CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 96272
Commune de Val d'Isère c/Mme BOSVY et autres M. Lambertin, Rapp.
Lecture du 14 Mars 1986
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu, sous le n° 96272, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 12 août 1974 et 14 mai 1975 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la Commune de Val d'Isère (Savoie), représentée par son maire en exercice, dûment autorisé par délibération du conseil municipal en date du 13 juillet 1974 et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 19 juin 1974 par lequel le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à verser diverses indemnités à Mme BOSVY et autres en réparation de la moitié des conséquences dommageables d'une avalanche survenue à Val-d'Isère le 10 février 1970 ;
2°) rejette les demandes présentées pour Mme BOSVY et autres devant le tribunal administratif de Grenoble en tant qu'elles sont dirigées contre la Commune de Val d'Isère ;
Vu, sous le n° 99725, la requête sommaire enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 11 juin 1975, et le mémoire complémentaire enregistré le 26 octobre 1977, présentés pour Mme Georgette Bosvy, demeurant à Cherbourg (Manche), 1 rue de l'Amiral-Troudé ; Mme Alice Boulanger, demeurant à Vernantes (Maine-et-Loire), 5 rue de Jalesmes ; M. Philippe Boullie et Mme Madeleine Boullie, demeurant à Sotteville-les-Rouen (Seine-Maritime) ; M. Jacques Charrière et Mme Gisèle Charrière, demeurant à Clamart (Hauts-de-Seine), 7 rue du Chemin-Vert ; M. André Daviot et Mme Germaine Daviot, demeurant à Mericot, Bromac (Haute-Vienne) ; Mme Francis Jacqueline, demeurant à Saulcy-sur-Meurthe (Vosges), en son nom et au nom de son fils mineur ; Mme Suzanne Freisseix, demeurant à Lyon (Rhône), 23 allée Galantier ; Mme Haas Marie-Jeanne, demeurant à Lyon (Rhône), 195 rue Duguesclin ; M. André Lang et Mme Gisèle Lang, demeurant à Cherbourg (Manche), 83 rue du Président-Loubet ; M. Gaston Régnier et Mme Zéphirine Régnier, demeurant à Bobigny (Seine-Saint-Denis), 114 rue Jules-Vallès ; Mme Marguerite Ruebrecht et M. Rodolphe Ruebrecht, demeurant à Strasbourg (Bas-Rhin), 16 rue Duntzenheim ; M. Antonin Savrey et Mme Andrée Savrey, demeurant à Vaulx-en-Velin (Rhône), avenue Jean-Moulin ; M. Léon Schrenzel et Mme Anne-Marie Schrenzel, demeurant à Chasse-sur-Rhône (Isère), rue Frédéric-Mistral ; M. Joseph Vastel et Mme Madeleine Vastel, demeurant à Le Bourg Virandeville (Manche) ; Mme Andrée Adnin, demeurant à Bagneux (Hauts-de-Seine), 4 rue des Meuniers ; M. André Delgutte et Mme Simone Delgutte, demeurant à Bagneux, 3 bis Voie-des-Suisses ; Mme Paulette Lalisse, demeurant à Cambrai (Nord), 124 rue de la Résidence-Fénelon et Mme Denise Mazoyer, demeurant à Villejuif (Val-de-Marne), 71 avenue Karl-Marx, et tendant, pour le cas où la requête de la Commune de Val d'Isère enregistrée sous le n° 96272 serait admise, à ce que le Conseil d'Etat :
1°) réforme le jugement du 19 juin 1974 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a partagé par moitié entre la Commune de Val d'Isère et l'Etat la responsabilité des conséquences dommageables de l'avalanche du 10 février 1970 ;
2°) condamne l'Etat à réparer la totalité de ces conséquences dommageables en augmentant les indemnités qui leur sont dues ;
Vu le code de l'administration communale ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
En ce qui concerne l'appel principal formé par la Commune de Val d'Isère :
1°)
Sur le désistement partiel de la commune :
