du 3 octobre 2022, le Premier ministre a accordé aux autorités turques l'extradition de M. B A, ressortissant turc, sur le fondement d'un mandat d'arrêt délivré le 6 mars 2019 par le procureur de la République d'Izmir pour l'exécution d'un jugement de la cour d'assises d'Izmir du 28 juillet 2009, confirmé le 22 mai 2012 par la Cour de cassation turque, le condamnant à la peine de six ans et trois mois d'emprisonnement pour des faits d'appartenance à une organisation terroriste armée commis le 23 août 2002 à Antalya.

2. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration🏛.

3. En deuxième lieu, si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. Si M. A fait valoir qu'il est père de deux enfants et qu'au regard des pratiques pénitentiaires turques, il lui serait difficile de maintenir des liens avec eux, il n'avance que des considérations générales alors qu'au demeurant, ses enfants sont majeurs. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

4. En troisième lieu, se prévalant de la réserve formulée par la France à l'article 1er de la convention européenne d'extradition, selon laquelle : " L'extradition pourra être refusée si la remise est susceptible d'avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, notamment en raison de son âge ou de son état de santé ", M. A fait valoir qu'après l'intervention du décret litigieux, une grave pathologie lui a été diagnostiquée et que, depuis décembre 2022, il fait l'objet d'un traitement reposant sur une prise en charge chirurgicale et une chimiothérapie post-opératoire devant se prolonger sur plusieurs mois. Il soutient que l'exécution du décret d'extradition l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa santé ainsi qu'au risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'en cas de détention en Turquie, il ne pourrait pas bénéficier du traitement nécessaire à sa survie.

5. Les circonstances invoquées par M. A ont conduit la 2ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat à ordonner une mesure d'instruction aux fins d'obtenir des autorités turques des garanties permettant d'assurer que l'intéressé ne serait pas exposé à des risques exceptionnels eu égard à son état de santé. En réponse aux demandes formulées par les autorités françaises, les autorités turques se sont bornées à fournir des informations générales sur le suivi médical des détenus en Turquie. Les éléments ainsi apportés ne sont pas assez précis pour donner l'assurance que M. A serait traité, en détention, de manière compatible avec son grave état de santé. Dans ces conditions, le décret d'extradition ne peut pas être mis à exécution et donner lieu à la remise de l'intéressé aux autorités turques.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B A et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 19 juin 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard

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