Considérant que le désistement par lequel la Commune de Val d'Isère renonce à son appel contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 19 juin 1974 en tant qu'il la condamne à payer des indemnités à Mme Georgette BOSVY, Mme Alice BOULANGER, M. Philippe BOULLIE, Mme Madeleine BOULLIE, M. Jacques CHARRIERE, Mme Gisèle CHARRIERE, M. André DAVIOT, Mme Germaine DAVIOT, Mme Jacqueline FRANCIS et son fils mineur, Mme Suzanne FREISSEIX, Mme Marie-Jeanne HAAS, M. André LANG, Mme Cécile LANG, M. Gaston REGNIER, Mme Zéphirine REGNIER, M. Rodolphe RUEBRECHT, Mme Marguerite RUEBRECHT, M. Antonin SAVREY, Mme Andrée SAVREY, M. Léon SCHRENZEL, Mme Anne-Marie SCHRENZEL, M. Joseph VASTEL, Mme Madeleine VASTEL, Mme Andrée ADNIN, M. André DELGUTTE, Mme Simone DELGUTTE, Mme Paulette LALISSE et Mme Denise MAZOYER, ledit désistement est pur et simple ; que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte :
2°)
Sur le surplus des conclusions de l'appel de la commune :
Considérant, en premier lieu que l'avalanche qui a, le 10 février 1970, dévasté le chalet de l'Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA) et entraîné la mort de 39 personnes, ne présentait pas, malgré sa violence exceptionnelle, compte tenu de ce que trois fois au moins depuis 1917 des avalanches de même provenance avaient atteint la zone de la rive gauche de l'Isère où est situé ce chalet, le caractère d'un événement de force majeure ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 97 du code de l'administration communale, en vigueur lorsque s'est produite cette avalanche, "La police municipale ... comprend notamment : ... 6°) le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser ... les accidents et les fléaux calamiteux, tels que ... les avalanches" ; qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que dans la période de croissance de l'agglomération de Val d'Isère, au cours de laquelle a été édifié le chalet de l'U.C.P.A., il n'a pas été procédé de façon approfondie à l'étude des zones exposées à des risques d'avalanche ; que, d'autre part, la commune n'avait, dans cette même période, entrepris qu'une part très réduite du programme de construction des ouvrages de protection qui eussent été nécessaires pour assurer une protection efficace contre les avalanches, et dont il ne ressort pas des pièces du dossier que la réalisation eut été hors de proportion avec les ressources de la commune ; que dans les circonstances de l'affaire et compte tenu tant de l'importance du développement de la station de sports d'hiver que de la gravité des risques encourus, l'insuffisance de mesures de prévision et de prévention prises par la commune a constitué une faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis des victimes ; que la circonstance que le retard apporté à la délimitation des zones exposées aux risques naturels engage la responsabilité de l'Etat auquel il incombe de prendre les mesures imposées par la législation de l'urbanisme, n'est pas de nature à exonérer la commune de la responsabilité qu'elle encourt du fait de ses obligations en matière de police de la sécurité ; que la Commune de Val d'Isère n'est par suite pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à supporter 50 % des conséquences dommageables du sinistre du 10 février 1970 ;
Sur les conclusions de parents des victimes et des caisses de sécurité sociale dirigées contre la Commune de Val d'Isère :
Sur le montant des préjudices :
Considérant, d'une part, qu'en fixant respectivement à 3 000 F et à 1 000 F les indemnités allouées aux parents des victimes en réparation de la douleur morale résultant de la perte d'un fils ou d'une fille et de celle d'un frère ou d'une soeur, le tribunal administratif n'a pas fait, à la date à laquelle il a statué, une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice ;
Considérant, d'autre part, que Mme FRANCIS et Mme DENOCE ne justifient pas leurs demandes tendant à l'augmentation des indemnités qui leur ont été allouées, à la première, en raison des troubles dans les conditions d'existence résultant pour elle-même et son fils mineur du décès de son époux et, à la seconde, pour la perte de l'aide qu'aurait pu lui apporter celle de ses fils victime de l'avalanche ;
Considérant, enfin qu'en l'absence de préjudice matériel résultant pour eux du décès de leurs enfants, les époux DENOCE et Mme LAGOUTTE, épouse divorcée de M. ROUSSEAU, ne sont pas fondés à demander d'autre indemnité que celle destinée à réparer leur douleur morale, dont, comme il a été dit ci-dessus, le tribunal administratif fait une juste appréciation ; qu'ainsi les conclusions des recours incidents tendant à l'augmentation des indemnités, mises à la charge de la Commune de Val d'Isère doivent être rejetées ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que Mme Gisèle DENOCE, M. Gérard DENOCE, venant aux droits de son père décédé M. André DENOCE et, de même, Mme LAGOUTTE, épouse divorcée de M. ROUSSEAU, ont droit aux intérêts au taux légal à compter du 19 juin 1974 pour les indemnités allouées par le jugement attaqué à Mme Gisèle DENOCE et à compter du 28 octobre 1971 pour celles qui ont été accordées à M. André DENOCE et à Mme LAGOUTTE épouse divorcée de M. ROUSSEAU ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par M. et Mme DENOCE et par Mme LAGOUTTE, divorcée ROUSSEAU le 29 avril 1985 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts et que, dès lors, il y a lieu, en application de l'article 1154 du code civil, de faire droit à ladite demande ;
Considérant que la caisse primaire centrale d'assurance maladie de la région parisienne a droit aux intérêts au taux légal des sommes que la Commune de Val d'Isère a été condamnée à lui rembourser, à compter du 15 mai 1974 pour les remboursements correspondant aux prestations que la caisse avait déjà versées à cette date, et au fur et à mesure de leur règlement pour les prestations versées ultérieurement ; que ladite caisse a demandé la capitalisation des intérêts le 15 avril 1976 ; qu'à cette date il lui était dû au titre des prestations qu'elle avait versées avant le 15 avril 1975, au moins une année d'intérêts et qu'il y a lieu, dès lors, en application de l'article 1154 du code civil, de faire partiellement droit à ladite demande ;
Considérant, enfin, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche a droit aux intérêts au taux légal des sommes que la Commune de Val d'Isère a été condamnée à lui rembourser, à compter du 17 avril 1974 ;
Sur les conclusions des parents des victimes et de la caisse d'assurance maladie de la Manche dirigées contre l'Etat :
Considérant que les conclusions présentées par Mme BOSVY et d'autres parents des victimes contre l'Etat, ont été provoquées par l'appel de la Commune de Val d'Isère et enregistrées sous le n° 96272 après l'expiration du délai de recours contentieux en vue d'obtenir éventuellement la condamnation de l'Etat à réparer l'intégralité des conséquences dommageables du sinistre ; que la situation de ces personnes ne pouvant plus, du fait du désistement de la commune, être aggravée par l'appel de celle-ci, lesdites conclusions ne sont pas recevables ;
Considérant que les conclusions de M. et Mme DENOCE, de Mme LAGOUTTE épouse divorcée de M. ROUSSEAU et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, également enregistrées après l'expiration du délai de recours et tendant, de même, à la condamnation de l'Etat, au cas où l'appel de la Commune de Val d'Isère serait accueilli, à réparer l'intégralité des conséquences dommageables de l'avalanche, ne seraient recevables que si la commune, appelante principale, obtenait elle-même la décharge totale ou partielle des indemnités qu'elle a été condamnée à leur verser ; que l'appel de la Commune de Val d'Isère étant rejeté par la présente décision, les conclusions dirigées contre l'Etat par M. et Mme DENOCE, Mme LAGOUTTE et la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche ne sont pas recevables ;
En ce qui concerne les conclusions présentées au nom de l'Etat :
Considérant que les conclusions présentées par le ministre d'Etat, chargé du plan et de l'aménagement du territoire au nom de l'Etat et tendant à ce que celui-ci soit déchargé des condamnations prononcées contre lui par le jugement attaqué au profit des caisses d'assurance maladie de la région parisienne et de la Manche, ont été enregistrées après l'expiration du délai de recours contentieux ; que ces condamnations ne comportent aucune solidarité avec celles qui ont été prononcées contre la Commune de Val d'Isère ; que, dans ces conditions, la situation de l'Etat ne pouvait être aggravée par l'appel de la Commune de Val d'Isère ; que, par suite, les conclusions susanalysées présentées au nom de l'Etat ne sont pas recevables ;
D E C I D E :
Article 1er : Il est donné acte à la Commune de Val d'Isère du désistement de sa requête en tant qu'elle était dirigée contre Mme BOSVY, Mme BOULANGER, M. et Mme BOULLIE, M. et Mme CHARRIERE, M. et Mme DAVIOT, Mme FRANCIS et son fils mineur, Mme FREISSEIX, Mme HAAS, M. et Mme LANG, M. et Mme REGNIER, M. et Mme RUEBRECHT, M. et Mme SAVREY, M. et Mme SCHRENZEL, M. et Mme VASTEL, Mme ADNIN, M. et Mme DELGUTTE, Mme LALISSE et Mme MAZOYER.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la Commune de Val d'Isère est rejeté.
Article 3 : Les sommes que la Commune de Val d'Isère a été condamnée, par le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 19 juin 1974, à payer à Mme Gisèle DENOCE, à M. Gérard DENOCE et à Mme LAGOUTTE porteront intérêts au taux légal, à compter du 19 juin 1974 au profit de Mme Gisèle DENOCE, et à compter du 28 octobre 1971 au profit de M. Gérard DENOCE et de Mme LAGOUTTE. Les intérêts échus le 29 avril 1985 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts. Le surplus des conclusions du recours incident des mêmes personnes est rejeté.
Article 4 : Les sommes que la Commune de Val d'Isère a été condamnée, par le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 19 juin 1974, à rembourser à la caisse primaire centrale d'assurance maladie de la région parisienne porteront intérêts au taux légal, à compter du 15 mai 1974 en ce qui concerne les prestations qu'elle avait déjà versées à cette date, et au fur et à mesure de leur échéance pour les prestations versées ultérieurement. Les intérêts échus le 15 avril 1974 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Les sommes que la Commune de Val d'Isère a été condamnée, par le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 19 juin 1974, à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche porteront intérêts au taux légal compter du 17 avril 1974.
Article 6 : Les conclusions du recours incident et de l'appel provoqué dirigé contre l'Etat de Mme BOSVY et autres bénéficiaires du désistement de la Commune de Val d'Isère désigné à l'article premier sont rejetées.
Article 7 : Le recours incident présenté au nom de l'Etat et les conclusions de l'appel provoqué de Mme Gisèle DENOCE, de M. André DENOCE, de Mme LAGOUTTE épouse divorcée de M. ROUSSEAU et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche sont rejetés.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à la Commune de Val d'Isère, à Mme BOSVY, Mme BOULANGER, M. et Mme BOULLIE, M. et Mme CHARRIERE, M. et Mme DAVIOT, Me FRANCIS, Mme FREISSEIX, Mme HAAS, M. et Mme LANG, M. et Mme REGNIER, M. et Mme SCHRENZEL, et Mme VASTEL, Mme ADNIN, M. et Mme DELGUTTE, Mme LALISSE, Mme MAZOYER, Mme DENOCE, M. Gérard DENOCE représentant de M. André DENOCE, Mme LAGOUTTE épouse divorcée de M. ROUSSEAU, la caisse primaire centrale d'assurance maladie de la région parisienne, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, au ministre de l'urbanisme, du logement et des transports et au ministre de l'intérieur et de la décentralisation.